crash & burn → maya

C’est stupide, sa voiture traîne dans le garage depuis une éternité maintenant et Cleo n’a toujours pas eu le temps d’essayer de récupérer son permis. Et sans permis, à moins que ça ne soit tard le soir pour une course, elle n’ose pas s’en servir. On ne sait jamais, des fois qu’elle se fasse encore arrêter, ces cons de flics immobiliserait le véhicule, il faudrait encore faire la route jusqu’à la fourrière et étaler un peu de son fric devant un garde qui n’accepterait que comme ça de le lui rendre. Alors oui, c’est donc par flemme et manque de temps que la rouquine continue à se déplacer en vélo. Et puis l’avantage, c’est que ça lui fait de super jolies jambes, ce qui est à n’en pas douter son meilleur atout depuis toujours. Sans compter qu’il vaut mieux en profiter tant que c’est la bonne saison pour ça. Inutile de vouloir comparer le climat néo-zélandais avec son Ecosse natale, certes, mais il n’avait rien à voir non plus avec celui d’Australie qu’elle a connu ensuite. Ici, en juillet il fait moche alors qu’à Canberra, on frôlait les trente degrés en plein hiver. Bon sang ce qu’elle peut détester l’Australie rien qu’à cause de son climat.

Tout ça pour dire que ce jour-là comme n’importe quel autre jour depuis quasiment deux ans, Cleo a laissé sa voiture au garage et est montée sur sa jolie petite bicyclette, son matériel sur le porte-bagage, ses écouteurs dans les oreilles pour aller bosser. Tandis qu’elle sillonne les pistes cyclables d’Island Bay, l’écossaise est en pleine représentation dans sa tête. Elle se voit sur une scène et c’est elle la star. C’est pour cette raison qu’elle chante une chanson de Muse à tue-tête en fermant les yeux. Bon okay, ce n’est vraiment pas très malin de fermer les yeux alors qu’on fait du vélo mais mince, les autres n’ont qu’à s’écarter, elle est visible après tout. Et audible, surtout. C’est donc ainsi qu’on se casse la figure. Suite à une collision frontale. Avec quelqu’un et pas simplement un poteau. Une chance que Muse l’ait mise de bonne humeur, sans quoi la rouquine aurait tout de suite agressé son… agresseur en lui demandant ce qu’il avait dans la tête pour être aussi con.

« Oups, désolée. Rien de cassé ? »

Qu’elle demande à la blonde qui n’est autre que son agresseur. Ce n’est qu’après avoir posé cette question qu’elle se rend compte qu’elle a pas mal morflé et qu’elle pisse le sang. Bordel non, manquerait plus qu’on veuille l’emmener à l’hôpital.

Cleo s’attend à ce que la personne en face d’elle se mette à piquer une crise, à lui hurler dessus, à la menacer et ainsi de suite parce que c’est très clairement ce qu’elle aurait fait avec le mauvais caractère qu’on lui connaît mais ce ne fut pas le cas. Au contraire, la demoiselle a l’air de se soucier de son état. Et pas juste parce qu’elle a peur que son assurance ne la prenne pas en charge sinon. Non, cette personne a réellement l’air de se soucier de son état et ça lui fait toujours un peu bizarre. On peut quand même carrément aller jusqu’à dire que ça lui coupe la chique. Raison pour laquelle elle reste coite jusqu’à ce que la fille lui propose non pas d’aller à l’hôpital mais d’entrer dans son salon. Son salon ? La rouquine prend alors cinq secondes pour observer les alentours et se rend compte qu’elle s’est magistralement cassé la gueule devant un salon de tatouage. Certains pourraient prendre ça comme un signe du destin mais pas Cleo, son corps resterait un temple. Cependant, ça ressemble pas mal aux endroits dont ses collègues sont coutumiers où il lui arrive même parfois de les suivre donc pourquoi pas ? De toute manière si elle refuse, peut-être que la blonde insistera alors pour appeler une ambulance ou un truc comme ça alors mieux vaut se montrer un peu docile dans son propre intérêt.

« Ce sont que des égratignures vraiment mais okay. »

Puis la jeune femme se présente – elle s’appelle Maya – et l’écossaise se sent un peu obligée de faire de même.

