l'histoire de ma vie
the best lies about me are the ones i told
Une feuille de papier froissée et abimée par le temps, déchirée sur son coin inférieur droit, pend mollement au magnet, attachée au réfrigérateur. Quelques couleurs y tiennent encore, bien que le violet et le vert aient bavé, attirés par la gravité, déformant les traits originaux qui formaient quatre silhouettes bien distinctes sur le fond blanc. Un dessin d’enfant, joyeux, approximatif dans les traits faits aux crayons de couleur.
Elijah fixe le dessin, assis sur une des chaises de la table de la cuisine, penché au-dessus d’un bol dont les céréales se sont déjà noyées dans le lait. Le regard vide, d’un geste mécanique de la main il se contente de touiller son goûter, silencieux. La maison est vide, comme d’habitude. Rien ne paraît, mais il est terriblement en colère. Son sang bouillonne dans ses veines, sa main serre fermement la cuillère, ses mâchoires sont serrées au point de grincer.
Il finit par reculer et se lever, quittant la table. Il s’approche du réfrigérateur, ses pieds nus entrent au contact du carrelage, le faisant frissonner. Il tend la main, saisit le dessin d’enfant en ne prenant même pas la peine de rattraper le magnet qui se cogne dans un son métallique contre le sol, et le contemple quelques secondes avant d’y mêler sa deuxième main et de le déchirer d’un geste furieux. Une fois, deux fois, trois fois. Elijah laisse retomber au sol les bouts de papier parsemés de couleur, et laisse pendre ses bras le long de son corps, alors qu’il relève le menton et s’efforce de prendre une grande inspiration.
Il sent les larmes venir. Des larmes de colère. Elijah n’aime pas ça. Il a l’impression de se laisser aller, de se laisser submerger, de ne plus avoir le contrôle de rien du tout, et ça, ça l’énerve encore plus. Il respire ainsi, menton vers le ciel, trois ou quatre fois, afin de s’assurer qu’il ne craquera pas. Il n’a pas besoin que ses yeux rougissent pour si peu.
*«
Mon père, il va me rapporter un souvenir d'Angleterre, Maman a dit ! »
Un garçon blondinet écarquille de grands yeux bleus devant Elijah, alors que les deux gamins sont assis sur un des bancs de la cour d’école. «
L’Angleterre ! C’est trop stylé, ça ! Tu me montreras, hein ! » Elijah acquiesce d’un hochement de la tête, aussi excité que son ami de voir son père rentrer. Il attend son père avec impatience. Il ne se passe pas un jour depuis son brusque départ sans que le petit garçon ne songe à son paternel. Il casse les pieds de sa mère quotidiennement pour qu’elle lui envoie un message de sa part, attendant en trépignant sur place une réponse de Papa.
Et finalement, après la soupe, Papa n’a toujours pas répondu. Sa mère lui explique que c’est le décalage horaire, que pendant qu’ici il fait jour, là-bas c’est la nuit, et que Papa doit probablement dormir, car il travaille beaucoup et qu’il est fatigué. Alors Elijah, intrigué par le sujet, lui demande de lui en dire plus sur le décalage horaire, sur le fait que la terre tourne sur elle-même et autour du soleil en même temps, et oublie presque tout à fait son père, au bonheur de sa mère.
Mais Elijah, lorsque vient finalement pour lui l’heure de dormir et qu’il rejoint son lit, attrape le stylo qui traine sur sa table de nuit et marque un simple trait sur son carnet avant de le remettre dans sa cachette, entre le matelas et le sommier. Il ne les a pas encore comptés, tous ces traits, mais il sait qu’il y en a beaucoup. D’aussi loin qu’il se souvienne, Elijah a tous les soirs tracé un nouveau trait sur son carnet, représentant un jour de plus écoulé depuis le départ de son père. Il ne sait pas encore lire ni écrire, mais il sait utiliser un crayon, et c’est le plus important.
*«
Ton père, t’en parles beaucoup, mais on l’a jamais vu, après. Même la mère d’Harry je la vois plus souvent !—
Parle mal de ma mère encore une fois et je te mets une droite Tommy.—
Non mais c’est vrai Eli’, a chaque fois qu’on parle d’un truc tu nous dis que ton père l’a fait, mais t’as jamais rien pour le prouver ! S’il est aussi badass que ce que tu nous racontes, il doit être un minimum connu.—
T’es juste un gros mytho, je pense. »
Elijah lance un regard noir à Harry. Il accepte beaucoup de choses, mais qu’on ose mal parler de son père, et même pire, qu’on ose lui dire qu’il ment, ça le met hors de lui. Lui, le garçon d’habitude si sage, le voilà qui fronce méchamment les sourcils et finit par lever la main sur Tom.
