Un gala de charité plein de surprises (FT. Nathan)

La campagne arrivait bientôt à son terme, ce qui n'était pas pour déplaire à Zachary. Les meetings, les interviews, les déplacements, ça l'avait pas mal fatigué. Il avait perdu six kilos depuis le début. Ca demandait de courir partout, de réagir rapidement, mais sans compromettre tout le travail précédemment accompli et aussi d'adopter un rythme inhabituel. Les réunions de travail duraient parfois jusqu'à deux heures du matin, pour un réveil à six heures. De savoir que tout ce calvaire, allait bientôt se terminer, ça l'enchantait, pour être franc ! Il fallait encore qu'il continue sur sa lancée, car l'élection n'était pas jouée, mais il avait quand même de bons sondages avec lui. L'écart se creusait désormais entre lui et son adversaire. Seulement, par superstition, Ackerley ne vendait jamais la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Il n'aimait pas être déçu, alors pour le coup, il partait perplexe, afin de ne pas être trop secoué s'il venait à perdre.

Ce soir, c'était le grand gala de charité, organisé en faveur de multiples associations. Il s'agissait d'un évènement incontournable, auquel il participait pour la première fois en tant que candidat. D'habitude, il y venait comme simple invité. Il aurait aimé que cela reste ainsi. Outre le fait que son paternel détestait ce genre de rendez-vous, et qu'il ne comprenait pas qu'il puisse y accorder le moindre intérêt, Zachary n'avait pas l'intention de se faire de la publicité gratuite sur le dos de la détresse des autres. Son adversaire, lui ne se gênait pas pour s'afficher à côté d'enfants défavorisés, de faire des opérations de communication pour vanter sa proximité avec les gens dans le besoin. Mais Zachary avait tranché. Il ne voulait pas utiliser des méthodes qu'il trouvait lamentables. Ainsi, il s'inscrivit sur la liste des invités, sans informer, ni la presse, ni même son équipe de campagne. Il voulait être là, en tant qu'être humain, non politique.

C'était plutôt réussi, puisque personne n'en parla avant la date. Il avait bien demandé aux organisateurs de ne pas mentionner sa présence, pour éviter d'attirer les médias. Il arriva, par ailleurs, par la porte de derrière, désireux de ne pas attirer l'attention. Tout était contrôlé, maîtrisé. Sauf peut-être la façon dont il allait être accueilli dans la salle où se déroulait le gala. Il y avait du monde, beaucoup de monde ! Et forcément, à peine eut-il fait quelques pas, qu'il sentit des regards se poser sur lui. Ca ne pouvait pas être que pour l'admirer... Certes, pour l'occasion, Zachary avait soigné son allure. Costume impeccable, coiffure parfaite, barbe soigneusement taillée, il avait mis les grands moyens pour être beau et présentable. Il dégageait d'ailleurs un parfum très agréable. Mais force était de constater que ça n'était pas pour cela qu'on le regardait. Un groupe de trois personnes s'approcha de lui.

- Monsieur Ackerley ! Vous ici ! C'est génial ! Vous accepteriez de faire une photo avec nous ?

- Bonsoir. Eh bien, à vrai dire, je ne préfère pas... sauf si vous promettez de la garder pour vous ?

- Oh oui ! C'est promis !

Il n'avait pas voulu décevoir ce groupe de "partisans". Alors il avait accepté de faire ce cliché. Une fois que ce fut terminé, il ne se fit pas prier pour se plonger dans la foule. Une vieille dame l'interpela alors :

- C'est vous le garçon qu'ils passent à la télévision ?

- Euh... oui... Bonsoir. Zachary Ackerley.

- Votre père est une belle pourriture !

- Maman, ça suffit... Il faut l'excuser, elle est un peu fatiguée en ce moment...

Zachary remercia le jeune homme, élégant au demeurant, qui venait s'occuper de la vieille dame pour l'amener plus loin et éviter une esclandre. Il n'avait rien fait pour défendre son père. Oui, il s'agissait d'une pourriture... il n'en pensait pas moins. Mais il ne pouvait l'avouer en public, cela ne se faisait pas. Quoique... lui ne se gênait pas pour le rabaisser dès qu'il le pouvait. Etait-ce une raison pour se mettre à son niveau. Non certainement pas... Il s'approcha de la table, où il y avait des petits fours. Il prit un verre d'eau pétillante et croqua dans un mini-toast, très savoureux. A un moment, il vit quelqu'un du coin de l'eau et se poussa légèrement :

- Excusez-moi, je ne vous avais pas vu.

L'homme paraissait très sérieux. Il avait un air à Marlon Brando ! Mais en plus hispanique, peut-être ? Poliment, il tenta d'engager la conversation, sur un sujet très généraliste :

- Ces toasts sont très bons, je vous les conseille. Ils ont un petit goût de "revenez-y" !

