Savoir tendre la main est nécessaire [Feat. Ashley Wilder]

Avant de partir, Sasha faisait partie de l'association des anciens combattants. Il a rencontré plusieurs personnes dans ce cadre, mais depuis qu'il avait remis les pieds en ville, après plus de quatre ans d'absence, il n'avait pas remis les pieds sur place. Ayant un peu de temps libre en cette fin d'après-midi, l'italien avait envisagé d'aller y faire un petit tour, ne serait-ce que pour voir si les personnes qu'ils avaient connues sont toujours présentes et puis, potentiellement découvrir de nouvelles têtes aussi.

Au vu du beau temps, Sasha avait privilégié sa moto plutôt que sa voiture ce matin en se rendant à la concession. C'est donc après s'être garé sur le parking, casque à la main qu'il pénétre dans le batîment, où plusieurs personnes sont déjà présentes. Il en salue quelques unes d'un simple geste de la tête, s'avançant un peu plus encore parmi les présents. Certaines têtes lui sont familières. Il s'attarde avec quelques connaissances, servant quelques mensonges concernant son absence avant de les laisser entre eux pour se diriger vers une femme qui semble pour le moment être seule.

" - Bonjour. Vous êtes nouvelle ici non ?"

Sasha ne prétendait pas connaître tout le monde, loin de là, surtout après sa longue absence. S'il fréquente cette association, c'est d'une part pour pouvoir discuter de sujets sensibles avec des personnes qui peuvent le comprendre, et puis, aussi parce que ça lui permet de vivre par procuration le rêve qu'il a dû abandonné bien trop tôt.

Ashley n’avait toujours pas trouvé de travail, enfin plutôt n’avait pas trouvé d’idée de travail, depuis qu’elle avait quitté les rangs de l’armée. Cela faisait maintenant quatre mois qu’elle était de retour à Island Bay, quatre mois qu’elle était redevenue civile, et rien ne lui faisait envie. Comment repartir de zéro lorsqu’on avait passé autant de temps à se sentir dans son élément à exercer le seul métier qu’on avait appris, dans lequel on s’était tout de suite sentie bien ? La jeune femme ne pouvait même pas de reposer sur un autre domaine dans lequel elle aurait fait des études ou sur une autre expérience professionnelle : dès la fin du lycée elle avait signé son contrat dans l’Armée de l’air. Alors forcément, aujourd’hui elle était un peu perdue, un peu dépassée par tout ce qui se passait autour d’elle finalement.
Alors, quand elle sentait le besoin d’être entourée par des gens qui pouvaient comprendre ce qu’elle vivait, elle se rendait à l’association des anciens combattants, de plus en plus souvent d’ailleurs. Elle y croisait des hommes et des femmes qui savaient ce qu’elle traversait, qui trouvaient parfois les bons mots pour l’apaiser, pour la déculpabiliser. Ce n’était pas grave de ne pas savoir, lui avaient dit certains, il fallait qu’elle prenne le temps de se retrouver elle-même, en tant que femme, sous l’uniforme qui avait bâtit un mur entre elle et les civils. C’était peut-être ça, le problème : qui était-elle ? Qui était Ash, sans son treillis, sans son grade ? Elle n’était pas vraiment certaine de le savoir…
Malgré cette incertitude, les factures continuaient à tomber : elles, elles ne s’arrêtaient jamais pour faire le point sur leur vie. Pour le moment, Ash vivait de ses économies, mais elle était loin d’avoir mis une tonne d’or de côté. En plus du stress de sa petite crise identitaire, s’ajoutait le besoin pressant de faire rentrer de l’argent sur son compte en banque. Elle refusait de demander de l’aide à ses parents et n’avait pas le droit à une retraite militaire étant donné les circonstances de son départ. Il fallait qu’elle sache quoi faire de sa vie…
Ash était assise dans un coin de la salle commune de l’association lorsqu’un homme interrompit son flot de pensées stressantes, lui demandant si elle était nouvelle. L’homme était plus âgé qu’elle, mais il était charmant. La brune se reprit et étira ses lèvres en un sourire poli avant de se redresser et de tendre la main à l’homme en face d’elle. « Bonjour. Pas vraiment, je traîne ici depuis quelques mois. Et vous ? » demanda-t-elle.

Si Sasha avait fait un petit bout de chemin pendant son absence en ville, il lui restait encore certains défauts ou certaines mauvaises habitudes qu'il n'arrivait tout simplement pas à laisser tomber. Comme celle de se préoccuper toujours de ce que pourrait penser les autres de lui au premier coup d'oeil. Ça avait toujours été un de ses points faibles, l'italien a toujours accordé trop d'importance à l'avis des gens extérieurs, de parfaits inconnus, pourtant ça le touchait toujours profondément, même s'il savait garder la face devant les autres, mais une fois seul, ce n'était pas la même chose.

C'est aussi pour cette raison qu'il aimait venir à l'association des anciens combattants, parce que là-bas, Sasha savait que personne ne le jugerait, ils étaient tous dans le même bateau après tout. Certains avaient décidés de leur propre chef d'arrêter leur carrière dans l'armée, d'autres comme lui, avaient été forcé d'abandonner pour diverses raisons, et c'est dans leur conseil qu'il avait trouvé un semblant de force. Malgré ça, il n'en demeurait pas moins du désir qu'il entretenait pour cette vocation. Certes le quadragénaire avait su se retourner quand il avait tout perdu, il s'était dirigé vers sa passion pour la mécanique, mais tout le monde n'avait pas cette chance d'être animé d'un puissant désir pour une discipline autre que celle dans laquelle on a évolué durant des années.

Se dirigeant vers la femme seule, il la salua et entama la discussion. Il serra la main de son interlocutrice tout en écoutant attentivement sa réponse. Évidemment qu'elle n'était pas nouvelle, il s'était barré il y a quatre ans de ça, le monde ne s'est pas arrêté de tourner après son départ, c'est une évidence.

