looking for someone to trust (charli)

Depuis les catastrophes météorologiques qui ont frappé la ville, ou celles qui étaient attendues, je sors tous les soirs pour courir. Avant cela, je le faisais déjà beaucoup, mais maintenant, c'est quasiment devenu obligatoire pour moi de le faire de manière quotidienne. Le sport me fait du bien et pour ne pas me laisser rattraper par mes troubles alimentaires, j'ai vraiment besoin de ça. Au cinéma, ça n'a pas été facile, avec toutes les friandises misent à notre disposition, je suis retombée dans mes travers. Si je veux m'en sortir un jour, ne plus avoir à me surveiller constamment, comme il s'agit d'événements courants ici, je dois pouvoir réussir à me contrôler peu importe la situation. J'ai pour habitude de mettre de la musique lorsque je cours et bien souvent, elle est forte. Avec un certain rythme dans les oreilles, c'est toujours plus facile de se motiver. Néanmoins, dans les zones avec un peu plus de monde, sur la plage par exemple, je fais toujours attention à baisser le volume. On ne sait jamais, quelque chose peut facilement arriver et il est toujours mieux, dans ces cas-là, d'être attentive. Et autant dire qu'en entendant mon prénom au loin, je trouve ce geste encore plus intelligent. Je ralentis ma cadence et regarde de manière furtive autour de moi pour voir d'où cela vient. Très vite, je reconnais la silhouette de Sofia et un sourire se dessine instinctivement sur mes lèvres. « Sofia ! » Je retire mes écouteurs et viens réduire la distance qui me sépare d'elle. La jeune femme s'excuse de m'interrompre et m'explique être là pour voir le coucher de soleil, comme j'ai pu lui suggérer la dernière fois où nous nous sommes vues. « Vraiment ? Et dire que je pensais que tu étais là dans l'espoir de me revoir. » Je mime une légère moue, pour montrer ma déception. Même si au fond de moi, je suis loin d'être dans cet état d'esprit. « Après.. tout est une question de point de vue. » Dis-je, alors que je hausse légèrement les épaules. Il n'est pas impossible que je garde cette idée dans un coin de ma tête. Avec un peu d'espoir, il y a peut-être une part de vérité dans mes propos. « Ou alors, peut-être que tu es venue vérifier que je te disais la vérité. » Il y a cette possibilité aussi. Même si j'ai été pleinement honnête avec elle, je suis sûre qu'il restera toujours une partie d'elle qui doute. Comme quoi, la première impression qu'on donne est toujours importante. Néanmoins, j'espère bien qu'un jour, elle oubliera ce qui s'est passé entre nous lors de notre première rencontre. « Tu ne sauves pas de vie aujourd'hui ? » Elle ne peut pas passer sa vie à l'hôpital, elle finirait par craquer psychologiquement, mais d'après ce qu'elle m'a dit, même si c'était sur le ton de l'humour, elle aime donner de sa personne pour aider les autres. Pourtant, autour d'elle, je ne vois aucun chaton abandonné, aucune personne âgée dans l'attente d'un peu d'aide pour traverser. Cependant, si elle en ressent vraiment le besoin, ça peut toujours s'arranger : rien ne dit que je ne ferais pas de malaise dans les minutes à venir, je suis plutôt douée pour ça.

