‘Cause I got high

Amsterdam. Si Jimmy ne devait pas s’y rendre pour affaires, Marina n’aurait eu aucune raison d’y aller un jour. Autre que pour le plaisir, bien sûr. Mais quitte à se faire plaisir, elle préfère une destination un peu plus exotique. Comme Bali, tiens. En voilà des vacances de rêve ! Alors qu’Amsterdam, pas trop. Mais Marina est du genre curieux. Et puis elle en a pas vu beaucoup des films – ce qui est un comble pour quelqu’un qui travaille là-dedans, on est d’accord -, mais elle a vu Ocean’s Twelve. Et il faut bien admettre qu’une visite des canaux la tente pas mal. Puis deux ou trois autres choses également. La rouquine a donc pris quelques jours de congé, aussi bien vis-à-vis de son travail que de son fiancé pour prendre l’avion. Un avion qu’elle ne pilote pas pour une fois. Et le moins qu’on puisse dire c’est que le temps passe beaucoup moins vite quand on est simplement passager. Surtout que la plupart des films qu’on vous propose sont loin d’être très récents et ne parlons même pas des séries où l’on saute des saisons entières. Bref, c’est long et Marina n’est vraiment pas mécontente de poser le pied sur le sol hollandais.

Jimmy lui annonce d’emblée que s’ils en viennent à monter tous les deux sur un tandem, il faudrait qu’elle pédale aussi. Quelle vision cocasse.
« Intérêt à ce que je fasse quoi ? »
Ça fait des siècles qu’elle n’est plus montée sur un vélo. Cela dit, il paraît que ça ne s’oublie pas. Ce qu’elle veut bien croire, étant donné que le principe est assez simple. Marina récupère sa valise et suit Jimmy. Peu importe ce qu’il a prévu ; qu’ils se déplacent en taxi ou bien qu’il loue une voiture, c’est lui qui prendra le volant. Aucune envie de réitérer son exploit de l’autre jour, quand son chauffeur était lui aussi en congé.
« Une croisière sur les canaux. Mais c’est pas nécessairement le premier truc qu’on doit faire, juste une étape sur la liste. »
Doit y avoir plein de trucs à voir et à faire dans cette ville, non ? Marina n’est pas sans connaître la réputation de la capitale. L’herbe, les filles de joie… Ici, personne ne s’en cache, au contraire, c’est ce qui fait le charme de la ville. Et peut-être qu’être aussi décomplexé a du bon étant donné que ce sont deux choses qu’on retrouve partout mais le faire de les taire à tendance à rendre ça plus… crade ? Dangereux ? Un peu des deux, sans doute.

Evidemment que de faire semblant de ne pas avoir bien entendu ne fonctionnerait pas avec lui. Tant pis, ça vaut toujours la peine d’essayer. Marina lève les bras puis les laisse retomber, faisant comme si elle ne voyait pas du tout de quoi il voulait parler, ce qui ne l’empêche pas d’étirer un sourire. Des deux, c’est Jimmy qui a l’air d’y tenir à cette histoire de vélo. Ou de tandem, plus précisément. Et pourquoi pas, au fond ? Si c’est le moyen de transport le plus utilisé dans le pays, alors ça signifie que c’est aussi celui avec lequel il est le plus facile de se déplacer. Bien que ça serait sûrement tout une aventure, tant pis s’ils volent dans un buisson par manque de coordination, ça leur fera une histoire marrante à raconter à leur retour. Soit, de toute évidence, l’idée de la croisière sur les canaux ne lui parle pas des masses. En tout cas pas pour l’instant. Qu’à cela ne tienne, si ça ne lui dit vraiment rien, alors c’est ce qu’elle fera pendant qu’il irait travailler. En plein hiver, elle allait se les geler un maximum mais elle pourrait au moins dire qu’elle a fait une des attractions touristiques incontournables d’Amsterdam. Hochement de tête en guise de réponse tandis qu’une autre idée vient à Jimmy : aller faire un tour dans le quartier ouest, là où se trouvent la plupart des boutiques de luxe, apparemment.
« Ouais, bonne idée. Rien de tel que de commencer par une virée shopping ! »
Histoire de commencer à se préparer mentalement à payer un supplément pour le voyage de retour. Comme si ça allait changer quoi que ce soit à leur vie. Là-dessus, Jimmy lui parle de lui offrir une paire de boucles d’oreilles en diamant en guise de souvenir. Ce qui ne la surprend pas le moins du monde, en tout cas, pas plus que s’il lui avait proposé de lui offrir un de ces coquillages qu’on colle contre l’oreille pour entendre la mer à moins de dix balles.
« Sympa, tout d’un coup je suis très contente que tu sois mon cousin. »
Qu’il ne se tracasse pas, elle ne lui demanderait pas de bague puisqu’elle en a déjà une. En revanche, s’il lui fait un cadeau, alors Marina tient à lui en faire un aussi.
« Et toi ? Qu’est-ce qui te ferait plaisir ? Je doute que de jolis diamants blancs-bleus pour mettre en valeur tes yeux te fassent envie, je me trompe ? »