Elijah rentre à la maison, un cocard sur l’œil droit et la lèvre du bas en sang. Sa mère le voit mais ne se contente que d’afficher un air étonné. Elle ne crie pas, ne le gronde même pas ; elle attend simplement des explications. Pendant qu’elle presse une compresse contre sa lèvre, il lui raconte ce qui s’est passé dans les grandes lignes. Sa mère passe une main dans ses cheveux, lui sourit et l’embrasse sur le front avec amour.
Elijah est certes fatigué, mais toujours en colère. Il en veut au monde entier, et plus particulièrement à ses parents. Il en veut à son père de ne pas être là, de ne pas lui parler, de ne même pas lui envoyer un seul message pour son anniversaire ou même de simplement appeler pour savoir s’il a réussi son année scolaire. Son regard croise celui de sa mère, et il trouve alors le courage de lui dire «
Je me souviens même plus de ce à quoi il ressemble, Maman. » Elijah lâche un reniflement sourd qui résonne contre les murs carrelés de la salle de bain, et parvient à se retenir de pleurer devant sa mère. «
Tu es tout aussi beau que lui, Elijah. » Sa mère évite la question, comme d’habitude. Elle trouve toujours un moyen de détourner son attention.
Du moins, elle trouvait. Mais Elijah n’est plus un enfant. Il en a marre. Marre de parler d’un père qui n’est pas là et qui n’a pas eu l’occasion de revenir à la maison depuis déjà quinze ans. Alors il se lâche, se défoule contre sa mère. Les mots fusent et ils heurtent, blessent, font pleurer. C’est la première fois qu’ils se disputent au sujet de Papa. La première d’une longue série.
*Les mois passent, l’ambiance devient lourde à la maison. Elijah traîne, ne rentre pas le soir. Il a essayé de localiser son père, sans succès. Il essaye de le trouver en appelant le Ministère de La Défense néo-zélandais, passe des heures à tenter d'obtenir des informations, sans aucune récompense. Sur les nerfs, après une énième tentative, il balance de rage son téléphone contre le mur, se prend la tête dans les mains. Il n’a même pas son nom de famille, c’est dire. Il n’a pas réussi à le faire cracher à sa mère, qui l’aide le moins possible, voire même pas du tout.
Alors il se pose des questions. Se demande pourquoi est-ce que personne dans son entourage ne peut lui parler de son père.
*«
Il va juste finir comme son père, celui-là ! »
Elijah tend l’oreille. La voix de sa grand-mère maternelle — de toute façon, il ne connaît pas ses grands-parents paternels — gronde dans le salon. Soudainement intéressé, il décide de sortir de la chambre dans laquelle il s’était enfermé après s’être disputé plus tôt dans l’après-midi avec sa mère.
Sa grand-mère ne l’a jamais vraiment apprécié, alors Elijah a l’habitude de se prendre des remarques de sa part. Il sait qu’on parle de lui. De qui pourrait-on bien parler d’autre ?
Il se trouve que plus le temps passe et plus Elijah se laisse aller : il lui arrive désormais fréquemment de l’insulter, sans même avoir de remords. Il ne supporte plus la femme qui l’as mis au monde. Tout sur le dos d’une banale crise d’adolescence. Alors les mots qui blessent fusent sans retenue. Sa mère ne répond que trop peu. Elle a toujours été respectueuse. Une grande femme, droite, savante. Bien éduquée par sa propre mère. Elle reste trop souvent muette face à son fils, ne trouvant pas le courage de le raisonner.
La grand-mère, en ayant fait le ménage, a trouvé dans la chambre du grand garçon un petit sachet en plastique contenant quelques grammes de
weed. Elijah n’est pas un grand fumeur, il en gardait un sachet pour la soirée qu’il devait passer avec ses amis. Mais Mary, sa grand-mère, est directement monté sur ses grands chevaux. Son petit-fils se
drogue. C’est un junkie avéré et il est déjà trop tard pour le sauver, pour faire quoi que ce soit.