D'habitude, quand Zachary tentait d'engager une conversation, il ne se faisait pas refouler de façon aussi frontale et équivoque. Il ne s'attendait pas à ce que l'homme avec lequel il tentait de nouer contact, l'envoie paître de la sorte. Et il resta bouché bée, un toast entre les doigts. Il fouilla aussitôt dans ses souvenirs pour savoir s'il connaissait cet homme. Mais ce fut vain, il ne s'en rappelait pas. En tout cas celui-ci semblait bien le connaitre et même connaitre son père... voilà qui n'aidait pas vraiment à développer une amitié. En tout cas l'insulte raciste, typiquement, c'était une marque de fabrique de son paternel, à n'en point douter. Et Zachary n'avait jamais été à l'aise avec ça. Il rougit, de honte et un air gêné s'afficha sur son visage. Comme la vieille dame tout à l'heure, il payait souvent la réputation d'ordure de son père. Il n'y pouvait rien... ça allait avec le package. Là, on parlait de racisme et d'injure. Clairement, il ne pouvait pas l'accepter. Il n'eut pas le temps d'ouvrir la bouche que l'homme enchaina en lui demandant de ne pas se fatiguer, et en précisant que de tout façon, il ne voterait pas pour lui. Rude, l'accueil... Zachary commençait à regretter d'avoir voulu répondre présent à ce gala. Il fut légèrement piqué au vif par la dernière pique de son interlocuteur. Il se défendit :

- Mais enfin... je vous ai juste parlé de toasts... pas de ma candidature ou du vote... je ne suis pas ici pour faire campagne. Je voulais marquer mon soutien à ce gala et à ce qui en découle... à l'abri de la médiatisation... J'essayais juste d'être courtois... c'est tout...

Comme souvent quand on l'envoyait dans les cordes, il parlait avec son coeur et laissait transparaitre ses émotions. On sentait à sa voix quelque peu tremblante qu'il avait du mal à encaisser cette remise en place, parce qu'il la trouvait injuste. Il se mit quand même à la place de cet homme. Si son père s'était fait un malin plaisir à l'insulter et à l'attaquer sur sa couleur de peau, typée, sur ses origines ou sur son intelligence, il possédait toutes les raisons du monde d'en vouloir au nom Ackerley. Même au fils qui n'avait rien demandé. Désireux de profiter encore de l'attention qu'il lui portait, Zachary ajouta, sur un ton sincère et désolé :

- Ecoutez... Je tiens à m'excuser pour ce que mon père a pu vous dire ou vous faire... Je ne partage pas du tout son goût pour les saillies racistes et xénophobes... ni les idées qu'il a sur la question. A aucun moment, il n'aurait du vous insulter ainsi... Que vous me croyez sincère ou non, j'imagine que ça ne changera rien. Mais je suis désolé que vous ayez eu à subir ça... franchement, j'ai même honte...

Il baissa le regard et reposa le toast à côté du plateau. Ca lui avait coupé l'appétit. Cheyenne, son directeur de campagne avait raison. Son principal adversaire, ça n'était pas le candidat en face, mais son propre père. Il cherchait à s'en émanciper, seulement, c'était plus facile à dire qu'à faire... Le vieux Ackerley gardait une influence considérable sur le parti et ses contacts pouvaient broyer n'importe qui. Il ne reculait devant rien pour arriver à ses fins. C'était un poison redoutable, auquel il faudrait tôt ou tard, trouver un antidote.

- Vraiment navré de vous avoir importuné...

Zachary fit une moue embarassée puis il commença à s'éloigner. Il ne voulait pas pourrir la soirée de cet homme, quand bien même, il l'avait remis en place. Venir ici était une mauvaise idée, en définitive. Il éprouverait toutes les difficultés du monde à s'intégrer. Le spectre de son paternel l'accompagnait. Il ne pouvait s'en détacher. Et si le mieux, finalement, c'était de rentrer chez lui ?

