Rather laugh with the sinners, than cry with the saints

C’est marrant parfois la vie. Il y a un peu plus d’un an, Noomi était au trente-sixième dessous ; ses pertes de mémoire ne s’espaçaient qu’un tout petit peu, elle avait cette très désagréable impression de ne pas voir sa fille grandir, que la vie n’avait plus aucune saveur et tout ce qui s’ensuit alors que Maxyne, elle, semblait refuser de voir la vérité en face et s’escrimait à faire comme si tout allait bien alors qu’aujourd’hui, les rôles étaient inversés – sans qu’elle en sache pourtant beaucoup plus, il y a néanmoins des signes qui ne trompent pas. A la différence que la grecque ne faisait pas seulement semblant que tout baigne. Tout baignait réellement. Enfin presque : oui, elle avait toujours quelques problèmes de mémoire mais bien moins graves et beaucoup plus espacés ce qui faisait qu’elle récupérait peu à peu la garde de Sarah. Si tout continuait d’évoluer de cette manière, peut-être même que tout redeviendrait comme avant – enfin presque étant donné qu’elle ne pouvait pas forcer son ex-mari à retourner vivre en Floride où il ne reverrait plus sa fille avant un moment ou encore l’obliger à faire comme s’il ne la connaissait pas. Bref, ça faisait donc un bail que la blonde n’était plus sortie dans un bar digne de ce nom. Sans doute depuis Noël, mais son amie semblait réellement en avoir besoin en ce moment alors aux grands maux les grands remèdes.

Les voici donc au bar, assises au comptoir, à commander des bières. Dans le pire des cas, Noomi appellerait son sauveur à la rescousse. Non, pas Jimmy, mais bien son père. Lui ne ronchonnerait pas si elle le sortait du lit à pas d’heure pour qu’il la reconduise à son appartement. Jimmy non plus, sans doute, mais ils étaient encore dans cette phase mignonne de leur relation – si tant est que quoi que ce soit puisse être mignon concernant Noomi et si on exclut le fait que les deux se connaissent depuis presque toujours et qu’il n’y avait donc pas à faire de manières entre eux –, alors elle préférait éviter.

« On voit où nous porte la soirée ? Qu’est-ce que t’en dis ? »

C’était souvent bien mieux que de tout prévoir car ça se passait quand même très rarement selon les plans, au grand dam de tout le monde. Et puis se laisser un peu vivre de temps à autre, ça ne peut faire de mal à personne.

On pourrait croire que ce genre de soirées lui rappellerait les heures les plus sombres de sa vie mais il n’en était rien. Notamment parce qu’elle avait beaucoup oublié de ces soirées-là, l’amnésie avait aussi parfois du bon. Ses souvenirs se résumaient à quelques sorties pour se changer les idées sans aller jusqu’à avec qui elle se les changeait. Probablement des inconnus de toute manière. Ce qui était une excellente chose dans le fond étant donné que, dès qu’elle passait la soirée dans un bar quelconque, la grecque n’était pas constamment assaillie par des flashs désagréables. Non, ça ne lui évoquait rien de trop négatif. Se laissait porter par la soirée était sans aucun doute le meilleur plan. Noomi n’était pas vraiment du genre à planifier quoi que ce soit de toute manière. Enfin, sauf lorsque ça concernait son rôle de maman, évidemment. Si elle avait toujours aimé l’imprévu, elle préférait de loin qu’ils ne surviennent pas trop quand elle se trouvait en compagnie de Sarah. En tout cas pour le moment, les choses pourraient encore changer quand ça fille serait ado… Le genre de perspectives qui lui sapait totalement le moral, pourtant, il faudrait bien qu’elle en passe par-là. Après quoi, Maxyne lui fit savoir que, quand bien même elles n’étaient pas du genre à se voir tous les jours, le fait d’écouter son émission de radio les gardait en contact. Ce qui est plutôt poétique, quand on y pense. Noomi étira un sourire avant de répondre à l’interrogation.