« Cleo. »

La politesse voudrait qu’elle ajoute qu’elle est ravie de faire sa connaissance mais au vu des circonstances, elle s’en serait tout de même bien passée alors elle n’en fait rien. En revanche, c’est sans broncher qu’elle la suit à l’intérieur. Son regard s’attarde ici et là ; ça ressemble un peu aux salons de tatouages dans GTA ou encore ceux où il lui a déjà été donné d’entrer mais en plus propre. Peut-être même un peu plus lumineux aussi. Bref, c’est sympa comme endroit. Puis, c’est à ce moment-là qu’elle voit la page ouverte sur l’écran de l’ordinateur de Maya ; un site qu’elle connaît bien puisqu’elle s’y connecte au moins une fois par jour : une communauté Reddit. Sur Apex Legends.

« Oh tu joues aussi ? Peut-être qu’on s’est déjà croisées là-dessus. »

Sans vouloir se vanter, Cleo est une excellente gameuse, ce qui lui vaut une toute petite renommée dans le monde du jeu vidéo ; il faut dire que peu importe le jeu, elle est très souvent dans le top des gens qui font le plus de headshots.

Tout naturellement et comme avec une bonne majorité des gens, Cleo est rapidement passée au tutoiement. De base, la rouquine n’aime pas vouvoyer les autres car elle trouve que ça met une barrière entre les gens. Et qu’elle veut garder l’opportunité de leur dire ce qu’elle pense d’eux à tout moment. Enfin bref, elle reviendrait là-dessus plus tard. Pour l’instant, Maya lui annonce être enchantée de la rencontrer – et elle aussi pour le coup, car ce n’est pas du tout la réaction à laquelle elle se serait attendue en fonçant dans quelqu’un – et la laisse prendre place dans la salle d’attente – et non pas sur le fauteuil qu’elle utilise pour tatouer les autres, encore qu’elle en comprend la raison : il faut que ça reste très propre alors elle ne va pas prendre le risque de foutre du sang partout, qui lui rappelle malheureusement ceux qu’utilisent les dentistes -, pendant qu’elle va chercher sa trousse de secours. Ce qui lui laisse l’occasion de regarder un peu autour d’elle. Et notamment de tomber sur la page du forum d’un jeu sur lequel l’écossaise passe une grand partie de son temps-libre. Alors une fois qu’elle est de retour avec sa trousse de secours, Cleo lui pose la question. Parce que c’est assez rare qu’elle tombe sur d’autres gamers mine de rien, comme si les gens avaient tous une vie incroyable, digne des photos retouchées qu’ils postent sur Instagram.

Bee, ça lui dit quelque chose. Et pas seulement à cause du dessin animé. Ce qu’elle trouve très mignon, soit dit en passant. Il se peut donc qu’elles se soient déjà croisées là-dessus. Et même en jeu, d’ailleurs.

« Maya l’abeille, hein ? C’est mignon, tu dois en surprendre plus d’un sur le jeu, j’imagine. Au fait, ça t’ennuie pas si on se tutoie ? »

Puis Maya lui annonce qu’elle va soigner ses plaies et Cleo se prépare mentalement en serrant les dents. Avant de secouer la tête, cette question, on la lui a déjà posée il n’y a pas longtemps, un soir où elle a foncé dans une vitrine cette fois, à cause d’un chauffard. Non, les routes ne sont plus sûres, ma bonne dame. Pas d’allergies connues. Ou en tout cas à aucun désinfectant. Un petit sourire étire ses lèvres en entendant qu’elle ne va pas avoir d’autre choix que de rester en contact avec la jeune femme puisqu’elle lui en rentrée dedans. Pourquoi pas, après tout ?

« Mon pseudo c’est highlander0105, j’suis plutôt active sur la communauté, peut-être que ça te dit quelque chose. Et ça serait un plaisir de jouer avec toi un de ces quatre. »

Evidemment que Cleo connaît ses classiques, elle n’est pas inculte. Mais ça la fait sourire d’entendre cette Maya lui dire qu’elle n’est pas allée chercher son pseudo bien loin. Elle n’irait pas lui jeter la pierre parce que bon, une écossaise qui se fait appeler Highlander, que d’originalité, faut dire… Mais bon, elle est fière de ses origines, c’est ainsi. Puis sauveuse lui demande ensuite où elle allait comme ça avec son vélo et ça lui rappelle qu’elle a bêtement laissé tout son matériel dehors ; elle espère bien l’y retrouver quand elle sortira de là parce que bon, même si elle a à présent les moyens de remplacer ce qu’on pourrait éventuellement lui voler, ça la ferait tout de même bien chier. Elle se rassure en se disant que peu de gens pourraient avoir l’usage d’une perche quand même.