Dans sa tête, Zachary était en pleine réflexion. Il songea à ce que Cheyenne lui avait dit, sur le fait que se montrer dans des évènements caritatifs était un terrain glissant et qu'il valait mieux éviter. Il aurait du l'écouter. C'était la première fois qu'il ne se sentait pas à l'aise à une soirée, alors que montrer de l'assurance et être charismatique, ça faisait partie de son job de politique. Ces derniers jours, il commençait à avoir le cafard. Trop d'émotions, trop de pression. Il lui arrivait de passer des heures entières à ressasser ses journées au lieu de s'endormir. Et il fumait comme un pompier. 3 paquets par jour, du jamais-vu. Aussi, ça commençait à jouer sur sa santé, du moins à l'intérieur et de façon non visible. Il s'apprêtait à partir, à rentrer chez lui, lorsque Nathan l'attrapa doucement par le bras. Il se tourna et le regarda, non sans une certaine méfiance. Qu'allait-il prendre comme autre amabilité dans la figure ? Il n'arrivait pas à en vouloir à cet homme, pour son comportement. Parce que son père faisait du mal à tout le monde, même à lui. Depuis qu'il était enfant, il le rabaissait sans cesse, il lui balançait des horreurs. Et pourtant, Zachary était encore ce petit garçon, soucieux et désireux de le rendre fier, de montrer qu'il pouvait réussir, être quelqu'un. La politique, c'était sa façon de se montrer digne de son héritage. Même si la famille Ackerley avait un gros passif raciste et homophobe. Il était prêt à fermer les yeux là-dessus pour attirer l'attention du patriarche. Dans le fond, c'était le désir tous les fils, d'être digne et respecté par leur géniteur. L'homme renversa la situation en adressant des excuses. Zachary l'écouta puis quand il lui tendit la main, il la serra, soudain plus détendu.

- Zachary Ackerley, mais je pense que vous le savez déjà ! Enchanté Monsieur Peñali.

Il avait prononcé son nom à l'espagnole. Zachary parlait plusieurs langues. Il avat à coeur de les respecter, quand il prononçait des mots et à chaque fois, il se débrouillait assez bien. Il eut un sourire quand Nathan lui indiqua qu'il ne voterait pas pour lui. Il n'était pas venu ici pour engranger des voix, de toute façon. La tension initiale s'était dissipée. Il comprenait pourquoi il avait eu ce comportement à son égard. Perdre son boulot était une hantise pour beaucoup de monde, en temps normal. Mais là, avoir une épée de Damoclès au dessus de sa tête parce qu'un connard n'appréciait pas votre faciès, ça augmentait la pression d'un niveau supplémentaire. Il hocha la tête quand Nathan l'invita à boire un verre. Et il répondit :

- Un bon bourbon ne serait pas de refus, mais je ne crois pas qu'ils en aient ici. Alors partons plutôt sur une tequila ! Sans rapport avec vos origines !

Il préférait préciser, histoire de ne pas donner l'impression qu'il l'attaquait sur ça, gratuitement. Et puis, comme il avait tout de même envie de revenir sur l'anecdote avec son père, il reprit la parole, très cordial :

- Vous savez, vous n'êtes pas le premier que mon père menace de faire licencier. Un jour, nous étions à l'hôtel, pour un séminaire politique autour de l'économie, bref, je vous passe les détails. La personne de la réception était un homme noir. Cela ne s'est pas bien passé... pas du tout même... Il a menacé le directeur de lui faire envoyer un contrôleur fiscal si l'homme de la réception n'était pas viré. Et malheureusement... ça a été le cas. Tout pour vous dire que ce que vous me dites ne m'étonne pas. Et que je ne cautionne pas du tout. Si je devais pousser la réflexion jusqu'au bout, je dirais que même l'homme blanc est un étranger en Nouvelle-Zélande. Cette terre appartient aux Maoris...

Zachary avait un grand intérêt pour l'histoire et pour la culture, de façon générale. Il aimait apprendre et découvrir. Il était probablement le seul à ne pas s'apercevoir qu'il restait l'opposé de son père. Le besoin de reconnaissance l'aveuglait complètement. Il partit néanmoins sur autre chose :

- Donc vous êtes médecin légiste ? Vous travaillez avec la police, c'est ça ? Mais dans une vraie morgue ?

Zachary porta son regard dans le vague lorsque Nathan lui évoqua une autre possibilité. Et si au lieu de tenter de changer ce qui était, il se concentrait sur ce qui serait ? Ce point de vue là, soyons clairs, il lui avait effleuré l’esprit. Mais il impliquait tellement de choses... le jeune homme vivait dans l’ombre de son père. Cette piste l’amènerait à lui tenir tête, à le pousser lui, dans l’ombre. Sur le papier c’était beaucoup plus facile à dire qu’à faire. Le vieux Ackerley avait de très nombreuses relations et un charisme encore capable de rameuter les électeurs. Zachary n’était qu’une punaise face à lui... un cafard, comme le lui rappelait durement son père lorsqu’ils opposaient leurs idées. Il lui suffisait de claquer des doigts et il le pulvérisait. Assumer qui il était reviendrait à déclarer une guerre nucléaire. Avec tous les dommages collatéraux que cela pouvait avoir. Zachary n’était pas lâche mais il ne pouvait pas se lancer dans une telle entreprise maintenant. Pas tout seul, pas sans allié. Et Cheyenne, en dépit de son carnet d’adresses ne pourrait rien y changer.

