the new-zealand witch project → fabian

Si Cleo était un gros beauf comme il lui arrive d’en croiser tous les jours ; que ça soit au boulot ou dans la rue, elle dirait que ce type avait trouvé la femme parfaite. Un physique parfait et incapable d’ouvrir la bouche pour se plaindre. Sauf que ça ne concorde pas car ce n’était qu’une tête et c’est pas vraiment ce qui les intéresse le plus, les mecs. Ni le fait qu’elle ne puisse pas ouvrir la bouche non plus, sûrement ; ils la préféreraient muette, sans doute. Décidément, l’avis qu’elle avait des hommes en général ne s’arrangeait pas du tout. Voilà ce que c’est de ne fréquenter que des stars de la pornographie ou presque. Alors pour que sa vanne ne tombe pas à plat, il valait mieux se passer de tout commentaires, finalement. Bref, le type n’a donc que sa tête de mannequin et pas de feu. Nickel, ils éviteraient donc un embrasement de forêt. De toute manière, ce n’est pas à ce sujet que Fabian se fait du souci, c’est plus au cas où l’idée de revenir faire copain-copains passerait par la tête de ce doux dingue. Et la façon dont il formule ça a quelque chose de touchant, il faut bien l’admettre.

« Ça marche, s’il revient, on appellera les flics. »

Enfin, il le ferait. Parce que les flics et elle n’étaient pas vraiment copains. Sauf quand ils étaient bien payés pour s’assurer qu’une scène en extérieur soit tournée sans pour autant choquer les passants qui auraient le malheur de s’aventurer au mauvais endroit au mauvais moment. Donc elle le laisserait s’en charger mais elle ne protesterait pas. Bref, il était grand-temps de reprendre le cours de leur soirée films d’horreur alors la rouquine se laisse tomber dans le canapé tout en attrapant une poignée de chips au passage.

« On alterne ? Ça serait dommage de se dégoûter totalement de ce pauvre Jason qui ne le mérite décidément pas. »

C’est vrai, quoi, pauvre gosse, personne ne l’aime parce qu’il s’amuse à tuer tout le monde. En revanche, en qui concerne Freddy, lui il mérite tout à fait toute la haine qu’il s’est attiré. Et il en va de même pour Michael.

Il est donc convenu qu’ils appelleront les keufs si l’illuminé décide de revenir leur faire coucou. Ce n’est pas plus mal dans le fond. Ça serait dommage qu’il finisse par se blesser à errer tout seul dans la nature. Il est fou, certes, mais pas méchant. Il faudrait peut-être que quelqu’un la ramène chez lui que ça soit dans une vraie maison ou dans un asyle. Mais bref, pour l’instant, il faut penser à reprendre le cours de leur soirée films. Oui, c’est bien changer de film qu’elle veut dire par alterner. Ça serait dommage de ne regarder que les différents chapitres d’une même histoire alors qu’on peut en intercaler d’autres pour ne pas se dégoûter. D’autant que Vendredi 13, pas tout à fait à l’instar de ses copains slashers, est une très longue franchise. Pas tout à fait parce qu’elle ne surpasse Halloween en nombre que d’un seul film. Enfin bref, stop avec Cleopédia. La rouquine enfourne une poignée de chips en opinant du chef.

« Ouais, on a qu’à faire le premier de chaque franchise puis pareil avec les films qui suivent comme ça on est sûrs de ne jamais se lasser. »

Parce que douze films, tout de même, ça fait beaucoup. Est-ce que c’est seulement possible à faire d’une traite ? Pour une insomniaque comme elle et avec un ou litres de café en intraveineuse, ça devrait le faire. Et sans même se lasser. Mais elle connait aussi des gens incapables de rester assis le temps de regarder deux films d’affilée alors se faire des marathons pour eux c’est impensable.

« J’vais me resservir un truc à boire, tu veux quelque chose ? »

En revanche, si elle ne se lasse que très difficilement d’un film, il n’en va pas de même pour les boissons, alors elle va se calmer sur le thé et prendre autre chose.

