i shot the sheriff

Aveleen aurait aimé être du genre à écouter la radio mais ça n’avait jamais vraiment été le cas parce qu’elle avait toujours eu besoin de concentration durant sa jeunesse. Quand les autres étaient capables de réviser leurs cours sur du Nirvana, du No Doubt ou du Radiohead, elle non. Ce qu’il lui fallait, c’était du bruit blanc. Ou plutôt celui des planètes enregistré par la NASA pour rester dans le thème de ce qu’elle était en train d’étudier. Alors d’accord, ça commençait à faire un moment qu’elle en avait terminé avec ses études mais elle avait gardé cette habitude tout du long. Le seul moment où il lui arrivait d’écouter la radio, c’était donc quand elle prenait le volant pour livrer ses pizzas. Ecouter des gens parler lui donnait le courage d’échanger deux ou trois mots avec les gens qu’elle s’apprêtait à livrer. Par contre, et c’était un peu dommage quand on y pensait, elle ne saurait jamais si cette fameuse Noomi divertissait sur les ondes durant ses heures de travail ou non puisque c’est à ce moment-là qu’on les interrompit. Quelle audace, quand même… Cette réflexion la fit sourire parce qu’en effet, elle voulait bien croire que, s’ils n’en étaient pas à leur coup d’essai, ça puisse leur paraître un rien bizarre d’entendre des gens bavasser dans le fond quand ce qu’ils attendaient, c’était de pouvoir entendre une mouche voler. A son expression, la rouquine comprit que son client ne prendrait pas le risque de continuer cette conversation pour le moment et elle secoua presqu’imperceptiblement la tête pour lui faire comprendre qu’elle ne lui en voulait pas. Après tout, ces mecs-là aussi étaient armés, il valait donc mieux pas trop jouer avec eux. C’est alors que, contre toute attente, la police entra en action. Voilà bien une phrase qu’elle n’aurait jamais cru penser un jour. Comme quoi, tout peut vraiment arriver. La police arriva donc, toutes sirènes hurlantes et ça se passa à peu près comme dans les films où un négociateur demande aux preneurs d’otages ce qu’ils veulent pour relâcher lesdits otages. Sauf que dans ce cas précis, tout le monde savait ce qu’ils voulaient : l’argent de la banque. Et pouvoir s’en aller tranquillement. Au Mexique. Ou au Canada. Bref, comme dans les films encore une fois. En tout cas, c’est ce qu’elle supposait parce que pendant que le négociateur parlait, une équipe était entrée par l’arrière, semblait-il et commençait à appréhender les braqueurs. Merde, elle ne verrait donc peut-être jamais un braquage qui se terminait bien pour le criminel. C’était peut-être pour cette raison que le taux de criminalité dans ce pays était si bas : la police gérait à peu près. Même si à chaque fois, ça ressemblait quand même beaucoup à un coup de chance. Dans tous les cas, Aveleen finit par se relever et son téléphone lui fut restitué. C’est alors qu’elle capta du nouveau le regard du blondinet et revint vers lui.
« Pfiou, que d’émotions, pas vrai ? Puisqu’on risque plus de tomber à zéro sur nos comptes, je vous offre un verre pour fêter notre libération ? »

Elle qui pensait que ces types-là étaient plus organisés que celui de l’autre soir, la voilà détrompée. Enfin si, ils l’étaient quand même un peu plus mais pas tant que ça non plus s’ils n’avaient même pas pris la peine de vérifier qu’il y avait plusieurs issues et de placer des gens faisant le guet à chacune d’entre elles. Bien que ça soit peut-être le cas parce qu’à en juger par la manière dont l’un de ces types était en train d’engueuler un autre, y en avait peut-être bien un dans le tas qui n’avait pas fait son travail correctement. C’est sûr qu’Aveleen ne serait pas contente non plus si au lieu de prendre la direction de Cancun, elle était en train de prendre celle de la prison du coin juste parce qu’une tête de nœud dans le groupe avait décidé de se la jouer flemmard. Ou alors de penser qu’il avait mieux à faire ailleurs, elle ne savait pas trop comment tout ça s’était déroulé, elle ne faisait que spéculer. Bref, tout ça pour dire que la suite des évènements se déroula très vite et qu’en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, on leur rendit leur téléphone. Cette fois, on ne lui demanda pas de repasser par le commissariat pour faire une déposition même si ça ne l’étonnerait pas de recevoir une convocation dans les jours qui viendraient. Qui sait ? Peut-être que cette fois encore, elle demanderait à Hunter de l’accompagner dans cette démarche. Mais pour l’instant, la rouquine n’avait pas envie de penser à ça. Plutôt au fait d’aller prendre un verre pour se remonter le moral ou encore se changer les idées parce qu’au fond, l’un ne va pas sans l’autre. Et puis tant qu’à faire, pourquoi ne pas proposer à son compagnon d’infortune de l’accompagner une fois de plus ? Décrétant qu’on ne leur demanderait probablement pas de bosser ce jour-là – et quand bien même on le lui aurait demandé, elle aurait dit non –, il accepta. S’il y avait des équipes de journalistes attendant devant l’entrée de la banque, ils ne firent que les filmer rapidement, sans leur demander quels étaient leur ressenti suite à ce qu’il venait de leur arriver.
« Vous connaissez peut-être un endroit cool ? Je suis arrivée y a pas longtemps et même si mon job me permet de bien connaître les quartiers, c’est plutôt les quartiers résidentiels. »
En vrai, en ce qui la concernait, n’importe où aurait très bien fait l’affaire mais c’était peut-être pas le cas du jeune homme alors autant le laisser choisir.

