{Noomes} - Un resto pour la plus belle des déesses

Une autre chose qui était bien avec son Jimmy, c’est qu’il n’était pas du genre à se défiler. Qu’ils le veuillent ou non, faudrait bien qu’ils annoncent la nouvelle à Sarah. Bien sûr qu’elle était un peu nerveuse à ce sujet parce qu’elle tenait vraiment à ce que tout se passe pour le mieux avec la petite et que, bien qu’elle la connaisse mieux que personne – normal en même temps, c’était elle qui l’avait faite -, elle n’était pas non plus dans sa tête et ne pouvait pas toujours anticiper ses réactions. Même si elle se trompait quand même rarement. Et là, son instinct lui disait de ne pas trop s’en faire non plus ; le mariage était un changement, oui, mais minime par rapport à la situation qu’ils vivaient tous les trois depuis quelques mois. C’est donc plutôt sereine qu’elle put quitter le resto pour remonter en voiture direction le cable car. Autant dire qu’elle aurait carrément pu choisir quelque chose d’un peu plus palpitant mais que, ne sachant toujours pas à quoi s’attendre vis-à-vis de ce test de grossesse, on allait tirer un trait sur le saut à l’élastique ou sur les tours de grand huit jusqu’à l’arrivée des résultats. De toute façon, ils étaient pas vraiment habillés pour ça. Et maintenant que Noomi avait l’esprit un peu plus libre, elle put, comme à son habitude, s’occuper de la radio. Fouillant dans la boîte à gants, elle finit par mettre la main sur son album préféré de Jimmy sur clé USB qu’elle inséra dans le port prévu à cet effet. Une bonne partie du trajet, elle accompagna sa voix de la sienne et songea qu’un jour ou l’autre, il faudra vraiment qu’ils se penchent sur un duo. Pas forcément quelque chose qu’ils rendraient commercial – même si autant profiter du fait qu’elle pouvait passer tout ce qu’elle voulait à la radio -, mais quelque chose même juste pour eux. Ça pourrait même être super pour le mariage. Mais bon, pour ça aussi, ils avaient encore le temps de voir venir. Une fois sur place, la blonde descendit de voiture – plus du tout nauséeuse, heureusement -, pour constater qu’il allait leur falloir attendre dix minutes avant le prochain départ. Présents sur place, des tas de touristes, dont un car de japonais, probablement, appareil photo autour du cou. Si certains les regardèrent en se demandant probablement s’ils n’étaient pas des stars locales, puisqu’ils en avaient l’allure ainsi fringués – d’ailleurs, ils n’auraient pas eu tout à fait tort -, ils eurent au moins la décence de ne pas les prendre en photo. En général, c’était pas le genre de trucs qui dérangeait tellement Noomi, mais elle aimait aussi avoir le droit à son intimité.
« Dix minutes à attendre sous la loupe d’ces gens. Mais j’suis sûre qu’ils auront fini par s’lasser dans cinq. »
Mais de toute manière, elle était pratiquement sûre que Jimmy n’était pas plus dérangé que ça non plus.

Parfois, on se demandait bien ce que Noomi aurait fait si elle était devenue la star internationale qu’elle rêvait d’être à une époque. C’était pas qu’elle n’aimait pas les gens, plutôt le contraire, même ; bien qu’au fond, son cercle d’amis proches était plutôt restreint mais c’était le cas de tous les adultes, pas vrai ? Tout le monde a toujours plein de connaissances, mais passé un certain âge, seulement une poignée de vrais amis sur lesquels on sait qu’on peut compter quand on touche le fond. Quelle que soit l’heure, quelle que soit la raison, quelle que soit la situation familiale ou encore l’occupation. Non, le fait est qu’elle tenait à sa vie intime. Maintenant qu’elle en avait une, en tout cas. A une autre époque, ça ne l’aurait pas le moins du monde dérangée qu’on sache tout sur elle, elle aurait même trouvé ça plutôt rock, mais maintenant, les choses étaient un peu différentes : elle avait pas envie de voir des photos d’eux en maillot de bain volées sur une plage quelconque, ou encore de Sarah étalées dans la presse. Signe qu’elle était en train de vieillir, sans doute. Qu’elle veuille bien l’admettre ou non. Mais contre toute attente, c’est par un sourire qu’elle répondit à Jimmy tout en s’approchant pour lui prendre la main et le faire tournoyer.
