{Noomes} - Un resto pour la plus belle des déesses

Le moins qu’on puisse dire, c’est que Noomi n’aurait rien eu contre l’idée de dormir encore un peu. Déjà parce qu’il était tôt et qu’elle bossait de nuit mais aussi parce qu’elle se sentait épuisée en ce moment. Sans qu’elle ait pourtant changé quoi que ce soit à ses habitudes. D’ailleurs, ça commençait tout doucement à l’inquiéter ; s’il n’y avait eu que ça, elle aurait pu se convaincre que c’était dû au changement de saison ou une connerie du genre. Mais là, si elle prenait en compte ses nausées matinales et le retard de ses règles, ça commençait à faire beaucoup quand même. Pourtant, il ne lui semblait pas avoir jamais oublié sa pilule. Bien que ça puisse arriver. Et quand bien même, même ça, ça n’était pas fiable à cent pour cent. Bon, pas de panique, il pouvait tout simplement s’agir d’un malheureux concours de circonstances. C’est ce à quoi elle essayait de se raccrocher alors qu’elle se sentait toute nauséeuse de bon matin – un peu moins de onze heures quand même -, au fond de son lit. Tant pis, Jimmy avait prévu quelque chose assez tôt dans la journée, aussi prit-elle son courage à deux mains pour se lever.

Puis, après un rapide passage par la salle de bains, la blonde déposa un énorme baiser bien retentissant sur la joue de sa fille partant passer son après-midi chez son papy puis sur celle dudit papy, et elle s’attarda quelques instants dans la cuisine où elle s’employa à se faire un jus de citron. Voilà qui devrait aider. C’est encore en pyjama qu’elle vit Jimmy sortir deux housses de son bureau. Dont l’une lui était apparemment destinée. Fronçant légèrement les sourcils parce que, vu l’heure, elle se doutait qu’ils allaient déjeuner tous les deux, elle n’avait pas vu venir qu’ils allaient faire ça en grandes pompes, en revanche. Avec un sourire espiègle, la grecque demanda :
« Me dis pas qu’t’as caché deux cadavres tout raplapla là-d’dans, quand même ? »
Ç’aurait pu. Histoire de voir si ça pouvait fonctionner pour le bouquin qu’il était en train d’écrire, par exemple. Bon d’accord, il ne serait quand même pas allé jusqu’à y cacher de vrais cadavres, mais des mannequins, peut-être ! Déposant son verre sur le comptoir, elle vint se planter à côté de lui tandis qu’il lui expliquait qu’il s’agissait d’une surprise pour elle. Prudemment, elle dézippa la housse qu’il lui tendait et regarda à l’intérieur. Une jolie petite robe noire qui avait l’air à sa taille. C’est ce qu’elle vit dans un premier temps. Puis elle jeta un coup d’œil à l’autre housse pour voir un costard des plus classes.
« Ah ouais, j’vois qu’on met les p’tits plats dans les grands ! »
Et ça serait mentir de dire que ça ne lui plaisait pas. D’autant qu’on avait beau fouiller sa penderie, on se rendait vite compte que Noomi n’avait pas tant de robes que ça. Elle en avait parce qu’il fallait bien quand on l’invitait à tel ou tel évènement qu’elle devait couvrir pour la radio, surtout.
« Bon, ben j’vais me hâter d’aller m’préparer, alors. »
Accordant le geste à la parole, la housse contenant sa robe à la main, elle reprit la direction de la salle de bains.

Ce n’est qu’une bonne vingtaine de minutes plus tard qu’elle en sorti, tout habillée, toute coiffée, toute maquillée, toute pimpante, mais surtout prête. Elle n’était d’ailleurs pas la seule à l’être puisqu’elle remarqua vite fait que Jimmy avait lui aussi revêtit son costume. Elle le regarda de bas en haut d’un œil appréciateur avant de revenir se planter à ses côtés.
« Qu’est-ce qu’on est beaux, dis donc ! Ça mérite bien une photo. »
Attrapant son téléphone qui traînait sur la table basse, elle tendit le bras au maximum pour prendre un selfie d’eux deux et déposa un petit baiser affectueux sur la joue de son Jimmy. Puis elle déclara :
« C’est bon, je suis prête. Par contre, faut qu’je fasse un crochet par la pharmacie d’abord. »
Était-ce d’ailleurs bien judicieux de vouloir faire ça maintenant ? La réponse était oui : plus vite elle serait fixée et mieux ça serait. Mais elle prenait quand même le risque de plomber l’ambiance et elle en avait à peu près conscience.