" - Ça fait un bail que je fréquente l'association, mais j'ai pris un petit de recul durant quatre ans et je reviens tout juste. C'est la première fois que je reviens ici depuis que je suis revenu en ville, ce qui explique que je ne vous ai jamais croisé auparavant.

Oubliant presque les bonnes manières, tandis qu'il serra sa main, une poigne ferme soit dit en passant.

" - Je m'appelle Sasha." fit-il tandis qu'un sourire illumina son visage déjà bien abimé par la vie et par le temps.

Ashley ne s’attendait pas vraiment à discuter, ce jour-là. Elle s’était rendue à l’association des anciens combattants surtout pour sortir de chez elle et s’aérer un peu, et aussi pour regarder sur le tableau en liège s’il n’y avait pas des offres d’emploi qui lui donneraient envie. Evidemment, elle n’en avait pas trouvé, alors elle s’était assise sur le canapé de la salle principale, se perdant dans ses pensées sur son avenir, sur son passé, sur ce qu’elle avait raté au non… Alors forcément, en voyant un homme s’avancer vers elle pour lui parler, Ash avait été légèrement surprise. C’était stupide, finalement, puisque cette association était surtout un lieu de parole entre anciens combattants, un lieu dans lequel toutes les personnes présentes avaient quelque chose en commun et pouvaient donc plus facilement interagir et se comprendre. Les civils ne comprenaient parfois pas ce besoin de trouver quelqu’un qui avait fait l’armée, comme si le simple fait de partager cette expérience pouvait rapprocher les gens…
L’homme qui l’avait abordée serra la main d’Ash avant de déclarer qu’il fréquentait l’association depuis un moment maintenant mais qu’il était parti quelques années pour prendre du recul sur sa vie. « En effet, il y a quatre ans j’étais encore à l’armée » répondit-elle pour rebondir sur le fait qu’ils ne s’étaient pas croisés avant. Peut-être devait-elle faire ça, elle aussi, partir pour prendre du recul ? Cette ville était remplie de vieilles connaissances et autres amis d’enfance qui avaient fait leur vie, trouvé leur voix, avaient fondé une famille… Toutes ces choses qui aujourd’hui lui rappelait que de son côté il n’en était rien… L’ancienne militaire se dit qu’elle devrait penser à lui demander, si partir pour prendre du recul l’avait aidé. Elle le ferait peut-être plus tard dans la conversation, là c’était trop tôt, elle ne voulait pas passer pour une fouine.
L’homme se présenta ensuite, avant un grand sourire sur le visage. « Enchantée, moi c’est Ashley, mais on m’appelle Ash » dit-elle en répondant à son sourire également. « Vous faisiez partie de quel corps ? » demanda-t-elle ensuite.

Sasha appréciait venir à l'association, il s'y sentait à sa place, il savait qu'il n'aurait pas besoin de jouer un rôle, de mentir sur comment il se sent, c'est une véritable libération de pouvoir être lui-même l'instant de quelques heures, entourés par des personnes qui peuvent le comprendre dans les blessures qu'il a enfoui depuis tant d'années.

Il ne passait pas tout son temps libre sur place, mais l'italien aimait y aller régulièrement, il avait presque l'impression d'être normal auprès de toutes ces personnes, et c'est aussi de ça dont il avait besoin. D'être "normal", même si cette notion est très subjective.

Souhaitant en savoir plus sur la jeune femme présente ce jour-là. Une fois les présentations faites, le quadragénaire lui adressa un large sourire. Il n'avait pas pour habitude d'entamer des conversations, alors quand il le faisait et que tout se passait bien, il était plutôt content d'avoir fait le premier pas.

" - Alors enchanté Ash" fit-il d'un ton enthousiaste, peut-être un peu trop d'ailleurs.

Il espérait ne pas l'avoir effrayé avec son trop-plein d'enthousiasme, mais lorsqu'elle poursuivit la discussion en le questionnant sur ses années militaires, il était toujours partagé d'en parler. D'un côté évidemment, il était plus que fier d'avoir pu enfiler l'uniforme et défendre les civils, de l'autre, en parler remuait toujours un peu le couteau dans la plaie, lui rappelant que désormais il n'était plus qu'un civil tenant une concession automobile.

" - J'étais dans l'armée de terre, et vous ?"

Ce qu'aimait Sasha lorsqu'il y avait de nouvelles têtes, c'était ce genre de discussion, connaître le parcours réalisé, ça lui donnait toujours l'impression de vivre un peu par procuration, histoire de prolonger un peu plus son rêve brisé.

