looking for someone to trust (charli)

Plus je parle et plus je me dis que je ferais mieux de me taire. Qui fait ça ? Qui se retrouve à faire des compliments à une personne qu'elle n'a vue que trois fois pour se justifier d'être nerveuse ? Personne. Mais là, je parle avec mon cœur. Elle ne pourra plus dire que je ne suis pas honnête avec elle. Heureusement, je termine mon élocution avec une petite touche d'humour, permettant ainsi de détendre un peu l'atmosphère que j'ai pu crisper. « Qui aurait cru qu'un mélange entre une néo-zélandaise et un suédois donnerait une telle chevelure ? » Pour le coup, d'après les photographies que j'ai pu voir durant mon enfance, aucun de mes parents n'a de tels cheveux, c'est vraiment le mélange des deux qui a donné ce résultat. Un résultat qui fait que je ne leur ressemble pas, ce qui n'est pas une si mauvaise chose au final. Les sujets s'enchaînent, un peu comme des montagnes russes, passant d'une question sérieuse à une affirmation qui l'est moins. Alors que je propose de lui offrir une pizza, en échange du jus de fruits qu'elle m'a offert quelques semaines auparavant, Sofia se trouve chanceuse. C'est vrai que dans cette équation, la jeune femme est gagnante. Vient ensuite l'évocation d'un retour sur la plage, plus tard, pour se baigner. Une proposition qui ne se fera peut-être pas, seul l'avenir nous le dira. « C'est vrai ? Mais tu parles du vrai bain de minuit ou simplement d'une baignade tardive ? » Bien sûr qu'il y a une différence et une différence non négligeable, puisque l'une de ces deux actions se fait sans vêtement. C'est celle que je n'ai jamais faite, comme quoi, il me reste des choses à découvrir. Mais pas tout de suite, pas dans les minutes à venir. Pour l'instant, nous quittons la plage en direction de la pizzeria que Sofia m'a vendue. Toujours dans le quartier sud d’Island Bay, je ne peux m’empêcher de me demander si nous habitons proche l’une de l’autre. « Depuis mon arrivée ici, je n’ai connu que ce quartier. » Comme résidence bien sûr, car sinon, j’ai eu l’occasion de visiter un peu. Ce qui est assez dingue, comme elle le souligne, c’est que malgré ces quelques rues qui nous séparent, nous ne nous sommes jamais croisées avant. « Je crois qu’on ne vit définitivement pas sur le même fuseau horaire. » Il y a sûrement un peu de cela et puis, peut-être qu’en réalité, nous nous sommes déjà croisées, mais nous n’y avons juste pas fait attention. « Et toi ? Tu vis à South Bay depuis toujours ? Seule ? » Au final, quatre ans, ce n’est pas si long. Mais elle, elle a toujours vécu ici, alors elle a peut-être eu l’occasion de voyager, de déménager d’un quartier à un autre. Arrivées devant la pizzeria, je détaille un peu la façade du restaurant, avant d’y pénétrer. Étant la première de nous deux à l’intérieur, je m’adresse au serveur et lui demande une table pour deux. « Je te fais confiance. D’ailleurs, il va falloir me dire quelles sont tes recommandations ! » L’intérieur est assez calme, alors très vite, nous sommes installées à une table, à côté d’une fenêtre. « Si ça peut t’aider, je ne suis pas particulièrement fan de tout ce qui est épicé. » Avec cette information, elle devrait pouvoir réduire le champ de ses propositions. « Et si tu me suggères la pizza norvégienne parce que je viens d’Europe, il se peut que je le prenne mal. » Ça ne serait pas la première fois que ça m’arrive. Quand les gens découvrent quelqu’un avec une origine différente de la leur, bien souvent, ils lui rappellent matin, midi et soir, à toutes les sauces possibles. Je n’ai aucun doute sur le fait que ceci ne ressemble pas à Sofia, c’est bien pour cela qu’un sourire se dessine sur mes lèvres, lui indiquant ainsi que je ne suis pas vraiment sérieuse.