Comme prévu, son client connaissait effectivement un endroit sympa où se poser pour mieux se remettre de leurs émotions. En plus d’être bien décoré, on pouvait manger sur place parce qu’apparemment, ça l’inquiétait de savoir qu’elle mange à sa faim. Ç’aurait pu lui faire bizarre mais en fait non. Notamment parce que tout le monde semblait toujours s’inquiéter de quand et de ce qu’elle mangeait. Il faut dire que quand elle était encore étudiante, il était arrivé à plusieurs reprises à Aveleen de faire des malaises parce qu’elle bûchait tellement qu’il lui arrivait souvent d’oublier de s’alimenter mais ça, c’était y a des années. Et si elle n’avait pas vraiment perdu cette mauvaise habitude quand elle travaillait à la base militaire, maintenant que son travail n’était plus aussi prenant qu’autrefois, elle n’avait plus d’excuses pour ne pas manger correctement. Mais il faut croire que tout le monde avait gardé cette habitude. Même ce jeune homme qu’elle venait tout juste de rencontrer, visiblement.
« Quel gentleman ! Ça marche alors, je vous suis. »
Et loin d’elle l’idée de se faire des illusions et de croire qu’il était en train de la draguer parce que déjà, les relations humaines, c’était pas son truc, encore moins de ce genre-là et ensuite, il lui semblait qu’il avait une copine. C’est du moins ce qu’elle avait cru comprendre en leur livrant leurs pizzas. En tout cas, comme dit précédemment, elle le suivit donc. Le bar en question se trouvait effectivement à deux pas de là et était aussi bien décoré que ce à quoi elle s’était attendue après ce que son client lui en avait dit. Le genre d’endroits où elle ne serait pas contre l’idée de revenir à l’occasion. A cette heure, il y avait un peu de monde mais pas trop, ce qui leur permit de trouver une place sans trop de souci. La rouquine s’installa, s’asseyant en tailleur sur sa chaise songeant qu’après toutes ces émotions, elle avait bien mérité au moins un ginger ale, avant de se tourner vers le jeune homme.
« Puisque vous avez l’air de bien connaître l’endroit, vous avez peut-être des recommandations à faire aussi ? »
Genre une spécialité de l’endroit à côté de laquelle il ne faudrait surtout pas passer.

A la question « qu’a donc ce bar à proposer qui pourrait éventuellement lui plaire ? », le jeune homme lui répondit de la bière écossaise. Et il n’aurait pas pu viser plus juste puisque le dernier mot suffisait à lui seul à susciter l’intérêt d’Aveleen qui s’exclama alors :
« Ah, comme moi ! Enfin, comme mes ancêtres, plutôt. »
Un de ses ancêtres, un écossais pure souche marié à une irlandaise – d’où la rousseur, évidemment -, avait eu la très bonne idée de montrer ses fesses à la reine. Laquelle en revanche, elle ne savait plus trop. Dans tous les cas, c’est ce qui lui avait valu d’être envoyé dans le Pacifique pour outrage. La rouquine avait beau n’avoir jamais connu cet homme, elle lui vouait un véritable culte et aimait raconter cette anecdote à tout qui voulait l’entendre bien qu’elle soit très consciente que c’était peut-être pas la meilleure chose à dire quand on est encore en phase de présentation. Donc elle s’en dispensa pour le moment, mais qui sait ? Peut-être bien que ça reviendrait plus tard sur le tapis. Son client poursuivit en lui apprenant qu’ils faisaient aussi des croques et que, bien que ça soit du rapide, c’était quand même bon. Oh, c’était pas un souci, Aveleen n’avait jamais vraiment été branchée repas gastronomiques de toute manière.
« Oh vous savez, je bosse dans une pizzéria alors jamais de la vie je cracherai sur la nourriture rapide. »
Ce qui voulait pas non plus dire qu’elle se nourrissait exclusivement comme ça ; bon d’accord, c’était parfois le cas quand elle n’avait pas eu le temps d’avaler quoi que ce soit avant de prendre son service et c’était quand même rare. Mais si elle voulait correctement faire la pub de la pizzéria où elle travaillait… Bref.
« Et vous ? Vous faites quoi dans la vie ? »
Question un peu indiscrète peut-être, surtout après les évènements qui s’étaient déroulés un peu plus tôt, mais Aveleen n’était pas très douée pour tout ce qui concernait les interactions sociales, ayant passé plus de temps le nez dans ses bouquins ou dans son laboratoire qu’au contact d’autres personnes. Et ce, bien qu’elle soit pourtant issue d’une famille nombreuse. Je vous laisse imaginer l’ambiance au cours des repas de famille, ouais… Ce disant, la rouquine s’était donc emparée de la carte pour voir quelle sorte de croque pourrait bien lui faire envie.