Qu’est-ce que ça lui faisait bizarre à Noomi de se faire aussi belle pour aller déjeuner. A l’instar du petit-déjeuner, c’était un repas qu’elle sautait presque tous les jours. Pas envie surtout que généralement, elle émergeait à l’heure de ce repas et ne pouvait avaler qu’un café – même pas glacé – en vitesse ; à moins qu’elle ne se soit levée plus tôt – un peu comme ce jour-là ou quand elle ne travaillait pas et qu’elle prenait alors le temps de conduire Sarah à l’école au lieu de demander à son père de venir la chercher. Au final, tout dépendait de si elle travaillait la nuit ou non. Mais quand c’était le cas, c’est-à-dire au moins trois jours par semaine, alors elle vivait forcément un peu en décalage. Mais un peu seulement car en plus de ne pas avoir besoin de prendre tous les repas de la journée comme une personne normale, la grecque n’avait pas non plus besoin de beaucoup de sommeil. Mais une fois n’était pas coutume, surtout si ça faisait plaisir à Jimmy. Et ce qui lui faisait manifestement plaisir, c’était de lui faire plaisir à elle. Enfin, pas que, bien sûr, mais là en l’occurrence, oui. C’est bien pour cette raison qu’ils se mettaient sur leur trente-et-un alors que ce n’était pas encore la fin d’année. Arquant un sourcil, la blonde répondit :
« Ah oui ? J’sais pas si c’est une bonne idée qu’tu m’dises ça parce qu’il s’pourrait qu’tu n’puisses plus m’en déloger, un d’ces quatre. »
Le tout accompagné d’un sourire des plus coquins avant de se séparer pour que chacun puisse se préparer de son côté. Si Noomi réquisitionna la salle de bains, c’est parce qu’elle ne se voyait pas sortir dans une robe comme celle-ci sans être maquillée. D’accord, elle faisait rarement l’effort de mettre plus qu’une fine couche de fond de teint et un soupçon de mascara au quotidien mais ça ne voulait pas dire pour autant qu’elle ne savait pas s’y prendre. En fait, elle voyait le maquillage comme un art depuis toujours et, quand elle s’y mettait, elle était capable de faire de son visage une véritable toile. Ce qu’elle n’alla quand même pas jusqu’à faire ce jour-là, notamment parce qu’il lui fallait un maquillage aussi classe que sa robe. Et quand elle revint dans le séjour, elle ne pouvait nier qu’ils étaient tous les deux aussi beaux que bien assortis. Comme toujours. Peut-être que son avis était biaisé mais elle avait toujours trouvé qu’ils allaient bien ensemble. Si c’était pas l’occasion d’immortaliser l’instant… Ce qu’elle fit sans attendre avant d’annoncer qu’elle était prête, à condition qu’ils s’arrêtent à la pharmacie sur le chemin. Pour l’instant, elle refusait d’en dire plus. Ça ne servait à rien de faire une frayeur à tout le monde s’il n’y avait rien. Même si elle n’avait pas non plus l’intention de garder ça pour elle. En fait, elle croisait les doigts pour pouvoir en discuter en rigolant d’ici une heure ou deux.