« Ouais, on m’a collé un nouveau stagiaire dans les pattes. On va bien voir combien de temps il tient, celui-ci. Il s’appelle Marcus. »

Pas qu’elle les fasse fuir, c’était même plutôt le contraire car la blonde aimait à croire qu’elle faisait un maître de stage des plus acceptables. Mais pour une obscure raison, les stagiaires qu’on lui avait confiés jusqu’ici n’étaient jamais resté bien longtemps ; l’un avait toujours su qu’il ne s’agissait pas de sa vocation, quant à l’autre, il avait passé son temps à essayer de l’évincer. Sans succès. Tout ça pour dire qu’elle pouffa à l’idée de son Jimmy en train d’utiliser une poupée vaudou alors qu’elle était contrainte de planquer les siennes à chaque fois qu’il passait la nuit à l’appartement, c’est-à-dire souvent. Ce qu’elle regretta aussitôt étant donné qu’il avait d’excellentes raisons d’en avoir peur.

« Oh non, t’inquiètes, c’est pas du tout son genre ! »

De plus, il avait l’habitude de devoir la partager de temps à autres. Le sujet se porta ensuite sur sa fille et comme toujours, le visage de Noomi s’illumina.

« Très bien ! Elle est toujours dans cette phase où elle attend la rentrée des classes avec impatience. J’suis pas sûre que ça dure mais on verra. Ça m’fait tellement plaisir de l’avoir un peu plus. »

Et de retrouver peu à peu la mémoire. Mais si les deux n’étaient pas si étroitement liés, elle n’en ferait pas grand cas, de sa mémoire.

« Et de ton côté ? Comment ça se passe ? »

Peut-être allait-elle faire fasse à un mur de silence. Mais peut-être pas alors ça valait la peine d’essayer.

A la question « pourquoi ses stagiaires pourraient éventuellement « fuir » ? », Noomi n’avait pas de réponse. D’ailleurs, elle ne s’était même jamais dit qu’ils pouvaient fuir quelque chose, encore moins elle mais elle comprenait surtout que son amie était en train de la charrier donc elle ne pousserait pas la réflexion plus loin et s’en tiendrait à ce qu’elle en avait déduit antérieurement : ses stagiaires n’étaient pas faits pour la radio. Elle non plus du reste, en dépit du succès qu’avait son émission, elle savait que ce n’était pas non plus sa vocation et avait longtemps vu ça comme un job d’appoint. Plus le temps passait et moins c’était le cas car si elle avait tant de succès dans le milieu, c’est qu’elle s’en sortait bien et que c’était sûrement plus fait pour elle que ce qu’elle avait pu penser de prime abord, mais elle ne voulait pas renoncer définitivement à sa carrière musicale non plus. D’autant que, maintenant que sa mémoire allait un peu mieux, elle pouvait s’y remettre petit à petit. Et puis l’un n’empêchait pas l’autre ; au contraire, les deux semblaient plutôt complémentaires.

« Ah, tu dois sûrement avoir raison. Qui n’serait pas impressionné par tant d’charisme ? »

La blonde plaisantait évidemment. Encore qu’elle supposait avoir du charisme, oui, mais de là à ce qu’il impressionne les autres à ce point, peut-être pas. Les deux jeunes femmes continuèrent à parler stagiaires et Noomi, pas peu fière d’être parvenue à se rappeler du prénom du sien en fit part à Maxyne. Qui tiqua un peu, suffisamment pour qu’elle s’en aperçoive. Marcus James. Oui ! Elle se souvenait encore mieux de son nom de famille, pas difficile à retenir étant donné qu’il s’agissait du même que le prénom de son copain.

« C’est ça ! Tu le connais ? »

Pas étonnant que la grecque ne fasse pas tout de suite le rapprochement : à l’époque où elles s’étaient rencontrées toutes les deux, les troubles de sa mémoire étaient vraiment très handicapant. Et si le prénom de l’ex de Max avait été mentionné, elle avait rapidement dû l’oublier, ne gardant en mémoire que le fait qu’il soit un connard.