Je ne peux m'empêcher de rire lorsqu'elle remet sur le tapis ce que j'ai pu dire un peu plus tôt dans la journée au sujet des médecins. Bien sûr, ils ne sont pas tous coincés et ce n'est pas parce qu'elle est novice en bain de minuit que je vais changer d'avis là-dessus. Leur métier demande beaucoup de savoir et on met souvent leur vie entre nos mains, alors forcément, on s'attend à ce qu'ils soient sérieux. Mais c'est évident que parfois, ils décrochent, ils déconnectent de leur vie à l'hôpital, chacun à leur façon. Très vite, nous quittons la plage pour nous retrouver dans les rues du quartier où nous habitons toutes les deux. C'est donc un endroit que nous connaissons bien et pourtant, nous nous sommes jamais croisées. Hormis aujourd'hui. En la questionnant sur sa vie à South Bay, au sujet du nombre d'années qu'elle a passé ici, seule ou non, je suis loin de m'attendre à une telle réponse. Sans filtre, la jeune femme m'avoue avoir perdu sa mère et je me sens alors bête d'avoir posé la question. Je ne pouvais pas savoir, c'est vrai, mais en y réfléchissant un peu, j'aurais pu me douter de quelque chose. Lors de l'alerte au tsunami, elle était restée vague à ce sujet. « Oh.. je suis désolée. » Je regrette d'avoir lancé ce sujet, mais aussi de lui avoir parlé de la relation que j'entretiens avec ma mère. Personnellement, j'aurais pu faire ma vie sans elle, alors qu'à l'entendre, elle, elle voudrait sûrement pouvoir passer plus de temps avec elle. Bien sûr, nos histoires sont différentes et il n'est pas vraiment possible de comparer, mais une chose est sûre, changer de sujet est certainement la meilleure des choses à faire. Et ça tombe plutôt bien puisque nous arrivons devant la pizzeria. À l'intérieur, à ma demande, Sofia me fait ses recommandations. Elle prend son rôle très à cœur et avec l'accent qu'elle utilise, je ne peux m'empêcher de sourire. Loin de moi l'envie de me moquer d'elle. En réalité, c’est plutôt adorable. « Je vais te faire confiance et prendre une Positano végétarienne. » La carte semble un peu longue et je n’ai pas forcément envie de lire chacune des lignes pour voir si quelque chose d’autre pourrait me botter. La proposition qu’elle me fait m’intéresse, alors pourquoi chercher à me faire douter ? Nous sommes là pour manger, pas pour que j’hésite entre deux ou trois pizzas pendant de longues minutes. Un serveur vient récupérer notre commande et de nouveau seules, Sofia me propose un plan pour demain. « Tu es en train de me proposer un rendez-vous dans un refuge, c’est ça ? » Il s’agit là d’une question rhétorique, car avant même de lui laisser le temps de répondre, j’enchaîne. « C’est original. On ne me l’a jamais fait, c’est une première. » Je tire des conclusions hâtives, je le sais, mais je crois que la bière fait doucement effet, je n’ai plus le même filtre que d’habitude, quand il m’arrive d’en avoir un. « Mais pourquoi pas. » Je plante mon regard dans le sien, un large sourire sur les lèvres. « Avec plaisir. » Je me devais de rajouter ça, je ne pouvais pas la laisser croire que ça ne m’emballait qu’un peu. « Comme ça, je pourrais enfin savoir ce que ça fait de venir en aide à quelqu’un. » Dans la rue, si vraiment je vois une personne âgée en difficulté, je lui viens en aide, mais ça se présente assez rarement finalement. Alors enfin, je pourrais savoir ce qu’elle ressent chaque jour à son travail. À une échelle moins importante, c’est vrai, mais c’est toujours ça. « C’est quelque chose que tu fais souvent ? » Elle m’a déjà dit que c’est le genre de choses qu’elle fait dans son temps libre, cependant, je m’interroge sur la fréquence à laquelle elle se rend dans de tels endroits. « Comme venir ici, ça t’arrive souvent ? C’est joli, j’aime bien. Tu connais de bonnes adresses. » Dis-je, alors que je ne peux m’empêcher de détailler du regard le lieu qui nous entoure.