L’association était un vrai lien social pour les anciens combattants qui revenaient dans la vie civile, par choix ou non d’ailleurs. Ils pouvaient se retrouver ici et discuter, échanger, se comprendre sans jugement, sans avoir besoin d’expliqué tout ce qu’ils voulaient dire. Les militaires, ils se comprenaient, ils avaient le même jargon et des expériences similaires. C’était ce qui faisait tant de bien à Ashley, quand elle venait ici. Elle n’avait pas besoin, comme devant ses parents, de définir les termes militaires ou encore de faire attention à ce qu’elle pouvait ou non dire. Le couple Wilder était des gens adorables, mais leur fille évitait bien souvent de leur décrire les blessures qu’elle avait pu avoir ou les armes qu’elle avait maniées, ou encore les difficultés qu’elle avait eu avec certains macho qui ne comprenaient pas comment une femme pouvait rejoindre les rangs de l’Armée. Elle les préservait comme elle le pouvait de tout ça…
L’homme en face d’elle exprimé un certain enthousiaste lorsqu’elle se présenta à lui, ce qui fit sourire la jeune femme. Il l’appela par son surnom, ce qui lui faisait plaisir aussi. Bien qu’elle le précisait toujours, certaines personnes ne le faisaient pas et utilisait son prénom, qu’elle n’appréciait pas trop en vérité. Ash c’était mieux, c’était plus percutant, plus simple, plus court, moins précieux. Parce qu’elle n’était pas une femme précieuse, pas du tout même. Alors elle avait choisi Ash pour coller plus à sa personnalité, à ce qu’elle était.
Quitte à faire connaissance avec une nouvelle personne, autant faire la conversation ! C’était dans cet objectif qu’Ash interrogea le dénommé Sasha qui était en face d’elle. Il l’informa donc, après une légère hésitation qu’elle remarqua, qu’il faisait partie de l’armée de terre. La réputation des engagés dans ce corps de l’armée auprès des civils n’était pas franchement bonne : ils passaient souvent pour des soldats bourrus et idiots qui suivaient les ordres sans réfléchir. Les préjugés sur l’Armée se révélaient souvent faux, il suffisait de voir la façon donc l’homme avec un joli accent se comportait : il était poli, souriant et intéressant, rien à voir avec les stéréotypes qu’on pouvait entendre. « Un soldat, donc ! » commenta-t-elle avec un petit sourire. « Dans l’Armée de l’air, jusqu’à il y a peu » précisa-t-elle avec un petit haussement d’épaules.
Le moment était agréable, Sasha avait l’air sympathique et ce genre d’interactions sociales permettaient à Ashley de se sentir mieux, alors elle proposa « Vous voulez un café ? ». Cela leur permettrait d’avoir une boisson chaude dans les mains et de s’installer tranquillement autour d’une des tables de la pièce ou même sur le canapé dans lequel elle était il y avait encore quelques minutes.

Sasha n'avait jamais eu beaucoup de mal à tiser des liens, il n'est pas vraiment introverti, mais il n'est pas totalement extraverti non plus. Disons que ça dépend des personnes, des situations, et de son humeur aussi. Parce qu'il arrive à toute personne, de ne simplement pas avoir envie de faire la conversation à un moment donné, c'est légitime. Par chance, la femme qui lui faisait face était disposé à discuter avec lui, peut-être pas pendant des heures, mais au moins, elle avait l'air d'être plutôt enjouée de ce début de conversation entre les deux anciens militaires.

L'italien savait que parfois l'essentiel résidait dans de petits détails, en l'occurence avec la jeune femme face à lui qui s'était présenté avec sa véritable identité mais lui avait fait part de son souhait de surnom. Alors pour éviter de lui faire cet affront, à l'avenir il utilisera ce surnom plutôt que son véritable prénom. Un peu comme lui avec son second prénom qui a une plus grande importance à ses yeux que son prénom initial, même si peu de gens connaissent son deuxième prénom.

Quoiqu'il en soit, Sasha répond à son interlocutrice. Tout cela ramène pas mal de souvenirs dans sa mémoire, il essaye toutefois de ne pas trop y accorder d'importance et se contenter de sourire pour faire bonne figure. Parfois les hommes envoyés sur le terrain en première ligne sont traités de sans coeur, parce que c'est à eux qu'incombe le fait de devoir faire "le ménage" afin de protéger leurs coéquipiers, mais ça n'empêche que les hommes sur le terrain ne sont pas les mêmes que ceux sans uniforme, ce n'est pas le même état d'esprit en civil qu'avec l'adrénaline du terrain.

" - Un soldat et une pilote, on pourrait presque former une équipe à nous deux !"

Tout cela est ironique évidemment. Les psys qui avaient suivit Sasha avait remarqué qu'il utilisait souvent l'humour - bien qu'il ne vole pas très haut - pour se protéger, pour cacher une vérité qui peut être douloureuse pour lui. Ici, c'était sans doute la blessure de son rêve brisé.

" - Allons-y pour un café !" fit-il sur un ton enjoué.

Bien que n'aimant pas le café et étant plutôt adepte d'un bon chocolat chaud, ce petit péché lui a valu plus d'une fois des moqueries, comme quoi soit disant le chocolat chaud est réservé aux enfants et non aux adultes. A vrai dire, il n'en a que faire tant qu'il se régale avec une bonne boisson chaude.

" - Je vais vous poser une question indiscrète et vous n'êtes pas obligé d'y répondre, mais ça fait longtemps que vous n'êtes plus en fonction ?" demanda-t-il tandis qu'ils étaient en chemin pour chercher leurs boissons chaudes. Il savait aussi, qu'en la questionnant ainsi, il allait lui aussi certainement devoir répondre à cette question.

