est-ce que tu comptes me gagner une peluche ? (ziggy)

L’attraction qui nous attend est une montagne russe, la première que nous trouvons sur notre chemin. Après avoir fait le choix de la maison hantée, j’ai laissé l’occasion à Iggy de choisir ce qu’elle préférait. Néanmoins, avant de nous engouffrer dans la queue pour le manège, ma mère s’assure que cela ne me rendra pas malade. Si cela arrive, ce ne sera certainement pas dû au vertige, mais bien au mal des transports et aussi surprenant que cela puisse l’être, la brune semble préparée pour cela. Des comprimés pour limiter ces effets ? Dans son sac ? Sont-ils là depuis des mois, voire des années ? Ou a-t-elle anticipé un tel incident ? Je l’ignore, mais le fait est, que si le pire devait arriver, alors nous serons préparées. Arrivées face à la caisse de l’attraction, Iggy se retrouve obligée à payer les tickets, contrairement à tout à l’heure. Une grimace se dessine sur son visage au moment où elle sort les billets et je trouve cela amusant. Elle connaît bien ce monde, mais visiblement, il y a eu quelques changements depuis son départ : elle ne pourra pas avoir de laissez-passer à chaque fois. Les tickets en notre possession, nous nous avançons et attendons dans la file pour pouvoir monter dans le manège. C’est à ce moment-là qu’Iggy m’interroge sur les habitudes que j’ai quand je viens ici. « Ce genre d’endroits ? Des fêtes foraines ? » Dis-je, tout en fronçant les sourcils. Je voudrais être sûre que l’on parle bien de la même chose avant de me lancer. « Ça n’est pas dans mes habitudes de venir ici. Pour être honnête, je crois bien que ça fait plusieurs années que je n’avais pas mis les pieds dans un tel endroit. » Si mes souvenirs ne me font pas défaut, il me semble que j’étais encore en Suède la dernière fois où je suis venue dans un tel rassemblement. « Je suis un peu rebelle tu sais. Nous avons l’habitude d’aller dans des endroits qui sortent de l’ordinaire. Malheureusement, parfois il s’agit de propriétés privées. » Je hausse légèrement les épaules. Ce n’est pas quelque chose que je lui apprends. Bien souvent, nous passons à travers les mailles du filet, mais une fois nous nous sommes faits prendre et la jeune femme a dû venir me chercher au commissariat. C’est la partie un peu triste de ce genre d’endroit, mais au moins, quand nous sommes là-bas, et que nous faisons aucun mal à personne, je tiens à le préciser, nous n’avons pas de règles à respecter et nous sommes libres. « Mais je suppose qu’un peu de changement ne fait pas de mal. » Pour être honnête, je m’attendais à pire pour cette sortie mère-fille.

Maintenant, nous devons attendre. Et pour cela, quoi de mieux qu'une conversation entre mère et fille ? Avec dix-sept ans de vie commune manquée et peu d'efforts faits de nos côtés, nous avons de quoi faire. Quand j'évoque ne pas être une grande adepte des fêtes foraines, j'attise la curiosité de la brune qui m'interroge sur les lieux que je préfère. « Je ne sais pas. Ça dépend. » Disons qu'il n'y a pas de style particulier, mais bien souvent, nous évitons les endroits remplis d'inconnus. Cela nous permet de pouvoir faire ce que nous voulons. « Nous avons une préférence pour la nature. » Sur la plage ou en forêt. C'est vrai que dit comme ça, surtout pour la forêt, ça pourrait faire penser à un début de film d'horreur. Heureusement que je ne suis pas une froussarde, il y a bien longtemps que j'aurais commencé à passer mes soirées enfermées dans ma chambre sinon. « Ou encore les lieux vides. » Abandonnés. Depuis plusieurs années ou juste pour des vacances. De l'Urbex ou juste l'occasion de profiter de grandes villas laissées vide. C'est quand même dommage de laisser des lieux avec autant de potentiel sans occupation. Nous ne faisons que leur rendre justice finalement. Le tour d'avant se termine et c'est maintenant à nous d'embarquer. Très à l'aise dans la foule, Iggy se faufile jusqu'au train, m'attirant avec elle. Je ne bronche pas, je me contente de suivre. Ce serait quand même dommage que l’on rate l’embarcation à cause de moi. Et même si ce ne serait pas grand-chose, je suis presque sûre que la jeune femme pourrait me le reprocher. Sans dire quoique ce soit, ma mère se glisse dans le premier wagon, piquant la place à des personnes qui attendaient devant. Je baisse honteusement la tête et fais tout pour ignorer leurs regards qui se posent sur nous. « Ah oui.. tu es une sauvage en fait. » La courtoisie, elle ne semble pas beaucoup connaître. En plus, ce n’est pas comme si le gérant pouvait prendre sa défense, elle ne le connaît pas. Heureusement, après avoir rouspété quelques secondes, ils finissent par s’asseoir dans un autre wagon et le tour peut commencer. Le véhicule part doucement, mais cela ne dure pas. Nous sommes tous secoués, dans tous les sens et très vite je regrette d’avoir accepté la proposition d’Iggy. L’attraction ne dure que quelques minutes, trop de minutes. Une fois à l’arrêt, nous descendons du train et je sens rapidement que je ne suis pas au top de ma forme. « Je ne dirais pas non à l’un de tes comprimés. » Au moins, ils serviront à quelque chose. « Je propose qu’on reste sur quelque chose de calme pour la prochaine attraction. » J’aurais aussi pu proposer de s’arrêter là et de rentrer chez nous, mais cette sortie est l’idée de ma mère, ça serait quand même dommage d’y mettre fin aussi vite.