Une discussion qui, l’air de rien, les mènerait à une autre, un tout petit peu plus sérieuse et dont le thème serait : qu’est-ce qu’on fait si… ? Un sujet qu’ils n’avaient encore jamais abordé principalement parce que même s’ils ne faisaient pas plus attention que ça à se protéger, chacun sachant que l’autre lui était fidèle, Noomi prenait quand même la pilule. Notamment parce que retomber enceinte, c’était comme de se remarier, ça lui faisait un peu peur compte tenu de comment ça s’était passé la première fois. Ce qui était idiot, elle le savait bien, parce qu’encore une fois, Jimmy n’avait rien à voir avec son ex-mari, mais c’était là tout le côté vicieux des traumatismes. Pourtant, elle n’était fondamentalement pas contre ni l’un ni l’autre. Si elle n’avait pas été une parfaite épouse, au moins était-elle une très bonne mère. Bref, inutile de se prendre la tête avec ça tant que rien n’était confirmé. Mais c’est quand même un peu préoccupée qu’elle monta en voiture et se laissa déposer devant la pharmacie.
« J’en ai pour une minute. »
C’est qu’on approchait du temps de midi alors qu’il y ait du monde ou pas, ils se dépêcheraient de servir tous leurs clients pour pouvoir aller manger. Bref, elle descendit donc de voiture, sans attendre que Jimmy vienne lui ouvrir, cette fois, et s’engouffra dans la pharmacie où elle n’eut même pas à faire la file, tant il n’y avait personne. Ce qu’elle était venue chercher en sa possession, ils purent se remettre en route et arriver au restaurant pile à l’heure. A les voir aussi élégamment vêtus, on s’attendrait aussi à les voir descendre de limousine mais voilà bien quelque chose qui ne leur ressemblait pas du tout. D’autant que ça ne ferait qu’attirer l’attention sur eux alors que ce n’était pas du tout ce qu’ils cherchaient ; eux, ils voulaient juste déjeuner tranquillement, pas être interrompus toutes les cinq minutes pour avoir un autographe ou pour prendre une photo. Ce qui arrivait parfois. Prenant le bras de Jimmy, une fois qu’ils furent descendus de sa Jeep, elle se laissa guider puisqu’apparemment, il avait tout prévu.
« J’meurs de faim ! »
Soit ça, soit ses nausées lui jouaient des tours, mais elle croiserait les doigts pour que ça soit bel et bien la première option.

Bien sûr que non, Noomi n’irait pas fouiner dans le bureau de Jimmy même s’il l’invitait à le faire. Elle passerait une fois parce que s’il faisait ce sous-entendu, c’est qu’il voulait qu’elle y voie ou trouve quelque chose, mais elle n’irait pas fureter. Okay, s’il l’y conviait, c’est qu’il n’avait rien à lui cacher, mais elle était très consciente de l’importance d’avoir son petit endroit bien à soi quand on vit avec quelqu’un d’autre et elle respecterait ça. Dans le but de ne pas commettre les mêmes erreurs qu’elle avait pu commettre par le passé.
« Sérieux ? Aucun risque que j’tombe sur mon cadeau d’Noël, alors ? »
Peut-être qu’à une époque, ç’avait été son genre de chercher ses cadeaux de Noël absolument partout, même dans les endroits les moins évidents, voire même les plus insolites, ce qui avait forcé son père à les planquer carrément chez d’autres personnes s’il tenait à avoir une chance de lui faire la surprise. Cette époque était révolue depuis longtemps. En fait, aujourd’hui, elle était contente quel que soit le cadeau parce qu’elle avait fini par comprendre que c’était en effet l’intention qui compte, mais il n’en avait pas toujours été ainsi. Dernier regard plein de malice avant de filer en direction de la salle de bains.