A la question du jeune homme, Aveleen opina. Puis, d’un geste circulaire de la main, elle désigna son visage, englobant sa chevelure de feu par la même occasion.
« Ouais. Et d’Irlande. D’où tout ça. »
Parce qu’après tout, les roux étaient une espèce en voie d’extinction partout dans le monde. Sauf en Ecosse et en Irlande. Pourquoi ? Aucune idée ; la rouquine était peut-être scientifique mais son domaine d’expertise à elle, c’était les étoiles. Une vraie phrase de lover, ça. Quel dommage qu’elle n’en soit pas du tout une, elle était certaine que ça l’aurait beaucoup aidée à choper, ça. Il poursuivit en lui apprenant que, bien qu’il n’en soit pas tout à fait certain parce qu’il ne s’était jamais amusé à vérifier, il pensait avoir des origines scandinaves de son côté. Là-dessus, elle l’observa d’un peu plus près avant d’approuver d’un mouvement de tête.
« J’en serais pas du tout étonnée, en effet. »
Bien que ça ferait d’eux deux clichés ambulants. Mais les scandinaves étaient majoritairement blonds et les écossais/irlandais, majoritairement roux, c’était pas un mythe. Puis, suite à sa question, il lui apprit qu’en ce qui le concernait, c’est dans la maroquinerie qu’il travaillait. De luxe. Sans déc ? Dior, Chanel et tout ça ?
« Wow, ça doit être une sacrée responsabilité mais ça a l’air assez cool ! Ça veut dire que c’est vous qu’il faut venir trouver pour avoir une ristourne ? »
Elle ne sait pas pourquoi elle pose la question étant donné qu’elle ne saurait que faire d’un sac à main de luxe, elle qui ne sortait pour ainsi dire pas. Sauf pour travailler – quelque chose qui n’avait pas changé depuis l’époque où elle était astrophysicienne. Mais c’était venu tout seul. Peut-être qu’une fois dans sa vie, elle pouvait se laisser aller à ce genre de choses et se montrer un peu plus matérialiste que de coutume. C’est ainsi qu’une serveuse arriva pour prendre leur commande et qu’Aveleen se dépêcha de parcourir la liste des croques proposés avant de finalement opter pour :
« Une autre Guinness et un croque pesto, s’il vous plaît. »
Ce qui ne différenciait pas beaucoup d’un panini, en fait, mais y a pas de mal à aimer les valeurs sûres. Aussi surprenant que ça puisse être pour une personne dont la vocation, c’est de faire des expériences, c’est vrai.