« J’allais seulement au boulot. Et puis comme je suis sur le trajet pour m’y rendre, je suis assurée, c’est plutôt cool. »

Ce qui signifie qu’en sortant de là, elle peut rebrousser chemin et rentrer chez elle. Ça serait plus intéressant de passer le reste de la journée en ligne, devant Netflix ou sur la console au lieu d’aller bosser puisqu’elle a une bonne excuse pour ne pas y aller.
Mais c’est à cet instant que la blonde lui fait comprendre par une petite exclamation qu’elles ont déjà joué ensemble. Ah bon ? Il lui faut quelques éclaircissements pour s’en rappeler mais ça lui revient assez vite.

« Ah mais oui, on était avec ce campeur aussi. On a sauvé la partie, à nous deux. »

Il est vrai qu’elle n’a pas tout de suite fait le rapprochement entre Maya et son pseudo parce qu’elle se débrouille bien. Alors que ce sale campeur, elle se souvient très bien de son pseudo : XthebossX. Un pseudo qu’elle qualifierait de complètement débile et dépassé, à l’image du joueur en somme.

« Pas du tout, c’est assez rare de croiser d’autres gamers dans les parages, j’étais d’ailleurs pratiquement sûre qu’il n’y en avait pas un seul à Island Bay. Du moins aucun âgé de plus de douze ans. J’habite à East Bay et toi ? »

Bien sûr que non, Cleo ne va pas s’accrocher à Maya telle une sangsue uniquement parce qu’elle a enfin trouvé une autre gameuse dans cette ville mais si elles peuvent jouer de nouveau ensemble, ça ne serait pas de refus. Voire même se créer une team, c’est ça la définition de l’amitié de la rouquine. Le verdict de Maya tombe ensuite. Oui bien sûr, aller voir son médecin. C’est qu’elle n’en a même pas mais ce n’est pas un problème, elle recouvrira la plaie de bétadine jusqu’à ce qu’elle ait meilleure allure et ça ira bien comme ça.

« Merci beaucoup ! J’veux bien un thé, oui, c’est gentil. »

Pour une fois qu’elle est bien tombée – c’est le cas de le dire.

Ce qu’elle fait comme boulot dans la vie, voilà un sujet quelque peu délicat. Enfin, elle pourrait être honnête et clamer qu’elle travaille dans le porno si seulement elle ne détestait pas ce milieu. Un jour ou l’autre, son contrat prendrait fin et elle pourrait enfin se dire qu’elle ne ment plus du tout en disant qu’elle était preneuse de son. D’ailleurs, ce n’est pas un mensonge, c’est ce qu’elle est seulement elle évite autant que possible de donner le genre de films sur lequel elle bosse depuis l’âge de quinze ans. Bref.

« Je suis perchiste. »

Voilà qui est dit. Quant au métier de la petite abeille, Cleo se doute évidemment qu’il s’agit de tatoueuse. D’ailleurs, elle se demande une seconde si le salon lui appartient ou bien si elle ne fait qu’y travailler. C’est que Maya a l’air jeune. Et qu’importe ce que peut bien en dire sa série préférée, les gens de leur âge qui peuvent s’installer à leur compte ne sont clairement pas légion. Ça serait idiot de croire qu’une fois arrivé à la trentaine tout roule, loin s’en faut. Cela dit, elle n’irait pas jusqu’à poser la question, ça ne le regarde probablement pas. Tout ça pour dire qu’elle aussi est contente d’être assurée, ce qu’elle fait savoir d’un bref hochement de tête.
Puis vient alors la question de son vélo. Surtout du matériel qui se trouve dessus. Maya lui propose alors d’aller le chercher pour elle et de le laisser dans la salle d’attente. C’est très gentil de sa part mais elle n’est pas infirme. La rouquine saute donc au bas de la table en grimaçant quelque peu.

