Baisse ton arme !

J’ai un nom. J’ai une adresse. Jake a fait ce qu’il fallait. Je lui avais demandé de l’aide et il a honoré cette demande. Je ne sais pas tout ce qu’il a fait pour obtenir ces infos. Je sais qu’on a tabassé un gars. J’étais là. J’ai assisté à cet interrogatoire musclé. Je n’ai pas demandé au boxeur ce qu’il a fait du gars après coup. J’ai imaginé le pire mais j’ai fait l’autruche, ne pas savoir c’est se protéger. Je ne veux pas savoir. Surtout ne pas savoir. Jusque-là, parce que ce que je vais faire aujourd’hui, c’est autre chose. Jake était prévu qu’on y aille ensemble, mais il n’est pas libre en ce moment. Il m’a fait promettre d’attendre. Mais c’est impossible ! D’autant qu’il y a ce flic, encore lui qui est passé me voir, m’a posé des questions. J’ai trop cherché pour laisser la police intervenir avant moi.

J’ai laissé ma voiture loin de ce quartier. Je fais le chemin à pied. Discrétion. J’ai acheté des fringues dans une friperie rien que pour l’occasion, un bonnet au ras des yeux et une écharpe pour masquer le bas du visage. La vague idée que s’il le faut, je les brûlerai. L’éventualité qu’une chose terrible puisse arriver m’angoisse. Je suis armée. Je me suis préparée mentalement à tirer s’il le faut. Je respire mal. Je marche trop vite. Je dois être plus vigilante. J’ai du mal à réaliser que j’ai l’opportunité d’avoir des réponses concernant l’enlèvement. Enfin. Je ralentis juste avant de passer le carrefour. J’ai atteint la rue. Les derniers doutes. Poursuivre ou faire demi-tour. Encore quelques pas et je serais devant l’immeuble. Le voilà. Un arrêt. Je ne dois pas hésiter. Si je rentre, je vais jusqu’au bout. J’y vais. Pas de sonnette extérieure, pas d’interphone, un logement à l’ancienne. On monte les étages et on sonne directement à la porte. J’ai l’info, premier étage, au fond du couloir, à droite. S’il ouvre... Ma main dans la poche prête à sortir l’arme. Je sonne. Personne. Merde. Je suis déçue autant que soulagée. Je sors du bâtiment. Et si j’entrais dans son appartement ? Et si je l’attendais à l’intérieur ? Je ne sais pas crocheter une serrure. J’aurais dû demander à Jake de m’apprendre. J’ai plus qu’à attendre qu’il revienne. Il me faudrait un coin discret. On ne peut pas dire qu’ils sont légion. Dans la ruelle, sur le côté, là où se trouve les containers à poubelles ? Ouais, c'est dans les possibles.

Tout s’enchaine et je n’arrive plus à réfléchir. J’y vais à l’instinct. Quel instinct d’ailleurs. Certain pas celui de conservation qui m’aurait entrainé par la peau du cul loin de ce bordel. Cette silhouette dans la rue, cette façon de marcher, cette façon de passer sa manche de veste sous son nez... Je ferme les yeux et elle se colle à mes souvenir. La pièce de puzzle qui s’emboite à son emplacement. C’est lui. Je plonge ma main dans ma poche pour sortir mon arme, mais quelle connerie ! Dans la rue c’est de la folie ! Je peux pas. Je le suis, je m’engouffre dans l’immeuble quelques pas derrière lui. Il a pris l’escalier. Ça me laisse le temps d’enlever ma veste, je la traine avec moi. Le pull ôté aussi, je l’attache autour de ma taille. Je me retrouve en débardeur. On appâte pas les connards en tenue de bonne soeur, et quand on se retrouve tous les deux dans le couloir du premier étage, je comprends que je viens de faire le bon choix. Il vient d’ouvrir sa porte et me regarde avancer en souriant. Hey salut. Je devais voir un pote et ce con est en retard. Je tourne en rond depuis un moment et je m’emmerde. Il sourit toujours. Le bonnet est toujours sur ma tête mais l’écharpe, défaite, glisse jusqu’au sol, elle s’accroche à la veste au passage. Je baisse la tête pour vérifier que je ne vais pas me prendre les pieds dedans et pour éviter qu’il voit trop vite mon visage. J’t’offre un verre en attendant. Ça marche. Un peu trop langoureuse ma réponse ? Ça va pas durer. Ne pas lui laisser le temps de réagir. Il passe la porte. Je fonce. Je le pousse et lâche les vêtements. J’ai déjà l’arme en main braquée sur lui. Un coup pied pour pousser la porte derrière moi. Je suis essoufflée dès ce premier effort. Je suis dedans jusqu’au cou. Je veux voir tes mains au-dessus de ta tête. Déconne pas. Je suis pas d’humeur. Il s’exécute lentement. Il a l’air complètement déboussolé. Il doit essayer de comprendre ce qu’il vient de se passer. C’est trop beau pour durer. Je fais un effort pour éviter de trembler. Je suis certaine que ça va partir en vrille. C’était trop beau pour durer, je le vois à son sourire qui est revenu. Carnassier.