En effet, ils ont de quoi faire. Même pas sûr qu’un seul week-end suffirait pour tout regarder. Enfin bref, Cleo a soif alors elle fait comme chez elle – vous aurez remarqué cette facilité avec laquelle n’importe quel endroit peut devenir chez elle – et va se resservir dans le frigo. Elle en profite même pour servir Fabian qui lui demande du thé glacé à la cerise. Bon sang mais qu’est-ce que c’est que ce truc ? Elle ne savait même pas que ça existait et, bien qu’elle n’aime pas la cerise plus que ça, ça l’intrigue. Soit, l’espace d’un instant, Cleo se prend pour Tom Cruise dans Cocktail et jongle avec les bouteilles. Ce qui est bien évidemment une très mauvaise idée puisque, pas plus ici que chez elle, elle n’est très adroite pour ça alors évidemment, c’est le drame et voilà que ça fait un boucan d’enfer dans la cuisine. Mais par chance, toutes les bouteilles restent fermées.

« Oups, c’est rien et je le ferai plus, promis. »

Sauf qu’elle se connaît et elle sait qu’elle ne résistera pas bien longtemps à l’envie de recommencer. Cela étant dit, elle essayerait de se retenir jusqu’à ce qu’elle soit rentrée chez elle où elle pourrait casser toutes les bouteilles qu’elle voudrait si ça lui chantait. Bref, la voici donc de retour dans le salon avec les boissons. Fin prête à reprendre le visionnage de leur marathon de slashers quand tout à coup, on vient frapper à la porte. Elle espère que ce n’est pas le mec de tout à l’heure avec Carmen. Et parce qu’elle sait que c’est un sujet sensible pour son ami, elle se lève et jette un coup d’œil par la fenêtre. Oh non, la pire chose qui pouvait arriver après une clique de médecins.

« C’est la police. »

La rouquine se raidit et préfère battre retraite dans la cuisine le plus rapidement possible. Elle sait pourtant qu’elle n’a rien fait de mal et qu’on ne vient pas pour elle – ils viennent probablement pour le type - mais que voulez-vous, c’est viscéral : elle n’aime pas cette engeance, on n’y peut rien.

Ce qu’elle a foutu ? Mais ça paraît évident, non ? Apparemment pas tant que ça puisque Fabian se pose quand même la question. Et la lui pose à elle, par la même occasion. L’idée de raconter un bobard trop cool puisque de toute façon, il n’en saurait jamais rien, lui traversa bien l’esprit environ une demi-seconde mais la vérité c’est qu’elle ne trouva rien à dire qui soit suffisamment cool alors autant dire la vérité.

« Trois fois rien, je me suis crue dans Cocktail l’espace d’une seconde. »

Autant ne pas s’appesantir là-dessus, du coup. Et ça tombe bien puisque c’est pile à ce moment-là que les poulets débarquent, que Cleo se raidit et part se planquer dans la cuisine, laissant son ami aller leur ouvrir. En ce qui la concerne, moins elle les voit, mieux elle se porte et il en a toujours été ainsi. Enfin bref, la rouquine fait semblant d’être très affairée dans la cuisine, juste au cas où ils auraient besoin de son témoignage ou elle ne sait quelle connerie du genre mais elle tend quand même l’oreille. Ils sont bel et bien là pour le petit ami de Carmen. Il semble qu’il soit mentalement malade puisqu’il s’est évadé de l’hôpital psychiatrique du coin. Ou pas, du coup, parce qu’en vérité, elle n’a aucune idée de s’il y a un hôpital psychiatrique dans le coin ou si le type a parcouru des kilomètres avant d’arriver ici. Dans un cas comme dans l’autre, Cleo ne va pas s’inquiéter. Après tout, ils l’ont rencontré ce type et il n’a pas l’air bien méchant alors tout va bien. Elle entend Fabian leur expliquer qu’ils ont bien vu quelqu’un correspondant au signalement et, pour le soutenir, elle hoche la tête sans pour autant avoir aucun flic dans son champ de vision.

« On sait jamais, demande-leur s’il est dangereux. Même pour lui-même. »

Ce qui est tout à fait inutile puisqu’ils l’ont très bien entendue et qu’ils s’empressent de les rassurer à ce sujet. Pas dangereux pour les autres, un peu pour lui s’il s’est perdu et qu’ils ne le retrouvent pas rapidement. Bon ben il n’y plus qu’à croiser les doigts pour qu’ils le retrouvent vite, dans ce cas, ça serait triste qu’il lui arrive quelque chose.

Bien évidemment, les flics l’entendent poser la question depuis sa cuisine mais ils ne lui demandent pas de venir et ça, c’est bien. Ils répondent que ce type ne représente un danger que pour lui-même, ce dont elle se doutait bien mais ce n’est pas plus mal d’en avoir la confirmation. Bref, Fabian leur promet de les avertir si jamais il repassait par-là puis il referme la porte et Cleo se détend. C’est toujours la même chose avec elle. Il faut croire qu’elle a eu pas mal de problèmes avec les forces de l’ordre dans une vie précédente et que le traumatisme l’a suivie dans celle-ci mais bon, elle n’y peut rien, c’est ainsi.