La voir ici, à l’endroit précis où je lui ai indiqué faire du sport la dernière fois où nous nous sommes vues, ça me fait plaisir et je ne peux m’empêcher de penser que cela n’est pas que le fruit du hasard. Je me trompe peut-être, c’est vrai. Mais je tente tout de même ma chance en évoquant le fait que je la pensais ici pour me voir. Sur un malentendu, elle pourrait aller dans mon sens. D’ailleurs, c’est un peu ce qu’elle fait en mentionnant que ma présence sur la même plage qu’elle est un bonus non négligeable. Un sourire vient naturellement prendre place sur mon visage à l’entente de ces quelques mots. Néanmoins, me voir ici n’est pas forcément la seule raison que je vois. En effet, en lui ayant menti une première fois, dès notre rencontre, la brune peut facilement douter de ma confiance et le fait qu’elle soit ici pour vérifier mes dires n’est pas impossible. « Promis, je ne le ferais plus. Je garderais sûrement un peu de mystère sur moi, mais je ne te mentirais plus. » Je ne peux pas tout lui dire, pas d’un coup et puis, ça ne l’intéresse peut-être pas vraiment de tout savoir. Pour la première fois, je la vois en dehors du cadre professionnel, sans blouse, alors je l’interroge sur ce qu’elle fait ici. Si elle ne sauve aucune vie aujourd’hui, elle semble s’occuper de sa santé mentale. Ce qui n’est sûrement pas négligeable vu son métier. Elle doit voir des choses compliquées, faire face à des scènes que l’on ne peut sûrement même pas imaginer. Alors pour pouvoir continuer, pour avoir la force de se lever chaque matin, elle doit savoir faire une pause de temps en temps. À l'inverse de moi, son activité physique semble un peu plus "calme". « Croire ? Je ne sais pas. Mais ce n'est pas vraiment le genre de choses qui m'attirent. J'ai besoin que ça bouge, souvent. Je cours et sinon, je fais des sports où ça saute, ça secoue. » C'est sûrement pour cela que parfois, en cours, je lâche complètement prise. Je m'imagine déjà après, avec mes amis ou seule sur la plage et je laisse l'enseignant parler sans y prêter attention. « Je suis peut-être un peu hyperactive, parfois. » Je n'ai jamais été diagnostiqué comme telle. Je suis plus sportive que vraiment hyperactive. « Non, non, ne t'en fais pas. J'ai déjà fait plusieurs kilomètres et si je ne fais pas ma meilleure performance ce soir, ce sera demain. » Dis-je, alors qu'elle me demande si je souhaite continuer. Je ne me prépare pas pour les Jeux Olympiques, alors personne ne me demandera de rendre des comptes. « Je suis contente de te revoir, alors je ne vais pas fuir. En plus, en courant, je ne voudrais pas que tu interprètes mal mes gestes. » Un rire s'échappe naturellement de mes lèvres. « Tu veux essayer de me canaliser un peu ? De m'apprendre la méditation ? » Lorsque nous nous sommes vues dans les hauteurs de la ville, je lui ai proposé de s'essayer à la batterie, à ce qui pouvait y ressembler au moins, alors il n'y a rien de surprenant à ce que les rôles soient inversés aujourd'hui. Surtout que ça pourrait me permettre d'en savoir un peu plus sur elle.

Si je décide de ne pas me livrer complètement à elle aujourd’hui, j’ai conscience que j’y serai amenée plus tard si le courant continue de bien passer entre nous et pour le coup, je suis transparente avec elle à ce sujet. Heureusement pour moi, elle ne semble pas mal le prendre. Il y a bien cette phrase sur le fait que je pourrais être une tueuse en série, mais qui sonne clairement comme une taquinerie. J’ai déjà passé une nuit en garde-à-vue, c’est vrai, néanmoins, rien à voir avec une histoire de meurtre, alors c’est plutôt bon signe pour elle. Surtout que je suis ressortie libre, aucune plainte n’a été déposée à mon égard. Vient ensuite le sujet de la méditation et des sports un peu plus calmes. Des choses qui ne m’attirent pas vraiment puisque j’aime quand ça bouge. J’évoque mon hyperactivité et la jeune femme, déformation professionnelle oblige, évoque directement des TDA. Il y a bien un trouble chez moi, mais pas celui-ci, ou alors, il n’a pas été décelé. Le sport à outrance chez moi, c’est devenu une habitude, même si parfois, en pratiquant de la sorte j’arrive à me faire plus de mal que de bien. « En fait, c’est pas si mal d’avoir des médecins dans son entourage. Ça permet d’avoir des consultations gratuitement. » Dis-je, pour plaisanter. Bien sûr, jamais je n’aurais l’idée de lui demander directement des conseils ou plutôt une consultation si un jour je commence à être malade. Pour revenir à la méditation, même si ce n’est pas quelque chose qui m’attire au premier abord, je décide de lui laisser une chance aujourd’hui. Sofia reprend sa place sur sable, assise en tailleur. Très vite, je viens l’imiter. Malgré ma souplesse, c’est une position que j’arrive à tenir. Néanmoins, je ne pense pas que je vais tenter autre chose, au risque de finir sur le sol, les quatre fers en l’air. Je me concentre ensuite ce que la brune me dit. La musique que j'écoutais tout à l'heure n'est pas très loin, deux, trois mouvements et je remets les écouteurs dans mes oreilles, mais je décide de ne pas le faire et de me focaliser