the big league → eve

Aujourd’hui, Robin était un peu nerveuse. Oh, n’allez pas croire que personne ne mettait jamais en doute son pouvoir, c’était même plutôt l’inverse : elle avait l’habitude de cette sensation d’avoir quelque chose à prouver. Mais ce n’était pas pour autant qu’elle l’aimait. Bien au contraire, elle la trouvait usante. Voilà, c’était le mot juste. Tant et si bien qu’à un moment donné, la jeune femme avait décidé de ne plus tellement se soucier de ce que pouvait bien penser les autres. Qu’ils la croient folle ou non lorsqu’elle affirmait ressentir la présence des défunts importait peu en fin de compte. Ou plutôt : c’était eux que ça regardait. De toute façon, si vous avez déjà essayé de parler de choses étranges avec un cartésien, vous devez forcément savoir que c’est inutile d’insister, ça serait comme de parler à un mur. Mais là, en l’occurrence, ça n’était pas à un cartésien qu’elle avait affaire mais au contraire, à des gens du milieu, des gens comme elle. Partant de là, on pouvait bien se demander ce qu’elle appréhendait ; ils devraient se comprendre normalement, non ? Oui, mais la réponse est quand même très simple : elle avait peur de ne pas être à la hauteur de leurs espérances. Une pression qu’elle s’était mise toute seule comme une grande car Robin se doutait que son don pouvait faire pâle figure à côté de celui de certains.

Mais soit, parlons un peu de l’origine de ce sentiment. Il y a quelques jours de ça, la médium avait reçu un SMS d’un inconnu. Rien de très mystérieux, le bonhomme s’était présenté, avait expliqué avoir entendu parler d’elle par quelqu’un qu’elle avait probablement essayé d’aider et lui avait ensuite annoncé faire partie d’un groupe qui serait intéressé de la rencontrer. Vous voyez, pas de quoi en faire tout un plat, pourtant. Mais bon, il paraît qu’on ne se refait pas. Ce fut donc avec cette légère boule au ventre que l’on ressent lorsque l’on va passer un examen décisif ou un entretien d’embauche qu’elle rejoignit le point de rendez-vous. Un petit café dans le centre, pas loin de chez elle. Une fois la porte franchie, il semble qu’elle soit la première sur les lieux. Robin chercha un coin tranquille où se poser, ce qui ne fut pas compliqué étant donné que le café était presque désert et commanda un latte et un cookie avant de vérifier sur son téléphone que le rendez-vous n’avait pas été annulé.

Pourquoi elle ? Il a pris le rendez-vous, dans la logique, c’est à lui d’y aller. Mais pas du tout. Il lui a refilé le rencard comme une patate chaude. « Vas-y, parle-lui, découvre ce qu’elle est capable de faire et recrute-la si elle est douée. » Depuis quand est-ce son job ? Pourquoi ne pas simplement avoir invité la femme à une de leur sortie et l’observer sur le terrain ? Eve n’a rien d’une chasseuse de tête pour une grande entreprise ni pour un petit groupe d’hurluberlus qui hantent les lieux sordides avec plus assiduité qu’un fantôme souffrant de solitude. Pourquoi elle ? Elle tourne cette question dans sa tête depuis que la mission lui est tombée dessus.

Elle est arrivée en avance au rendez-vous. Au lieu d’entrer s’installer à une table, commander une boisson en attendant, elle reste dehors, sur le trottoir d’en face, observant chaque personne entrant dans le café. L’angoisse a germé sur le chemin entre son logement et le point de ralliement. Au point de se dire que si elle se sent si mal, c’est mauvais signe et qu’elle ferait mieux de faire demi-tour. Plantée, immobile sur son carré de béton, elle ne parvient pas à se décider.

Elle tente de se détendre. La femme du rendez-vous doit être spéciale. Si elle ne l'est pas, c'est qu'elle ne sait pas ce qui se trouve derrière le voile. Elle doit être spéciale et pour cela, Eve doit le sentir instinctivement. Capter le courant d’air, la lumière qui tourne minute après minute, s’ouvrir au diffus. Elle le fait lors des traques nocturnes et tout lui semble évident. Alors, maintenant... Ne plus regarder pour ressentir. Elle fermerait les yeux pour mieux s’imprégnée, s’il n’y avait cette voiture qui vient de passer devant elle pour la quatrième fois. Voilà sa sensibilité exacerbée au maximum pour faire clignoter un signal de danger. Ce n'est pas ce qu'elle cherchait, mais c'est ce qu'il vient de trouver ! Le type a baissé la vitre de la voiture. Eve abandonne son poste d’observation, s’éloigne à grand pas. Fuir... Mais quelque chose lui fait dresser l’oreille, quelque chose tire sur son lobe pour lui faire tourner la tête. Elle la connait cette sensation pour la vivre autant durant les nuits d’observation que parfois dans la rue ou le bus ou une maison. Elle sait que si elle se retourne, il n’y aura rien de visible. Rien pour dire que quelque chose d’invisible se passe. C’est un signal. Le rendez-vous ! Elle coure pour traverser la rue. Elle évite de peu la voiture qui la suivait et s’engouffre sans hésiter dans le café. Fuir le tangible danger pour rejoindre l'autre monde qui l'appelle. Elle suit un fil que personne d’autre ne peut enrouler et s’assoit devant une inconnue.