Et une fois qu’ils furent tous deux prêts, il n’y eut plus qu’à passer par la pharmacie – ce qui ne prit qu’une seconde et avait dû soulever pas mal de questions, tant du côté de Jimmy que du côté des clients qui ne s’attendaient sûrement pas à croiser la route d’une jeune femme si bien apprêtée à cette heure et dans ce lieu, surtout – et à rouler vers le restaurant. La blonde allait descendre de voiture quand Jimmy lui fit signe d’attendre avant de sortir de son côté, de contourner la Jeep et de venir lui ouvrir la portière en bon gentleman qu’il était. Et bien sûr, une fois à l’intérieur, tous les regards convergèrent vers eux. Ce qui ne dérangeait pas du tout Noomi : elle avait l’habitude. Là-dessus, il lui demanda de deviner quelle table était la leur et son regard se promena sur chacune d’entre elles quelques secondes. Jusqu’à ce qu’elle remarque les pétales de roses au pied de l’une d’elles. Un énième sourire illumina son visage ; du Jimmy tout craché, ça.
« J’ai trouvé ! Faut suivre le chemin d’pétales de roses. »
Effectivement, elle se retrouverait bien bête si ces pétales étaient destinés à quelqu’un d’autre vu qu’elle n’avait pas attendu pour aller s’y asseoir. Enfin, plutôt pour se tenir debout tout à côté d’une des chaises parce que quelque chose lui disait qu’il voudrait la lui tirer pour qu’elle puisse s’y asseoir. Puis, une fois installée, elle s’empara de la carte qu’elle ne connaissait pas encore par cœur, non, parce que bien qu’elle vienne fréquemment, elle avait pour habitude de toujours prendre la même chose ou presque. Des valeurs sûres. Ça serait donc peut-être l’occasion de varier un peu.
« Tu sais déjà c’que tu vas prendre ? »
Histoire de voir si ça suscitait une envie quelconque chez elle ou plutôt tout le contraire. Pour sa part, ses yeux clairs parcouraient les noms de plats sans que rien ne se démarque vraiment du reste. Et son instinct lui disait d’opter pour des plats ne serait-ce qu’un peu plus légers qu’à l’accoutumée. Même si elle avait faim, c’était sans doute mieux, des fois qu’elle n’ait chopé qu’une simple gastro. Mais quand même, ça serait bizarre étant donné qu’elle vivait sous le même toit que deux autres personnes et qu’aucune des deux n’avait l’air d’en avoir les symptômes.

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il la connaissait bien, Noomi, Jimmy. Il savait toujours exactement quoi dire et quoi faire pour attiser sa curiosité ou encore pour l’intéresser à quelque chose en particulier. Et cet air des plus sérieux lui donnait envie d’aller voir ce qu’il pouvait bien cacher à son intention dans ce bureau. En dépit de ce qu’elle s’était promis, c’est vrai, mais elle fouillerait dans le but de trouver ce qu’il attendait qu’elle trouve et uniquement ça. Etirant un sourire en coin, elle finit par capituler.
« T’as gagné, attends-toi à c’que j’aille fouiller ton antre un d’ces quatre, alors. »
Même qu’elle l’aurait bien fait là, tout de suite, maintenant, s’il n’était pas temps de partir pour se rendre au restaurant. Enfin, d’abord la pharmacie, ensuite le restaurant. Mais fort heureusement, la grecque n’avait pas perdu son temps à faire la file à la pharmacie étant donné qu’à cette heure, tout le monde avait faim et se pressait de fermer pour pouvoir aller manger. Elle n’avait eu qu’à attendre quelques minutes et demander ce dont elle avait besoin. Sans faire de chichis, tout ce qu’elle voulait, c’était un résultat fiable. Même pas forcément rapide. Même si ça serait mieux, c’est sûr, mais bon, elle ferait avec ce qu’on lui donnerait.

L’arrivée au restaurant lui fit momentanément oublier tout ça tant c’était grandiose. Autant dire que c’était très rare qu’on lui déroule le tapis rouge – ou plutôt le tapis de pétales de roses en l’occurrence – de la sorte. En fait non, ça arrivait mais seulement quand on voulait qu’elle fasse une bonne pub de tel ou tel event dans son émission de radio. Mais dans la sphère privée en revanche… Bref, tout le monde dans ce resto avait l’air épaté, elle comprise ; pourtant, ça ne devrait pas l’étonner, elle savait parfaitement que c’était tout à fait le genre de Jimmy de faire ce genre de choses. Et ça faisait également partie des raisons qui faisaient qu’elle l’aimait : il n’attendait jamais une occasion spéciale pour la surprendre avec des petits cadeaux de ce genre. Ils prirent place et quelques secondes plus tard, plus personne ne leur prêtait attention. Ce qui n’était pas plus mal, au fond, Noomi avait horreur qu’on la dévisage comme un phénomène de foire. Un signe de plus qu’elle n'était pas faite pour la vie de stars. S’emparant de la carte, elle lut vite fait ce qui lui était proposé et nota dans un coin de sa tête ce qui pourrait lui faire éventuellement envie tout en demandant à Jimmy si son choix était déjà arrêté sur un plat en particulier. Qui sait ? Peut-être que ça pourrait lui donner des idées à elle aussi. Lorsqu’il lui fit savoir qu’il hésitait encore, elle hocha la tête en se mordant la lèvre inférieure d’un air pensif.
« Ouais, moi aussi. »
Pourtant, il allait falloir se décider à un moment ou à un autre puisque le serveur se dressait à côté d’eux, attendant leur commande.