« Ils peuvent s’estimer chanceux que j’me mette pas à twerker. »
Non parce que le niveau de danse de la blonde ne montait pas bien haut. Oui, oui, bien sûr qu’elle avait le rythme, elle était pas musicienne et chanteuse pour rien. Lui manquait donc la grâce. Supposait-elle parce qu’en vrai, pour traîner en festival, en boîte et ainsi de suite, son niveau était bien suffisant. Ce simple geste leur valut quelques applaudissements. Un peu comme si ces gens savaient qu’ils étaient en train d’assister à quelque chose d’un peu particulier mais sans savoir quoi exactement. Et comme pour leur en donner pour leur argent – façon de parler, bien sûr -, Noomi termina par en baiser. C’est alors que la cabine arriva. Enroulant un bras autour de la taille de Jimmy, elle l’entraîna dans son sillage, se frayant un chemin parmi les touristes. Sans jouer des coudes, pour une fois. Inutile de se presser, tout le monde aurait une place. Ou peut-être pas. Raison pour laquelle elle pressa quand même un peu le pas. C’était tellement pas son truc d’attendre. Par chance, les portes de la cabine se refermèrent derrière eux. Et il ne leur resta plus qu’une banquette de libre au premier rang. Bon, au retour, peut-être bien qu’elle jouerait un peu des coudes si ça pouvait leur valoir une place au dernier. Toujours la meilleure place. Là-dessus, l’ascension put commencer et la grecque vint se blottir contre Jimmy qu’elle avait fait asseoir côté fenêtre pour observer le paysage elle aussi.
« C’est marrant, on dirait pas la même ville, tu trouves pas ? »
C’était pas du tout ce que devaient se dire les gens qui prenaient ce moyen de transport tous les jours mais vu que c’était leur première fois à tous les deux, elle pouvait bien se le permettre.

Sûrement que Jimmy avait raison : il suffisait de prendre un peu de hauteur pour avoir un tout autre point de vue sur bien des choses. Dont la ville qu’elle connaissait depuis la moitié de son adolescence, notamment. Une ville qu’elle avait commencé par détester, faut le savoir. Normal, c’était si loin de sa Louisiane natale, de ses amis, de tout ce qu’elle croyait être jusque-là. Et puis, le temps aidant, Noomi en était venue à apprécier suffisamment l’endroit pour le considérer comme chez elle et ne pas s’imaginer vivre ailleurs. Même si, à condition que Sarah et Jimmy soient de la partie bien sûr – et son père aussi, ne jamais l’oublier, lui -, elle s’en fichait un peu de l’endroit où elle vivait tant que c’était avec eux. Exagérant le tout, elle ajouta :
« Carrément. Puis les gens ont l’air minuscule vus d’ici, ça donn’rait presque envie d’se la jouer façon Godzilla. »
Accompagnant sa réplique d’un sourire espiègle, elle leva ensuite les yeux vers Jimmy qui venait de lui rappeler qu’il valait mieux qu’elle en profite parce qu’ils ne feraient pas ça tous les jours.
« Ah ouais ? T’as pas envie d’en faire notre nouvelle routine ? »
Ça pourrait être marrant aussi, ça serait un peu comme de partir en vacances mais sans changer de pays. Ni même de ville, du coup. Comme vous changiez la disposition des meubles dans votre maison et que, tout à coup, vous aviez l’impression de vivre dans un tout autre endroit. Dans tous les cas, la grecque pensait que ça ne la dérangerait pas, en ce qui la concernait. Et Sarah non plus. Mais en se penchant un peu plus sur la question, elle se disait qu’il y avait quand même une raison si elle ne l’avait jamais fait avant aujourd’hui : c’était pas pratique. Déjà pas sur son chemin ; elle n’allait pas jusqu’à Wellington tous les jours. Aucune raison pour ça puisque l’école de Sarah se trouvait dans leur quartier et que la station de radio où elle travaillait se trouvait, elle, chez les riches de South Bay. Donc non, y avait assez peu de chances pour que ça devienne leur nouvelle routine. Mais elle aimait taquiner Jimmy et savoir ce qu’il en pensait. Elle aimait toujours connaître son avis sur tout de toute façon. Puis ils parvinrent au sommet et la blonde ne lâcha pas la main de son fiancé pour sortir de la cabine. Ni une ni deux, Noomi fonça en direction des balustrades d’un pas légèrement sautillant traduisant à la perfection l’état de légèreté dans lequel elle se trouvait actuellement, pour admirer le panorama, bien sûr, mais pas que. S’agrippant fermement à la rambarde, elle se pencha un peu par-dessus – de quoi vous filer la chair de poule à cette hauteur -, et prit une grande inspiration pour crier au monde entier – enfin, surtout à ceux qui seraient assez proches pour pouvoir l’entendre, en tout cas :
« JE SUIS FIANCEE !! »
Non, la blonde ne faisait jamais rien à moitié et ça, c’était ce qu’on pouvait littéralement appeler le crier sur tous les toits.