D'abord, elle ne dit rien. Elle observe fixement, cherche si elle est en sécurité en compagnie de la brune. « Il y a un homme dehors. Ses intentions ne sont  pas bienveillantes. » Elle n'a pas encore réussi à sourire. Elle en est encore à reprendre sa respiration. « Nous avons rendez-vous, il me semble. Eve Bramwell. Vous êtes bien madame Wade ? »

En patientant, Robin observait les gens autour d’elle. Parfois – souvent -, elle aimait leur inventer une vie ; la serveuse était une étudiante en droit qui aimait surprendre par son style un peu punk et qui n’avait bien sûr pas pour ambition de bosser ici pour le restant de ses jours. Peut-être même détestait-elle son patron qui lui non plus n’était pas fana de vendre du café à tout un tas de jeunes hypsters même s’il entretenait une relation pour le moins intime avec l’une d’entre elle. A l’insu de sa femme, de toute évidence. Lorsqu’elle se prêtait à ce petit jeu, elle ne savait pas si c’était juste son imagination, son esprit de déduction ou son intuition qui parlait. Si ça se trouve, ce n’était jamais que des histoires qu’elle s’inventait, elle n’avait que très rarement osé sauter le pas pour demander aux personnages de ses histoires ce qu’il en était réellement. Ou alors, peut-être qu’elle visait souvent juste, peut-être que c’était un pouvoir insoupçonné chez elle. C’est alors que déboula une jeune fille dans le café. Ni une ni deux, celle-ci vint s’asseoir à sa table et Robin sut qu’il s’agissait d’une des personnes qu’elle devait rencontrer. Elle s’attendait à tout une assemblée alors elle fut un rien surprise mais la jeune fille ne lui laissa pas le loisir de se poser plus de questions puisqu’elle annonça de but en blanc qu’un homme mal intentionné traînait dehors. Mécaniquement, la médium regarda par la fenêtre, un peu inquiète.

Puis son regard se posa à nouveau sur la demoiselle qui lui demandait si elle était bien madame Wade. Robin ne s’offusque même pas du fait qu’on l’appelle madame, pour une fois ; l’histoire du type lui semblait plus importante.

« Robin, enchantée. Il faudrait pas qu’on appelle la police ou qu'on intervienne ? »

Si elle avait naturellement tendance à se tourner vers les forces de l’ordre quand quelque chose n’allait pas, c’était parce qu’il lui arrivait parfois de travailler avec eux. D’essayer de leur venir en aide quand une enquête stagnait trop. Mais que pourraient-elles leur dire ? Qu’elles avaient le sentiment que ce mec allait faire quelque chose de mal ? On leur rirait au nez avant de leur proposer de dégriser un peu. A moins bien sûr que la jeune fille qui se trouvait devant elle n’en ait la certitude. Et ça, pas besoin d’être médium pour se douter que ce n’est pas le cas.

Robin, un prénom. Elle aurait pu répondre un simple oui à la question de la jeune femme, mais elle venait de donner son prénom. Une invitation à laisser de côté le cérémonial des relations sociales codifiées entre deux inconnues dont l’une est nettement plus âgée que l’autre. Eve se cale sur la chaise. Elle soupire longuement. « Robin ? Je vous appelle Robin et vous m’appelez Eve. Je suis d’accord. » Pas pour autant prête à trop de familiarité dès les premières phrases.

« Je pense que malheureusement appeler les forces de l’ordre ne servira à rien. C’est dommage. On arrête les gens quand ils ont commis un crime, pas avant quand ils n’en sont qu’à imaginer qu’ils peuvent le faire. Est-ce que nos sensations, nos certitudes ont un poids en face d’un code pénal ? Je ne crois pas. Les preuves, voilà la seule chose qui comptent. En fait, c’est pour tout pareil, il faut prouver qu’on est de bonne foi, qu’on est capable, qu’on ne ment pas. » Elle-même a été confrontée à cela. Comment expliquer à sa famille que depuis son accident, elle ne ressent plus les choses de la même manière. Est-ce que, même, ils ont compris que durant un instant elle se trouvait en compagnie des morts ? Il est probable qu’on ne leur a pas expliqué et qu’eux n’ont vu que leur enfant branchée à un respirateur pour l’aider à survivre. Le coma, ce n’est pas la mort ! Elle sait que ses exubérances sont mises sur le compte de ce coma, de cet accident, de la convalescence qui a suivi, de la détresse qu’elle traine avec elle depuis qu’elle sait que ses rêves sont brisés.