Ashley n’était pas une personne froide, à vrai dire elle était plutôt tout l’inverse : chaleureuse, souriante et très sociable. Le seul aspect de sa personnalité qui péchait était peut-être sa difficulté à intégrer un groupe exclusivement féminin. Les années passées à l’Armée avaient fait d’elle un véritable caméléon lorsqu’il s’agissait de s’adresser à des hommes, elle avait d’ailleurs de très nombreux amis du sexe opposé quand au contraire elle possédait peu de liens avec des femmes. Elle avait bien quelques amies, comme Brooke et Alexie, mais son carnet d’adresse ne comptait guère plus de prénoms féminins. Et puis bon, il fallait admettre que la première était comme elle sur certains points : Brooke avait aussi évolué dans un milieu d’hommes et était loin d’être une femme précieuse faisant des chichis ! En bref, face à un homme qu’elle venait de rencontrer, un ancien militaire qui plus est, la brune se sentait parfaitement à l’aise et n’avait aucun mal à se sociabiliser. Au contraire même, elle était même plutôt ravie d’avoir quelqu’un à qui parler un peu.
L’ancienne militaire avait toujours profondément respecté les soldats de l’Armée de Terre. Sans pour autant faire une hiérarchie des différents corps, elle s’était toujours dit qu’être au sol devait être bien plus effrayant qu’être dans un cockpit, au-dessus des lignes de front. Il fallait être courageux pour s’engager dans un combat en face à face sans avoir une carlingue autour de soi pour mettre une certaine distance avec l’ennemi. Évidemment, elle ne dénigrait absolument pas le courage des pilotes, il fallait aussi avoir du cran pour se lancer dans une guerre à des centaines de mètres au-dessus du sol le tout avec des missiles faisant parfois sa taille ! La réflexion de la jeune femme n’avait donc absolument pas été négative mais plutôt pleine d’admiration. Ash laissa échapper un petit rire à la réflexion de l’homme posté en face d’elle. « Et quelle équipe ! » ajouta-t-elle avec un sourire. Sasha lui faisait une bonne impression, vraiment. Il avait l’air particulièrement gentil et très professionnel, ce qui mettait la jeune femme en confiance.
L’homme valida la proposition du café et Ash se dirigea alors vers une petite cuisine dans laquelle se trouvait tout le nécessaire à la concoction d’une bonne boisson chaude. Sasha lui emboita le pas et l’informa qu’il allait poser une question indiscrète à laquelle elle n’était pas obligée de répondre, ce qui fit sourire la brunette. Cette façon de faire était typiquement militaire : prévenir avant de poser une question. Elle avait remarqué ça chez beaucoup de ses camarades militaires. L’homme lui demanda alors si ça faisait longtemps qu’elle n’était plus en fonction. Ashley aurait bien répondu que ça lui paraissait déjà faire une éternité mais se contenta d’une réponse sérieuse. « Quelques mois… Depuis fin octobre en fait » dit-elle en soupirant. On pouvait aisément deviner que ça lui manquait, elle avait même parfois l’impression que c’était inscrit en gros sur son visage. Tout comme la culpabilité qui la rongeait parfois quand elle était seule chez elle le soir sans savoir quoi faire de sa vie et qu’elle repensait à l’accident…
Arrivée dans la petite cuisine, Ash se tourna vers Sasha elle lui retourna la question tout en sortant deux tasses d’un placard, précisant au passage « Évidemment vous n’êtes pas obligés de répondre non plus ! ».

Si certaines personnes avec qui Sasha avait travaillé étaient assez réfractaires à la présence de femmes dans leur équipe, l'italien lui au contraire appréciait avoir une présence féminine à ses côtés. Pas pour le côté émotionnel ni même sexuel, ce que certains pouvaient penser, mais simplement pour diversifier les points de vue et avoir une équipe un peu moins bourru. Une femme rajoute toujours une petite touche de finesse et ça ne faisait pas mal. Dans la vie civile, Sasha avait toujours eu une certaine admiration pour les femmes, lui qui les plaçaient toujours sur un piédestal, dans sa courte carrière, il avait agit de la même façon, essayant de les intégrer intégrer mieux qu'il pouvait et gérer les aspects un peu moins facile pour une femme au milieu d'hommes. Il n'avait pas eu d'échos négatifs c'est que tout le monde avait dû être satisfait.

Le quadragénaire n'avait jamais été un charmeur dans l'âme, il plaisait c'est vrai, mais la vérité c'est qu'il n'en avait pas conscience, et c'est probablement ça qui faisait encore plus son charme. Mais même une fois conscient de son effet, il n'avait jamais cherché à en profiter, encore moins dans l'armée. Il a toujours tenu à séparer sa vie privée de sa vie professionnelle, bon avec son ex-femme il avait clairement échoué, mais il ne le regrettait pas. Du moins, pas d'avoir baissé la garde et d'avoir franchit les étapes une par une. Et si c'était à refaire, il le referai sans hésiter.

Après avoir questionné la jeune femme sur la durée depuis laquelle elle était redevenue civile, il écouta attentivement sa réponse et remarqua une toute autre émotion qui se dessinait sur son visage, et qui faisait écho au niveau du timbre de sa voix. Le terrain semblait lui manquer, son retour à la vie civile était encore récent, et c'était loin d'être une chose aisée. Beaucoup de militaires sont suivis par des spécialites pour se réadapter à la vie extérieure et pour ne pas sombrer dans les méandres des souvenirs douloureux qu'ils possèdent. Sasha aussi y avoir eu le droit à l'époque, sans succès. D'autant plus que son état général lui rappelait tous les jours cette mission qui avait mal tournée. Jamais il ne pourra oublier chaque seconde de cet instant.

Présent dans la salle de pause, où trônait différents biscuits à grignoter ainsi que le matériel pour préparer thé, café ou toute autre boisson chaude désirée, la brune lui  retourna sa question. Ne pas répondre serait un manque de respect, elle avait joué franc-jeu avec lui, à lui de répondre sincèrement à la question. Son visage devient plus grave et sa voix plus rauque.

" - J'aurai bien dit que je ne compte plus les années, mais c'est faux.. Ça fait 21 ans que j'ai dû quitter l'armée.." avoua-t-il difficilement.

Vingt-et-un an que sa vie avait basculée une première fois. Vingt-et-un qu'il était passé à côté de la mort. Ce n'était encore qu'un gamin à l'époque, il n'avait même pas atteint la trentaine, et aujourd'hui, la cinquantaine le guettait. Son regard se perdit dans le vide durant quelques instants, était rappel à l'ordre par des voix qui pénétraient à leur tour dans la salle de pause afin de venir se servir en boisson et biscuits. Un sourire de façade s'afficha sur son visage mais reparler de ce jour le bouleversait toujours autant. Il n'avait pas fait son deuil, ni de sa carrière écourtée ni de son divorce.