Mais pour l’instant, elle était concentrée sur le sujet Sarah et Jimmy ; à savoir deux des trois personnes qui comptaient le plus dans sa vie – on n’oublie pas monsieur Savalas. Qu’elle profite, oui, c’est bien ce qu’elle essayait de faire un maximum mais elle ne put se retenir de faire la lippe.

« Ouais c’est vrai mais t’sais, j’regrette déjà l’époque où elle pleurait pour n’rester qu’avec moi. »

C’était un peu égoïste mais vrai, c’était comme de se prendre un petit coup de couteau à chaque fois que sa fille préférait passer du temps avec ses copines et le moins qu’on puisse dire, c’est que ça n’irait pas en s’arrangeant.

« C’est ça, trois jours par semaine et quelques jours pendant les vacances, on a pu partir en road trip sur la route 66. »

Passage obligatoire pour tout américain qui se respecte ! Puis la grecque s’intéressa à ce que son amie devenait et celle-ci lui parla de son neveu. Elle hocha la tête, confirmant ainsi que les enfants avaient quelque chose de vraiment salvateur quand ça n’allait pas.

« Des soucis de santé graves ? »

Maxyne avait dit « petits » mais elle avait également dit qu’ils « revenaient la pourrir ».

A l’évidence, Maxyne connaissait Marcus et Noomi ne s’en serait jamais doutée. Bon d’accord, le fait qu’il ait avoué être flic avant ça aurait peut-être pu lui mettre la puce à l’oreille mais le fait est que, malheureusement, il n’était pas le seul dans ce cas-là. Là où en revanche, son cas était un peu plus original, c’est qu’il avait décidé de choisir le milieu de la radio pour se reconvertir. Mais ça, Maxyne semblait ne pas être au courant avant ce soir. Pourtant, quelque chose l’intriguait : comment se faisait-il qu’elle n’ait pas reconnu sa voix ? Si les rôles avaient été inversés et que c’était Frank qui faisait de la radio, la grecque était à peu près sûre qu’elle aurait reconnu la sienne. D’accord, celle-ci changeait toujours lorsqu’on prenait l’antenne mais tout de même. Cela dit, il est vrai que son ex-mari et elle avaient passé dix ans ensemble, de quoi connaître l’autre sur le bout des doigts. Enfin soit, ce n’était pas un souci, ce qui l’était en revanche, c’était qu’elle bossait avec l’ex agressif de son amie et qu’étant elle-même passée par-là, cette information changeait complètement sa vision des choses. Le Marcus qu’elle connaissait était agréable. Bon d’accord, c’était un ancien flic et la blonde avait du mal avec ça, mais il était sympa, n’essayait pas de lui piquer sa place à tout prix et ainsi de suite. Soit il avait changé, soit il cachait bien son jeu. Ou encore un peu des deux à la fois.

« Merde, j’en avais pas la moindre idée. Mais si ça peut te rassurer, j’me méfiais déjà un peu de lui avant. Tu sais, étant donné qu’c’est un flic. »

La pire engeance, selon Noomi. Cependant, sa position ne lui permettait pas vraiment de faire quoi que ce soit. Autre que juger, puisqu’elle n’avait aucun pouvoir à la radio, elle devait se plier aux règles ainsi qu’aux exigences de ses patrons. Ce qui fait qu’aucune question ne se posait pour elle, il faudrait qu’elle tolère Marcus de toute manière.

De fil en aiguille, voilà que les deux jeunes femmes en vinrent à parler de leur vie personnelle ainsi que des gens qui la composaient et de leurs passions.