sur les sons naturels qui sont présents autour de nous : sur la plage, ce n'est pas compliqué. Doucement, j'essaye de trouver un rythme convenable pour ma respiration. N'est-ce pas à partir de là que tout commence ? Mon regard reste longtemps sur Sofia, peut-être un peu trop au final. Mais bizarrement, la voir ainsi, pratiquer l'exercice à fond, ça m'apaise, en quelques sortes. À mon tour, je finis par fermer les yeux et j'essaye de me laisser porter par les sons environnants, tout en faisant le vide dans mon esprit. Je ne ferai pas cela tous les jours, mais ce n'est pas si mal. Assez vite, j'ouvre de nouveau les yeux. De nous deux, je suis celle qui le fait en première, alors j'attends patiemment que Sofia en fasse autant avant de parler. Dans la méditation, le silence est sûrement une chose sacrée. Lorsque mon regard retrouve le sien, je ne peux m'empêcher de sourire. « C'est quelque chose que tu pratiques assez souvent ? L'avantage, c'est que tu n'as pas besoin de beaucoup de matériel ou de grands espaces. Si tu en as envie, tu peux même le faire à ton boulot, entre deux patients. » J'ignore si c'est quelque chose qui est envisageable. Peut-être qu'elle enchaîne vraiment les visites à l'hôpital et que ses quelques minutes de pauses sont dédiés à sa nutrition. « Est-ce qu'il arrive de te détendre avec des soirées aussi ? » Je ne sais pas vraiment dans quoi je m'engage, mais je décide tout de même de prendre le risque. « J'ai entendu dire qu'il y avait une fête sur la plage ce soir. Il y aura un feu de camp, où tu peux jeter un objet dont tu souhaites te séparer, pour les nouveaux départs ou quelque chose comme ça. » Quand mes amis en ont parlé, je n'étais pas forcément très attentive. Je le regrette maintenant. « Tu accepterais d'y aller avec moi ? »

Le silence s’installe entre nous le temps de la méditation. Dire que c’est désagréable serait mentir, même si ça ne me ressemble pas. Nous sommes bien loin de la course à pied et de la batterie, mais il faut de tout pour faire un monde et sortir un peu de ma zone de confort n’est pas désagréable. Très vite, la brune me confirme que c’est quelque chose qui est faisable un peu partout et ça, c’est un point positif. « Je me sens bien. Je pense que le faire après une séance de sport plus intense est une bonne chose. Mes muscles ne demandaient que ça, de se reposer un peu. En espérant qu’ils ne me le feront pas regretter demain. » Il y a des jours où je peux m’arrêter sans étirement, je n’aurais rien le lendemain et il y a les autres fois, où je souffre de courbatures pendant plusieurs jours. Maintenant que j’ai pu découvrir un peu plus d’elle à travers la méditation, je me jette à l’eau et lui propose de m’accompagner à une fête sur la place un peu plus tard dans la soirée. Chose qu’elle accepte, presque à ma grande surprise. « Ah oui ? Mince. Moi qui pensais que les médecins étaient un peu coincés. » Je ne peux m’empêcher de plaisanter, de la taquiner un peu. Jusque là, je l’ai toujours vu très sérieuse. Alors qu’elle évoque le fait de ne pas souvent avoir connaissance des événements qui se déroulent à côté de chez elle, je me sens obligée de lui répondre. « Si ça peut te rassurer, ce n’est pas quelque chose d’officiel. Quelqu’un a eu cette idée et grâce au bouche-à-oreille, l’événement a pris de l’ampleur. » Pour l’instant, je taie le fait que cette idée vient de quelqu’un de l’université et que c’est là-bas que le projet s’est développé. En apprenant que les personnes seront principalement des étudiants, peut-être qu'elle changerait d'avis. « Je n'y ai pas vraiment réfléchi encore. » Dis-je, lorsque la brune me questionne sur l'objet dont je pourrais vouloir me séparer. « Quand j'ai quitté la Suède, j'ai laissé beaucoup de choses derrière moi et je ne suis pas certaine d'avoir réussi à m'ancrer suffisamment ici pour regretter quelque chose. » Ne pas trop m'attacher aux choses et aux gens, c'est quelque chose que je réussis plutôt bien depuis mon arrivée. Mais que le but de la fête soit cela ou qu'il soit simplement de se rassembler, mon envie d'y aller reste la même. Sortir, ne pas rester enfermée dans ma chambre est quelque chose que je fais depuis quatre ans maintenant. Au début, c'était pour fuir ma mère. Il est vrai que maintenant, les choses se sont un peu calmées, mais cette habitude est restée. « Après, faire acte de présence c'est déjà bien. L'entrée n'est pas interdite aux personnes qui n'amènent rien. » D'ailleurs, il n'y a pas vraiment d'entrée à proprement parlé puisque c'est sur la plage. Contrôler qui rentre et qui sort, ça serait bien trop compliqué. « Donc si ça t'arrange, tu peux venir les mains vides. » Nous ne pouvons pas vraiment que l'on se connaît, alors je comprendrais parfaitement qu'elle ne veuille pas dévoiler une telle partie d'elle. « Je vais devoir repasser par chez moi pour prendre une douche, alors on pourra se retrouver directement là-bas si tu veux. » Même si je n'ai pas fait le parcours que j'espérais en partant, j'ai tout de même eu chaud. Et puis, ma tenue de sport n'est pas vraiment ce que j'espérais mettre pour m'y rendre.

