i shot the sheriff

C’est vrai qu’en termes de futur, on pouvait jamais faire que des suppositions. Maintenant plus que jamais, probablement. Et ça s’appliquait pas qu’aux grands projets, même aux plus petits et plus individuels. Mais le monde s’adaptait et prenaient de plus en plus la devise « carpe diem » au sérieux. Ce qui était une bonne chose si vous vouliez son avis parce qu’en plus du fait que la Terre était en train de mourir à petit feu, y avait en plus celui que des tas de trucs de l’Espace frôlaient la planète en permanence. Ouais, c’est gai mais c’est la vérité et comme on sait jamais de quoi demain sera fait, autant profiter de l’instant présent. De jolies phrases, quoique des plus négatives, qu’elle ne mettait en application que depuis quelques mois. Maintenant que sa vie partait à vau l’eau, Aveleen pouvait se permettre de profiter de l’instant présent, mais avant ça, elle n’était pas du tout ce genre de personnes. Mais alors vraiment pas du tout. Bref, tout ça pour dire que rien n’était donc certain et qu’on pouvait pas vraiment savoir si les humains qui auraient quitté la planète sauraient ce qui se passe encore dessus. Selon son client, ça serait pas le cas. Mais la rouquine n’en était pas si sûre. Les humains verraient sans doute leurs congénères restés sur Terre comme une erreur et voudraient s’assurer qu’ils restent bien là où ils étaient, n’est-ce pas ? C’était pas comme ça que ça marchait dans les scénarios catastrophes ?
« Oh, j’en sais trop rien, les anciens russes trouveraient bien le moyen de vous avoir à l’œil, sûrement. »
Elle pouffa, les russes avaient bon dos, on aimait généralement bien leur mettre la faute dessus. Et bien sûr, ils avaient très sûrement leurs torts, y a pas de fumée sans feu, après tout, mais peut-être que c’était pas leur faute à chaque fois non plus ? Peut-être. Aveleen était pas en train d’essayer de prendre leur défense, elle était pas russe et elle n’en connaissait aucun, mais elle soulignait juste le fait qu’ils faisaient des bons coupables tout désignés presque à chaque fois. Quand la question lui fut posée, la rouquine ne tarit pas d’éloges sur l’établissement dans lequel ils se trouvaient. Qui sait ? Peut-être même qu’un jour, elle y inviterait quelqu’un à son tour. Rien n’était moins sûr mais, comme dit précédemment, l’avenir était incertain et elle n’était pas à l’abri de se retrouver au cœur d’un troisième braquage et d’être celle qui connaissait un endroit où se remettre de ses émotions, cette fois-là. Quoi qu’il en soit, les desserts arrivant, elle se tut et prit le temps de profiter de l’instant.

C’est vrai, ça, pourquoi est-ce que ça changerait ? Dans un monde où presque tout changeait tout le temps, on s’apercevait qu’il y avait quand même pas mal de choses qui restaient gravées dans le marbre. Puis si c’était pas les russes, ça pouvait être d’autres qu’on n’aurait pas vus venir. Comme les suisses, tiens. Tout le monde avait toujours l’air de croire ces gens-là hyper chill à propos de tout. Sûrement parce qu’ils avaient refusé de prendre parti dans les grands conflits mondiaux. Ou peut-être à cause de leur accent, allez savoir. Mais l’équipement utilisé serait forcément russe parce que c’était inconcevable que les suisses aient du matériel d’espionnage en leur possession ; fallait quand même rester un tantinet crédible. Bref, tout ça pour dire que la rouquine acquiesçait puis finit par rire. C’est vrai aussi qu’ils pourraient s’imaginer n’importe quoi puisque ça ne les concernait et concernerait probablement pas directement.
« Ouais, vous avez raison. Tout ce que j’espère, c’est que ça se dégrade pas au point de voir la Californie disparaître de la carte des Etats-Unis parce que bon, je dis pas que c’est un grand rêve mais ça me déplairait pas d’aller y passer une partie de mes vieux jours. Avant de mettre le cap sur la Floride bien sûr, d’où je pourrai voir le lancement des fusées depuis ma petite résidence pour seniors. »
Hé ben, tout ça. Aveleen ne se rappelait pas avoir jamais tant parlé avec un parfait inconnu. Ou même avec un proche, d’ailleurs. Faudrait faire attention à ce qu’elle ne lâche pas une information qu’elle était censée garder pour elle à force de révélations. Même si bien sûr, tout ce qu’elle disait là était teinté de plaisanterie. Elle aimerait bien finir ses jours quelque part d’où elle pourrait voir le lancement des fusées depuis sa fenêtre, c’est vrai, mais ça serait pas forcément la Floride. Et puis si ça se trouve, elle bougerait jamais de là parce que c’est sûr que c’était pas avec son salaire de livreuse de pizzas qu’elle allait pouvoir voyager. Pas de sitôt en tout cas.

Qu’ils aient encore de beaux jours à vivre sur cette planète avant que celle-ci décide de les expulser, voilà bien quelque chose à quoi Aveleen n’a jamais pensé. Pourtant, elle était encore relativement jeune et comme son changement de carrière forcé lui avait également apporté un changement de vie forcé, y avait aucun moyen pour elle de dire de quoi serait fait le lendemain. La seule chose qui était sûre et certaine pour elle, c’est qu’elle retournerait pas à la ferme de ses parents. Mais le reste ? Peut-être bien qu’elle finirait par trouver une perle rare au coin d’une rue et que ça changerait totalement sa conception de la vie, comme c’était le cas de beaucoup. Ou peut-être que non et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle en ferait pas une maladie. Auquel cas elle poursuivrait sur la même voie, sans rien prévoir, à voir où les astres la mèneraient. Et puis qui sait ? Peut-être même que ses anciens employeurs finiraient par la reprendre ? Bon, faudrait qu’elle trouve le moyen de les menacer pour ça. Quelque chose de solide, pas simplement elle qui déciderait un jour de faire part de la découverte qu’elle avait faite à la base à d’autres parce que franchement, personne n’y croirait. Elle-même avait parfois des doutes, maintenant. Tout ça pour dire que son client avait probablement raison mais que la rouquine préférait ne pas trop y penser. Si ces fameux jours avaient décidé de pointer le bout de leur nez, elle les accueillerait avec joie, puis sinon tant pis. Se parant d’un petit sourire, elle acquiesça puis revint à ce qui avait été dit avant.
« Ouais, c’était super. Ça m’en aurait presque fait oublier le braquage. »
Presque parce que bien qu’ils n’aient pas été plus secoués que ça, ça restait quand même un évènement traumatisant et qu’ils en garderaient sans doute tous deux des marques, même si pas forcément si profondes que ça non plus.
« Bon, hé ben je vais reprendre le cours de ma journée. Merci pour l’invitation en tout cas. Et pour ce petit break après les péripéties qu’on a connues. »
Aveleen se leva ensuite, rassembla ses affaires et trouva que serrer la main du jeune homme faisait un peu trop coincé, aussi se contenta-t-elle d’un petit signe de la main.
« A la prochaine ! »
Parce qu’ils se reverraient forcément. Là-dessus, elle reprit la direction de son pick-up puis du chalet, d’où elle appellerait pour prévenir qu’il était pas question qu’elle vienne bosser ce soir-là.