« Aucun projet d’aucune sorte, non. J’me contente de jouer quand l’envie m’en prend. »

Ce qui était déjà un sacré pas en avant puisqu’elle avait évité aussi souvent que possible de poser les mains sur le clavier d’un piano ces dernières années. Qui sait ? Plus tard peut-être reviendrait-elle à la musique mais pour l’heure, ça ne faisait pas partie de ses plans ; loin d’elle l’idée de cracher dans la soupe et le fait est que son émission ramenait bien plus d’argent à la maison que ses représentations dans les bars. Lorsqu’elle exprima ses inquiétudes concernant sa fille qui semblait peu à peu se détacher d’aller à mesure que les années passaient, son amie eut tôt fait de la rassurer : oui, c’était inévitable mais ça serait toujours vers elle qu’elle se tournerait en cas de besoin. Un sourire étira ses lèvres à cette idée avant qu’elle ne termine sa bière.

« T’as raison. Et puis j’me dis que si plus tard on a à peu près la même relation que celle que j’ai avec mon père aujourd’hui, j’devrai m’estimer très chanceuse. »

Mais c’était ce dont elle rêvait. Noomi ne pouvait pas se passer de son père, il avait toujours été son roc même dans les moments où ils n’étaient pas d’accord. Et puisqu’il avait grandement aidé à élever Sarah quand Frank était absent, y avait pas de raison que ça soit différent entre elle et sa fille une fois qu’elle serait adulte. D’ailleurs, en parlant de Sarah et de son Jimmy, elle évoqua leur petit – enfin, pas si petit que ça – roadtrip longeant la mythique route 66 et Maxyne en profita pour lui faire savoir qu’elle aimerait beaucoup faire ce voyage elle aussi. Peut-être même pourraient-elles le faire ensemble, l’une à moto, l’autre en Mustang ?

« On d’vrait faire ça, ouais. Se prévoir un peu plus de temps entre filles, aussi. »

Après tout, Noomi n’avait pas tant d’amies filles que ça, donc si elle ne pouvait pas compter sur Max, il lui restait pas tellement d’autres options. Et puis si ça pouvait lui faire penser à autre chose qu’à ses problèmes de santé… Qui étaient sans gravité, selon ses dires mais qui l’empêcheraient de continuer la plongée. Les séquelles de son accident. La blonde pouvait comprendre, notamment parce qu’elle aussi était une rescapée d’un accident, mais sinon… Disons qu’à contrario de son amie, elle n’était pas vraiment quelqu’un d’actif, encore moins de sportif, en dehors de ses explorations urbaines qui ne la mettaient pas vraiment à mal, elle était plutôt du genre à se prélasser et se ménager, donc ça irait de son côté.

« Mince, ça craint vraiment. J’t’aurais bien proposé de venir jouer les stagiaires à la radio mais j’doute que ça soit idéal pour toi. »

Notamment parce que ça reviendrait à côtoyer son ex presque tous les jours, inutile d’en rajouter une couche sans quoi ça se terminerait peut-être en meurtre. Et puis elle avait bien conscience que c’était pas fait pour tout le monde. Bosser de nuit dans un taf où il faut parler sans cesse durant des heures, c’était pas si simple qu’on pouvait le croire.

Ce qui n’étonna pas Noomi, c’est d’apprendre que Maxyne et Marcus s’étaient croisés, encore moins que ça ne s’était pas bien passé. Quand on a vécu une histoire aussi chaotique, il peut difficilement en être autrement, la blonde pouvait en attester. Sa propre relation avec son ex-mari n’était pas bien différente, si ce n’est que Frank avait beaucoup de mal à changer. La plupart des gens ne l’appréciait pas, encore aujourd’hui, et pourtant, lui aussi avait fini par s’assagir au moins un peu, c’est dire. En revanche, on peut dire que son amie avait de la chance étant donné que son ex avait l’air d’avoir compris qu’il valait mieux qu’il garde ses distances. Avoir un ex qu’on ne peut plus voir en peinture qui rôdait trop souvent dans les parages, c’était tout sauf la joie. Cette fois encore, Noomi pouvait en témoigner. Cela dit, aucun des deux ne faisaient ça de gaieté de cœur, seulement parce qu’ils y étaient contraints. Qu’ils le veuillent ou non, Frank et Noomi avaient une fille ensemble.
« Bon, c’est déjà pas mal s’il a compris qu’il valait mieux qu’il s’fasse tout p’tit. »
C’est vrai que Frank était flic maintenant… Elle avait encore du mal à y croire, on engageait vraiment n’importe qui dans la police. C’est bien pour ça qu’on ne pouvait pas compter sur eux. Raison de plus d’en rester aussi éloigné que possible et la grecque avait bien envie de trinquer à cette devise elle aussi. Quoi qu’il en soit, elle en vint à espérer elle aussi que Marcus ait vraiment changé parce que , comme pour Frank, elle n’a pas d’autre choix que de le côtoyer pour le moment.