Au final, elle avait trouvé quelque chose à dire en introduction. L’attente avait porté ses fruits et surtout, l’individu louche qui circulait dehors, lui avait permis involontairement d’ouvrir la rencontre. Des preuves de la compétence de Robin, c’est ce que voulait ses collègues chasseurs probablement. Voilà, eux aussi en ont besoin de ces maudites preuves, parce qu’eux même sont noyés dans cette problématique, prouver qu’il existe un monde au-delà des apparences. « Peut-être que vous auriez préféré voir quelqu’un d’autre que moi ? » Quelqu’un comme son pote qui a pris le rendez-vous et qui au final est plus rationnel qu’elle ne l’est, quelqu’un de plus adulte, quelqu’un qui aurait discuté posément du pourquoi de l’entrevue, au lieu de la “cinglée” de la bande qui vient de faire irruption dans le bar avec une histoire tordue.

Ça serait donc Eve. A vue de nez, Robin estima qu’Eve devait avoir approximativement le même âge que la plus jeune de ses sœurs. Ce qui ne lui posait aucun problème puisqu’il n’y a pas encore si longtemps, elle s’amusait à balader Lou et ses copines partout. Ce qui fait qu’elle n’était pas dépaysée ou démunie en présence de jeunes. Ça aide, parfois. Enfin bref, dans le cas présent, ça n’était pas d’une grande utilité puisqu’il n’était pas question de discuter de Riverdale ou autre chose dans ce goût-là mais bien d’un type aux intentions douteuses. Instinctivement, la médium aurait envie d’agir avant qu’il ne passe à l’acte mais elle se rendait bien évidemment compte que ce n’était pas aussi simple qu’il n’y paraissait. Eve n’avait pas tort quand elle disait qu’il n’y avait que les preuves qui comptaient et c’était un tort, si vous vouliez son avis. Agir en prévention pouvait sauver la mise bien des fois alors on devrait le faire plus souvent. Mais après, ça pourrait vite devenir l’anarchie aussi… Soit, la vie est un tel bordel, souvent. La jeune femme finit par hausser les épaules suivit d’un hochement de tête résigné.

« Je suppose que vous avez raison, Eve. »

Car les paroles de la demoiselle résonnaient en Robin, elle aussi, il lui fallait toujours faire ses preuves, personne ne pouvait tout simplement la croire parce qu’elle disait ce qu’elle ressentait, ce dont elle était capable. C’était usant à force mais c’est ainsi. Puis, un petit sourire étira ses lèvres lorsqu’Eve lui demanda si elle aurait préféré faire face à quelqu’un d’autre. Et par-là, elle entend probablement quelqu’un de plus âgé parce qu’on en revient toujours à ça quand il y a une telle différence d’âge. Pourtant, au final, l’âge n’avait pas grande importance, tout était une question de maturité et, en dépit de son entrée en fanfare, la jeune fille a l’air d’en avoir en suffisance. Enfin, elle ne sait pas vraiment si elle en a l’air ou si elle s’en doutait, tout simplement.

« Non pas du tout, je préfère avoir affaire à quelqu’un qui connaît le sujet, pour tout dire. »

Parce qu’elles pouvaient se comprendre. Peut-être bien qu’elle serait jugée plus sévèrement encore mais Robin prenait le risque, persistait et signait : mieux valait discuter de ces choses-là avec des gens qui s’y connaissaient un tant soit peu, sinon c’était comme de s’adresser à un mur.

« Et vous ? Vous vous attendiez à quelqu’un d’autre ? »

On ne pouvait pas vraiment appeler ça un échange courtois pour faire connaissance, avec cette histoire qu’Eve a partagé d’entrée, mais au moins, elle a abordé le sujet des preuves. C’est ce que veux l’équipe, des preuves de la compétence de Robin. Mais compétence pour quoi ? Cela reste à cerner. Au moins, il apparait que sa vis-à-vis apprécie d’avoir quelqu’un avec qui partager dans le domaine du surnaturel. Eve hoche la tête. Elle comprend tout à fait. C’est plus facile d’aborder le sujet sans être jugée par l’autre en tant qu’hurluberlu, au pire déséquilibrée mentale bonne pour l’hôpital.

« Je vois ce que vous voulez dire. »

Eve s’est inquiétée de ce que Robin pouvait ressentir en face d’une toute jeune femme qui à première vue peut paraitre peu crédible. A son tour de parler de ce contact.

« Je n’ai pas d’a priori. Dans notre groupe, il y a tous les âges et des compétences bien différentes entre ceux qui sont branchés technologies et ceux qui fonctionnent sur leurs perceptions personnelles. Par contre, il faut reconnaitre que ça fait du bien de rencontrer une femme. Pour l’instant les hommes sont nettement plus nombreux. »

Elle sourit en y repensant. S’ils n’avaient ce point commun, ils ne se seraient jamais rencontrés. Si sa propre existence avait suivi le chemin qu’elle s’était tracée, elle ne les aurait jamais rencontrés. Son univers était purement rationnel, tangible et scientifique. Elle a basculé dans l’opposé. D’ailleurs, à propos de tangible, Eve fait signe au serveur qui passe à proximité pour commander une menthe à l’eau. Un aparté avant d’entrer plus précisément dans ce qui les a menées à cette rencontre.