Cette soirée prend une tout autre tournure maintenant que nous sommes toutes les deux dans cette pizzeria. À la base, il devait simplement s'agir d'une soirée classique, sur la plage, avec un peu de bière et de la musique en fond. Mais maintenant, seule face à Sofia, je ne peux m'empêcher de penser à ce que tout cela peut mener. Bien sûr, il n'y a pas de pression : seul l'avenir pourra nous le dire. Nos commandes passées, le serveur revient vers nous pour apporter des gâteaux apéritifs, ainsi qu'une carafe d'eau. Après ce que nous avons bu sur la plage, passer à quelque chose de soft n'est pas une si mauvaise chose. Lorsque la jeune femme me propose de l'accompagner à un refuge demain, je ne peux m'empêcher d'utiliser le terme "rendez-vous". Je ne pensais pas à mal. En réalité, c'était même un peu ironique, une blague pour tâter le terrain. Mais Sofia ne me contredit pas, alors naturellement, un sourire se dessine sur mes lèvres. Elle ne me contredit pas, mais elle n'approuve pas non plus. Pas tout de suite en tout cas. Mais très vite, elle enchaîne et répond à ma question au sujet de sa fréquentation du refuge. Je n'ai jamais eu d'animaux et je crois bien que je n'ai jamais demandé à en avoir, mais il m'arrive parfois de craquer devant des vidéos de chiots ou de chatons. C'est sûrement ce qu'on ressent lorsque l'on passe une journée à s'occuper des boules de poils au refuge. Lorsque je m'émerveille de l'endroit, la brune fait la connexion avec ses endroits favoris. Ceux dont je lui ai parlé lors l'alerte au tsunami. Bien sûr, ce n'était pas vraiment ce que j'imaginais. Mais pourquoi pas. Tout est bon à prendre, non ? Elle m’explique que la nourriture aide après une journée de travail compliquée, ce que je comprends parfaitement. Enfin.. presque. Quand on ne travaille pas dans le médical, je suppose qu’il est difficile de se mettre vraiment à leur place, mais j’essaye. Sofia en profite alors pour m’interroger sur ce même sujet. « Mes endroits préférés ? Le centre éducatif marin. J’ai eu l’occasion d’y aller plusieurs fois, j’aime beaucoup. Le Cable Car à Wellington aussi, c’est le meilleur moyen pour prendre de la hauteur et voir la ville. » Il y a bien d’autres endroits où je vais, mais de là à dire qu’ils sont mes préférés, je ne sais pas. Après, je ne suis pas très compliquée et je me sens souvent bien là où on m’emmène. Sa deuxième question me surprend un peu, mais après ce que j’ai pu lui demander, je ne suis pas certaine de pouvoir refuser de répondre. « Je ne suis pas vraiment une experte pour cela, alors laisse-moi réfléchir. » La dernière fois où j’ai été à un rendez-vous, énoncé comme tel, remonte à un certain temps. Quand tu ne souhaites pas t’attacher, c’est inutile de passer par cette étape. « Tu vas commencer à le comprendre, mais j’aime beaucoup la plage. Je pense que passer un rendez-vous là-bas est une bonne idée. Après ça, je dirais le musée. Au moins, si ça se passe mal, il y a toujours moyen d’apprendre quelque chose. » Autant lier l’utile à l’agréable, ou au désagréable dans ce cas-là. « Pour en donner un troisième, je dirais un atelier de cuisine. Après tout, pourquoi pas. » D’une pierre, deux coups. Ça permet d’en apprendre un peu plus sur la personne, grâce à la discussion, mais aussi la cuisine. « Et oui, j’aime bien cuisiner. » Voilà une nouvelle chose qu’elle sait à mon sujet maintenant. Je suis bien loin d’être une cheffe étoilée, mais je pense quand même que je me débrouille. Aussi loin que je m’en souviens, je n’ai jamais rien fait brûler, c’est le principal, non ? « Comme on parle de rendez-vous, je me pose une question. Est-ce que les préjugés sont vrais, est-ce qu’il se passe des choses croustillantes à l’hôpital ? Entre les médecins, les infirmières, voire même les patients ? » Elle ou quelqu’un d’autre, je ne vise personne. Mais comme elle le sait déjà, j’ai déjà regardé la série Grey’s Anatomy et dedans, il y a plein d’histoires d’amour. Alors je me demande si c’est la même chose dans la réalité ou si c’est juste de la fiction.