- Plus facile à dire qu’à faire... disons que mon père veille à ce que rien ne lui échappe. Il grince des dents chaque fois que je parle de libéralisme économique... si je commence à exposer mes idées sur le reste, il va me coller une balle entre les deux yeux. Au sens propre du terme.

Ce n’était un secret pour personne que le vieux Ackerley tenait une ligne très dure et qu’il soutenait le lobby des armes. L’idée qu’il puisse tuer son fils paraissait absurde à beaucoup de monde, mais pas à Zachary. Et dans la façon dont il avait ponctué sa phrase on sentait bien qu’il croyait à ce qu’il disait. Combien d’humiliations avait-il vécu ? Il ne saurait dire un chiffre précis. Il avait reçu beaucoup de coups, plus jeune. Et tellement d’insultes... il n’y avait que lui pour espérer que son père serait fier de ce qu’il faisait. Parce que le vieux le haïssait et le méprisait si fort que cela transparaissait aux yeux de tout le monde. Sauf lui... il continuait à croire qu’un jour, il serait digne du paternel. Avoir évoqué ce sujet en présence d’un inconnu l’amena à faire preuve de plus de prudence et à se renfermer. Nathan avait bien voulu évoquer son travail. Zachary lui proposa de sortir sur la terrasse et s’alluma une cigarette. Ces derniers temps, avec le stress de la campagne, il fumait 5 paquets par jour. Contre 3 habituellement. Il faisait partie des gros fumeurs depuis le début de sa vie adulte. Et ce n’était pas près de s’arrêter !

- Je n’ai jamais été dans une morgue, je dois bien l’avouer. Et ce n’est pas le genre d’endroit que ma famille irait « visiter » de son vivant en tout cas... on parle très peu de la mort, c’est un sujet tabou. Même si ça m’intéresse quand même un peu. J’aime beaucoup la mythologie maori en la matière. Celle des indiens est pas mal non plus. Qu’est-ce qu’il y a après ? Derrière le rideau. Vous apportez un début de réponse à la question : une morgue en sous-sol et des examens légistes !

Il éclata de rire. Zachary savait faire preuve d’humour et il se démarquait de son père parce qu’il avait l’esprit ouvert. Il était son antithèse. Jamais il ne pourrait lui ressembler. Et dans un sens, heureusement ! Au moment où il tira une bonne bouffée bien toxique de tabac, un homme sortit à son tour et s’approcha pour lui demander du feu. Bon sang... ça n’était pas un moche... loin de là ! Zachary avait changé d’attitude sans s’en rendre compte. Il paraissait plus hésitant, plus maladroit. Alors que l’homme s’éloignait, il ne put s’empêcher d’avoir un regard rapide vers lui, plus particulièrement vers ce fessier tant mis en valeur par son pantalon ajusté. Il tira une nouvelle latte et se concentra à nouveau sur Nathan. Il ne se doutait pas que sa réaction pouvait soulever des questions. Il n’en avait pas conscience. Tout naturellement, il poursuivit :

- Vous savez, je suis conscient des difficultés de moyens rencontrées par la police. Je ne vous dis pas ça pour avoir votre voix. Mais j’ai espoir de contribuer à améliorer votre quotidien si jamais je venais à être élu. Enfin, nous n’en sommes pas là ! Comment vous êtes devenu légiste au fait ? C’était un rêve de gosse ? Oh... j’ai oublié de vous proposer une cigarette. Vous fumez ?

- A vrai dire, j'ai grandi dans la politique. Et c'est un sujet qui me plait. Sans doute que je n'y ferais pas carrière si mon père et ma famille n'avait pas eu un fort historique là-dedans. J'imagine que quand on est baigné dans toutes ces sciences depuis sa naissance, on a forcément une vie adulte un peu biaisée. Mais j'aime l'idée de pouvoir arranger les choses pour de nombreuses personnes. C'est probablement un brin idéaliste, surtout par les temps de corruption qui courent, mais ce n'est pas grave. Si des gens comme Nelson Mandela s'étaient découragés à la première difficulté ou au premier doute, le quotidien de leurs compatriotes ne se serait pas arrangé, pas vrai ?