« Je ne sais pas si cela a été clair dans l’échange de sms que vous avez eu. L’activité du groupe. L’étude des manifestations paranormales. On porte l’étiquette de chasseurs de fantômes, mais bon... »

Eve secoue légèrement la tête. Pas qu’une étiquette, ils passent des vidéos sur YouTube sur le sujet et le revendique. Ils en font parfois un peu trop à son goût.

« Cela peut paraitre folklorique au prime abord, mais nous sommes très sérieux dans notre manière de travailler. Vous êtes là, c'est un domaine qui vous parle, mais est-ce qu'il vous intéresse de l’explorer de cette manière ? »

Robin ne semble pas avoir l’exubérance de certains membres du groupe qui vont dans l’extrême dans leur mode de vie ou leur apparence.

Bon, ça la rassurait d’apprendre que la jeune femme qui se trouvait face à elle n’avait pas d’à priori et qu’elle ne s’attendait donc pas vraiment à quelqu’un d’autre. En revanche, ça la surprit de savoir qu’il y avait bizarrement moins de femmes que d’hommes dans cette branche. Bon d’accord, il est vrai que si on cherchait un peu sur le net, c’était souvent des hommes que l’on retrouvait aux commandes de ces fameuses chasses aux fantômes mais quand il lui parlait de médium, Robin s’imaginait presqu’instantanément une bohémienne lisant l’avenir dans les lignes de la main, dans sa boule de cristal ou encore en jouant au tarot, merci aux clichés véhiculés par la fiction. Mais toujours est-il qu’elle peinerait à imaginer un homme dans le rôle. Et pourtant…

« C’est vrai ? Pourtant, je croyais que c’était plutôt un truc de femmes, d’avoir de l’intuition, de la sensibilité et tout ce qui s’ensuit. »

Comme quoi, rien n’était jamais un truc de femmes hormis quand ça arrangeait les hommes. Mais Robin n’allait pas s’attarder là-dessus, ni sur le fait que les mœurs avaient très peu changé au fil des années parce que c’était un sujet pour le moins déprimant. Et de toute manière, Eve lui parla alors de son équipe. Qui, selon ses dires, ne faisaient pas les choses à moitié. Ça ne la dérangeait pas, c’était un bon moyen de s’assurer une visibilité. Sans quoi, les gens qui s’intéressent au paranormal, on préfère faire comme s’ils n’existaient pas alors il fallait bien trouver une façon de se démarquer.

« Je comprends, j’imagine que c’est l’effet Youtube. »

Quant à savoir si cette approche toute particulière l’intéressait. Hé bien disons encore une fois que ça ne la dérangeait pas. Elle ne l’aurait sans doute jamais envisagé de cette façon, se faire entendre n’étant plus un but pour elle, elle s’était trop souvent cassé la voix contre des murs pour ça, désormais, elle ne cherchait plus qu’à aider, si tant est que soit possible, évidemment. Mais elle comprenait la démarche. Ce fut donc du ton le plus posé qu’elle répondit :

« Pourquoi pas ? Je ne cherche pas à être reconnue mais si vous pensez que je pourrais être d’une quelconque utilité alors je ne suis pas contre l’idée. Cependant, il faut que vous sachiez que je doute pouvoir vous apporter grand-chose : mon « don » n’a rien de très spectaculaire, quand je parlais d’intuition et de sensibilité c’est parce que c’est exactement de ça qu’il est fait. Maintenant que je n’en ai plus peur, je cherche à le développer, à entrer en communication aussi, parfois, mais je n’en suis encore qu’au début. »

Il est vrai qu’elle n’aurait sans doute pas été aussi franche lors d’un entretien d’embauche, elle aurait plutôt cherché à se mettre en valeur mais c’est son intuition qui la poussait une fois de plus à dire la vérité.

Sa remarque sur le quota d’hommes et de femmes dans le domaine du surnaturel semble étonner son interlocutrice.

« Je pense que pour les côtés intuition et sensibilité, les femmes osent les montrer, mais quand il s’agit de se promener la nuit dans des lieux qui ne donnent pas envie et faire des vidéos, les hommes aiment bien montrer qu’ils occupent le terrain. C’est le constat que j’ai pu faire dans mon équipe, pas pour autant qu’on doive généraliser. »

Son équipe comme celle d’Asher, d’ailleurs, composée majoritairement d’hommes. Deux exemples sur lesquels elle peut s’appuyer. Il est évident que faire un reportage sur la thématique du paranormal et espérer qu’une chaîne de télévision dégage un créneau horaire pour le diffuser n’a rien d’évident. YouTube a ouvert les portes du possible et de l’audience à leur activité de chasse aux fantômes. Les gars ne s’en privent pas. Eve écoute Robin avec attention quand elle développe les informations sur son don.