Puis elle hocha la tête à la remarque de Maxyne concernant la musique. Exactement, sans pression c’était mieux. De toute manière, quand elle voyait le succès qu’elle avait à la radio, la paye et tous les avantages qui en découlaient, elle n’était pas du tout certaine d’avoir envie de retourner galérer dans les bars. C’était sa passion, c’est vrai, et comme tout le monde, elle aurait voulu pouvoir en vivre mais parfois, force est de constater que ça ne marche pas. D’autant qu’elle ne se plaisait pas si mal que ça à la radio. Ça restait lié à la musique de toute manière, même si elle n’en faisait plus. D’ailleurs, rien ne l’obligeait à ne plus en faire du tout ; elle pouvait toujours continuer pour elle, pour ses proches, tout en gardant son émission à côté. Et puis qui sait ? Peut-être sortir un album de nulle part un de ces jours, quelque chose sur lequel elle aurait eu le temps de travailler sans pression, justement, et avec les moyens nécessaires. Cette idée-là lui plaisait beaucoup.
Dans tous les cas, les deux blondes en vinrent à trinquer aux bonnes relations parents-enfants. Très juste, y avait pas de raison que sa relation avec Sarah se détériore et toutes les deux finiraient sans doute comme Noomi avec son propre père. Et pas comme avec sa mère, elle y veillait.

Et comme lors de toute bonne soirée digne de ce nom, elles firent des projets. De roadtrip, plus précisément. Ça ne serait pas la première fois pour la grecque, ni même la deuxième à vrai dire étant donné qu’elle avait déjà fait ce voyage dans sa jeunesse avec ses parents donc elle pourrait carrément servir de guide au besoin. Elle connaissait les choses à voir, les bars où boire, les motels où dormir, puis ça ne lui faisait pas peur de prendre la route des heures durant. Mais il n’y eut pas que le roadtrip au programme, il y eut également la promesse de passer un peu plus de temps entre filles. Si elle faisait le compte, Noomi n’en connaissait pas tant que ça. Ou plutôt si, mais elle n’en comptait pas tellement dans son cercle d’amis et la vérité c’est qu’une fois de temps en temps, ça faisait du bien de se retrouver entre nanas, à parler de trucs de filles et ainsi de suite. Comme les problèmes de santé de son amie. Bon, c’était pas vraiment un truc de filles, ça pouvait arriver à n’importe qui, mais se confier sur ce qui n’allait pas dans sa vie privée, voilà qui était tout de même plus féminin que masculin. Ainsi, il allait falloir qu’elle se reconvertisse elle aussi. Mais pas à la radio. Si c’était un domaine qui la tentait, y avait quand même un pépin de taille : Marcus. Ceci dit, Maxyne avait apparemment le temps de voir venir, de se préparer à ce changement, il fallait juste qu’elle fasse attention. La grecque acquiesça une fois de plus.
« T’as déjà une idée de ce vers quoi tu voudrais te tourner ? »
Car elle était certaine qu’elle avait déjà dû y réfléchir, ne serait-ce qu’un peu. Mais peut-être n’allaient-elles pas parler de choses qui fâchent toute la soirée. Comme le fit remarquer son amie, elles n’étaient pas là pour ça, même si Noomi n’avait rien contre. Terminant son verre elle aussi, elle jeta un coup d’œil alentours. Des tables de billard, des fléchettes et un jukebox. Pas idéal non plus, mais…
« Tu veux danser ? »
Pourquoi pas ? Y avait pas de piste de danse à proprement parler mais ça n’empêcherait pas d’autres personnes de se joindre à elles.