Passer nos soirées en boîte de nuit, ça ne nous ressemble pas vraiment. Cela arrive parfois, c’est vrai, mais nous avons tous l’impression de suffoquer. Pour le coup, nous nous sommes bien trouvés. Alors ensemble, nous nous arrangeons pour trouver un endroit qui nous convient mieux, un endroit où nous nous sentons bien. Il arrive que ce soit en extérieur, sur la plage ou aux abords d’une forêt. À l’évocation de cela, Iggy décide de jouer son rôle de mère et de me mettre en garde face à cela. Que j’aille chez quelqu’un d’autre, sans autorisation, ça ne lui pose pas tant de problèmes que cela. Par contre, elle a un doute sur le bon sens des chasseurs qui pourraient se trouver dans les différentes forêts. « Je me trompe ou tu te fais du soucis pour moi ? » On ne peut pas vraiment dire que nous sommes sentimentales l’une avec l’autre, au point où l’accolade qu’elle m’a offerte tout à l’heure est la seule dont j’ai souvenir. Mais si elle a accepté que je vienne dans sa vie il y a quatre ans, après m’avoir laissé à son ancienne belle-mère dix-sept ans auparavant, c’est bien qu’elle doit ressentir un minimum de choses pour moi. Sinon, elle aurait très bien pu me laisser aux mains des services sociaux suédois. Rapidement, notre tour pour le grand huit arrive et au lieu d’attendre gentiment à la fin de la queue, Iggy se fraye un chemin jusqu’à l’avant du train. Quand elle veut quelque chose, il vaut mieux ne pas se mettre en travers de sa route et les deux personnes qui discutaient devant le wagon en ont fait les frais. L’attraction se lance et très vite, je regrette de ne pas être quelques places en arrière : voir le sol perpendiculaire à nous me retourne l’estomac. Par chance, ce genre de manège ne dure jamais bien longtemps. Lorsque nos pieds retrouvent le sol, je me sens déjà mieux. Mais j’accepte volontiers le comprimé que ma mère m’a proposé un peu plus tôt. « Un carrousel, ça me semble bien. » Il faut clairement quelque chose de plus calme. Même si je pourrais aussi laisser Iggy profiter d’une autre attraction le temps que je retrouve pleinement mes esprits. « Ou alors, un coup de poing forain. Ce serait l’occasion de me montrer à quel point nous sommes doués pour cela dans la famille. » Si je ne me trompe pas, la jeune femme m’a déjà parlé du talent que son père, mon grand-père, avait pour ce jeu. Cette proposition semble lui convenir, alors nous nous mettons à la recherche de l’attraction. « Il t’arrive de regretter cette vie là ? » Dis-je, pendant que mon regard parcourt tous les stands qu’il y a autour de nous. Parfois, il m’arrive de penser à ce que je serais si j’étais restée en Suède et je ne peux m’empêcher de me dire que cela aurait été tout aussi bien. À la différence que j’aurais été seule là-bas.