Les deux anciens militaires, maintenant civils, étaient dans la salle de pause pour prendre un café ou une quelconque boisson chaude pouvant les réconforter. Lorsqu’Ashley répondit à sa question en lui disant depuis quand elle ne faisait plus partie de l’Armée, l’homme en face d’elle l’écouta avec intérêt. La jeune femme lui retourna ensuite la question, non sans lui préciser qu’il pouvait tout à fait ne pas répondre et esquiver sans que ce soit grave. Après tout, certaines personnes n’avaient pas du tout envie de parler de ce passé – parfois compliqué – pendant lequel ils avaient servi leur pays. Ash avait croisé des gens, dans cette association, qui en parlaient le moins possible, ne donnant aucun détail, évitant soigneusement certaines parties… Elle pouvait comprendre ça, totalement même. Elle était plutôt bienveillante, alors jamais elle ne forcerait qui que ce soit à lui répondre s’il ne se sentait pas capable ou à l’aise de le faire. Elle ne considérait pas que, sous prétexte qu’elle avait répondu, il était obligé de faire de même. Ce n’était pas comme ça que fonctionnaient les relations humaines, en tout cas pas selon elle.
Sasha répondit quand même, bien que l’expression inscrite sur son visage changea pour devenir plus grave et plus sombre aussi. Cela faisait déjà vingt et un an qu’il avait cessé de servir sous les drapeaux. C’était si long… La jeune femme ne pouvait pas imaginer passer autant de temps en civil, et pourtant c’était ce qui allait se produire, puisqu’elle ne faisait plus partie de la Royale Air Force. Se main se crispa légèrement sur la tasse qu’elle allait tendre à l’homme en face d’elle. « Vingt et un an… » répéta-t-elle, le regard dans le vide. « C’est long » commenta-t-elle simplement avant d’être tirée de ses pensées par deux hommes faisant partie de l’association qui venaient eux aussi chercher quelques biscuits et boissons. Ash les salua d’un signe de tête et s’écarta quelque peu pour les laisser faire. « On passe juste prendre ça ! » déclara le premier, un grand blond, en saisissant deux canettes de coca posées sur la table avant de ressortir de la pièce.
Une fois de nouveaux seuls, Ashley désigna les chaises autour de la table à Sasha pour lui indiquer où s’installer. « Thé, café, chocolat chaud, soda ? » énuméra-t-elle mécaniquement en se dirigeant vers le petit plan de travail. Une fois la réponse obtenue, elle prépara les deux tasses, la sienne contenu un café bien noir, et s’installa en face de Sasha en lui tendant sa préparation. Elle observa l’ancien militaire en buvant une gorgée du liquide chaud. « Et vous faites quoi maintenant, dans la vie ? » demanda-t-elle, ne posant pas encore la question qui lui brûlait réellement les lèvres : avait-il facilement ce qu’il voulait faire après ? Comment avait-il fait ? Ashley cherchait désespérément quoi faire de sa vie maintenant qu’elle n’était plus militaire, et elle tentait de trouver de l’inspiration et de l’aide partout où elle le pouvait !

Depuis aussi longtemps que le quadragénaire se souvient, il avait toujours voulu défendre sa nation, que ce soit en faisant une école de police, en entrant dans les rangs par la suite, ou lorsqu'il avait enfilé l'uniforme militaire pour servir son pays avant toute chose, parfois au détriment du reste. Certains enfants rêvent de devenir pompier, professeur ou encore footballeur, Sasha n'avait jamais changé de voie dès lors qu'il avait mentionné son intérêt pour l'uniforme et la défense de son pays. Même si tout s'était terminé brusquement et qu'il en souffrait encore aujourd'hui, il ne regrettait rien. Pas une seconde passée sur le terrain. Pas une mission qui lui avait été confié, pour dire vrai, l'italien était même heureux d'avoir pu vivre ça, même si ça avait été trop court à son goût.

Tandis qu'il venait de lui confier depuis combien d'années il était redevenu civil, son regard se perdit quelques instants dans le vide, dans les souvenirs même s'ils étaient toujours aussi douloureux, malgré les années qui s'étaient écoulées. Il se reprit rapidement en affichant un sourire sur son visage, au même moment où deux personnes de l'association venaient chercher de quoi se rassasier avant de quitter la pièce aussi rapidement qu'ils y étaient entrés, laissant Sasha et la jeune femme de nouveau seul.

" - Je veux bien un chocolat, merci."

Sasha était amateur de chocolat chaud, même si certains se moquaient de son goût pour cette boisson qu'ils considéraient comme enfantine, il n'en avait que faire tant qu'il se régalait ! Il regarda la jeune femme préparer leur boisson respective et revenir auprès de lui. Il trempa ses lèvres dans son chocolat avant d'enserrer la tasse dans ses mains.

" - Par chance, j'avais une autre passion dans la vie : celle de la mécanique. Du coup, je me suis reconverti là-dedans et aujourd'hui je suis à la tête d'une concession automobile avec quelques bras pour m'aider, même si des mains supplémentaires ne sont jamais de trop !" fit-il en souriant.

Les affaires étaient fructueuses et il y avait de quoi faire. Même si le quadragénaire avait mis du temps avant de faire confiance et de confier son bébé à d'autres personnes, parfois quelques bras supplémentaires ne serait pas de refus !

" - Et vous, vous avez déjà repris le cours de la vie professionnelle depuis votre départ de l'armée ?"