Cette dernière et sa propre fille sont en grande discussion dans le salon depuis. Elijah s’approche, ne résiste pas à l’envie d’écouter la discussion qu’elles ont à propos de
son père. C’est une des rares fois qu’on l’évoque sans qu’Elijah n’ait à le demander auparavant.
Sa grand-mère est assise dans son fauteuil, la mâchoire crispée, les sourcils froncés. Dès qu’il entre dans la pièce, elle fait un soudain effort pour se lever, avant de foncer vers lui. Voûtée, la grand-mère n’atteint même pas l’épaule de son petit-fils la main tendue. Elle voudrait lui administrer une claque ou lui tirer les oreilles comme elle le faisait quand il était encore enfant, mais n’y parvient pas. Devant son échec, Elijah s’empresse de renchérir : il ne veut pas laisser passer l’occasion.
“
Qu’est-ce qu’il a fait, mon père ?”
Elijah n’est pas idiot. Il a bien compris qu’il y a un truc qui cloche avec son père. Quelque chose qui ne passe pas entre son père et sa grand-mère. Ça a toujours été le cas. Sa grand-mère doit sûrement voir à travers Elijah son père, et elle ne l’aime définitivement pas, sans qu’il puisse y trouver d’explications. Elle ne lui a jamais dit. Et Elijah sent qu’à ce moment précis, il y a quelque chose à jouer.
Sa grand-mère le fixe méchamment, toujours silencieuse. Elle échange un rapide regard avec la mère, avant de venir poser son doigt sur le torse du jeune homme, et d’entamer : “
Ton père est un junkie, un criminel, un taulard ! Un raté, tu m’entends !” Elijah ne comprend pas. Il regarde sa mère, l’âme perdue dans l’incompréhension. Sa grand-mère déraille, il en est persuadé. Mais sa mère reste impassible, muette. Elle ne dit rien, n’ose pas contredire sa propre mère.
Alors Elijah doute. Elijah doute comme il n’a jamais douté avant. Elijah doute de son père, de son identité. Toutes les remarques qu’il a pu entendre à son sujet remontent petit à petit. Il sent son monde s’écrouler autour de lui, mais ne peut se résoudre à y croire. Il ne
veut pas y croire. Son père est un homme remarquable. Un grand homme. Elijah veut lui ressembler, a toujours voulu lui ressembler. Il veut toujours devenir un médecin-militaire, veut toujours parcourir le monde. C’est ça, son père. Absolument pas un criminel.
“
Tu délires, grandma.” Elijah surenchérit. C’est ça, sa grand-mère est devenue sénile. Il le sait bien, de toute façon, qu’elle n’a pas toujours été très
clean dans sa tête. “
Maman, dis-lui qu’elle délire, s’il te plaît.”
Elijah, du haut de ses dix-sept ans, passe pourtant pour un enfant à ce moment-là. Un enfant qui ne comprend pas ce qu’il passe. Elijah ne manque pas de maturité, mais il se retrouve déboussolé. Sa mère ne répond toujours pas. Elle attrape sa veste accrochée au dossier d’une chaise, appelle sa soeur d’une voix calme pour lui dire de monter dans la voiture, avant de se retourner vers sa propre mère, ses yeux laissant enfin paraître une colère noire. “
On y va.”
Mais Elijah n’est pas de cet avis. Il sent qu’il se passe quelque chose d’important, là, tout de suite. “
C’est quoi le problème avec mon père, grandma ?” Il demande, sans prêter attention à sa mère, la voix pleine de sous-entendus. Sa grand-mère ouvre la bouche, prête à parler, lorsque sa mère, qu’Elijah pensait déjà partie, l’interrompt. “
Il n’y a pas de problème avec ton père. J’ai dit qu’on y allait.—
Tais-toi Maman.”
Elijah vient de hausser le ton soudainement. Le voilà qui se remet à mal parler à sa mère. Il n’a pas tourné la tête, reste les yeux plongés dans ceux de la grand-mère. Il veut savoir.