Spoiler:

Faire comme si de rien n’était, voilà qui était drôlement culotté de l’avis de Noomi. Elle aussi, ça l’aurait mise hors d’elle. Il ne fallait pas croire, de son côté, Frank n’était pas revenu de son plein gré, elle l’y avait forcé. Pas de gaieté de cœur, vous vous en doutez, pas non plus pour le faire chier mais parce que c’est lui qui avait récupéré la garde de Sarah pendant qu’elle végétait dans le coma et que devoir faire l’aller-retour Wellington-Miami coûtait un bras sans parler du fait que ça n’avait vraiment rien de pratique. Par conséquent, son ex-mari se montrait d’une mauvaise foi qui lui était propre, ne cessant de clamer à tout va que c’était de sa faute à elle, s’il avait dû revenir, se retrouver un logement ainsi qu’un travail et tout ce qui s’ensuit. En d’autres termes, il lui en voulait beaucoup pour ça et ne manquait jamais une occasion de le faire savoir. Ce qui avait tendance à le rendre antipathique aux yeux de tout le monde. La situation était donc très différente sur ce point, mais comment ça se serait passé s’il était revenu de lui-même ? Se serait-il comporté différemment ? Se serait-il comporté comme si de rien n’était ? Possible, Frank était capable du meilleur comme du pire lorsqu’il désirait obtenir quelque chose et Marcus avait l’air d’être un peu du même acabit.
« J’comprends qu’ça soit rageant. Et j’vais pas t’jeter la pierre, j’suis du genre rancunier, alors à ta place, j’m’amuserais sans doute à lui crever les pneus d’son véhicule, à taguer sa façade et c’genre de trucs rien qu’pour le faire chier. »
Qu’est-ce qu’elle aimerait mener la vie dure de la sorte à son ex-mari. Malheureusement pour elle, il fallait qu’elle se tienne à carreau, qu’elle prouve par tous les moyens qu’elle est une mère irréprochable, pas la racaille du coin. Tant pis, y avait toujours d’autres moyens.

Bref, au fil de la conversation, Maxyne confia que ce qui la perturbait également était de ne plus savoir où elle en était, même au niveau professionnel. Envisager un nouveau changement de carrière n’est pas toujours l’évidence même mais il fallait voir les choses autrement : elle était encore jeune, elle pouvait essayer quelque chose de nouveau, dans lequel elle n’aurait peut-être jamais cru se lancer un jour. Eventuellement se ramasser pour recommencer ensuite. Quand son amie lui avoua n’avoir aucune idée, la grecque se contenta d’un haussement d’épaules pour le moins détaché.
« T’as encore le temps d’y réfléchir. »
Rien ne pressait, voilà son avis. Rien ne pressait jamais, à moins d’avoir des obligations mais ce n’était pas le cas de la jeune femme, lui semblait-il. Et s’il lui fallait plus de temps pour encaisser la situation, alors qu’elle le prenne.

Pour l’heure, il était surtout temps de danser, de se changer un peu les idées, de mettre leurs soucis de côté le temps d’une ou deux chansons, bien que Noomi ne soit pas noyée dans les siens ces derniers temps. Là-dessus, Maxyne lui demanda si elle avait un plan pour la musique. Ses yeux bleus se promenèrent sur l’assistance jusqu’à ce qu’elle avise un type aux airs de biker – peut-être un gars qui faisait partie d’un club de motards, comme Maxyne -, tout à côté du jukebox. Sans la moindre hésitation, elle l’interpella d’un :
« Hé toi ! »
Très cavalier, comme toujours. Le type eut l’air de tomber des nues en voyant que c’était à lui qu’elle s’adressait mais eut tout de même un petit hochement de tête, voulant manifestement savoir ce qu’elle lui voulait.
« Ça t’ennuierait d’mettre quelque chose de plus dansant pour ces deux blondes ? »
Okay, la blonde ne l’était plus vraiment en ce moment mais elle se référait toujours à elle en tant que blonde était donné qu’il s’agissait de sa couleur naturelle. Peu importe les phases qu’elle traversait, elle y reviendrait toujours. Quoi qu’il en soit, même pas besoin de lui lancer une pièce à travers la salle, il leur offrit une chanson. Du bon vieux rock des années quatre-vingts. Que demander de plus ?