« Ah, on ne demande rien d’exubérant ou de détonnant. L’idée est d’avoir une personne justement qui utilise sa sensibilité pour contre-balancer les données obtenues par le matériel. Une sorte de double expertise. Une manière de prouver, ou essayer de justifier, les éléments décelés par une méthode par une seconde qui n’a rien à voir. On reste cependant dans la théorie et de toute façon le scepticisme n’aura cure de la démonstration. Pour nous, par contre, c’est bien différent. Si un appareil ne capte rien, vous pourrez confirmer que vous non plus. Si ce n’est pas le cas, c’est que les moyens utilisés pour enregistrer le phénomène ne sont pas adéquats. Ce sera une belle avancée dans le domaine de l’équipement. Et dans la chasse trop souvent en mode perte de temps. »

Tout un laïus pour faire comprendre à Robin qu’elle a bien sa place avec eux. Voilà pour la partie “pro” de la rencontre. Eve veut pourtant ajouter quelque chose de personnelle à ce que vient de dire Robin.

« Je n’aurais plus à porter tout le poids de leur interrogation sur ce que je vois ou ressens. On sera deux et ce sera aussi un moyen de vérifier qu’on n'hallucine pas et qu’on ne soit pas embarquée plus qu’on ne le voudrait dans ces rencontres. Je sais ce que c’est d’avoir peur quand on se retrouve cerner de présence qui n’ont pas la consistance d’un corps humain en vie. Je sais aussi qu’on ne peut pas en parler comme on veut pour se décharger de cette pression, parce qu’au mieux les autres se moquent au pire on frôle la folie. »

La remarque d’Eve lui donna envie de lever les yeux au ciel tant elle était vraie. Pourtant, à en croire les films d’horreur, qu’on soit un homme ou une femme, ça ne nous rendait pas plus face à un poltergeist désireux de posséder une nouvelle enveloppe charnelle, ne serait-ce même que le temps de les forcer à sauter d’un précipice pour qu’ils les rejoignent dans le sommeil éternel. Evidemment, Robin savait pertinemment que c’était la vraie vie et pas un film d’horreur mais tout de même, pourquoi un homme serait plus courageux qu’une femme ? Peut-être tout simplement parce que c’était exactement ce que les viewers voulaient voir, ça ne l’étonnerait même pas, dans le fond. D’un air très sérieux et concentré, la médium hocha une fois de plus la tête. Non, il ne fallait probablement pas en faire une généralité mais c’était indéniablement une vérité. Du moins pour ce qu’elle en savait, à savoir : ce qu’elle en avait vu sur Youtube, comme tout le monde.

Quoi qu’il en soit, la jeune femme eut tôt fait de la rassurer quant au fait qu’on n’attendait rien de spectaculaire d’elle. Pour le coup, Robin avait préféré se montrer honnête ; ce n’était pas un entretien d’embauche où il fallait à tout prix se montrer assez convaincant pour être engagé. Non, mieux valait dire les choses comme elles sont. Et ça payait visiblement puisqu’Eve lui expliqua très clairement ce que l’on attendrait d’elle. Et ça lui semblait être dans ses cordes. Puis la jeune femme se confia quelque peu : ç’avait un peu l’air de la peser de devoir porter ce fardeau seule et le moins que l’on puisse dire, c’est que Robin comprenait tout à fait. Elle savait ce que c’était d’être la folle de service, celle dont on se moque ou que personne ne croit. Parfois, ce n’était pas intentionnelle, c’était ce qu’il s’était passé – ce qui continuait de se passer, même maintenant – avec sa famille mais ça n’en faisait pas moins mal. Sa déclaration la toucha parce que, dans le fond, leurs expériences devaient être plus ou moins similaires, c’est pourquoi elle répondit :

« Alors je serais heureuse de pouvoir vous soutenir, Eve. Deux voix valent mieux qu’une. »

A condition que ça se passe bien avec le reste de l’équipe, évidemment. Mais elle n’en doutait même pas : Robin n’était pas une personne difficile, elle parvenait à s’entendre avec à peu près tout le monde.

Son verre de menthe à l’eau est arrivé pendant leur discussion, entre deux phrases, sans déranger, comme si le serveur avait senti qu’il fallait ce moment et pas celui d’après. Elle y trempe les lèvres pour se désaltérer, elle en a besoin après tout ce qu’elle a raconté. Elle a parlé beaucoup. La sensation d’être en sécurité auprès de Robin l’a aidée. L’entretien s’est passé plus facilement qu’elle ne l’avait imaginé. Elle est soulagée. Il est fructueux et la femme en face d’elle a suffisamment de sensibilité et de points communs, semble-t-il, pour qu’elles s’entendent. Robin est d’accord pour se lancer avec eux. Evidemment, il faut tester sur le terrain. Il faut aussi tester la cohabitation avec le reste de l’équipe. Eve sourit, contente de l’entrevue.