Pourquoi Godzilla ? En voilà une bonne question. Enfin pas tellement, parce qu’en effet, elle aurait pu choisir n’importe quel autre kaiju du cinéma japonais, surtout que sa préférence allait à Mothra, mais Godzilla restait quand même le plus connu des monstres écraseurs de villes. C’est vrai qu’il y avait aussi King Kong et son fameux assaut sur l’Empire State Building, pas du tout une créature japonaise, lui, juste un énorme singe. D’ailleurs, il s’agissait là d’un film qu’elle n’avait jamais vu, ce qui fait qu’elle était donc incapable de dire s’il y avait une raison quant à la taille démesurée de ce truc mais elle supposait que oui ; c’était assez rare qu’on n’explique pas ces choses-là dans la plupart des films. Même si ça arrivait. Et ça arrivait encore plus souvent que l’explication soit toute simple : sur une île ou dans un coin du monde déserté de toute vie humaine vivait une espèce pas encore découverte par l’homme et ainsi de suite. Efficace, c’est vrai, mais c’était quand même une facilité d’écriture d’après elle. Par contre, elle pouvait pas dire que c’était faux parce qu’elle était à peu près sûre que des endroits comme ça devaient bien exister quelque part. Ou en tout cas, c’était sûrement vrai avant les satellites. Bref, tout ça pour dire que parce qu’ils étaient sur la même longueur d’ondes certainement, Jimmy en vint à lui proposer de se regarder Godzilla VS King Kong quand ils rentreraient. A croire qu’il lisait dans ses pensées. Ou inversement. En tout cas, adorant les nanars, c’était une proposition que Noomi ne pouvait refuser.
« Carrément, faudra qu’on pense à s’arrêter pour prendre du pop-corn sur le chemin du retour. »
Encore une chose qui ravirait Sarah quand elle rentrerait aussi, elle en était sûre. Que ne ferait-elle pas pour que sa fille soit contente ? Rien, évidemment. Pas même un détour de folie pour pouvoir prendre le cable car tous les jours s’il le fallait vraiment. Jimmy n’était d’ailleurs pas contre, mais selon ses dires, il valait mieux ne pas faire ça trop souvent sans quoi ils pourraient finir par se lasser. Et son petit air en disant ça fit sourire Noomi. Plissant les yeux avec espièglerie, elle le poussa doucement du coude.
« Tu crois ? Pourtant y a bien des choses qui perdent pas d’leur saveur même quand on n’fait qu’ça. »
Disons qu’elle avait une chose toute particulière à l’esprit et qu’elle était certaine que Jimmy voyait très bien où elle voulait en venir… Mais soit, les voilà arrivés au point de vue et la blonde s’empressa alors de faire savoir à tous les gens présents ainsi que ceux se trouvant à portée d’oreille qu’elle était fraîchement fiancée. Il se trouva d’ailleurs bien quelques personnes pour les féliciter à leur façon – et miracle sans doute mais personne pour avoir compris de travers et avoir cru qu’elle était en train de faire un coming out, pfiou -, mais la grecque s’en fichait. Tout comme de la vue d’ailleurs puisqu’elle n’avait plus d’yeux que pour lui quand il s’avança pour venir l’embrasser. Baiser auquel elle répondit avec ferveur, lui passant les bras autour du cou pour mieux le serrer contre elle. Le moment était parfait. Elle trouvait même ça un peu dommage qu’il n’y ait pas de photographe avec eux pour immortaliser l’instant… Surtout quand on connaissait ses problèmes de mémoire, en fait. Alors non, bien sûr qu’elle n’oublierait rien de tout ça, déjà grâce aux progrès qu’elle avait fait ces dernières années mais aussi parce qu’elle ne voudrait sûrement pas que ça soit le cas, mais quand même. Saisissant l’instant au vol – et son téléphone portable par la même occasion -, elle tendit le bras pour prendre ce baiser en selfie. Avant de s’exclamer joyeusement :
« J’vais la faire imprimer et encadrer, on s’souviendra toujours de cette journée ! »
Même quand ils seraient vieux et complètement séniles, si c’était pas beau !