Evidemment que Noomi avait toujours une solution à tout. Quant à savoir si c’était la bonne solution, en revanche, rien n’était moins sûr. En vérité, c’était même très souvent la solution qui causerait le plus d’ennuis. La plus libératrice, peut-être. Mais quand même celle qui causerait un max d’ennuis, celle qui vous faisait assez souvent passer la nuit au poste de police. Chose qu’elle ne pouvait désormais plus se permettre puisqu’elle tenait à récupérer la garde de Sarah. Mais il n’empêche que c’était quand même toujours la première idée qui lui venait. Gratifiant Maxyne d’un sourire espiègle, elle ne prit pas la peine d’en rajouter. La suite de la conversation fut un brin moins joyeuse et elle comprit bien que la lourde tâche de remonter le moral des troupes lui incombait. Une chance pour tout le monde qu’elle fût plutôt douée pour ça. Pour commencer, elle proposa de danser un peu. Okay, le cadre n’était peut-être pas idéal puisqu’il n’y avait pas de piste de danse à proprement parler. Mais y avait un jukebox. Qui ne jouait que du rock, cela dit, c’était un des genres musicaux qu’elle aimait le plus avec le hip-hop, alors ça tombait très bien. Par ailleurs, ça n’empêcha pas d’autres personnes de se joindre à elles. C’était presque toujours le cas ; si bâiller est contagieux alors danser l’est tout autant.

La soirée passa, les verres et les danses se succèdent jusqu’à ce qui vienne l’heure de rentrer. Plusieurs options s’offraient à elles : Uber, taxi ou marche. L’air frais leur ferait probablement le plus grand bien. Bras dessus, bras dessous, l’une servant de soutien à l’autre, elles avancèrent dans cette froide nuit d’hiver – bon okay, pas si froide que ça, étant donné qu’elles ne se trouvaient pas non plus en Russie, mais pour quelqu’un qui a grandi en Louisiane, ça reste tout de même un peu froid. Et passèrent devant un supermarché bien sûr fermé à cette heure, dont le parking éclairé par un lampadaire était désert. La blonde serait probablement passée devant sans même le remarquer si son amie n’avait pas attiré son attention dessus, lui demandant si elle pensait à la même chose qu’elle. Les yeux bleus de Noomi se posèrent instantanément sur les caddies restés dehors. Sans surveillance… Vous vous imaginez bien que ça tournait à plein régime sous son joli petit crâne. Son visage s’illumina soudain tandis qu’elle se mettait à tapoter frénétiquement l’épaule de Maxyne.
« Viens, on en vole deux et on va faire un tour avec. »
Elle tourna sur elle-même – mais pas trop vite, sous peine de perdre l’équilibre – et pointa du doigt une pas si petite butte au beau milieu d’un terrain en chantier.
« Regarde, on s’met au sommet, on grimpe là-d’dans et on s’pousse pour la dévaler ! »
Complètement inconscient, oui. C’était de très loin le meilleur moyen de se péter une cheville ou pire et de s’érafler tout le corps. Mais, le fait est que, même dans son état normal, elle aurait été tout à fait capable d’avoir ce genre de brillante idée alors un peu échauffée par l’alcool… Le peu de conscience du danger qu’elle aurait pu avoir étant sobre s’était définitivement volatilisé.
« Et puis regarde, y a même des super pentes si on entre carrément dans le chantier ! »
Un véritable terrain de jeux. Tout excitée, Noomi s’élançait déjà en direction des caddies, se servant du machin censé les enchaîner les uns aux autres pour en libérer deux.