Avec notre première rencontre, on aurait pu penser que les choses seraient bizarres entre nous. Mais ce n’est pas le cas, la conversation entre nous ne s’essouffle pas et nous abordons différents sujets. Même si je ne lui parle pas de tout dans le moindre détail, je me livre à la jeune femme, lui laissant ainsi l’occasion de mieux me connaître. L’un de ses lieux préférés dévoilés, elle s’interroge sur les miens. Prise de court, je fais de mon mieux pour réfléchir vite et lui donner une réponse digne de ce nom. J’essaye aussi d’innover un peu, de lui parler exclusivement de choses nouvelles. Un nouveau sourire s’étire sur mes lèvres lorsqu’elle évoque les clichés que j’ai pu faire de ces endroits. Elle n’a pas oublié notre discussion dans les hauteurs de Wellington et les images qu’elle a pu apercevoir dans mon appareil. Bien sûr, les premières fois où je me suis rendue dans ces lieux, je l’avais avec moi et j’ai immortalisé le moment. Maintenant, c’est plus rare, surtout au centre éducatif marin. Pour sa question suivante, il me faut aussi un peu de temps pour trouver les bonnes choses à dire. Pas de pression, c’est vrai. Mais je ne veux pas non plus bâcler ma réponse. Les deux premiers lieux de rendez-vous sont plus classiques que le dernier, d’ailleurs, la brune est même surprise d’apprendre que j’apprécie la cuisine. Il faut dire que ce n’est pas écrit sur mon front et les conditions qui m’ont amenée vers cet intérêt sont un peu particulières. Cherchant à détourner l’attention de moi, je la questionne sur les relations qui se créent au sein de l’hôpital. Visiblement, il ne se passe rien entre les patients et le personnel, ce qui n’est pas complètement incohérent. Il doit même exister des règles à ce sujet. Enfin.. je suppose, je n’y connais rien. Par contre, elle ne nie pas de possibles histoires entre professionnels. Bien qu'à l'entendre parler, ça ne semble pas la concerner. Pour terminer sa réponse, Sofia ne peut s'empêcher de plaisanter sur l'image que j'ai du personnel hospitalier. « Ne t'en fais pas. Je ne suis pas naïve, je me doute bien que certaines choses sont un peu grossies, histoire que ça plaise aux téléspectateurs. Suivre des médecins dans un hôpital, sans rien à côté, ça n'aurait sûrement pas permis à la série d'avoir autant de saisons ! » Loin de moi l'idée de penser que son métier est barbant. Mais si Grey's Anatomy s'en tenait à l'aspect médical, ce serait alors un documentaire et non une sérié télévisée. Assez vite, nous sommes interrompues par notre commande qui arrive. Posées face à nous, ces pizzas sont un délice pour les yeux et elles le seront sûrement aussi pour nos papilles. Sans attendre plus longtemps, je découpe un morceau de la mienne pour y goûter. « C'est très bon. » Dis-je, pour rassurer la brune qui attendait de savoir si je regrettais mon choix ou pas. « Mais si tu en veux un morceau, tu peux en prendre un. » Il y a de fortes chances pour que je ne termine pas mon assiette de toute façon, ce ne serait donc pas un drame si elle décidait d'en prendre un morceau. Alors que nous nous attaquons plus sérieusement à nos pizzas, la conversation entre nous continue. À en voir la vitesse à laquelle nous mangeons, nous avions faim. Une fois terminé, nous demandons l'addition et je me dirige vers le comptoir pour payer : je ne plaisantais pas lorsque je lui ai parlé de lui offrir ce repas. De retour dehors, sous un ciel étoilé, je lui propose de retourner au bord de l'océan. Arrivées sur la plage, je remarque qu'il y a un peu plus de bruit qu'à notre départ. La musique est un peu plus forte, mais pas que. Les personnes, visiblement alcoolisées, parlent et rient un peu plus fort aussi. Quelqu'un passe devant nous et nous tend des verres, encore. Il faut croire qu'il ne savait pas quoi en faire. Je les récupère, en garde un pour moi et passe le second à quelqu'un que je ne connais pas. Je ne voudrais pas que Sofia pense que je ne l'ai pas écouté un peu plus tôt, au sujet de l'alcool. « Alors, qu'est-ce que tu souhaites faire maintenant ? » La température est clémente pour la saison et l'heure qu'il est, alors forcément, l'idée du bain de minuit traverse de nouveau mon esprit. Je bois une bonne partie de la bière que je tiens entre mes mains d'une traite, avant de la poser sur le sable, non loin de nous. « Prête pour un baptême ? » Je lui indique l'eau pour l'aider à comprendre. « Ça serait quand même dommage de passer à côté d'une telle expérience. » J'exagère un peu les choses, Sofia ne se sentira pas différente après l'avoir fait. « Le non-officiel bien sûr. Chaque chose en son temps. » Si ce genre de soirée ne la met pas très à l'aise, je ne vais pas en plus lui suggérer de se mettre nue face à des inconnus. « Un seul mot de ta part et je commence déjà à me préparer. » À me déshabiller, mais je me retiens bien d'utiliser ce terme, de peur de l'effrayer peut-être.