Fallait comprendre, d’après Noomi, y avait qu’une seule manière de regarder un film : rideaux tirés, aucune lumière allumée, rien qui puisse vous détourner de votre visionnage. Comme si on était au cinéma. Bon, c’est sûr que l’écran n’était pas aussi grand que celui d’une salle de cinéma mais il n’était pas riquiqui non plus puisqu’elle avait la place. Alors évidemment, les conditions ne pouvaient pas toujours être réunies, surtout avec Sarah même si elle commençait à être assez grande pour pouvoir rester plus d’une heure tranquille à fixer un écran, mais sa mère tâchait de s’y tenir aussi souvent que possible. La seule exception, c’était quand Sarah lui faisait regarder Frozen pour la énième fois parce que fallait pas déconner, l’une comme l’autre le connaissait par cœur depuis des années, ce foutu dessin animé. Tout ça pour dire que, qui dit soirée ciné, dit forcément popcorn. Et en toute logique, pizzas, mais puisqu’ils venaient tout juste de sortir de la pizzéria, on n’abuserait pas non plus. La blonde s’amusa autant de la question de Jimmy que de sa réponse. Ah, il avait pas tout à fait tort. Pas tout à fait raison non plus.
« Pour nous trois. Me dis pas qu’t’es pas intéressé, j’te connais. »
Là-dessus, ce fut à son tour à lui de s’amuser à démonter tout son argumentaire d’un « on ne le fait pas si souvent que ça ». Cette fois encore, il n’avait pas tort. Et il avait pas besoin d’en savoir plus, mais avant qu’il ne s’installe un peu mieux dans sa vie, Noomi n’avait pas toujours été aussi sage. Rien à voir avec le fait qu’il lui faisait moins envie que d’autres, c’était même tout le contraire, mais avec lui elle était capable de se dire exactement ce qu’il était en train de lui faire remarquer. A savoir que, si c’était tous les jours, ils finiraient peut-être par se lasser et que, comme elle tenait vraiment à ce que cette relation dure aussi longtemps que possible, mieux valait ne pas abuser des bonnes choses. Encore une preuve de plus qu’elle avait changé. En bien. Bref, tout ça pour dire qu’eux ne se lassaient pas parce qu’ils étaient capables de varier. Ce qu’elle ne pourrait en revanche pas faire en prenant le cable car. C’est vrai que c’est difficile de changer de position dans ce machin ; on pouvait soit s’asseoir, soit rester debout.
« J’imagine que t’as raison, ouais. Et puis, rien qu’le détour pour venir jusqu’ici coûterait littéralement un rein en fin d’mois. »
Mais la question restait toujours la même : que ne ferait-elle pas pour sa fille ? Il en allait d’ailleurs toujours de même pour la réponse : rien. Puis les voilà en train de savourer leurs toutes fraîches fiançailles en se bécotant, en prenant des photos de ces instants afin d’en garder un meilleur souvenir encore – et puis c’était peut-être du travail d’amateur, mais ça serait quand même dommage de ne pas profiter de cette vue -, en restant main de la main et ainsi de suite, profitant de l’instant présent avant de se mettre à tout planifier pour le grand jour. D’ailleurs, la première chose à faire serait sûrement de parler date. Histoire de savoir de combien de temps ils disposaient encore pour tout mettre en place. Mais ils verraient ça plus tard, une fois qu’ils seraient rentrés chez eux et qu’ils auraient regardé leur film.

A la réponse de Jimmy, Noomi arqua un sourcil dubitatif. Bien sûr qu’elle n’était pas en train de mettre en doute qu’il faille faire des efforts pour garder un corps aussi bien taillé que le sien, mais c’était pas non plus une poignée de popcorn qui allait y changer quoi que ce soit. Là-dessus il s’esclaffa parce qu’ils étaient d’accord tous les deux. En fait, en qui la concernait, Noomi ne faisait pas tant attention que ça, elle. Mais les sauts de repas devaient l’aider à garder la ligne étant donné qu’elle ne pratiquait aucun sport non plus. Mauvaise habitude qu’elle avait prise du temps où elle était mère célibataire à temps plein et qu’elle avait gardé parce que vous savez ce qu’on dit : les mauvaises habitudes ont la vie dure. C’est vrai. Bref, sourire en coin aux lèvres, elle se rapprocha un peu et vint glisser ses mains dans les poches-arrières du pantalon de Jimmy, l’observant quelques instants avant de laisser tomber :
« J’t’aimerais quand même si c’était l’cas, tu sais ? »
Ce qui était vrai parce que même si elle pouvait pas nier qu’elle le trouvait très, très à son goût et qu’en plus de ça, ils allaient incroyablement bien ensemble, c’était pas pour ça qu’elle l’aimait mais pour tout le reste. Sa plastique n’était qu’un plus. Un énorme plus quand même mais Noomi n’avait jamais été superficielle alors elle savait qu’il valait mieux creuser que de se laisser éblouir par une jolie gueule et/ou un corps de rêve. Pour conclure son affirmation, elle déposa un baiser sur sa joue et écouta son plaidoyer en ce qui concernait le cable-car. C’est vrai que l’argent n’était plus vraiment un problème pour eux aujourd’hui. Certes, ils continuaient à vivre en appartement et à rouler dans des voitures qui ne coûtaient pas les yeux de la tête, mais ça ne voulait pas dire qu’ils en manquaient. Loin de là ; s’il est vrai qu’il y avait pas encore si longtemps, Noomi était obligée de se produire dans des endroits où personne ne prêtait attention à elle – ou presque – pour être sûre de pouvoir mettre quelque chose sur la table pour Sarah et elle le lendemain soir, ces jours-là étaient du passé depuis qu’elle travaillait à la radio. Aussi se foutaient-ils du budget que ça pouvait représenter mais pas du temps qu’ils y perdraient, en revanche. C’était mignon parce que même si c’était pas tout à fait ce qu’il avait dit, elle pouvait comprendre qu’il préférait passer ce temps à faire autre chose avec elle. Quoi que ça puisse être. Avec elles, même. Mignon et touchant. Décidément, elle avait pris la bonne décision en répondant par l’affirmative à la question de tout à l’heure. Ce dont elle ne pourrait jamais douter de toute manière.