Il se met à rire. Il n’en finit plus. C’est horrible. Je veux que ça s’arrête. Je veux qu’il me prenne au sérieux. Je ne peux pas tirer à tord et à travers. Dans les films, les flics tirent en l’air mais si la balle traverse le plancher et blesse un enfant. Impossible. Lui tirer dans la jambe, oh oui, j’aimerai ça, mais pas tout de suite. Le bruit risque d’alerter le voisinage et peut-être les flics. Il m’énerve à rire. Je ne supporte pas. Je crie pour qu’il arrête. Tais-toi ! Mets-toi à genou, les mains sur la tête. Tu crois que je ne suis pas capable de tirer ? Tu te plantes sur le sujet. Et si tu n’obéis pas, je vais te faire baisser d’un cran avec une balle. Il stoppe son rire et me fixe sans pour autant bouger et m'obéir. Je n'ai aucun doute sur les traits de son visage, c'est lui. Ils étaient tous les deux à visage découvert. Ils avaient prévu d'encaisser la rançon et de me tuer. Peut-être que c'est lui qui a assassiné Jack. Il en serait capable. Dans tes rêves, peut-être, mais là on est dans la réalité. Il faut des couilles pour appuyer sur la gâchette en regardant l’autre dans les yeux et t’en as pas. Il avance d’un pas, se penche un peu pour m’examiner. Et puis je te reconnais. Tu t’es pissée dessus quand l’autre te cognait. Oh t’avais peur, tu voulais ta maman. Il cherche à m'intimider avec son air moqueur. C’est faux, j’ai encaissé. Je le sais. J'ai tenu. J'en suis sûre. Il repart à rire. Je me souviens de ce rire. Pourquoi m’avoir enlevée ? Pourquoi avoir tué Jack ? Est-ce que c’est toi qui l’a tué ? Donne-moi le nom de ton complice. Oh ! Tu crois que c’est comme ça que ça marche ? Tu crois qu’il suffit de poser une question pour avoir une réponse ? Son rire est insupportable. Je l’ai en joue. Il s'en moque. Son rire me rappelle trop les coups de l'autre. Il faut que ça s'arrête ! Je baisse l'arme pour lui exploser le genou... Non !

Il suffit d'une seconde pour que l'homme dénué de scrupules profite de l'instant de détresse de son ancienne victime pour se jeter sur elle. Dans le mouvement un coup de feu part.

Il m'a bousculée contre un mur. Il a saisi mes mains. On se bat. On se cogne à tout, placard, table, lampadaire... Je ne sais pas si j'ai senti la vibration de la balle quittant le canon en premier ou si c'est le bruit qui m'a fait sursauter. Il en a profité pour me faire chavirer. Au sol. Tout son poids sur moi. Pour m'immobiliser. Pour m'étouffer. Pour avoir le dessus et s'accaparer l'arme. Pour être encore l'agresseur qui a tous les droits sur la victime. Impossible de me défaire de lui. Trop dur de respirer. Lâcher prise. Perdre. Vaincue. Victime.