Je ne connais pas beaucoup de personnes qui travaillent dans le médical, mais leur réputation n'est pas celle de fêtard. Ce qui n'est sûrement pas plus mal au final, puisque c'est quand même entre leurs mains que l'on met nos vies. Heureusement pour moi, elle ne semble pas vexer par ma remarque et me fait même la promesse de ne pas trop parler de son métier dans la soirée. Loin de moi l'idée que ce n'est pas intéressant. D'ailleurs, lors de ma première année, j'ai suivi des cours sur l'anatomie et le corps humain est assez dingue, il y a plein de choses que l'on ignore. Je suis donc sûre qu'une discussion à ce sujet serait très intéressante, mais elle serait malheureusement alimentée que par la brune, car ce n'est pas forcément le cours où j'ai retenu le plus de choses : la branche que j'ai choisie pour la suite de mes études ne porte pas vraiment sur le corps humain. Lorsqu'elle me demande quel objet je compte amener au feu de camp, je suis honnête avec elle : je n'en ai pas la moindre idée. J'ai déjà dû faire face à un nouveau départ, il n'y a pas si longtemps que ça, je ne vois rien qui me pousse à en faire un nouveau aujourd'hui. Enfin si, je pourrais en faire un avec elle, si j'avais poussé mon mensonge plus loin, en piquant une tenue d'infirmière ou quelque chose comme ça. De son côté, c'est un peu flou aussi. Mais elle ne doit pas se mettre de pression. Venir les mains vides ne nous fera pas finir au bûcher, d'ailleurs, très peu de personnes le remarqueront, ils seront tous très occupés à faire leurs affaires : boire, manger ou encore draguer. Mais avant de nous retrouver sur la plage, je dois repasser par chez moi et la jeune femme est compréhensive. « Deux heures, c'est parfait. À tout à l'heure. » Je me relève du sable, un large sourire sur les lèvres. J'offre un petit signe de la main à Sofia avant de m'éloigner pour regagner mon domicile.