Son ami lui fait signe de venir le rejoindre sur le canapé et la rouquine s’exécute en apportant les boissons au passage. Sa remarque la fait sourire. C’est vrai que ce n’est pas de chance mais ça pourrait être pire. Ils auraient carrément pu avoir à faire à quelqu’un de dangereux, comme Michael Myers. Et ils auraient été complètement dans le thème du coup. Elle s’installe convenablement avant de hausser les épaules.

« Il faut t’y faire, c’est ma malédiction. Rien ne se passe jamais comme prévu avec moi. »

Plus il passerait du temps avec elle, plus il aurait l’occasion de s’en rendre compte. Ça faisait trente ans qu’elle vivait avec donc elle avait eu le temps de s’y habituer mais elle pouvait comprendre que ça puisse paraître bizarre à quelqu’un qui ne la connaît pas depuis si longtemps que ça. Enfin soit. Elle sourit et prend une autre poignée de chips accompagnée de soda et ils peuvent reprendre leur soirée films d’horreur où ils en étaient avant que tous ces événements ne viennent les interrompre. Enfin, si d’autres ne venaient pas saper leurs projets d’ici-là.

Que ce type avec sa poupée ne soit pas dangereux est une bonne chose – encore que bon, après elle, elle s’en fiche, elle n’a ni frère ni sœur donc inutile de vouloir faire un remake avec elle – mais ça la tracasse un brin de le savoir seul là dehors alors qu’il pourrait se faire du mal à lui-même. La rouquine ne comprend pas bien non plus pourquoi, elle qui a pour habitude de détester la planète entière à peu de chose près, c’est bizarre. Mais il avait l’air gentil alors ça l’embêterait pas mal qu’il lui arrive quelque chose. Enfin bref, elle débarque dans le salon avec leurs boissons et Fabian la questionne quant à cette histoire de malédiction. Bien sûr, c’est une façon de parler. Ou pas. Peut-être bien qu’on lui a jeté un sort après tout. Elle ne sait pas qui aurait pu faire ça mais parce que la liste des gens qu’elle prenait pour des ennemis pouvait être longue mais bon, ça restait une possibilité selon elle. Cependant, il lui semble important d’éclaircir ce point.

« Non. Enfin, j’veux dire que j’ai pas de chance. Que rien ne se déroule jamais selon mes plans. J’veux pas dire que j’ai un jour vu une voyante qui m’a lu les lignes de la main pour me certifier qu’on m’avait jeté un sort. »

Elle avait bien vu une voyante, par contre mais pas quelqu’un qui lui avait lu les lignes de la main ni même l’avenir dont elle se fichait pas mal en ce temps-là. Surtout si c’était pour lui prédire toutes les mésaventures qui l’attendaient encore, non merci. Curieusement, elle préférait les découvrir de jour en jour plutôt que de s’y attendre, sinon autant se tirer une balle tout de suite, hein. Autant ne pas en arriver à de telles extrémités. Bref, Cleo hausse les épaules et reprend une gorgée. Le manque de chance, son ami doit bien connaître aussi. Après tout, il a quand même perdu son grand amour.

Oh, ce n’est pas qu’elle croit ne pas avoir de chance, c’est qu’elle n’en a tout simplement pas. A tel point qu’elle s’est convaincue qu’elle avait dû faire un truc vraiment moche dans sa vie précédente pour mériter ça. Il faut dire que les problèmes s’accumulent depuis la mort de ses parents. A savoir vingt-et-un ans. Certes, ce ne sont jamais de vraiment gros problèmes mais assez importants pour vous miner, vous user et c’est presque constant. Ça fait quand même une assez longue période de temps pour qu’elle ne croit plus que la roue tourne comme on dit et qu’elle accepte son sort puisque de toute façon, elle ne peut rien faire contre les forces de l’univers. Mais est-ce qu’elle pousserait la confidence jusqu’à avouer à Fabian que c’est ce qu’elle pense ? La réponse est non. Beaucoup trop fataliste. Et négatif. Les gens n’aiment pas ça en général. Bon, c’est sûr qu’elle se fiche bien de ce que les gens pensent d’une manière générale mais elle a appris avec le temps que certaines chose se font et se disent en société et d’autres non. Et là c’est non. En revanche, Cleo veut bien s’attarder sur le fait que la mère de son ami croit en tout ce qui concerne l’occultisme. Ça, c’est intéressant.