Sasha lui révéla depuis combien de temps il avait quitté l’Armée, et c’était plutôt impressionnant. Ashley remarqua que, pendant quelques instants, il sembla ailleurs, comme absorbé par son ancienne vie qui devait forcément lui manquer un peu. C’était quelque chose dans son regard, comme une absence ou un vide… Mais il revint rapidement au moment présent, faisant même un sourire à la brunette. Elle prépara donc un chocolat chaud – si on pouvait vraiment appeler du chocolat en poudre comme ça – et un café au lait avant de s’installer à la table. « Et voici !» Ils dégustèrent leur boisson avant de reprendre une conversation, le temps de se réchauffer ou simplement de penser à ce qu’ils avaient en commun : la perte d’un métier cher à leur cœur.
L’ancien militaire affirma avoir eu de la chance puisqu’il possédait une autre passion que celle de défendre son pays, celle des voitures. Il lui expliqua être maintenant à la tête d’une concession automobile avec des employés, même si visiblement il en cherchait encore. Cette reconversion fit sourire la jeune femme, qui se souvenait très distinctement de son père réparant la voiture des voisins ou des amis, lui aussi passionnait par ce qu’il y avait sous le capot. « Vous êtes un chef d’entreprise alors, c’est impressionnant » dit Ash en portant la tasse à ses lèvres. Repartir de zéro, monter sa société, avoir des employés… Il fallait être courageux pour se lancer là-dedans !
Evidemment, vint le moment où l’homme assit en face d’elle lui posa la question à laquelle elle était gênée de répondre : que faisait-elle maintenant, puisqu’elle avait quitté l’armée ?
Evidemment, vint le moment où l’homme assit en face d’elle lui posa la question à laquelle elle était gênée de répondre : que faisait-elle maintenant, puisqu’elle avait quitté l’armée ? Contrairement à d’autres qui trouvent leur vocation dès le plus jeune âge, Ashley n’avait pas su tout de suite ce qu’elle voulait faire de sa vie. En réalité, elle ne s’était même jamais vraiment posé la question jusqu’à ce qu’un événement vienne tout bousculer dans sa jeune vie. Elle qui était un vrai rayon de soleil et qui était plutôt chanceuse avait du jour au lendemain compris l’importance de savoir se défendre et d’être forte. Un soir, après une séance de cinéma avec des amies, la jeune femme s’était faite agressée alors qu’elle rentrait seule chez elle. L’homme, qui sentait l’alcool à plein nez, n’était pas parvenu à réaliser son larcin jusqu’au bout : un héro du quotidien l’avait arrêté juste à temps. Mais le mal était fait. Ash avait été collée contre un mur froid et dur ; des mains inconnues et malveillantes étaient passées sur son corps, avaient touché, palpé, presque tous les recoins de sa peau ; un poids écrasant l’avait forcée à ne pas bouger ; la peur et la sidération l’avaient clouée contre ce mur presque autant que son assaillant… Aujourd’hui encore, la jeune femme se souvenait de tout, de cette peur qui s’insinuait dans tous les pores de sa peau, de cette sensation de dégoût qu’elle avait eu sur le moment et pendant des semaines après l’événement, et de cette culpabilité qu’elle avait portée pendant bien trop longtemps. Son oncle – qu’elle admirait depuis toute petite grâce à toutes ces médailles sur son uniforme militaire et toutes les histoires pleines de bravoure qu’il lui racontait – avait obtenu une permission pour venir la voir et avait réussi à aider la jeune fille en lui apprenant à se défendre, l’entraînant pour des choses basiques qui pourraient lui servir. C’était à ce moment précis qu’Ashley avait su ce qu’elle voulait faire de sa vie : entrer dans l’Armée, devenir une femme forte, faire partie de ces héros du quotidien et peut-être sauver des vies ou donner l’envie à d’autres jeunes filles de devenir fortes. Quand on avait une révélation professionnelle comme celle-ci, il était difficile de trouver quoi faire de sa vie après avoir dû y renoncer. Ashley joua quelques secondes avec sa tasse, faisant tinter ses ongles dessus. Elle fini néanmoins par relever les yeux vers Sasha avant d’hausser les épaules et de répondre d’une voix bien plus basse que depuis le début de leur conversation. « Pas vraiment… Disons que j’ai du mal à savoir quoi faire de ma vie, maintenant » Ce n’était pas quelque chose qu’elle disait à tout le monde, au contraire la plupart du temps – et surtout devant ses parents – elle essayait de faire la forte en disant qu’elle finirait bien par trouver, qu’elle voulait juste prendre du temps pour elle. Sauf que ce n’était pas ça. C’était juste qu’elle était complément perdue et vulnérable…

Sasha se perdit dans ses pensées l'instant que la jeune femme leur prépara leur boisson chaude respective, puis lorsqu'elle lui tendit sa tasse, il la remercia avec un large sourire. En tant qu'ancien militaire il y avait parfois des sujets qui étaient assez durs à aborder, comme le fait de parler de sa nouvelle vie. Il en était fier, ce n'était pas un souci, simplement, ça lui rappelait qu'il n'était plus au service de son pays, et que tout ce qui l'avait toujours animé n'était plus aujourd'hui. Évidemment, il avait dû se reconstruire, il n'avait pas eu le choix, il faut dire que frôler la mort vous permet de vous rendre compte de l'importance de certaines choses. L'italien avait fait le deuil de sa carrière avortée, du moins aux yeux des autres. Au fond de lui, il y avait toujours cette brèche qui s'ouvrait de temps en temps, rappelant la nostalgie et le manque de l'uniforme. L'envie de lâcher tout ce qu'il a construit et de revenir à l'essentiel : enfiler de nouveau l'uniforme pour défendre les personnes. Mais la peur l'en avait empêcher jusqu'à aujourd'hui. Sa condition physique, ses soucis de santé et son âge étaient tant de critères qui faisaient que s'il franchissait le pas, c'est un bureau qui l'attendait pas le terrain, et ça le tuerait plus qu'autre chose.

" - En vérité il n'y a rien de très impressionnant vous savez, j'ai surtout eu la chance d'avoir la bonne opportunité au bon moment, rien de plus."

Le quadragénaire n'avait eu la prétention d'être un chef d'entreprise, même s'il s'il était un. Il ne veut pas se voir comme supérieur aux personnes avec qui il travaille, il préfère les considérer comme ses égaux plutôt que de leur crier des ordres assit derrière un bureau à les observer pour savoir s'ils font correctement leur travail. Sasha lui, était plutôt du genre à donner sa chance à toute personne un tant soit peu motivée, même si elle n'y connaissait rien, tout s'apprend si on en a envie, et il serait ravi de transmettre sa passion à quelqu'un.