« Et bien, je vais dire aux autres que vous êtes d’accord pour nous accompagner. Je pense que ça va bien se passer entre tout le monde. »

Aucun de ces messieurs n’est agressif ni n’a d’attitude équivoque. Eve n’a pas à se plaindre d’eux sur le plan relationnelle. Les seules discussions qui peuvent être enflammées au sein de l’équipe concernent le choix du lieu à explorer et tournent autour du risque pénal ou la dangerosité du site en lui-même.

« Nous n’avons pas de sortie prévue dans les jours qui viennent, mais dès qu’on organise quelque chose, nous vous prévenons. Mais peut-être avez-vous des endroits ou des sujets que vous voudriez proposer. On agit démocratiquement dans le groupe. Chacun peut proposer une idée. On réfléchit ensemble à la faisabilité. »

A vrai dire, Eve n’a jamais rien proposé. Par contre, il lui arrive de dire que le lieu ne lui plait pas ou que telle expédition lui parait trop ambitieuse pour leur moyen. Après tout, le don de Robin peut les aiguiller dans une direction qu’ils n’ont pas encore tentée.

Alors qu’on posait son verre de menthe à l’eau devant Eve, Robin tournait la cuiller dans sa tasse de café, en prit une gorgée et cassa son cookie en deux avant d’en proposer l’autre moitié à la jeune fille d’un geste de la main. Elle était comme ça : elle aimait partager. C’est alors qu’Eve lui fit savoir qu’elle était contente d’être parvenue à un accord et il faut bien admettre qu’elle aussi. Ç’avait été rapide, pas de quoi s’en être autant fait, finalement. Mais le fait est que le courant passait bien entre elles deux. La médium hocha donc la tête en entendant que tout devrait bien se passer aussi avec le reste de l’équipe : elle n’en doute pas une seule seconde. Voilà ce que c’était de grandir dans une famille aussi nombreuse que la sienne ; on devient rapidement conciliant pour contenter tout le monde ; elle était sûre que tout se passerait bien. Puis Eve lui apprit qu’ils n’avaient pas de sorties prévues pour les prochains jours mais qu’ils la préviendraient dès que ça serait le cas. Nouveau hochement de tête de la part de Robin, avant qu’Eve ne lui demande si elle ne connaissait pas des endroits qui valaient la peine d’être exploré, mentionnant au passage que chacun pouvait proposer un peu tout ce qu’il voulait. Elle chercha quelques secondes avant de finir par hausser les épaules.

« Disons que jusqu’ici, les gens qui font appel à moi m’invitent chez eux, ce sont rarement des endroits où il y a beaucoup d’activité alors ça ne serait sans doute pas des plus intéressants pour vous. En revanche, comme je l’expliquais tout à l’heure, j’essaye d’entrer en contact avec les esprits dont je ressens la présence tout autour de moi et ces temps-ci, je m’essaye à l’écriture automatique. Est-ce que ça fait partie des techniques que vous avez déjà utilisées ? »

Ça ne pourrait que mieux se passer encore si elle pouvait s’entraîner avec des gens qui y sont habitués, du moins c’est ce qu’elle pensait. Robin mordit dans sa moitié de cookie et ne put empêcher une dernière question de franchir ses lèvres :

« Ça veut dire pas de test plus poussé que ça pour aujourd’hui ? »

Elle s’était attendue à pire. Mais dans le fond, elle savait pertinemment que le test débuterait dès leur première sortie ensemble, c’est là et pas ailleurs qu’elle prouverait ce que son don valait réellement. Bien qu’elle ait prévenu que ça se basait d’abord et avant tout sur son hypersensibilité.

La discussion s'est enchainée parfaitement. Les deux jeunes femmes sur la même longueur d’onde, pour se qu'en juge Eve. Partage aussi, cette fois concernant la nourriture. Il y a ce demi cookie sur la table que Robin lui propose. Eve réfléchit une seconde au mélange de saveurs, menthe et gâteau, puis elle secoue la tête pour signifier un non. Elle aurait craqué pour du pur chocolat, mais là, elle renonce.

A bien y regarder, Eve vient d'embaucher Robin dans leur groupe, même si elle a mis quelques réserves, mais avec la certitude que les autres accepteront la médium. Les explications sur la manière dont procède Robin lors de ses interventions, déclenchent des hochements de tête de la part de la jeune fille. Tout cela lui parait normal, logique, si on peut parler de logique dans le domaine qui est le leur.

Test ? Maintenant ? Ici ? Eve fronce les sourcils, regarde autour d'elle. Un test dans le café ? Aller ailleurs ? Arpenter les rues à la recherche d'une âme égarée ? Voilà qui la sortirait de leur randonnée habituelle en terre nocturne et déjà étiquetée comme étant habitée. Traquer le surnaturel comme un chien policier cherche la victime disparue ? 