« T’en fais pas, j’vais y aller. »

Elle sort donc en boitillant un peu, attache son vélo devant l’entrée mais ramène le matos qu’elle a la chance de trouver par terre. Personne ne s’en est soucié et c’est tant mieux. Elle peut donc maintenant reprendre sa place pour continuer à bavarder un peu. Chose qu’elle ne fait pour ainsi dire jamais. Et qu’elle ne ferait probablement pas si elle n’avait pas trouvé quelqu’un qui joue au même jeu qu’elle. Elle se rassied et hoche une fois de plus la tête.

« C’est vrai que la communauté sur ce jeu est essentiellement composée de gamins frustrés qui viennent là pour se défouler. Et puis il y a les gens comme nous. »

Car elle aussi ça la détend. Et puis c’est beaucoup plus agréable de parler aux gens via un casque, en pyjama, vautrée dans son canapé qu’en live. C’est donc ainsi qu’elle apprend que Maya vit dans le centre pour sa part. Plutôt cool, ça a ses côtés pratiques, elle ne peut le nier. C’était pareil pour elle quand elle vivait à Canberra.

Cleo choisit un thé à la menthe en le remerciant et la laisse s’occuper de l’eau. Quand elle revient, la blonde lui apprend que son thé est bio et qu’il vient d’une boutique tout à côté.

« C’est bon à savoir, je crois pas que je connais. Merci pour l’info. Ça arrive que je passe dans le coin, ça dépend d’où on m’envoie bosser. »

Puis elle lui pose une question des plus normales pour une tatoueuse. L’écossaise trempe ses lèvres dans son thé après avoir soufflé dessus avant de répondre :

« Hum non, tu vas trouver ça idiot mais j’aime pas trop les aiguilles. Bien que j’imagine que tu entends ça souvent, non ? »

Car très nombreux sont les gens qui n’aiment pas ça.

Ça ne l’étonne guère que Maya ne connaisse pas son métier, il fait partie de ceux de l’ombre. Pourtant, sans elle et ses collègues au même poste, le son des films ou des documentaires serait vraiment à chier. Et il s’agit d’un métier qui demande une certaine condition physique, qui plus est ; bon okay pas tellement dans le porno étant donné qu’elle reste assez statique mais les perchistes sont toujours des gens qui courent après les acteurs, tenant leur perche à bout de bras dans la plupart des autres films. Mais pour la plupart des gens, il n’y a que le réalisateur qui existe en dehors des acteurs qu’ils voient à l’écran, voilà pourquoi ils se sentent obligés d’être imbuvable avec tout le monde dans une vaste majorité des cas.

« Puis ça reste un métier assez méconnu. Ainsi qu’un peu ingrat. C’est comment d’être tatoueuse ? »

Parce qu’elle imagine qu’ils sont reconnus comme de vrais artistes, n’est-ce pas ? Ici, on est très loin de ces mecs en prison qui se font tatouer des dessins dignes d’un gosse de cinq ans pour avoir l’air de gros durs qui cassent des dents. Non, ici on parle de vraies œuvres d’art, de celles que les gens exhibent fièrement et pas uniquement dans le but de prouver une quelconque appartenance à tel ou tel clan.

Bref, voilà qu’elles se mettent à parler jeux vidéo puisqu’il s’agit d’une passion qu’elles ont en commun et qui fait qu’elles se connaissent déjà un peu. Maya a raison, parfois, la communauté toxique d’un jeu vidéo ruine le plaisir d’y jouer et c’est à déplorer. La rouquine finit par hausser les épaules.

« T’as pas tort c’est clair mais d’un autre côté, on peut pas empêcher les gamins de jouer. Ce qu’il faut c’est juste pouvoir les remettre à leur place et espérer qu’ils en tireront une leçon. »

Ou plus probablement pas, c’est qu’on parle là de vraies petites teignes. Puis Cleo en vient à confier à Maya sa peur des aiguilles ; raison pour laquelle elle ne s’est jamais rien fait tatouer, pas même sous influence. Et ça n’a effectivement pas l’air de la surprendre plus que ça, elle lui répond même qu’elle ne trouve pas ça idiot. C’est vrai qu’on ne contrôle pas ses peurs sinon plus personne n’en aurait et ça serait à la fois pratique et dangereux. Un peu comme ces gens qui ne ressentent pas la douleur et font des trucs de oufs juste parce qu’ils n’ont pas peur. Sujet au combien fascinant mais elle se contente d’un petit sourire plein de gratitude. Puis la blonde s’enquiert un peu plus de son état, ce qui la touche d’autant plus.