Vient le moment où inévitablement, le concessionnaire automobile retourne la question à son interlocutrice sur sa reconversion professionnelle. Elle semble nerveuse et pas forcément très motivée à répondre à la question. Sasha s'en mord les doigts, il ne souhaitait pas la mettre dans l'embarras. Mais après quelques minutes, elle finit par lui répondre d'une voix plus douce et plus basse que jusqu'à présent, comme si elle craignait que quelqu'un n'entende son aveu. Parce que c'est ce que ça semblait être : un aveu. Il n'y avait aucune honte à ne pas savoir dans quoi se reconvertir après une carrière militaire. Lorsqu'on a passé la moitié de sa vie à exercer le même métier, comment savoir ce qui est fait ou non pour nous ? Compliqué de savoir avec un simple cœur d'œil.

" - Vous n'avez pas de honte à avoir vous savez, c'est normal d'être perdu, je pense qu'on est tous passé par cette phase en se demandant qu'est-ce qu'on pouvait bien faire de notre vie après avoir passé des années à faire la seule chose qu'on savait faire." fit-il en poursuivant sur le même timbre de voix que la brune pour ne pas qu'elle est honte. " - La question est délicate je le reconnais, donc si vous ne souhaitez pas y répondre,je comprendrai."

Si la jeune femme n'avait pas retrouvé de travail, elle devait tout de même avoir un toit au-dessus de la tête, et donc les factures qui vont avec, comment faisait-elle ?

" - Comment vous vois débrouillez pour payer vos factures ?"[/ color]

Le brun avait une idée en tête, pas sur qu'elle plaise à la demoiselle face à lui, mais qui ne tente rien, n'a rien n'est-ce pas ?

" - Je vais vous faire une proposition, libre à vous d'accepter ou non évidemment, je ne veux pas que ça vous gêne. Mais si vous le désirez, l'instant de vous retourner je peux vous proposer une place à la concession automobile. Ça vous fera de l'argent, peut-être même rencontrer d'autres personnes et puis, peut-être que vous découvrirez une vocation qui sait" fit-il en souriant à son interlocutrice.

Ashley était tout à fait admirative de la nouvelle vie professionnelle de Sasha, de sa reconversion. Elle qui n’était même pas capable de savoir ce qu’elle voulait faire de sa vie n’imaginait pas pouvoir monter sa propre affaire, ce qu’il avait visiblement fait avec brio. Trouver sa voie n’était pas chose aisée, surtout lorsque vous aviez dédié votre vie à la défense de votre pays. L’homme en face d’elle avait renoué avec une passion, celle de la mécanique et des voitures, lui permettant ainsi d’écrire une nouvelle page. A l’heure actuelle, Ashley s’en sentait incapable. Avait-elle une passion dans la vie, à part celle de l’uniforme ? Honnêtement, elle n’en était pas certaine. Elle pouvait changer de voie tout en restant dans la protection, comme devenir policière, mais elle ne voyait aucun intérêt à cela. Ce n’était ni le même métier ni la même dynamique, et même si elle entrait dans les forces de l’ordre, son dossier militaire la suivrait, et donc l’accident aussi… Sasha affirma qu’il avait simplement eu la chance d’avoir la bonne opportunité au bon moment, ce qui fit sourire légèrement la brunette. « Les opportunités ne se créent pas toutes seules, et il faut savoir en faire quelque chose, ce que vous avez visiblement admirablement fait. » dit-elle avant d’ajouter « Vous devez ressentir une certaine fierté d’avoir réussi à monter votre propre entreprise ». Après tout, qui ne le serait pas ? Bien sûr, Ash se doutait bien que servir sous les drapeaux devait lui manquer, après tout cela manquait à tous les anciens engagés. Mais monter sa propre boîte, devenir patron, partir de rien… C’était une belle réussite, le genre que l’on montrait comme exemple.
Le sujet professionnel fut étrangement bien moins agréable lorsque ce fut au tour de la jeune femme de parler. Ash n’en parlait pas beaucoup, ou plutôt elle évitait soigneusement le sujet, que ce soit avec sa famille ou avec ses amis. Elle n’était pas fière de se retrouver à l’aube de ses quarante ans sans savoir quoi faire de sa vie. Elle n’avait jamais été une fainéante mais aujourd’hui elle passait ses journées chez elle, à chercher désespérément un sens à donner à sa vie. Les choses avaient changé de manière trop rapide et trop profonde. Elle adorait son ancien métier, la vie sur la base, ses collègues, ses élèves… Être instructrice lui avait tant apporté qu’elle avait du mal – voire l’impossibilité même – à s’imaginer faire autre chose de ses journées. Sauf que voilà, il fallait bien se rendre à l’évidence : elle devait vite trouver un travail.
L’homme en face d’elle, bien loin de se montrer moralisateur ou simplement étonné qu’elle n’ait pas encore trouvé de reconversion professionnelle, la rassura tout de suite en lui disant qu’elle n’avait pas à avoir honte, que c’était normal qu’elle ait du mal à trouver quoi faire de sa vie. Son ton et ses mots bienveillants rassurèrent la brunette qui osa relever les yeux vers lui avec un regard rempli de gratitude. Ça faisait du bien de tomber sur des gens qui la rassuraient sans lui dire « tu pourrais faire ceci », « tu serais super dans cela »… Il était parfois épuisant d’écouter les gens lui inventaient des métiers divers et variés, même si cela partait toujours d’une bonne intention. C’était particulièrement reposant d’entendre que c’était normal et qu’elle avait le droit d’être perdue. L’ancien militaire en face d’elle amorça sa question suivante en lui assurant qu’elle avait le droit de ne pas lui répondre, ce qui intrigua Ashley qui lui fit un signe de tête pour qu’il continue. La question posée était légitime, après tout sans travail difficile de subvenir à ses besoins. « J’ai toujours été très économe » expliqua-t-elle. « J’avais réussi à mettre pas mal d’argent de côté ces dernières années, comme je ne suis pas très shopping et que je ne me suis jamais accordée de voyage… Mais mon compte en banque n’est pas infini » soupira-t-elle en prenant sa tasse chaude dans les mains et en s’enfonçant sur le siège qu’elle occupait. Ses économies fondaient à vue d’œil, et elle n’aurait bientôt plus assez d’argent pour subvenir à ses besoins sans demander de l’aide à ses parents, ce qu’elle s’était toujours refusée à faire. Il fallait donc qu’elle se trouve un avenir professionnel, et vite, quitte à prendre un travail à visé purement alimentaire qui ne la faisait pas rêver. Peut-être que le fast-food pas loin de chez elle recrutait ?
Sasha reprit alors de nouveau la parole, disant qu’il allait lui faire une proposition qu’elle était libre de refuser. Sentant le sérieux de la chose, la jeune femme se redressa sur sa chaise. Cet homme qu’elle connaissait depuis quoi, une heure, venait de lui proposer un travail dans sa concession. Certes, cela faisait des années qu’Ashley n’avait pas touché à la mécanique, mais c’était quelque chose qui l’intéressait depuis toute jeune, lorsque son père lui montrait comment réparer des vieilles motos dans leur garage. « Vous me proposez un travail » observa Ashley, le disant à voix haute pour se rendre compte de la chose. Elle lui sourit avant d’hocher la tête. « Si vous m’en croyez capable, alors oui avec plaisir ! Que recherchez-vous ? Des mécaniciens ? Des secrétaires ? J’avoue ne pas avoir touché un moteur depuis de nombreuses années… » dit-elle de manière à être parfaitement honnête avec lui. Clairement, elle n’allait pas pouvoir faire des miracles s’il lui demandait de trouver pourquoi une voiture faisait des siennes, mais elle apprenait vite, s’il le fallait. Peut-être avait-il besoin d’une personne pour un travail moins spécialisé, ce qui était faisable aussi !
La jeune femme était en fait très touchée par le geste de Sasha, par sa proposition et sa confiance. Ce n’était peut-être pas grand-chose pour lui, mais cela représentait beaucoup pour elle.