« Et bien... si tu te sens d'explorer notre environnement proche à la recherche d'une présence et... euh... tenter une séance d'écriture automatique... et bien... je te suis où tu veux. »

Voilà qui d'un coup déstabilise pourtant Eve. Non pas qu'user de leur don la dérange, c'est l'environnement qui lui pose davantage problème. Le va et vient de la clientèle et des serveurs, les discussions plus ou moins bruyantes autour d'elles, les rires. Elle a besoin de s'extraire de tout cela pour être à l'écoute du silence et des ombres. Mais peut-être que Robin n'a pas besoin autant qu'elle d'être dans sa bulle. Elle prend une grande respiration. Elle fixe Robin. Après tout, si elle veut lui montrer de quoi elle est capable, elle sera attentive à la démonstration.

Alors, ce n’est sans doute pas ce qu’elle avait en tête lorsqu’elle avait demandé s’il n’y aurait pas de test aujourd’hui, c’était plutôt une façon de se rassurer à vrai dire mais puisqu’Eve l’avait pris ainsi, pourquoi ne pas sauter sur l’occasion ? Bien sûr, ce n’était pas idéal comme conditions ; elle aussi préférait généralement être au calme car elle avait remarqué que la plupart des esprits préféraient se manifester à ce moment-là. Peut-être parce qu’ils étaient timides ou encore parce qu’il leur fallait faire un immense effort pour y arriver, elle ne saurait dire mais c’était un fait. Mais parfois, il lui arrivait également de capter certaines choses dans des endroits bondés, à cause de leur concentration. Dans ce café, c’était entre les deux alors peut-être que ça ne fonctionnerait pas mais ce qui serait fait ne serait plus à faire, aussi se concentra-t-elle pour essayer de faire le vide autour d’elle. C’était à peine perceptible mais il y avait bel et bien quelque chose : un infime déplacement d’air. Pas besoin d’aller bien loin, finalement. Pourtant, elle aurait encore pu aller chercher moins loin et parler de son père décédé qui passait parfois prendre de ses nouvelles à sa façon. Mais il n’était pas là présentement alors autant se rabattre sur cet esprit. Robin hocha la tête et expliqua :

« Il y a quelqu’un derrière moi. Je ne l’ai pas senti tout de suite mais peut-être voudrait-il essayer de communiquer. »

Car ça serait difficile d’en dire plus à son sujet à ce stade. Mais le fait qu’elle parvienne à sentir sa présence était déjà quelque chose de positif, en soi. Peut-être avait-il compris à qui il avait à faire grâce à la présence des deux médiums et qu’il avait envie de tenter sa chance. Robin attrapa donc une serviette et demanda à un serveur qui passait par-là s’il n’avait pas un stylo, par hasard. Il en sortit un de sa poche qu’il posa sur la table avant de reprendre son service. Elle s’en saisit donc et commença à écrire en petits caractères sur la serviette qu’elle venait de déplier. Elle avait lu que le meilleur moyen pour que ça marche, c’était encore une fois de se vider la tête. Pas simple avec le bruit autour et il n’y avait plus qu’à espérer que, parce que c’était ce qu’elle voulait, ça ne serait pas son subconscient qui se manifesterait plutôt que l’esprit comme c’était le cas dans quelques séances de ouija ou de pendule mais au bout de quelques minutes, elle eut la très nette impression que ce n’était plus elle qui écrivait mais bien une tierce personne. C’était à la fois excitant et effrayant. Lorsque la sensation stoppa, Robin stoppa elle aussi d’écrire et regarda les mots sur la serviette. Le mot « hello » s’y répétait cinq fois, d’abord en minuscules à peine lisibles pour finir en majuscules si appuyées qu’elles en avaient déchiré le papier par endroits. Elle tourna la serviette vers Eve.

« C’est un début, qu’est-ce que t’en penses ? »

Dans cette animation autour d'elles, Eve doute que la médium puisse capter quelque chose. Simplement parce que les fantômes voyagent peu autour du lieu où ils ont perdu la vie, quand il s'agit de mort violente. S'ils sont liés intensément à une personne en particulier et qu'ils aient besoin de communiquer avec elle, c'est autre chose. Eve est une habituée des premiers cas, pas des seconds. Elle attend de voir si pourtant Robin est capable de se mettre en contact avec un parent d'un client ou d'un employé. A moins que... Elle attend de voir le résultat. Elle observe Robin qui semble gérer les perturbations environnementales. Celle-ci donne une réponse. Elle a perçu une présence. Eve lève la tête et pose son regard au-dessus de l'épaule de Robin. Rien de visible à l'oeil humain. Une simple présence. Eve pourrait peut-être la ressentis si elle s'ouvre à l'invisible, si elle laisse entrer ces impressions fugaces en elle. Elle se retient d'être entièrement à l'écoute. Elle n'a pas envie de voir du sang coulé sur les murs et entendre des hurlements. Passer d'une menthe à l'eau à une scène d'horreur et inversement ne lui semble pas gérable ici et maintenant. Ici et maintenant par elle. Elle ne veut pas prendre de risques.