Je traîne un peu sous la douche, beaucoup de questions traversant mon esprit. Néanmoins, pour ne pas faire mauvaise impression auprès de Sofia, je récupère mon retard lors du reste de ma préparation. Cette soirée est quelque chose d’assez cool, alors une tenue décontractée fera parfaitement l’affaire. Pour ne pas être embêtée plus tard, j’attache mes cheveux. Je me maquille, rapidement, glisse mes papiers dans les poches d’une veste en jean, l’enfile et me voilà partie. L’avantage d’habiter à seulement quelques mètres de la plage, c’est que je ne tarde pas à arriver sur les lieux de la fête. Je croise certains de mes amis, qui ne tardent pas à me donner un verre. Lorsque j’évoque Sofia, dans l’espoir que quelqu’un l’ait croisée, on m’en donne un deuxième. J’ai le bon nombre de boissons, mais je ne suis toujours pas avancée sur l’endroit où elle peut se trouver, si elle est bien venue finalement. Je marche sur le sable, attentive à toutes les personnes que je peux croiser et c’est finalement au bord du feu de camp que je la trouve. « Sofia ! Tu es là. Je suis rassurée, j’ai eu peur que tu changes d’avis. » Je m’approche d’elle et lui offre une accolade, en prenant garde à ne pas renverser les verres que je tiens. Lorsque nous retrouvons une certaine distance entre nous, je me demande ce qui m’a poussé à faire cela. C’était peut-être un peu trop affectif. « Tu as finalement trouvé si tu voulais jeter quelque chose dans le feu ? » Dis-je rapidement, évitant ainsi un éventuel moment gênant. Si elle est ici, c’est peut-être qu’elle a déjà lancé son objet. « On m’a donné deux bières, est-ce que tu en veux une ? »

« Outch. » Il est vrai que je n'ai pas été la plus transparente avec elle à ce sujet. Quand j'ai lancé l'invitation, ça ne m'a pas traversé l'esprit de lui faire part de ce détail. Mais quand on me connaît un peu, c'est quelque chose qui était prévisible. Ici, hormis des étudiants à l'université, des personnes rencontrées en maison de soins, ma mère et ma psychologue, je ne connais pas beaucoup de personnes. « Il est vrai que pour les parcours que je connais, il est rare que les gens aillent jusqu'à dix ans d'études comme en médecine. Mais il devrait y avoir un peu de tout ce soir, du plus jeune au plus ancien. » Comme je peux, j'essaye de la rassurer. Mais je sais qu'il y a un risque pour que ça ne suffise pas et si cela arrive, qu'elle ressent le besoin de partir, je ne lui en voudrais pas. Lorsque je lui demande si elle a choisi un objet à jeter dans le feu, pour un nouveau départ, elle me répond à la négative et je comprends parfaitement son raisonnement. Pour certaine personne, ce geste ne signifie pas grand-chose et ils le feront que pour la forme, juste pour pouvoir dire après qu'ils ont bien mis un objet à brûler. Pour les autres, c'est plus important et c'est lourd de sens de se lancer là-dedans. Ayant deux boissons en main, je lui propose naturellement l'une d'elle. « Oh. Merde. » Je n'avais pas vraiment anticipé une telle réponse. Mais heureusement, la jeune femme décide de se débrouiller seule et part à la recherche d'une boisson qui lui conviendra un peu mieux. Très vite, elle trouve une glacière et prend une canette de soda. D'un signe de la main, elle m'invite à la rejoindre, sur ce qui semble être des rondins de bois. Arrivée à côté d'elle, je plante l'un des verres dans la sable, alors que je garde l'autre entre mes mains. Qui sait, cette deuxième bière me servira peut-être plus tard. « Ne t'inquiètes pas pour eux, on se voit suffisamment comme ça. Je ne vais pas leur manquer. » Ils sont indépendants et ont bien d'autres choses à penser durant cette soirée. Et si jamais je me trompe, je suis sûre qu'ils n'hésiteront pas à venir nous interrompre pour me le faire savoir. Assez vite, j'inaugure ma boisson et commence à vider le premier verre. « Je sors souvent oui. Que ce soit des fêtes comme ça, des plus petites ou alors juste pour me balader dans la ville. Island Bay est une belle ville la nuit. » Il en est de même pour Wellington, mais j'ai moins l'habitude d'aller dans la capitale lorsqu'il est tard. L'avantage d'Island Bay, c'est que nous pouvons faire tous nos déplacements à pied ou à vélo, plus loin, c'est compliqué. « Je n'ai pas pour habitude de boire, mais ce soir, tu me rends nerveuse. » Cette phrase sort naturellement, tellement que je ne m'en rends même pas compte. D'ailleurs, boire n'est pas forcément recommandé avec mes troubles alimentaires. Bien souvent, ça peut augmenter les crises. Alors entre cela et mon corps qui tolère assez mal l'alcool, je