Après la rupture brutale de son rêve, Sasha était dans le même état que la jeune femme. Il n'arrivait pas à s'imaginer faire autre chose, c'était son rêve, sa vie, il ne savait rien faire d'autre. Pourtant, il avait dû se relever, ce qui n'avait pas été simple. Il était passé à deux doigts de la mort, alors sa vision était sans doute un peu différente de celle d'Ashley, mais la finalité était la même. Il ne s'était pas levé un matin en ayant un flash sur le métier qu'il voulait exercer. Les choses s'étaient présentées à lui, il n'avait fait que saisir cette opportunité qui lui permettait aujourd'hui d'être son propre patron, d'avoir son affaire et même quelques salariés pour l'aider à mener à bien les différentes missions auxquelles il doit faire face. Il est vrai qu'il était fier, mais l'italien n'était pas très fort pour montrer ce qu'il ressentait, ni même du genre à se mettre en avant, en disant que lui avait réussi dans la vie. Il préférait de loin montrer à la jeune femme qu'en étant parti de la même situation qu'elle, il avait trouvé une solution pour s'en sortir, alors ce n'était qu'une question de temps avant qu'elle ne fasse de même.

" - C'est toujours flatteur d'entendre ce genre de remarque, mais vous savez, le dicton qui dit que lorsqu'on veut on peut, je crois que c'est à lui que je me raccroché à l'époque. Sans ça, je serai incapable de vous dire si je serai là devant vous aujourd'hui." fit-il souriant et nostalgique à la fois avant de poursuivre " - Je n'ai jamais été du genre à me faire mousser ou mettre en avant ma réussite. Certes je suis content de ce que j'ai accompli, dire le contraire serait mentir, mais sans certaines aides que j'ai reçu, je n'aurais pas pu y arriver. Tout est une question de timing, et j'ai eu le bon."

Il aurait pu en profiter pour être le centre de l'attention mais il n'aimait pas ça. La jeune femme lui expliqua sa situation, et face à la réaction de l'ancien militaire, elle semblait surprise. Elle avait sans doute eu le droit à certaines remarques sur sa reconversion de la part de son entourage et de ses amis, mais aucun ne pouvait réellement comprendre ce dont il résultait. Comme sur les différents traumatismes que pouvaient ressentir les anciens militaires, seul leurs semblables pouvaient comprendre.

Il sourit en l'entendant dire qu'elle était économe, ce qui lui avait permis de tenir jusqu'à maintenant. Il se reconnaissait en elle. Malgré le fait que désormais son porte-monnaie débordait, il n’était pas pour autant du genre à dépenser son argent sans compter. Disons que s'il voulait se faire plaisir, il avait le moyen de le faire, mais ce n'était pas tous les trois matins non plus. Une idée traversa alors l'esprit de l'italien. Une idée qui pourrait peut-être plaire à Ashley si elle acceptait la main tendue qu'il lui tendait.

" - Je pars du principe que tout le monde a le droit à sa chance. Alors si je peux être celui qui vous donne la vôtre l'instant que vous trouviez un sens qui vous convient, j'en serai heureux."

En réalité, Sasha n'était pas en recherche absolue d'une paire de main supplémentaire, mais il y avait assez de travail pour elle si elle le souhaitait.

" - Peu importe, le domaine dans lequel vous vous sentirez le plus à l'aise. Ça peut être le mécanique si vous voulez, mais ça peut aussi être plus axé sur des missions de secrétariat. C'est au choix."

L'italien était un patron plutôt cool, il essayait d'arranger tout le monde pour que ça se passe au mieux. Il préférait de loin une personne motivée même sans expérience, plutôt que quelqu'un avec des années d'expérience mais qui se contente du minimum. Quand il y a la motivation, la montée en compétence est beaucoup plus facile.

" - Si vous voulez le poste, il est à vous." énonça-t-il avec un large sourire.