Et s’il ne savait pas encore ce qu’il allait manger, il savait en tout cas ce qu’il allait boire : un Chambre d’Amour. Ou le nom le moins équivoque qu’on puisse jamais donner pour elle qui parlait aussi bien le français que l’anglais. La vérité, c’est que la blonde s’y connaissait très mal en vin. En fait, elle s’y connaissait surtout en ouzo et c’était à peu près tout. Mais ça la fit tout de même sourire tandis qu’elle commençait à faire du pied à Jimmy sous la table.
« J’ai envie d’dire que c’est un très bon choix. »
Pas plus d’un verre en revanche, des fois que… Et comme par hasard, la nausée l’assaillit une fois de plus. Comme quoi, il lui suffisait peut-être seulement d’y penser pour les ressentir. Dans tous les cas, ça lui semblait être le bon moment pour s’éclipser quelques secondes, voire minutes. Repoussant sa chaise, elle s’apprêta à se lever mais s’excusa tout d’abord :
« Tu m’excuses une minute ? J’devrais pas en avoir pour longtemps. »
Ce dont elle n’avait pas la moindre idée, en vérité ; peut-être que ça serait plus long que prévu mais mieux valait être fixés, maintenant.

Comme annoncé, Noomi s’éclipsa donc et, arrivée aux toilettes pour femmes, nota qu’il n’y avait personne. Ce qui n’allait sans doute pas durer longtemps tant les nanas aimaient bien venir se repoudrer le nez – au sens littéral ou non, d’ailleurs. Elle songea donc à verrouiller la porte derrière elle puis se dit que ça serait quand même un peu cruel de privatiser toutes les toilettes rien que pour elle. Surtout qu’elle n’était pas certaine que ça soit si rapide que ça, non plus. Pourtant, elle aurait bien eu besoin de calme. S’attardant quelques secondes devant l’évier, elle se regarda dans le miroir situé juste au-dessus et en vint à la conclusion que, maintenant qu’elle était là, ça ne servait à rien de perdre du temps. S’aspergeant doucement les joues d’eau – doucement, pour ne pas flinguer totalement son maquillage-, elle se décida et s’enferma dans une des cabines pour faire ce qu’elle avait à faire. Puis il n’y eut plus qu’à attendre. Son test posé sur le coin du lavabo, la grecque pianotait du bout des doigts sur le marbre après s’être lavé les mains. Cinq minutes. Pour un résultat fiable, c’est ce que la boîte indiquait, mais ces cinq minutes lui parurent se transformer en cinq heures.

Jusqu’au moment où, comme prévu, une autre femme entra dans les toilettes à son tour. Là, Noomi récupéra le bâtonnet qui n’avait toujours pas l’air de se décider quant à son résultat et sortit de là, par réflexe. Voilà qui était malin, tiens. Et maintenant qu’allait-elle faire ? Se balader dans le resto, son test de grossesse à la main ? Peut-être que oui puisque, le glissant dans une poche de son sac à main, elle revint s’asseoir face à Jimmy qu’elle dévisagea ensuite quelques instants. Lui ne se doutait toujours de rien.
« Vraiment désolée, mais y avait pratiquement la queue. »
Et comme la blonde n’était pas du tout douée pour mentir, il dut s’en apercevoir assez vite. Tout comme de la nervosité qui avait fini par s’emparer d’elle alors qu’elle n’avait toujours pas de réponse. N’y tenant plus, elle ancra son regard dans le sien et tendit une main pour se saisir de la sienne.
« En fait, faut que j’te parle d’un truc. Et j’sais bien qu’c’est pas vraiment l’moment idéal pour ça mais au moins, ça s’ra fait. »
Cette scène lui en rappela inévitablement une autre. Qui avait mené à un claquage de porte définitif. Alors cette fois-là, ça n’avait pas été plus mal, c’est sûr, mais si c’est ce qui devait arriver avec Jimmy aussi, Noomi n’était pas du tout sûre de pouvoir aussi bien le vivre. Tâchant d’ignorer la sueur froide qui courait le long de sa colonne vertébrale, elle prit une grande inspiration pour se donner un peu de courage, un peu de contenance, aussi. Puis elle reprit :
« Bon alors, panique pas mais j’ai un peu d’retard. Et ça fait quelques jours que j’suis pas vraiment en super forme alors j’me suis dit que… Peut-être… Enfin, tu sais. Et donc c’est pour ça qu’on est passés par la pharmacie avant d’venir. J’ai pris un test de grossesse. Et j’ai pas encore de résultat. En fait, c’est super long. Ou ça s’décide pas, j’en sais rien. »
Voilà, c’était dit ! Et ça soulageait de pouvoir partager ça avec quelqu’un d’autre. En tout cas pour le moment. Il serait encore temps de se remettre à paniquer plus tard, suite à la réaction de Jimmy face à cette mini-bombe.