— ”
Ton père n’a jamais été médecin ou je ne sais quoi, ta mère a toujours raconté n’importe quoi à son sujet, malgré mes avertissements. Depuis que t’es gosse elle te ment, elle ne sait faire que ça. Ton père, il a disparu de vos vies depuis bien longtemps. Il se souvient sûrement même plus de ton existence, il vous a abandonnés toi et ta soeur sans en avoir rien à faire. Ta mère, je l’ai toujours avertie : il a toujours été louche. Il dépensait ses paies dans sa came, a jamais aidé ta mère à vous élever. Je sais pas quelle idée l’a prise à vous cacher la vérité comme ça. Elle a jamais assumé qu’elle s’était plantée et que moi, j’avais eu raison. J’ai toujours raison.”
Elijah reste bouche bée. Il secoue la tête doucement de gauche à droite. “
Tu mens.”
*“
C’est vrai, ce qu’elle a dit ?”
Elijah est assis sur le fauteuil passager de la voiture, sa mère au volant et sa soeur sur la banquette arrière. Ils sont silencieux depuis qu’ils sont partis en précipitation de la maison de la grand-mère, mais le garçon aux cheveux bruns a finalement brisé la glace. Sa mère prend un moment pour répondre : “
Oui, c’est vrai.”
Elijah ne répond rien. Que pourrait-il dire ? Il a le regard vague, perdu dans le rétroviseur de la voiture. Son silence est bien plus inquiétant que sa colère. Il est déçu, indéniablement. Mais il y a autre chose, quelque chose de plus intense. Il a l’impression d’avoir toujours vécu une vie qui n’était pas la sienne. Il ne se sent pas à sa place, plus à sa place. La voiture s’arrête finalement, arrivée à destination. Elijah sort, claque la portière sans aucun mot, monte dans sa chambre et s’y enferme. Il ne veut voir personne.
*Elijah baisse à nouveau la tête, regarde le dessin éparpillé en mille morceaux à ses pieds. Il ne nettoiera pas ça. Il aimerait fuguer, faire comme les gens de son âge qu’il voit dans les films. Mais à quoi bon ? Qu’est-ce que ça lui apporterait, au final ? Rien. Il souffle encore une fois. Les larmes sont redescendues. C’est dur, il prend sur lui.
Elijah s’est toujours mis dans la tête qu’il ferait comme son père. Il s’était efforcé d’envoyer son dossier dans des universités de médecine, et voilà que maintenant qu’il était sûr d’y aller, il perdait toute motivation. Médecin ? Et ? Que ferait-il après ? Militaire, comme il avait toujours prévu ? A quoi bon continuer de monter des projets qui ne représentaient plus rien à ses yeux ? Qui ne valaient plus rien ?
Elijah remonte dans sa chambre, sort le dossier de l’université de son tiroir. Pourquoi rester ici ? Pourquoi continuer sur une voie qui ne l’intéresse, au fond, pas plus que cela ? Mais c’est cela, le problème. Toutes ses passions n’étaient que mirages. Elijah n’a jamais
voulu de lui-même être médecin. Il ne sait pas ce qui l’intéresse, il ne sait pas ce qui lui fait plaisir. Il se sent tout simplement vide. Il a l'impression d’occuper un corps sans pourtant le rendre vivant. Une carcasse vide.
Elijah refuse les sorties avec ses potes, arrête de parler à la fille qu’il avait dans le viseur. Il ne parle plus à sa mère, à peine à sa soeur, ne mange plus avec eux. Il n’a pas encore trouvé le courage d’envoyer son dossier à une autre université. Et puis, la Nouvelle-Zélande, c’est pas non plus les
States. Il n’existe pas un nombre infini d’universités.
*Elijah est allongé sur son lit, le téléphone dans la main. Il s’est récemment inscrit sur un site de rencontre en vue d’assouvir un désir qui se fait de plus en plus oppressant. Il ne recherche rien de sérieux, c’est évident. Mais pourtant, lorsqu’il tombe sur son profil et qu’il s’apprête à la
nexter parce qu’elle habite non loin de Wellington, il se retient. Son profil le fait s’arrêter. Il lâche même un timide sourire en lisant les quelques lignes de sa description.
Et alors, ils commencent à parler. Elijah au début n’est pas vraiment attaché, il a plus l’impression de la considérer comme une amie. Ils s’entendent bien, et Elijah finit par se confier à elle au bout de quelques mois. Il ne s’en cache pas, n’en a pas honte. Ils habitent à 500 kilomètres l’un de l’autre et Elijah sait qu’il ne la verra jamais, alors autant faire d’elle une amie proche.