« Non, c’est gentil de ta part mais tout va bien ! J’vais boiter un jour ou deux et ça s’arrêtera là. »

Vraiment pas de quoi se déplacer jusqu’à l’hôpital, heureusement pour elle. Puis son sourire s’élargit en entendant l’excuse de Maya qui pensait qu’elle parlait trop. Pour l’écossaise, tout le monde parle trop ainsi qu’à tort et à travers alors elle préfère de loin quelqu’un comme elle qui ne parle pas pour ne rien dire que quelqu’un qui blablate sans cesse ou va se sentir obligé de donner son avis sur tout.

« Pas de souci, au moins tu t’assures que j’me suis pas faite une commotion. J’suis écossaise, du genre gros cliché alors le thé et le whisky sont mes passions. Les deux ensemble c’est la perfection. Et toi ? T’en bois souvent aussi ? »

La réaction de Maya en ce qui concerne son métier la fait sourire. Quand on a un métier dans le domaine de l’artistique, on pourrait croire que le but, c’est de devenir célèbre. Dans le cas de Cleo, ça n’a jamais vraiment été le cas, elle est à peu près certaine que la célébrité ne lui irait pas du tout ; elle qui n’a déjà pas un caractère difficile, elle deviendrait probablement carrément imbuvable. Et bien sûr, si à une époque, son ambition avait été de travailler sur de plus grosses productions que les pornos sordides se tournant dans la périphérie de Canberra, mais pas de devenir réalisatrice ou encore moins de passer de l’autre côté de l’écran. La vérité, c’est qu’elle préfère rester dans l’ombre. Il en va de même pour son titre. C’est que peu de monde est au courant mais la rouquine est une vraie lady, elle possède un manoir, des terres dans les Highlands. Si elle se décidais un jour à rentrer au pays, alors elle n’aurait pas d’autre choix que d’assumer les responsabilités qui vont de pair avec ce titre. Or, elle ne s’en sent pas encore le courage. C’est à peine si elle a le courage de faire une apparition aux soirées que Wesley organise, c’est dire.

Mais là n’est pas la question puisque Maya, de son côté, a l’air d’adorer son métier. L’écossaise trouve ça beau, vivre de sa passion. Un rire s’échappe d’entre ses lèvres lorsque la blonde se met à parler des histoires que ses clients se font dessiner ad vitam aeternam sur le corps mais également des licornes et du signe de l’infini. Il doit bien y avoir d’autres dans ce goût-là ; si elle se fie aux nombreux tatouages de ses collègues, alors il y a également deux ou trois autres exemples qui lui viennent en tête.

« Tu refuses aussi les papillons au-dessus de la fesse, les dauphins et les symboles tribaux ? »

Parce qu’elle devrait. Tous les tatoueurs du monde devraient. Mais bien sûr, c’est quand elles se mettent à discuter jeux que Cleo se sent vraiment dans son élément. Evidemment, Maya n’a pas tort : les enfants, les tricheurs ainsi que ceux qui ne veulent tout simplement pas jouer fair-play gâchent les jeux vidéo. La rouquine hoche lentement la tête à chacun de ses mots.

« On devrait avoir nos propres serveurs et eux les leurs. Remarque, c’est possible de se faire des parties privées entre bons joueurs mais est-ce que ça serait fun et intéressant de ne faire que ça ? J’sais pas trop. »

Vaste question. Dans tous les cas, il est temps de parler de ses autres passions, à savoir le thé mais surtout le whisky, en bonne écossaise qui se respecte. Si Cleo posait cette question en pensant surtout au thé, la réponse la fait sourire. Serait-ce ça qu’on appelle la drague ? Non, la drague c’est ce qu’elle vivait autrefois chaque fois qu’elle se rendait un bar, des types chauves et bedonnant qui lui faisaient les yeux comme si ça l’intéressait, franchement… Heureusement, son alliance la sauve de ça, désormais. Quoi qu’il en soit, c’est tout de même plus agréable quand c’est plus subtil, même quand ça vient d’une jolie demoiselle.

« A l’occasion, je pourrais te faire goûter quelque chose de chez moi, si ça te dit. »

Pas quelque chose qu’elle ramènerait puisqu’il n’est pas encore question pour elle de rentrer en Ecosse mais maintenant qu’elle en a les moyens, elle aime bien faire importer l’une ou l’autre bouteille. Qu’elle finit par boire invariablement seule parce que Wes ne tient pas l’alcool et qu’elle ne tient pas souvent à inviter des gens. Triste vie.