limite au maximum ou alors, dans des quantités raisonnables. « Sortir, voir mes amis ou du monde, c'est un peu comme le sport pour moi, c'est une échappatoire. Plus je rentre tard chez moi, mieux c'est. » Je n'ai jamais connu les repas de famille avec ma mère et je ne suis pas certaine que ça va commencer dans les jours à venir. Avant de poursuivre, je viens boire une gorgée de ma boisson. « Et toi alors ? Est-ce qu'il t'arrive de sortir avec des collègues ? En dehors des infirmières rousses qui se perdent dès leur premier jour. » Un large sourire se dessine sur mes lèvres, alors que je me souviens avoir évoqué le fait que la voir en dehors du travail ne me déplaira pas, déjà. « Pardon, c'était trop tentant. » Dis-je, laissant un rire s'échapper de mes lèvres. « Tu ne bois pas, mais est-ce que tu manges des pizzas ? »

Sans mon invitation, Sofia ne serait sûrement jamais venue à cette fête, d'ailleurs, elle n'en aurait même pas eu connaissance. Il est donc tout à fait normal qu'elle fasse le choix de partir si à un moment, je décide d'aller ailleurs. Ce qui n'est pas dans mes plans, pas que je sache en tout cas. Comme je lui fais remarquer, j'ai l'habitude de sortir et de les voir, que ce soit à l'université ou en dehors du campus, je peux donc bien me séparer un peu d'eux. Lorsqu'elle l'interroge, je prends la mesure de ce qui vient de franchir mes lèvres. Merde. « Tu dégages quelque chose. Si on prend ton métier, tu dois être talentueuse, tu n'as pas pu en arriver là par chance. Courageuse aussi. » Même s'il faut sûrement avoir une certaine passion pour faire son métier, il faut aussi avoir son cœur bien accroché. Elle doit voir et ressentir tellement de choses lors de ses journées de travail. « Tu es gentille, un peu trop peut-être, comme tu le dis. Souriante. » Bon.. je crois qu'il faut que je m'arrête là. Car à ce rythme, je vais réussir à la mettre mal à l'aise. À tout ce que je viens de dire, il y a sûrement aussi cette partie de moi qui veut bien faire avec elle, qui veut se racheter encore et encore vis-à-vis du mensonge que je lui ai dit. « Tu as toujours les cheveux brillants aussi, c'est important. » Finir sur une touche plus légère, c'est une bonne idée. D'autant plus pour enchaîner sur le sujet suivant. Ce que je fuis en venant ici ce soir ? « Ma mère. Notre relation n'est pas vraiment fusionnelle. » Ce n'est un secret pour personne, alors pourquoi chercher à lui cacher ? Tous mes amis savent que c'est tendu avec elle, même s'ils ne savent pas tous pourquoi. Avec Sofia, c'est pareil. Pour l'instant, elle ignore le pourquoi, mais peut-être que plus tard, les choses évolueront et je me confirais à elle là-dessus. C'est maintenant à son tour de répondre à mes questions. Je serai la première infirmière avec qui elle serait sortie. La brune se rattrape assez vite sur ses propos, ce qui me fait me questionner sur le sens que pouvait bien avoir sa première phrase. C'est peut-être bête, mais je prends cette ouverture comme l'aveu que Sofia pourrait aimer les femmes. Je m'avance peut-être un peu, c'est vrai, mais ça ne serait pas un problème : elle est libre de faire ce qu'elle veut. Et puis, si je me mettais à la juger, ça ne serait pas un peu l'hôpital qui se fout de la charité ? Sentant la faim monter en moi, je demande à l'interne si elle aime la pizza. Pour éviter trop de coma éthylique, il y en a sûrement de prévues ce soir. Néanmoins, suite à ma question, ce n'est pas exactement ce que Sofia propose. Mais finalement, son idée est bien meilleure que la mienne. « Tu m'invites ? » Dis-je, sur le ton de la plaisanterie. « Je suis partante. Et ne t'inquiète pas, j'ai de quoi payer aujourd'hui. Je n'ai pas oublié le jus de fruits : c'est ma tournée ce soir ! » Vu mon corps, je dois absolument manger, sinon avec une seule bière, nous allons bientôt me retrouver à danser sur les mains. Je me relève du rondin où je m'étais installée, je récupère le verre dans le sable et l'offre à la première personne qui passe à côté de nous. « On y va ? On pourra toujours revenir plus tard, pour un bain nocturne. » Bien souvent, mes amis sont peu friand de cette activité. Contrairement à moi, il faut croire que je garderais toujours un peu de Suède en moi : peu importe la température de l'eau, je ne dis jamais non à une baignade. Nos affaires récupérées, nous quittons la plage pour regagner le reste du quartier Sud. « Donc tu habites dans le coin ? Nous sommes peut-être voisines sans le savoir. J'habite par là. » Dis-je, tout en indiquant la partie droite de la rue où nous nous trouvons.