La pression de l'échec me fait tourner la tête, ou les coups pris dans la lutte, ou le désespoir d'avoir tout perdu par imprudence. Mais je peux respirer, tousser. Il se redresse. Il pris l'arme. Il la pointe sur moi. Je le sais. C'est comme ça quand tu as perdu, l'autre te braque et t'envoie une balle un pleine tête pour achever l'histoire.

Mais ce n'est pas fini !

Il se passe quelque chose qui m'échappe. Quelqu'un sort de nulle part et assène des coups à mon ravisseur. Je me recroqueville dans un coin de la pièce. Je ne sais pas comment ou si ça va dégénérer et tirer dans tous les sens. Je me suis déjà trouvée dans une fusillade. Et ce type c'est qui ? Le second ravisseur ? Non ! Non, pas ça ! Ils se battent et il m'interpelle pour savoir si je vais bien. Alors c'est qui ? Pourquoi est-ce qu'il demande ce que je fais là ? En quoi ça le concerne ? On se connait ? Ça va. Non ça va pas. J'ai la tête qui explose, j'ai mal partout. Bute-le ce connard, qu'on en finisse ! Non, je veux savoir qui est l'autre. Je dois savoir. Il ne va pas rester tranquille ce con ? Il rampe, il roule sur lui-même ? Attention ! Il a déjà une arme en main. Je n'ai même pas pensé qu'il pouvait en garder une sur lui ! Ça va trop vite ! Il jette une chaise vers mon sauveur pour détourner son attention et plonge sur moi pour que je lui serve de bouclier.

Quand on regarde un film sur l’écran d’ordinateur en streaming ou sur Netflix, ou encore s’il s’agit d’un DVD, c’est facile, on fait pause, on rembobine, on repère les détails qu’on a raté au premier visionnage. On peut même commenter avec son voisin de canap : “regarde c’est lui le meilleur, c’est le roi du kung fu. Elle est pas mal elle en victime qui sait se défendre, au moins elle ne sera pas la première à disparaitre du film en criant une seule réplique.” J’aurais bien aimé que ce soit ainsi, mas pas du tout. Les coups partent, j’en prends, j’en donne, la moitié finissent dans le vide. Le résultat est cependant-là, j’ai mal, j’ai un goût de sang dans la bouche, mais on a repoussé le connard. Le type qui se planque sous ses fringues, étrange attitude, me demande de ramasser l’arme. Je regarde autour de moi. Je récupère celle de mon ravisseur tout en cherchant du regard la mienne. Je ne vais pas me coucher par terre pour vérifier sous quel meuble elle a glissé. Et surtout, ce que j’entends me fais tourner la tête vers mon agresseur. Il n’en finit pas de menacer. Il me connait. Il sait où j’habite. Il peut me retrouver quand il veux. Il peut de nouveau m’enlever et cette fois me tuer. L’autre lui demande de se taire, mais il n’arrête pas. Si ce n’est pas lui qui fera le sale boulot, ce sera ses complices. L’autre, il a beau tenté de le freiner en renchérissant sur le fait que lui aussi peut le retrouver, ça ne marche pas. J’ai juste l’impression de deux mecs qui tentent de se la jouer “je suis le plus fort, le plus malin et le plus dangereux.” Ils se trompent, l’un comme l’autre. ll y a ici quelqu’un de plus déterminé qu’eux, de plus dangereux qu’eux, et c’est moi. Il ne fallait pas qu’il me dise de ramasser l’arme. Ils sont devant moi tous les deux, l’un me fait face et l’autre me tourne le dos. Je prends le temps de montrer ce que je vais faire à celui qui me regarde et me menace. Je vise. Je tire. La balle entre dans la cuisse de mon kidnappeur. Le sang jaillit aussitôt et tâche son pantalon en même temps qu’il gueule. Je crie plus fort que lui. Ça, c’est la première et j’ai tout un chargeur à vider. T’imagine la sensation ? T’imagine ma motivation ? Je vais te crever connard, tu savais déjà pourquoi et tu viens d’en rajouter une couche.