« Vraiment ? Alors on aurait sûrement plein de choses à se dire. Elle a déjà fait du spiritisme ? »

Terrain glissant parce qu’elle, oui. C’était à l’adolescence et uniquement pour contacter ses parents. Elle ne sait pas si elle croit à tout ça ; les fantômes, les esprits, mais comme toutes personnes qui a perdu des personnes très chères à son cœur, elle aime à croire qu’ils la suivent à permanence et veillent sur elle. Il lui est même arrivé de se dire que s’ils n’étaient pas là, sa malchance serait encore pire. C’est pour ça qu’elle a un tas de petits rituels comme de faire brûler de la sauge partout dans sa maison Par exemple. A bien y réfléchir, Wes doit la prendre pour une folle. Ou alors craindre qu’elle ne foute le feu à la baraque un de ces quatre. Bof, ça ne serait pas la première fois, de toute façon sauf que d’habitude, c’est quand elle essaye de se servir d’autre chose que du micro-ondes et donc seulement en cuisine. Toujours lier des liens d’amitié avec les pompiers, au cas où.

« Oh t’inquiètes, je ne me prends pas la tête avec ça. Ça fait vingt ans que c’est comme ça, j’ai eu le temps de m’y faire. »

Toujours un peu fataliste mais moins tragique et ça, c’est bien.

Si le spiritisme l’intéresse un peu, c’est juste de manière intéressée et un peu égoïste, il faut bien l’admettre ; ce n’est pas de prouver l’existence de la vie après la mor qui l’intéresse mais bel et bien de pouvoir discuter un peu avec ses parents. Leur raconter comment sa vie à tourné depuis qu’ils ont péri, qu’elle a quelques fois songé à partir les rejoindre mais que ça va mieux. Leur parler de Wes – mais pas trop en détails non plus car ils ne seraient sans doute pas ravis d’apprendre qu’elle a épousé un parfait inconnu dans l’unique but de toucher leur héritage – et de plein d’autres choses. Enfin, c’est peut-être un peu inutile s’ils étaient à ses côtés depuis tout ce temps, ils le savent, ils l’ont vu. Bref, il s’avère que la mère de Fabian en a déjà fait. Avec Fabian. Qui n’a pas aimé ça. Mais Cleo n’est pas vraiment surprise d’apprendre ça, si son ami a déjà peur des films d’horreur qui traitent le sujet alors il ne faut pas demander si ça arrivait dans la vie. Elle l’écoute en parler avec cette légère réticence qui n’appartient qu’aux gens qui n’aiment pas ça avant qu’il ne lui retourne la question.

« Je vois. Ouais, j’ai déjà essayé deux-trois trucs mais ça n’a jamais rien donné de vraiment concluant. »

Tant et si bien qu’elle pourrait carrément arrêter d’y croire mais bon, on ne la refera pas, elle veut garder espoir. Quand ils en reviennent à sa malédiction, Fabian lui dit croiser les doigts pour elle et que là non plus, il ne faut pas qu’elle perde espoir. Oui alors dans ce cas-là, c’est un peu différent, c’est beaucoup plus compliqué de ne pas perdre espoir que de finir par se résigner. Chose qu’elle a faite depuis belle lurette. Mais elle n’a pas envie de s’appesantir là-dessus et puis il enchaîne directement sur le fait que l’essentiel, c’est qu’elle ait trouvé un mari canon avec qui elle semble bien s’entendre. Haha vraiment ? La rouquine ouvre la bouche pour répliquer avant de se rappeler que pour Fabian, c’est un mariage qui découle d’un coup de foudre, le genre de trucs qui, selon elle, n’arrive que dans les comédies romantiques. Alors elle referme la bouche en attendant de trouver autre chose à dire.

« Ouais bien sûr, c’est un peu important. Mais ça serait triste qu’il soit la seule raison à mon bonheur, tu crois pas ? Faudrait pas que ça se termine en divorce, sinon. »

C’est vrai, même si sa relation avec son mari était telle qu’elle le faisait croire à tout le monde, ça serait quand même hyper triste que son bonheur ne soit rattaché qu’à une personne. Les relations de tout le monde sont tellement bancales de nos jours. Si bien qu’elle n’exclut pas la possibilité d’un divorce. Même et surtout dans leur cas. Puis mince, elle est trop indépendante - et féministe, sans doute - pour ça.