Il éluda volontairement la question de son point de vue. Nathan ne pouvait pas savoir que le sujet était sensible. Dans les faits, Zackary luttait pour essayer d'imposer ses idées, mais l'influence de son père était majeure. C'était lui qui le finançait, en quelque sorte, lui également qui lui fournissait un carnet d'adresses, des collaborateurs. Il fallait le reconnaitre, sa situation s'avérait bien délicate. Et il ne possédait pas beaucoup d'échappatoires, donc pour le moment, il faisait le dos rond et essayait de ne pas trop en dire ou en faire sur ses véritables idées politiques. Quand à la carrière de son père, Zachary savait qu'elle était à son crépuscule. Les idées conservatrices perdaient du terrain à mesure que les années passaient. Logique, vu le nombre de jeunes et surtout la situation du pays. Et comme ses acolytes, le vieux Ackerley refusait de changer son fusil d'épaule, même pour gagner en souplesse. Cela donnait lieu à des situations totalement ubuesques comme quand il prenait, par exemple, opposition à l'égard de l'avortement. Plus personne ne faisait ça aujourd'hui... c'était rentré dans les moeurs et ce n'était pas plus mal. Un jour, Zackary pourrait se payer le luxe de s'émanciper, mais pour le moment, ça n'était pas le cas. Et Nathan dut probablement le comprendre à la façon dont il fuyait ce sujet de conversation. Comme ils parlaient de morgue, Zachary concéda :

- C'est vrai qu'il y a certains métiers qui ne vendent pas du rêve quand on les regarde d'un oeil extérieur. Mais bon, vous savez, c'est compliqué de juger quand on n'exerce pas.

Rencontrer le commissaire pourrait effectivement s'avérer utile. Il n'y voyait pas d'inconvénient, mais il fallait préparer ça. Après tout, s'il arrivait les mains dans les poches, juste avec des bons mots, Sawyers l'enverrait paître, avec raison. Peut-être qu'il devait jouer cela différemment, le contacter pour savoir ce qui n'allait pas vraiment dans la police, quels étaient les besoins. Il y avait bien des rapports parlementaires pour savoir tout cela, mais ils étaient biaisés par des axes idéologiques. Il fallait donc les prendre avec des pincettes et leur préférer la réalité du terrain. Mettant de côté cette réflexion, il écouta avec une grande attention les mots de Nathan, qui expliquait comment il avait faire carrière en tant que médecin légiste. Une histoire peu ordinaire mais qu'il trouvait très révélatrice. Il remballa son paquet de clopes et après avoir tiré deux grosses bouffées de tabac, il répondit :

- C'est peu commun ! Mais c'est une belle démarche que celle de vouloir comprendre l'envers du décor ! En fait, on ne s'en rend pas compte quand on vit pas ces choses là, mais tout part d'un simple déclic, un peu comme l'étincelle qui allume le feu...

Il se perdit dans le vague. Il venait de comprendre la profondeur des mots qu'il venait de prononcer. Et ça lui fit réaliser que son déclic à lui, il serait temps qu'il l'ait. Il repensa à Cheyenne, à ce baiser dans le noir... qui aurait pu déboucher sur bien plus... Holway ne savait pas qui était cet inconnu, mais Zachary, lui, avait fait le rapprochement, dernièrement. Il régnait cependant trop d'inconnues autour de lui et de son existence. Surtout avec son père qui pouvait être capable du pire, au sens réel du terme. Il finit par se reprendre un peu, en secouant la tête.

- Ca fait longtemps que vous travaillez sur Wellington ? Dans la police, je veux dire. C'est que vous me donnez l'impression d'en savoir beaucoup, en tout cas d'avoir vu beaucoup de choses !

- Pas très souvent, je dois bien l'admettre. Surtout là, actuellement, avec la campagne électorale. C'est assez compliqué de sortir, quand vous avez passé une journée de boulot intense. De temps en temps, je vais faire un tour en boite de nuit, ou dans un café. C'est rare, mais ça arrive. Cela dit je préfère y aller accompagné et ce n'est pas évident d'avoir des amis avec qui m'y rendre surtout que je décide souvent ça au dernier moment, selon l'envie, vous voyez ?

Zachary n'allait pas lui confier qu'il aimait aussi se rendre dans des soirées sans lumière, pour y draguer des mecs sans être reconnu. Ni même qu'il lui arrivait d'organiser des plans d'un soir toujours avec d'autres hommes. Aux yeux de Nathan, Ackerley était un jeune, qui avait un train de vie assez sérieux. Le genre type-modèle, en quelque sorte. Et globalement c'est aussi comme ça qu'on le décrivait dans les médias. Les gens ignoraient tout de sa vie réelle. Heureusement, car le jeune homme n'aurait pas aimé voir sa vie sexuelle étalée dans tous les tabloïds. Surtout qu'outre son homosexualité cachée, il y avait aussi son faux mariage avec Gabriella, sa meilleure amie. Le jour où la vérité allait éclater, outre le scandale qui allait intervenir, il faudrait aussi gérer la réaction de sa famille. Et clairement, celle qu'il craignait le plus, ça restait son père. Il ne faisait aucun doute que le vieux Ackerley allait péter un câble. Clairement... et Zachary ne cherchait même pas à imaginer ce que ça allait donner. Après tout, il avait toujours entendu son père dire que s'il apprenait que quelqu'un était "pédé" dans sa maison, il lui collait un coup de fusil entre les deux yeux. Pas de ça chez lui, ni dans son entourage. Outre les relents homophobes et racistes, il régnait une forme de terreur dans le foyer familial. Une terreur que seul Zachary ressentait, puisque les autres s'en accomodaient parfaitement, n'ayant rien à se reprocher. Le jeune homme se ralluma une cigarette. En ce moment, il les enchainait, avec le stress. Il regarda autour d'eux. C'est vrai que beaucoup de personnes étaient bien habillées. On sentait le sérieux de ces gens. Un manque de fun évident. Ackerley proposa alors, subitement :