En évoquant les lieux où je me rendais avec mes amis, je ne pensais pas en arriver à discuter de chasse. Surtout que quand on pense à ce genre de sujet, on est loin de penser à un compliment. Car finalement, c'est un peu ce qu'Iggy est en train de me faire ou je me trompe ? Elle ne veut pas me voir accrochée comme un trophée de chasse au-dessus d'une cheminée, c'est clairement une parole gentille. S'en suit un tour d'attraction qui me retourne un peu l'estomac, alors une fois les pieds sur le sol, je propose à la brune de passer à quelque chose de plus calme. Je lui laisse le choix entre le carrousel et le coup de poing forain. Venant d'une famille adepte de la deuxième option, c'est celle-ci qui est choisie. Un peu de répit et du sport, ça devrait me convenir. Sur le chemin qui nous mène à l'attraction, j'interroge ma mère au sujet de sa vie d'avant. Cette dernière lui manque parfois et je me sens alors un peu moins bête d'avoir la Suède qui me manque de temps en temps. Là-bas, je n'ai plus grand-chose et pourtant, l'envie d'y retourner n'est jamais très loin dans mon esprit. Il faut dire que là-bas, tout était beaucoup plus simple. Comme ma mère le souligne, les fêtes foraines sont des endroits festifs et si en plus, nous sommes bien entourés, alors c'est un combo gagnant. Avec ces simples mots, je comprends ce qu'elle veut dire et ce qu'elle peut ressentir aussi en revenant ici – même si pour le coup, sa famille n'est pas là aujourd'hui. Rapidement, nous arrivons sur place, au coup de poing forain, mais aussi à la multitude de machines qui se trouvent à côté. « Vraiment ? » Dis-je, alors qu'elle me laisse la main pour le premier coup. « Est-ce que tu as un conseil à me donner ? Ou alors je tape simplement et on voit ce que ça donne. » Je crois bien que je vais partir sur cette deuxième option et si jamais c'est une catastrophe, je pourrais toujours réessayer après, avec les conseils d'Iggy cette fois-ci. Je pose mes affaires au sol et retire ma veste pour la mettre avec le reste. Comme ça, on dirait que j'ai de l'expérience derrière moi, pourtant, j'essaye juste de me libérer le plus pour permettre à mon geste d'être le plus fort possible. Telle une boxeuse aguerrie, je prends appui face à la machine et après une grande inspiration, je tape dans le sac. Les chiffres changent rapidement et montent un peu plus haut que huit cents. « Est-ce que c'est bien ? » Je suis bien loin de la jauge la plus élevée, mais pour un premier coup, j'ai envie de croire que ce n'est pas trop mal. Peut-être que je me trompe. C'est maintenant au tour de ma mère de montrer de quoi elle est capable, alors je m'éloigne un peu pour lui laisser ma place.

Maintenant devant le coup de poing forain, Iggy va pouvoir me montrer toute l’étendue de son talent. Enfin.. pas tout de suite, car elle me propose d’essayer la première. À l’école, j’ai déjà pu m’exercer à la boxe, mais je suppose que ça reste bien différent. Ici, le coup est unique, alors il faut trouver le moyen d’y mettre toute sa force. Pour m’aider, ma mère me conseille de faire pivoter mon corps en même temps et non de simplement frapper. Quand on ne connaît pas, tout conseil est bon à prendre, non ? À mon premier essai, je me vois arriver dans les 800 points et je reçois les félicitations d’Iggy. Mieux vaut tard que jamais. C’est maintenant à elle de jouer et sans grande surprise, elle vient me battre d’une centaine de points. « Est-ce que tu pensais à quelqu’un quand tu as frappé ? » Dis-je amusée. Je suis sûre que c’est une solution aussi. « J’espère que ce n’est pas mon visage que tu imaginais sur.. ça. » Dis-je, tout en montrant le sac marron de la machine. En boxe, c’est comme cela que ça s’appelle, mais j’ignore si c’est aussi le cas ici. « Je vais réessayer. » Je l’avais annoncé un peu plus tôt. Je me remets en position et répète le conseil de ma mère en boucle dans ma tête. Cette fois-ci, la jauge monte un peu plus. « Je suis bien loin du record, mais c’est mieux que tout à l’heure. » Qui sait, après plusieurs coups, je deviendrais peut-être une experte. Enfin.. pas aujourd’hui. Malgré de belles découvertes et la surprise de ne pas avoir fui plus tôt, je suis encore patraque de l’attraction d’avant. « Le grand huit m’a un peu secouée, je crois que je vais rentrer. » Nous sommes venues de deux manières différentes, alors si elle veut vagabonder dans les allées de la fête foraine pour retrouver ses sensations d’antan, elle peut. « Mais merci. C’était plus cool que ce que j’imaginais. » D’être là, mais aussi de passer ce moment avec elle. Les années passent et petit à petit, les choses deviennent cordiales quand nous sommes ensemble. C’est un bon début, il y a peut-être de l’espoir pour plus tard. « On se retrouve à la maison ? » Rentrer en vélo va me permettre de prendre un peu l’air et avec un peu de chance, je serais plus fraîche une fois à la villa. Je récupère mes affaires, lui fais un signe de la main et je reprends le chemin que j’ai emprunté en arrivant ici.