Mais voilà qu’avec le temps, Elijah finit réellement par s’attacher. Elle lui plaît. Physiquement, certes, mais surtout dans son caractère. Il l’apprécie, sincèrement. Il lui parle de son voeu de quitter Auckland, de laisser derrière tout ce qu’il a. Et voilà que germe doucement dans son esprit l’idée de venir faire ses études de médecine à Wellington. Et il finit par lui en parler, très sérieusement. Sans vraiment grande surprise, elle l’encourage. Mais ce à quoi il ne s’attendait pas, c’est qu’elle lui propose même de venir habiter avec elle.
Et c’est là qu’Elijah bloque. Il le sait, il y a quelque chose entre eux. Maintenant, c’est pratiquement officiel. Alors il accepte, et tout se passe très vite. L’Otago University de Wellington l’accueille les bras ouverts, et il prend dès le lendemain un train pour la capitale, sans même en parler à sa famille. Il est majeur, de toute façon. Que pourrait-elle lui dire ? Rien. Il est libre de ses mouvements.
*Elijah ne sait pas s’il est réellement amoureux, ou s’il veut simplement croire qu’il l’est. Il ne comprend pas ce qu’il ressent, ne comprend pas les sentiments qu’il a pour elle. Il a l’impression de
se forcer à être amoureux d’elle. Et il n’aime pas ça. Commence alors le questionnement. Est-ce qu’il l’aime vraiment ? Est-ce qu’il ressent réellement ce qu’il pense ressentir pour cette fille ? Le cercle vicieux s’installe rapidement, le déstabilisant rapidement. Revient au galop ce vide qu’avait causé chez lui le fait d’apprendre la vérité sur son père. Vivre une vie qui n’est pas la sienne, ressentir des émotions qui ne sont pas les siennes. L’impression d’être
faux.
Alors Elijah retombe. Il ne va pas en cours qu’une fois par semaine, ne fait aucun effort à côté. Reste des journées à la maison à fixer le plafond, allongé dans le canapé. Il aimerait se confier à Jade, lui dire que ses démons sont revenus, mais il n’y parvient pas. Elijah redevient petit à petit le fantôme que les mensonges avaient fait de lui. Et le temps passe, sans qu’il ne réagisse. Des jours, des semaines, des mois, et puis rapidement une année. Leur relation n’en est plus une. Elijah vient de rater son examen à l’université. Il est sur le fil rouge, et il le sait. Mais il ne réagit pas.
Et le voilà qui se fait définitivement jeter d’Otago. Elijah ne cherche même pas à combler le vide de ses journées en trouvant un travail. Il vit sur le revenu de Jade, devient un réel poids pour elle, une sangsue. Mais cette fille dont il ne sait pas s’il est encore amoureux – si même tout simplement il est capable d’aimer qui que ce soit – elle n’ose pas lui dire. Elle n’ose pas lui dire qu’il lui pourrit la vie.
Et ça dure, ça dure. Jusqu’à ce que leur ménage à deux se transforme en ménage à trois. Allix, la soeur de Jade, débarque alors. Elijah n’a aucun problème avec elle, mais ce n’est pas réciproque. Allix n’est pas aussi douce, pas aussi gentille que sa soeur, et elle, elle ose. Elle a bien compris qu’Elijah gâche la vie de ceux qui l’entourent. Les disputes commencent, de plus en plus sérieuses. Elijah a simplement l’impression de revivre ce qu’il a déjà vécu.
Mais il n’a plus la force. Plus la force de rien du tout. Alors quand Allix vient enfin, un jour, lui cracher ses quatre vérités à la figure en lui disant de dégager de l’appartement, Elijah n’arrive même pas à protester. Il se fait mettre à la porte par une gamine de seize ans.
*Elijah n’a pas de contact sur Wellington. Pas d’amis, pas de famille. Et il est hors de question pour lui de retourner à Auckland. Un pauvre type, voilà tout ce à quoi il est réduit. Un
raté, comme aurait pu dire sa grand-mère. Il le sait, au fond, qu’il est est un. Qu’il est
just like his father, sans même avoir de souvenirs de lui. Et il se déteste pour cela.
Mais Elijah a besoin de se nourrir, de se loger. Il a totalement abandonné les études pour enchaîner petits jobs sur petits jobs. Une épave, voilà ce qu’est devenu le médecin prometteur qu’était Elijah.