- Si vous voulez, nous pouvons nous éclipser et aller dans un pub pas très loin. L'ambiance y est moins stricte. A la base, je suis venu pour me distraire et donner, sans que ma notoriété ne prenne le pas. Je ne voulais pas que ça soit médiatisé. Mais bon, je ne voulais pas rester longtemps. Donc, si vous voulez, on peut aller se boire un verre. Je vous invite !

Se rappelant alors qu'il n'avait pas fait de don pour l'instant. Zachary sortit son chéquier, qu'il avait rangé dans la poche intérieure de sa veste de costard. Il sortit également son stylo et commença à écrire, en pinçant sa cigarette avec ses lèvres. Ca lui donnait un côté sévère qui le faisait ressembler énormément à son père. Ses traits se radoucirent dans il fut moins tendu et qu'il put reprendre sa cigarette entre ses doigts. Il rangea son carnet de chèques et le temps de finir de fumer, il combla avec quelques mots :

- Douze ans... bon sang, je suis admiratif, vous savez ? De nos jours, il y a très peu de gens qui font le même métier aussi longtemps. En tout cas je n'en connais pas beaucoup. En fait, c'est très fréquent dans mon famille, maintenant que je le dis... Vous savez, le cliché des types accrochés à leur fauteuil et à leurs privilèges ? Et bien c'est ça, chez les Ackerley. Bon, moi je cherche un fauteuil, parce que je n'en ai pas pour le moment !

Il se mit à rire. On ne pouvait pas dire qu'il manquait d'auto-dérision pour le coup. En fait c'était peu commun qu'il s'adonne à cet art. Malgré son bon côté, Zachary avait sa fierté et il n'aimait pas qu'on se moque de lui. Alors autant ne pas trop insister non plus sur ce domaine. Sa cigarette finie, Zachary entra à l'intérieur et se rendit auprès de la maitresse de cérémonie, à laquelle il remit son chèque. Un échange poli et agréable plus tard, il rejoignit Nathan et lui demanda :

- Vous être partant pour ce pub, alors ?

- Dur ? Je ne vous dis pas à quel point ! C'est rare les fois où je peux sortir librement sans être reconnu, abordé, voire même pris en photo. Beaucoup de gens ont du mal à séparer l'homme public, de l'homme privé. Alors oui, partout où je vais, je dois faire attention à ce que je fais et à ce que je dis... j'y arrive les cinq premières minutes, mais vous savez, je ne suis pas vraiment quelqu'un de discipliné, chassez le naturel il revient au galop. J'ai tendance à être spontané. Mon directeur de communication s'arrache les cheveux à cause de ça. Il va finir chauve... et par me faire un procès !

Zachary laissa échapper un rire. C'était vrai qu'il n'arrivait pas à camper un personnage. Il était lui. Il n'aimait pas paraitre pour un autre. Et c'était ça qui jouait en sa défaveur dans ce milieu où l'authencité ne pouvait se faire une place. Tout restait question d'apparence et de faux-semblants. Ceux qui s'affichaient trop naïvement finissaient broyés, encore plus dans une famille réputée pour être de toutes les magouilles et de tous les complots. La patriarche Ackerley possédait une réputation sulfureuse, qui mélangeait suspicion de corruption active, exil fiscal, trucages, pots de vins... et intimidations. Loin d'être un tendre. Qu'il ait eu un fils comme Zachary, complet antagoniste, démontrait que le sort adorait l'ironie. Et que du mal pouvait éclore quelque chose de bien, même si imparfait. Après tout, le jeune homme gardait des attitudes très discutables, comme sa croyance en l'argent. Tout pouvait se régler avec un beau chèque. Il était né avec des lingots, donc pouvait-on vraiment lui reprocher de garder une attitude de riche parvenu ? En tout cas, ce soir, il affichait ses bons côtés. Et sans se forcer. Il possédait une qualité : sa sociabilité. Il aimait parler, débattre, échanger des idées, des banalités. Rencontrer de nouveaux visages. Une fois son geste généreux accompli, il proposa d'aller dans un endroit plus agréable pour le genre de conversation qu'ils entretenaient. Et il fut satisfait d'apprendre que Nathan était d'accord. Bon à une condition. Qu'ils se tutoient.