Bien sûr, notre passage à la pizzeria n'a pas retiré l'idée de bain de minuit de mon esprit et maintenant que nous sommes là, c'est l'occasion ou jamais. Néanmoins, même si cette idée me plait et que j'y pensais déjà avant, avant même d'arriver ici, ce n'est pas le cas de Sofia et je préfère avoir son approbation avant de me lancer. Elle est hésitante, chose que je ne peux pas lui reprocher, car en plus de lui proposer quelque chose qu'elle n'a jamais fait, je le fais à un moment où les conditions ne sont pas optimales : en été, cela aurait certainement été mieux. La jeune femme récupère la bière que j'ai posée sur le sol un peu plus tôt et en boit une gorgée. Je la regarde, surprise d'un tel revirement de situation, mais elle est adulte, elle doit bien savoir ce qu'elle fait. Finalement, cette boisson lui donne du courage puisqu'elle accepte ma proposition. Un large sourire vient alors s'étendre sur mes lèvres. « C'est parti. » Nous nous avançons un peu plus vers l'eau, histoire de nous éloigner un peu. Nous déposons nos affaires sur le sol et rapidement, je commence à me déshabiller. Je ne suis pas du genre frileuse et ça, Sofia va vite s'en rendre compte. En espérant que ce soit son cas aussi, je m'en voudrais si elle attrapait un truc qui l'empêcherait de travailler. Une fois en sous-vêtements, je m'avance encore plus vers l'eau. Par réflexe, je grimace un peu lorsque la première vague rencontre mes pieds. Je me retourne vers la brune et lui tends ma main pour qu'elle me suive. L'avantage d'être un peu éloignées, c'est que nous sommes tranquilles. Nous avons une certaine intimité qui fait que nous sommes dans notre bulle : Sofia n'a pas à se presser, je l'attendrais le temps qu'il faudra. « Imagines toi dans un spa et ça va aller tout seul. » À ma façon, j'essaye de l'encourager. Un peu maladroitement, c'est vrai. « Sans la chaleur, sans les vagues et sans les jets. Bon.. d'accord, je n'ai peut-être pas choisi la meilleure comparaison. » Inutile de lui mentir, elle se rendra bien vite compte que j'ai voulu embellir la réalité. « L'eau froide est bonne pour la circulation sanguine, non ? » C'est une autre façon de voir les choses et pour le coup, ça fait référence à son domaine d'expertise. Je recule doucement, alors que la brune se rapproche de moi. « Laisse-toi aller. » C'est beaucoup plus facile à dire qu'à faire, surtout quand des vagues viennent précipiter notre entrée dans l'eau.

Après plusieurs minutes dans l'eau, de longues minutes selon le point de vue, nous ressortons. Je m'approche de mon sac et récupère à l'intérieur une serviette microfibres. Comme nous ne venions pas ici pour une soirée baignade, c'est la seule chose que j'ai pour nous essuyer. C'est sûrement mieux que rien. Je déplie le morceau de tissus et le passe autour de Sofia. « Tiens, ça évitera que tu mouilles trop tes affaires. » Je vais attendre un peu et je m’essuierais après. Je suis celle à l’origine de cette idée, alors je peux bien patienter quelques minutes. Je pose mes mains sur les épaules de l’interne et commence à frotter pour l’aider à se sécher un peu. À faire cela, je me suis rapprochée d’elle, beaucoup, mais je ne le réalise que maintenant. Ce n’est pas gênant, ni désagréable, comme si finalement, mon corps avait seulement écouté ce que mon subconscient lui avait soufflé. Mon regard accroche le sien, avant de venir se perdre sur ses lèvres. J’ai l’impression d’être en pilotage automatique. Je me laisse porter et réduis un peu plus la distance entre nous, jusqu’à ce que nos lèvres se touchent. Durant cet instant, les sons environnants ont disparu et les battements de mon cœur se sont accélérés. Mais ce n’est qu’une parenthèse, une parenthèse enchantée, que j’arrête quelques secondes seulement après son commencement. « Je suis désolée. Je n’aurais pas dû faire ça. » Je m’éloigne d’elle, revenant à une distance que l’on pourrait qualifier de normale. L’une de mes mains passe machinalement sur mes lèvres, alors que l’autre récupère le verre de bière. Il me faut au moins ça maintenant. Tout se passait bien jusque là. Je suis bête, tellement bête.