Non, bien sûr que Jimmy n’était pas un idiot. Bien sûr qu’il ne croirait pas une seule seconde qu’il y avait la queue pour aller aux toilettes quand il n’y avait même pas tant de gens que ça dans le resto. Et puis Noomi avait été un peu stupide de croire qu’il ne s’était vraiment douté de rien. C’est qu’ils vivaient sous le même toit depuis un petit temps déjà alors il devait déjà être en courant qu’en ce moment, elle n’était pas vraiment dans son assiette. Puis il avait sûrement déjà dû faire le même rapprochement qu’elle dans sa tête. Ainsi n’eut-il donc pas l’air surpris le moins du monde lorsqu’elle balança sa bombe. Elle, elle le fut, en revanche. Surtout parce qu’elle ne s’était pas attendue à ce qu’il soit si calme en entendant ça. Elle n’était pas à sa place après tout, mais elle avait toujours eu l’impression que d’être en couple avec une femme ayant déjà un enfant, c’était une sacrée charge pour quelqu’un qui n’en avait pas. Bien qu’elle voie très bien que ça se passait tout aussi bien entre Sarah et Jimmy, elle en était venue à se persuader que pour lui, ça suffisait bien comme ça. Mais en quelques mots, il lui prouva le contraire. En insistant bien sur le fait que, même si le test était positif, il ne prendrait pas la tangente, lui. Bon, voilà qui allait lui permettre d’aborder tout ça plus sereinement. Même si le test était négatif, d’ailleurs ; moins de bile à se faire puisqu’elle savait que tous les deux étaient partants pour se lancer dans cette aventure, si aventure il y avait. Hochant la tête, elle sortit donc le test de son sac et le posa sur la table, entre eux deux, sans quand même trop oser y jeter un coup d’œil.

Puis elle prit une grande inspiration et finit par se pencher dessus. Un petit symbole commençait enfin à apparaître dessus. Mais elle ne se réjouit pas trop vite – dans un cas comme dans l’autre, soit dit en passant -, parce qu’elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’il voulait dire. Raison pour laquelle elle chercha la notice également dans son sac et la lut, sourcils froncés par la concentration.
« J’ai l’impression que même le test n’en sait rien, regarde, ça suggère de consulter un médecin. »
Si elle avait su ça, elle en aurait pris plusieurs. Un de chaque, même. Et évidemment que c’est comme ça que ça allait se passer ; pour Sarah, elle avait été vite fixée, pas besoin d’aller voir de médecin ni même de faire de prise de sang, le test avait répondu par la positive presque dans l’immédiat, mais tout était très différent. Au fil du temps, la grecque en était venue à se convaincre que si Frank était parti, c’était mieux comme ça. Mieux même, elle en était venue à penser que ce n’était pas un hasard si elle était tombée enceinte pile à ce moment-là : il fallait qu’il parte. Tandis que cette fois-ci, y avait personne à pousser dehors alors ce bébé, si bébé y avait, pouvait bien se permettre de prendre son temps, de jouer avec leurs nerfs et tout ce qui s’ensuit.
« J’crois que j’repasserai par la pharmacie en rentrant. Ça peut bien attendre le temps du repas, t’façon. »
C’est vrai, maintenant qu’elle voyait que Jimmy n’était pas en train de paniquer, ça la tranquillisait elle aussi.
« En fait, j’craignais que tu l’prennes pas ça aussi calmement. Ça t’fait vraiment pas peur, alors ? »
Peut-être que c’était le bon moment, après tout. Deux ans seulement qu’ils étaient ensemble, c’est vrai, mais ils se connaissaient depuis presque toujours, y avait aucune mauvaise surprise même depuis qu’ils vivaient ensemble au quotidien et y avait pas de raison que ça change.