La réponse du jeune homme la fit rire. Préserver ses racines. Ils en parlaient comme si elle était la dernière des rousses et que c’était à elle de perpétuer la lignée. Ce qui poussa Aveleen a faire un rapide point sur sa situation sentimentale : pas brillante. S’il fallait vraiment compter sur elle pour contribuer à la non-extinction des roux, on était pas dans la merde… Mais c’était pas vraiment son genre de se plaindre, d’autant que c’était une situation qu’elle avait elle-même choisie et qui lui plaisait bien comme ça. Rien ne l’y forçait, même si ça n’avait désormais plus aucun sens de faire passer son travail avant sa vie privée. D’ailleurs, je vous rassure, elle ne faisait pas passer la livraison de pizzas avant sa vie privée. En fait, depuis qu’elle avait été virée, elle se contentait de se laisser flotter, attendant de voir où tout ça finirait par la mener. C’est donc avec beaucoup d’humour qu’elle répondit :
« Si jamais vous avez un pote irlandais que ça pourrait intéresser… »
Et ponctua sa blague d’un petit rire. C’est ainsi qu’il lui apprit qu’il était en effet l’homme qu’il fallait connaître pour obtenir une réduction mais qu’il ne pouvait pas non plus faire de miracle. Parce que ce n’était pas lui qui fixait les prix. C’est sûr que Dior n’allait pas faire de rabais, c’était indigne de leur nom. Et c’était probablement pareil pour tous les autres. En tout cas dans leurs têtes parce que la rouquine n’avait jamais compris comment on pouvait dépenser de telles sommes pour un sac à main. Pour un porte-monnaie, encore, c’était généralement moins cher et puis ça avait quelque chose de personnel. Mais dépenser quatre mille balles dans un sac… Vous aviez tout intérêt à ne pas vous lasser trop vite.
« Je comprends… Du coup, vous devez savoir plus ou moins la différence entre le coût de production et le prix annoncé en magasin, pas vrai ? Est-ce qu’elle est si énorme que je l’imagine ? »
Non parce qu’elle se doutait que pour ce prix, c’était pas des matériaux bas de gamme qu’on utilisait, mais de là à justifier les quatre mille balles… Bref, son client lui fit alors remarquer que livrer des pizzas, c’était la vocation de personne et ça la fit rire une fois de plus.
« Nan, c’est clair. Je suis astrophysicienne. Enfin, j’étais. J’ai fait toute ma carrière dans une base militaire à quelques heures d’ici. Mais vous devez bien vous douter que c’est le genre de métiers hyper chronophages et que j’avais plus de temps pour rien ni personne. Alors en attendant de trouver mieux, je livre des pizzas. »
Ça, c’est sûr que c’était chronophage, oui. Mais c’était pas vraiment la raison pour laquelle elle avait changé de taf et de vie ; cela dit, c’était toujours mieux que d’avouer à quelqu’un qu’elle venait tout juste de rencontrer qu’elle avait été virée parce qu’elle avait fait une découverte majeure qu’elle n’aurait pas dû faire et que depuis, ses ex-employeurs veillaient à ce qu’elle n’en parle pas.

Depuis des décennies. Peut-être même des siècles. Sûrement depuis qu’on pouvait produire ce genre d’articles en masse. Ce qui est un peu bizarre puisque c’est la rareté d’un produit qui devrait expliquer une hausse de son prix, mais bon, dans le cas des marques de luxe, la rareté devait se retrouver dans les matériaux utilisés. Le jeune homme resta plutôt vague à ce sujet mais il lui confirma plus ou moins que la production coûtait beaucoup moins cher que le prix annoncé en magasin. Les enfoirés. Mais bien sûr qu’ils ont raison de continuer sur cette lancée puisqu’il existerait toujours des pigeons pour claquer leur pognon dans ce genre de trucs. Quel que soit le prix indiqué, d’ailleurs, parce qu’Aveleen était sûre et certaine que si les tarifs doublaient d’un coup d’un seul, ça ne changerait strictement rien par rapport aux ventes. Parce que c’était déjà trop cher pour le commun des mortels alors ce n’était pas eux la cible mais les friqués. Et qu’est-ce que ça leur faisait de dépenser des sommes mirobolantes pour un sac, puis le double ? Rien, ça les faisait même pas sourciller. Donc non, pas étonnant que ça fonctionne très bien depuis si longtemps. Et que ça continuera de fonctionner encore longtemps. A moins que les riches se retrouvent un jour pauvres mais pas dans une société aussi capitaliste que la leur, impossible. Bref, la rouquine ne trouva rien de plus à dire sur ce sujet et se contenta d’hocher la tête tandis que son client se retrouvait littéralement bouche bée face à sa révélation. C’est vrai qu’à la voir livrer des pizzas comme ça, personne, absolument personne ne pourrait se douter qu’elle était astrophysicienne. Pour ça, il fallait pousser le vice jusqu’à venir chez elle. Ce qui était un brin risqué étant donné qu’elle avait fait le choix d’aller se terrer au fond des bois et que sa paranoïa l’avait poussée à truffer le coin de caméras et de pièges. Bref. Il lui fit alors savoir qu’il comprenait la situation dans laquelle elle s’était trouvée bien que dans son cas, c’était quand même moins extrême puisque lui pouvait se permettre d’avoir une vie de couple. Elle non, à moins de demander à quelqu’un de venir vivre lui aussi à la base et de ne surtout pas poser de questions au sujet de son travail et ça, c’était quand même compliqué à trouver.
« Oh, ben c’est sûr que ça change, mais disons qu’un autre reproche qu’on m’a souvent fait, c’est d’avoir toujours la tête des étoiles. Mes parents comprenaient pas du tout. Eux, ils sont éleveurs de moutons alors forcément… Les pizzas au moins, ils comprennent. »
C’est sûr que c’était pratique de tout leur foutre sur le dos mais c’était pas tout à fait faux non plus. Y avait toujours eu un énorme décalage entre sa famille et elle et eux, n’avaient jamais compris qu’elle ne décide pas de rester à la ferme et qu’elle accepte de s’enfermer dans un travail où elle pouvait à peine les voir.
« Mais j’imagine que c’est que temporaire, le temps que je trouve dans quoi je pourrais bien me reconvertir. »