Ce rapprochement se fait naturellement et c'est bien ça qui le rend agréable. Agréable, mais un peu effrayant aussi. Comme j'ai pu le comprendre avec mes expériences passées : je ne m'attache pas aux gens, pas comme ça. Je joue, je profite de la vie, toujours avec l'accord de la personne en face. Mais là, c'est différent. Il n'y a pas eu cette conversation, d'ailleurs, je ne suis même pas certaine que nous soyons sur la même longueur d'ondes. D'après mes déductions, il est possible qu'elle soit au moins bisexuelle, mais ça ne fait pas tout. Comme elle a pu le dire, ici, tout le monde est plus jeune qu'elle, moi y compris. Qu'est-ce qu'elle pourrait vouloir faire avec moi ? Toutes ces pensées créent un sentiment étrange, un sentiment qui me pousse à mettre fin à ce baiser que j'ai initié. À contre cœur, mais sûrement pour le mieux. Très vite, je m'éloigne et m'excuse pour éviter qu'un malaise ne se crée entre nous, si ce n'est pas déjà fait. Un peu chamboulée par tout cela, la jeune femme ne semble pas m'en tenir rigueur, ce qui me retire un poids des épaules. Mais peut-être qu'elle dit cela seulement pour être polie. D'ailleurs, rapidement, elle évoque l'excuse de l'alcool. Les deux bières ont sûrement aidé, elles m'ont donné du courage, mais il n'y a pas que ça. Il ne peut pas y avoir que ça. Son avis ne compterait pas pour moi, je ne me serais pas arrêtée à ce simple baiser, je n'aurais pas pris la fuite. Après cet incident, Sofia se rapproche à nouveau de moi. Je suis bien incapable de la lâcher du regard et petit à petit, je perds le contrôle de ma respiration. Elle me tend la serviette que je lui ai donnée un peu plus tôt et me remercie. Un sourire se dessine sur mes lèvres en réaction à cela, mais il disparaît très vite. Je crois que je m’attendais à autre chose, que j’espérais autre chose. Quoiqu’il en soit, c’est comme ça, je ne peux pas réécrire l’histoire. Il faudrait pourtant. Je devrais pouvoir revenir en arrière et effacer tout ce qu’il s’est passé dernièrement, car comme je m’y attendais un peu, j’ai tout gâché entre nous. Nos discussions étaient fluides et voilà que maintenant, l’ambiance est tendue. « De rien. C’est normal. Ça m’a plu de partager tout cela avec toi. » Je ne dis pas cela pour lui faire plaisir, je le pense vraiment. J’ai passé un agréable moment avec elle et je ne dirais pas non pour recommencer, quand les choses se seront un peu tassées, quand elle aura oublié ce que j’ai fait. La brune commence à se rhabiller, alors que je m’essuie à mon tour. Dans un silence de plomb, nous revêtons rapidement nos vêtements. « On devrait peut-être aller vers le feu, ça nous permettra de nous réchauffer. » C’est la bonne excuse pour retourner dans le bruit. Pour ne plus être seules, dans un silence gênant. Avant, si la bière était là pour me donner du courage, maintenant, j’en ai besoin pour me faire oublier l’audace dont j’ai fait preuve. Après plusieurs minutes passées là, à chercher plus ou moins à nous fuir, du regard ou dans nos gestes, nous décidons de partir, chacune de notre côté. Avant de la quitter, je fais la promesse à Sofia que l’on se reverra bientôt. Ce ne sont pas des paroles en l’air, mais je ne suis pas certaine que me rendre au refuge demain, comme prévu, soit une bonne idée. Vu notre discussion lors des dix dernières minutes, je crains que la voir là-bas empire les choses. Alors que la brune s’éloigne de son côté, je me retourne et m’avance dans le sable. Ma destination n’est pas la villa que je partage avec Iggy, mais bien la fête qui bat son plein. Là, je retrouve mes amis. Des amis avec qui je reste un peu vague sur les récents événements. Tout avait si bien commencé et pourtant, maintenant, j’ai qu’une envie : boire pour oublier ce qu’il s’est passé, boire pour faire comme les autres personnes de mon âge.