Robin va plus loin, prend une serviette en papier. Elle demande un stylo à un serveur. Un bruit surprend Eve. Elle tourne la tête vers l'extérieur. Le bruit d'un choc brutal d'une collision qui n'a pas de réalité physique à l'extérieur. Il n'y a rien dehors. Elle ramène son attention vers la médium et plus précisément derrière elle. Robin va tenter d'entrer en contact par écrit. Eve refuse ce qui déjà se glisse autour d'elle. Quand la main de Robin commence a écrire, elle scrute les lettres manuscrites à l'envers et les visualise dans le bon ordre. Il veut communiquer. Eve ne veut pas s'en mêler, après tout, c'est le test de sa collègue, pas le sien. Le stylo griffe le papier avec plus d'insistance. Trois fois, quatre fois. A la cinquième le papier se déchire. Eve abandonne sa résistance. Elle fixe Robin, elle fixe le vide, elle fixe une rue. Le parfum des fleurs. Le petit matin, les premiers rayons du soleil. Elle sent une douce chaleur sur sa peau. C'est un souvenir. C'est cauchemar avec lequel elle se débat. Elle sent l'air léger sur ses joues. La rue déserte. Le grincement répétitif d'un pédalier. Il se mêle à une mélodie qu'elle connait. Il faudra le graisser. Elle baisse la tête vers la roue du vélo qui tourne régulièrement. Devant elle, est posée une serviette en papier où un esprit a répété « hello » jusqu'à l'énervement. Elle entend Robin préciser que c'est un début. Elle secoue la tête machinalement. Elle n'a pas voulu entendre cet homme qui contrairement à elle n'est pas revenu d'entre les morts, alors qu'elle écoute d'autres fantômes qui n'ont rien à voir avec sa propre histoire. C'est une manière de se protéger.

« Réponds lui. »

Formule tout aussi machinale qui n'est même pas une suggestion. Une remarque qu'elle se fait à elle-même sur quelque chose qu'elle n'a pas fait à l'instant qui le demandait.

Tandis qu’elle tournait la serviette en papier vers Eve pour lui montrer ce qui y avait écrit, Robin tâchait également de se remettre de ses émotions ; ça faisait vraiment bizarre de prêter une partie de son corps à quelqu’un d’autre afin qu’il puisse communiquer. Mais c’était souvent le problème avec la jeune femme, c’est qu’elle était toujours prête à se sacrifier si ça pouvait aider les autres. Restait maintenant à déterminer jusqu’où elle était prête à aller réellement. Eve lui demanda alors de répondre mais elle avait l’air un peu ailleurs, si bien que Robin ne savait pas vraiment si c’était bien à elle qu’elle s’adressait. Cependant, il n’y avait pas grand-chose d’autre à faire et comme elle essayait d’établir le contact, autant poursuivre sur sa lancée. Tout en se remettant à écrire sans trop y penser, la médium chercha une question pertinente à poser ; il y avait des tas qui lui venaient à l’esprit comme « qui êtes-vous ? » mais celle-ci ne les avancerait à rien, « que voulez-vous » mais elle pouvait y répondre elle-même et ainsi de suite. Au lieu de quoi, elle écrivit simplement « un message à faire passer ? » puisqu’il lui semblait que c’était bien ça, la question la plus pertinente à poser et il ne fallut pas bien longtemps avant que la même sensation que tout à l’heure se fasse ressentir : un froid qui s’installait progressivement dans sa main tenant le stylo. Une sensation étrange qu’elle n’était pas sûre d’apprécier mais qu’elle pouvait supporter tant qu’elle ne remontait pas trop haut ; c’était là-dessus que toute sa concentration était focalisée car c’était bien le hic de cette petite séance improvisée, c’était que la présence prenait en peu plus possession d’elle à mesure que les secondes s’égrenaient.

Au bout d’un moment, elle n’y tint plus et repoussa un peu brusquement la table avec la main qui lui appartenait toujours, renversant quelque peu les boissons qui s’y trouvaient toujours et surtout forçant l’autre à lâcher le stylo et par là même, à rompre le contact. Puis elle secoua la main comme si celle-ci était engourdie et qu'elle essayait de faire circuler son sang car c'était exactement ce qu'elle ressentait. Le fait est qu’elle pouvait bien essayer de faire de son mieux, ça lui faisait quand même un peu peur. Le truc c’est qu’elle ne savait juste pas si pas si cette peur était fondée. Comme à son habitude, elle ne l’extériorisa pas plus et se contenta de baisser les yeux sur la serviette pour voir ce qui y était écrit. Cette fois, c’était le prénom d’Eve qui se retrouvait copié aux quatre coins du bout de papier.

« On dirait que c’est à toi qu’il veut parler mais je ne suis pas sûre d’être prête à le laisser m’utiliser encore une fois. Il est un peu intrusif. »

Ces mots sonnaient comme une excuse parce qu’elle aurait aimé pouvoir faire plus mais qu’elle ne s’en sentait pas capable.