« J’me d’mande quand même bien c’que j’ferais sans toi parce que c’est l’genre de trucs auquel j’penserais jamais. Ou alors oui, mais une fois qu’ça s’rait trop tard et que j’pourrais plus faire machine arrière. »
Beaucoup, beaucoup trop impulsive. Ç’avait toujours été un des gros défauts de la grecque. Mais c’était pas non plus sans espoir : il lui arrivait parfois d’apprendre de ses erreurs. Elle s'en sortirait, oui, comme elle s'en était sortie avant lui, mais fallait quand même avouer qu'ils se complétaient bien.

Comment ça, bien l’aimer ? Bien aimer quelqu’un signifiait toujours quelque chose qui ressemblait à : « t’es mignon mais on va rester potes ». Alors non, même avec des kilos en trop, elle ne l’aimerait pas juste bien, elle continuerait de l’aimer autant que c’était le cas maintenant. Mais elle pouvait comprendre que ça ne serait pas son cas à lui. Pas vis-à-vis d’elle, bien sûr, mais de lui. La plupart des gens sont après tout bardés de complexes et comme on enfonçait dans la tête des gens avec la subtilité d’un marteau piqueur sous stéroïdes qu’être ne serait-ce qu’un tout petit peu en surpoids, c’est mal, dès le plus jeune âge, c’était très certainement un changement que bien des personnes auraient du mal à accepter. C’était triste, oui, mais pas dénué de sens. Raison pour laquelle elle ne se mit à rire qu’à partir du moment où il ajouta qu’en plus de ça, il préférait rester affûté pour pouvoir mieux varier les positions.
« N’en dis pas plus, ça, c’est une raison que j’trouve valable. »
L’autre aussi évidemment, parce que l’essentiel, c’était que lui se sente bien dans sa peau mais s’il craignait qu’elle le quitte juste pour une histoire de kilos, alors il se fourrait le doigt dans l’œil jusqu’au coude et elle préférait qu’il le sache. Le sujet étant clos, ils pouvaient de nouveau débattre quant au fait de si prendre le cable-car tous les jours était une bonne idée ou non. Et il s’avérait que non. C’était une chance qu’elle ait un Jimmy dans sa vie pour lui rappeler que prendre des décisions sur un coup de tête, c’est un peu nul, quand même. Fonceuse, oui, c’était le mot, même si Noomi préférait le terme « tête brûlée » parce que ç’avait un côté hyper cool. Alors que c’était uniquement de l’inconscience. Et y avait bien que Jimmy pour trouver ça charmant parce que c’était généralement le genre de trucs qui tapait sur le système de tout le monde. Mais c’est vrai que lui était du style beaucoup plus réfléchi, voire même un peu trop, alors le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils se complétaient bien. Et la manière dont il mit tout ça en phrases la fit sourire.
« On peut dire qu’la vraie question c’est : « qu’est-ce qu’on f’rait l’un sans l’autre ? », du coup. »
C’est vrai que ça sonnait mieux mais elle aurait jamais eu l’audace de le dire avant que Jimmy ne le fasse remarquer.
« Ça m’va alors, ça deviendra notre p’tit rituel pour fêter nos fiançailles. »
Ce qui plairait assurément à Sarah aussi, soit dit en passant.
« Bon, on va s’le chercher, c’popcorn ? »