« Surtout pas, faut pas te déranger pour moi, le thé c’est très bien. Puis avec les gâteaux, ça fera mamie, tu trouves pas ? Genre la limite à ne pas franchir. »

Ça aussi, ça la fait rire.

« Pas vraiment, non. C’est que je travaille sur des films un peu spéciaux et j’ai pas trop envie d’y être associée. Mais même si c’était différent, je pense que j’aime bien travailler dans l’ombre. »

C’est assez rare qu’elle évoque les « films spéciaux » sur lesquels elle travaille mais quelque chose lui dit que ça ne choquerait pas Maya de le savoir.

A l’évocation des gens qui se font recouvrir des tatouages, Cleo a tout de suite en tête l’image de jeunes – ou de moins jeunes, la connerie n’a pas d’âge – idiots se croyant amoureux au point de se marquer comme du bétail. Le cynisme de la rouquine n’est peut-être pas une qualité mais ça ne ferait pas de mal à certains d’en avoir un peu plus. Pour Cleo, l’amour n’a jamais été qu’une invention tout droit sortie d’un conte de fées. En ce qui concerne la vie réelle, les choses sont bien différentes : il n’y a que le désir qui est réel, pas l’amour qu’on a tendance à confondre. Au mieux, il peut y avoir un attachement au fil des ans mais encore faut-il que la relation dure des années. Ce qui est de moins en moins le cas. Quand je vous le dis : cynique. Dans tous les cas, on pourrait aller jusqu’à se poser la question : est-ce que ce n’est pas mieux de se faire tatouer « maman » sur le biceps ? Si on prend la peine de le faire, ça signifie que cette relation durera plus longtemps que celle dont on parle plus haut. Enfin, elle l’espère en tout cas.

« J’imagine, oui. D’ailleurs, je me suis souvent demandé s’il y avait des règles par rapport à tout ça ? Du genre pas en-dessous d’un certain âge ? »

Une façon d’éviter les erreurs de jeunesse. Ou encore quand les gens sont trop bourrés pour se rendre compte qu’ils sont en train de commettre une grosse connerie ? Même si dans le fond, l’écossaise trouve que ça ne devrait pas être la responsabilité des tatoueurs. Enfin bref, pour en revenir aux jeux vidéo, la rouquine suggère qu’ils devraient avoir des serveurs uniquement réservés aux bons joueurs et d’autres pour ceux qui veulent tricher ou encore faire chier le monde et puis ceux qui débutent, tiens mais Maya ne semble pas de cet avis et Cleo hausse les épaules.

« On pourrait toujours rencontrer de nouvelles personnes, seulement on saurait d’avance que ce sont de bons joueurs. »

Bizarrement, les jeux vidéo en ligne, c’est un peu le seul endroit où elle aime bien rencontrer de nouvelles personnes. Quand il ne s’agit pas d’obsédés, s’entend mais c’est pour ça qu’elle a choisit un pseudo qui sonne masculin, pour éviter les tentatives de drague gênantes, c’est pas un site de rencontres. Soit, c’est ainsi qu’elles en viennent à parler d’alcool et plus précisément de whisky puisque ça vient de chez elle. Maya accepte volontiers sa proposition, ce qui leur permettra de se revoir un de ces quatre. Voilà, c’est comme ça qu’on se fait des amis, ce n’est pourtant pas si compliqué. Puis elle la taquine au sujet des habitudes de mamie. Certes, elle pourrait lui proposer un plaid et de faire du tricot et Cleo sourit à cette idée mais tout de même.

« C’est vrai que dans ton cas c’est différent, tu es bien obligée de te faire de la pub. »

Parce qu’elle était probablement indépendante et c’est ainsi que ça fonctionne, au risque de mettre la clef sous la porte.

« Oh non pas du tout, j’avais l’intention de me faire porter pâle au boulot suite à cet « accident ». Tu fais d’ailleurs bien de me le rappeler. »

Ni une, ni deux, l’écossaise sort son téléphone pour envoyer un SMS à Barney, le réal du film sur lequel elle bosse en ce moment. Concis et clair pour qu’il ne la rappelle surtout pas.