- Bien sûr ! Vous pouvez... pardon... tu... ça fait bizarre mais ça peut le faire. Tu peux me tutoyer.

Il lui fit un clin d'oeil. Ils rassemblèrent leurs affaires et s'éclipsèrent. Une fois au bas de l'immeuble, ils marchèrent sur le trottoir. Zachary se ralluma une clope. Il fumait comme un pompier, une sale habitude qui commençait déjà à avoir des conséquences sur sa santé. Le stress, le fait que ça soit devenu un rituel, qu'il ait commencé très jeune, tout cela faisait qu'il était vraiment victime d'une forte addiction et pas vraiment dans le bon état d'esprit pour s'en sortir. Avec une moyenne de 2 paquets par jour, depuis le début de la campagne pour les législatives, il tournait à plein régime et dépensait pas mal de ses thunes dans l'achat de cigarettes... sans filtre. D'ailleurs, le bout de ses doigts était légèrement jauni par la nicotine. Il s'arrêta brusquement, alors que ses yeux venaient de se poser sur une beauté.

- Sacré nom de Dieu ! Regarde un peu cette voiture !!! Elle est magnifique !! C'est une Aston Martin DB5 ! Ils ont arrêté d'en produire depuis 1965. C'est la voiture de James Bond ! Tu sais qu'il n'en a existé que 1000 exemplaires ? La production n'a duré que deux ans ! Et sous ce capot : 282 chevaux ! Oui, Monsieur ! Un vrai bijou ! Elle est super bien entretenue !

Tout en parlant, il s'était rapproché pour la regarder sous toutes les coutures, comme un enfant l'aurait fait, mais sans la toucher une seule fois. Il sortit son téléphone et la prit en photo. Ils continuèrent leur route, alors qu'Ackerley expliquait :

- J'adore les belles voitures ! Celle là, elle doit facilement couter 1 millions de dollars passés... Elle est super bien entrenu et les sièges à l'intérieur avaient l'air d'être toujours en vrai cuir ! Les jantes aussi son d'origine ! Je ne sais pas qui en est propriétaire, mais il a tellement de chance ! T'aimes bien les voitures ? Je pourrais t'en parler pendant des heures, alors si tu n'es pas fan, faut me le dire !

Ils arrivèrent dans le pub dont parlait Zachary. A peine fut-il entré que des regards se posèrent sur lui. Il ne fallait pas avoir fait de grandes études pour comprendre qu'on le reconnaissait. Il ignora les regards, se plaça à une table et s'installa tranquillement. Tout autour, l'ambiance se révélait assez festive, détendue. Un vieux jukebox repassait des tubes de rock, diffusés dans les 70's. Quand le barman vint prendre leur commande, Zachary commanda une bière. Il desserra sa cravate pour se mettre plus à l'aise.

- Alors qu'est-ce que tu en penses ? C'est plutôt bien ici, ils ont toujours une bonne ambiance et des gens charmants...

Sans qu'il ne s'en rende compte, son regard se posa sur un homme brun, qui devait avoir son âge et qui était accoudé au bar. Il discutait avec un groupe de personnes. Se sentant observé, il croisa les yeux de Zachary qui sursauta légèrement et détourna le regard, en passant sa main sur sa nuque.

- Bon, le seul truc, c'est qu'il faut toujours un peu chaud ici...

En réalité, s'il avait chaud, ça n'était pas à cause du chauffage...