J’ai l’impression que toute ma colère est partie en compagnie de la balle et de mes paroles. Je sens un vide et une fatigue. Je fais un effort pour tenir encore l’arme et le garder en joue. Mon acolyte inconnu règle le compte de mon kidnappeur à coup de poing. Au moins il se tait. Le silence est cependant bref. L’autre me montre son visage et m’engueule. J’en crois mes yeux, le flic ! J n’ai pas pour autant l’énergie pour réagir. Je le regarde bouger. Il tente visiblement de sauver le type qui se vide de son sang. C’est logique. Sa phrase fait plusieurs passages dans ma tête « Qu'est-ce que tu fous putain ! » Qu’est que j’ai fait ? Je viens de tirer sur un homme. Maintenant, j’erre dans une zone d’inaction où tout se déroule sur un écran au fond d’une salle obscure. je ne suis pas là. Jackson lui est bien présent passant de la toile au siège d’à côté. Il veut qu’on parte. Il veut l’arme. Il veut que je lui obéisse. Il parle à qui ? A la fille qui vient de mettre une balle dans le corps du connard ou à moi. Le policier bouge toujours. Il sait ce qu’il doit faire. Pas moi. Il me redonne l’arme que j’ai récupéré dans le squat. Je la regarde une seconde et la range dans ma poche. Il veille à notre incognito. Il prend mon bras pour m’entrainer loin du lieu du drame. Dehors, dans l’air frais de la rue, mon cerveau se remet en place. Mais on peut pas le laisser là. Il faut que tu l’arrêtes. C’est un de mes kidnappeurs. Il va encore s’échapper et on ne saura pas qui est le deuxième. C’est pas possible. Ça m’a pris trop de temps pour le trouver. Je refuse d’aller plus loin. Je veux y retourner. Le boulot n’est pas fini. Je tends le doigt vers l’immeuble. Je ne peux pas le laisser filer. Tu comprends ça ? Si tu ne veux pas te salir les mains, si t’as la trouille de le faire parler, je vais m’en occuper. J’ai vu faire Jake. Je peux reproduire. L’énervement est de retour. Je suis trop près du but pour laisser tomber et c’est pas un flic qui va se mettre en travers de mon chemin.

Je ne sais pas si nous sommes potes, mais je t'entends, il est bien un flic pour parler comme ça. Alors je dois accepter de t'obéir, comme ça ? Tu es le chef, tu décides tout, tu règles tout. Tu as le regard carré qu'oblige la loi sur ce qui vient de se passer. Je peux te donner un argument de poids contre lui.
 Mais tu as quelque chose pour l'arrêter, tu as moi. Je l'ai vu ce gars quand il me retenait prisonnière. Tu peux le mettre parmi cinquante types, je te le reconnais directement. En disant cela, je me rends compte que le témoin fiable que j'aurai pu être a pris un coup dans l'aile. Ça s'est dit gentiment, parce qu'il s'agit d'un coup de feu dans l'individu. En fait, il vient d'y avoir un glissement entre victime et bourreau. J'étais la première avant que j'appuie sur la détente, maintenant... je sais plus trop. Toute façon, il n'est pas une oie blanche, mais moi, je ne le suis plus totalement, ou même plus du tout. Tant qu'à foutre en l'air ma vie...? Où en est-elle ma vie ? Aucune idée. Ma colère ne fait pas le poids en face de l'idée de me retrouver en prison. Je ne peux pas faire ça à mon frère et ma mère. J'ai une responsabilité envers eux. Tu veux faire quoi ? On se barre ? C'est tout ? Je ne peux pas m'empêcher de regarder derrière moi. De chercher des idées pour l'empêcher de disparaitre. 
Et si on appelle les secours, il va être emmené à l'hôpital. Il ne filera pas. On saura où il est. Et tu pourras chercher un truc pour le mettre sous les verrous. Mais, bon il a raison. Je viens de mettre dans une merde pas possible en lui tirant dessus. Avec en prime un témoin et en sur-prime un flic. Il ne m'a pas passé les menottes. Je dois prendre ça pour de l'aide généreuse. Une aide qui le met mal par rapport à sa fonctionne. Sa fonction ? Mais attends, pourquoi tu n'as pas sorti ta plaque de police pour le calmer et tes menottes ? Qu'est-ce que tu faisais là ? Et me dis pas que tu portes le nouvel uniforme de la police néozélandaise !