Tous ces gens qui mangeaient tranquillement leur pizza ou leur lasagne en glissant de temps à autre un regard du côté de leur table, Noomi n’y faisait même plus attention. Il aurait pu n’y avoir qu’eux deux dans ce restaurant que ça n’aurait rien changé pour elle, c’est bien pour cette raison qu’elle n’essayait même pas de dissimuler le test à leurs regards. C’était ça aussi de n’avoir aucune pudeur, d’ailleurs. Le problème, c’est que ce test n’avait pas l’air de vouloir se décider non plus étant donné qu’il ne se privait pas pour la renvoyer vers son médecin. Enfin, un médecin étant donné que la blonde n’en avait pas d’attitré, en dehors du pédiatre de Sarah. N’importe lequel ferait l’affaire tant qu’elle n’avait pas à s’y rendre seule ; sans quoi, elle serait bien capable de se débiner au dernier moment comme c’était déjà arrivé à plusieurs reprises par le passé. Elle demanderait à Jimmy, bien sûr, parce qu’il avait tout autant le droit qu’elle de savoir ce qui se passait, mais elle ne l’y obligerait pas. Et dans le pire des cas, elle pourrait toujours demander à son père de l’accompagner. C’est ce qu’elle avait fait tout au long de sa première grossesse alors ça ne la changerait pas beaucoup. Au moins était-elle rodée à affronter à nouveau cette situation s’il le fallait étant donné qu’elle l’avait déjà fait une fois, c’était bien la preuve qu’elle était tout à fait capable de le refaire et ça aussi, ça la rassurait pas mal. De bonne grâce, elle acquiesça donc et rangea le test qu’elle jetterait plus tard histoire de ne pas avoir son manque de résultat sous les yeux tout au long du repas. C’est alors que ses yeux bleu se posèrent sur les gens autour, se rappelant subitement leur présence.
« Qu’ils pensent qu’on est là pour quoi ? »
Non parce que bon, ils ne leur devaient rien à ces gens, ils n’étaient pas des bêtes curieuses dans un zoo obligées de divertir leur audience même si leurs noms étaient connus de certains. Bref, finalement, c’était pas plus mal qu’elle ne leur prête aucune attention. Contrairement à Jimmy, présentement en train de lui adresser ce sourire qui avait le don de la faire fondre tout en lui caressant la paume de la main d’un geste rassurant.

Pour répondre à sa question, oui, ça lui faisait peur. Mais ce qu’il était en train de décrire s’apparentait à une bonne trouille, du genre qui va de pair avec quelque-chose d’encore inconnu. Et bien qu’elle soit déjà passée par-là, Noomi n’avait de toute manière pas vraiment de conseils à donner. Il n’y avait pas de mode d’emploi, pas de façon de faire meilleure qu’une autre. Devenir parent, c’était comme être adulte : vous vous efforciez de bien faire et de vous tenir à l’écart des problèmes mais ceux-ci venaient inévitablement à votre rencontre et se faisaient un plaisir de vous pleuvoir sur la gueule et y avait dès lors plus qu’à subir. D’un nouvel hochement de tête, la grecque confirma.
« Tu t’en sors très bien, c’est vrai. Peut-être qu’on ferait pas d’si mauvais parents qu’ça tous les deux, finalement. »
Ce qui était très exagéré parce qu’elle savait déjà qu’ils ne feraient pas de mauvais parents du tout. A condition qu’il reste, évidemment. Mais à sa décharge, Jimmy n’avait plus vingt-cinq ans et il était aussi différent de son ex-mari que le jour et la nuit. Bon, tout allait bien maintenant et, ce poids en moins sur la poitrine, la grecque se rendit compte qu’elle avait vraiment faim, c’était pas qu’une illusion.
« Alors, on passe commande ? »
Parce que c’était surtout pour ça qu’ils étaient là.