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Nathan ne s'en doutait probablement pas, mais Zachary provoquait bien du tracas à Cheyenne qui devait redoubler d'adresse pour rattraper ses erreurs de communication et piloter sa stratégie. A force, Holway finirait par ne plus avoir de cheveux sur le caillou ! Lentement mais surement, il pouvait parvenir à ce résultat, à supposer que leur coopération dure, ce qui n'était pas sûr. Après tout, il faisait de la politique. Du jour au lendemain, tout pouvait s'arrêter et les amitiés d'hier ne plus exister. Zachary ne pouvait pas garantir que Cheyenne reste dans son cercle, même s'il l'aurait souhaité. Alors que le jeune homme s'était allumé une nouvelle cigarette, Nathan fit un commentaire. Sur le moment, Ackerley répondit par un rire. Des conseils sur sa santé, il en recevait tous les jours. Il ne les écoutait jamais, même pas quand il se mettait à cracher du sang dans une terrible quinte de toux. Il fumait comme un pompier depuis qu'il avait fait l'armée, sur directive de papa, évidemment. Parce qu'un homme n'en était pas vraiment un s'il ne s’accommodait pas du tabac. Il voulait répondre à Nathan sur le ton de l'humour, botter en touche comme il aimait si bien le faire, mais celui-ci lui fit un aveu qui effaça définitivement son sourire. Son père était mort d'un cancer du poumon... il ne s'attendait pas à un tel aveu, très clairement. Il baissa les yeux pour regarder ses chaussures, penaud. Que répondre à ça ? Il n'y était pas insensible, mais la clope, il ne pouvait pas trop s'en passer. Elle était sa meilleure compagne, quand il se sentait stressé et qu'il avait besoin de décompresser. Certains choisissaient l'alcool ou le sexe, lui n'aimait pas vraiment l'addiction au premier et pour ce qui était du second, il ne pouvait pas dire que ça représentait une grosse activité. Il agissait avec prudence, pour que les hommes qui découvraient son homosexualité ne soient jamais tenté de la dévoiler publiquement. Et hélas, il n'y avait pas beaucoup de gens dignes de confiance.

- Je suis désolé... pour ton père... mais, tu sais... je sais ce que je risque... je sais comment ça peut finir... C'est idiot, mais ça m'aide à me sentir bien et je préfère la sensation que ça me procure plutôt que réfléchir à ce que peut faire plus tard. De toute façon, je suppose que vu tout ce que j'ai fumé, c'est probablement trop tard. Alors un peu plus ou un peu moins... après tout...

Il ne voulait pas vexer Nathan, parce qu'il le trouvait très gentil, et très agréable. Il aimait leur conversation, leur échange. Et puis, au fond, il ne restait pas insensible à sa mise en garde. Plus d'une fois, il avait envisagé de s'arrêter de fumer. Mais le naturel, chassé, revient toujours au galop. Zachary n'était pas dans le bon état d'esprit pour se libérer de ce poison. L'influence de son père, la pression que le patriarche exerçait sur lui, tout cela le poussait à préférer la facilité et le tabac, plutôt que le combat et le sevrage. Alors qu'ils étaient installés, Zachary tentait de ne pas reposer ses yeux sur le bel homme en arrière plan... une chose bien plus aisée à dire qu'à faire. Surtout que l'individu en question, avec ses cheveux noirs, sa barbe taillée, ses muscles saillants sous son t-shirt, avait tout ce qu'il fallait pour lui plaire. En ce moment, Ackerley recherchait de la virilité. Ce sublime spécimen correspondait totalement à ses critères. Mais Zachary ne s'attendait pas du tout à ce que son partenaire de soirée le remarque, ni même à ce qu'il lui indique qu'il n'avait aucun problème avec le fait qu'il s'éclipse pour profiter ! Ses joues s'embrasèrent alors qu'il rougit subitement. Quel imbécile... il fallait absolument qu'il se reprenne et qu'il fasse attention. Il répondit, non sans manifester un agacement qui ressemblait à un mécanisme de défense :

- Hein ? N'importe quoi ! Je suis fiancé ! A Gabriella ! Les mecs ne m'intéressent pas ! C'est juste que... je crois que je l'ai déjà croisé quelque part... c'est tout...

Dans un pur réflexe, il sortit une cigarette de son paquet et la garda entre les doigts, de façon très fébrile. Son corps parlait pour lui, il était tendu, et ça n'avait plus rien à voir avec le type détendu et jovial que Nathan avait vu jusqu'à maintenant. Le fait qu'il change brutalement de sujet témoignait de son malaise et de son envie de passer à autre chose :

- Alors comme ça tu n'y connais rien en voiture ? Je dois absolument te montrer le garage de l'un des cousins de Gabriella ! Il y a dedans de sublimes pièces de collection ! Des bolides qui en ont sous le capot ! Tu t'intéresses un peu à la mécanique ? Moi, oui. J'aime savoir ce qu'il y a dans les moteurs des grosses cylindrées ! Je trouve ça passionnant ! Bon je ne pourrais pas être mécano, tu vois, je ne suis pas très manuel... à part pour faire des maquettes, mais bon ça n'a rien à voir. Si tu veux, on peut aller ensemble au prochain salon de l'auto ! C'est "THE place to be" pour en apprendre davantage !

Le fait de parler de voitures l'avait amené, inconsciemment à ranger sa cigarette dans son paquet. Sans même qu'il ne s'en aperçoive, son corps parlait pour lui et il ne faisait aucun doute qu'un oeil avisé comme celui de Nathan, le remarquerait.