Ah, le fameux cliché des femmes qui passent leur vie dans les boutiques une fois qu’il est question de shopping. Marina ne répond pas tout à fait à ce cliché. Pas tout à fait car si elle a horreur de perdre son temps à essayer des vêtements qu’elle ne finira pas par acheter, elle aime quand même bien être bien habillée. Porter des vêtements de grands créateurs et tout ce qui s’ensuit.
« Si ça peut te rassurer, ça fait des années que je n’ai plus mis les pieds dans une boutique classique. C’est-à-dire sans personal shopper qui connaît toutes mes tailles, ma pointure, mes goûts et qui fait une pré-sélection de ce qui pourrait éventuellement me convenir. »
C’est que Marina a un job et une vie de couple qui lui prennent tout son temps alors elle fait du shopping comme une working girl, pas comme une fashionista. Bref, bien sûr, sa taquinerie ne passe pas inaperçue et la remarque de Jimmy ne manque pas de la faire rire avant d’hausser les épaules.
« Tu comprends que c’était difficile de m’en rendre vraiment compte quand j’étais toujours à La Havane. T’es toujours en test. »
Depuis cinq ans. Car ça fait cinq ans que Marina a quitté sa précieuse Havane ainsi que toute sa famille pour rejoindre Lindsey en Nouvelle Zélande. Mais pour elle, c’est comme si c’était hier ; elle était toujours aussi perdue dans ces rues qui ne lui paraissent pas plus familières que le jour où elle a débarqué pour la première fois – et peut-être que la faute incombe à son chauffeur qui la trimballe partout mais bon, il est payé pour. En revanche, la rouquine exagère clairement en ce qui concerne son cousin ; ils ont tout de même eu l’occasion de se voir assez souvent en cinq ans. Plus que tout au long de leur vie, sans doute. Soit, point de jolies boucles d’oreilles pour Jimmy. Non, lui préférait une très sobre incrustation dans une montre. Elle opine du chef avec une moue appréciatrice. Peut-être que ça lui donnerait des idées de prochains cadeaux à son fiancé, tiens. Autre qu’une Rolls ou une semaine à Aruba, quelque chose d’un peu plus personnel, quoi. Elle le suit donc, puisqu’il a fait l’effort de chercher la bijouterie. A l’intérieur, tout est d’une blancheur éblouissante et le vendeur les reluque de la tête aux pieds afin de déterminer s’ils seront des clients sérieux ou non. Rien de plus qu’un très simple salut. De nouveau, elle hoche la tête et s’adresse directement au vendeur.
« Je suis à la recherche d’une paire de boucles d’oreilles en or blanc avec un éclat de diamant, vous voyez ? Rien de trop tape à l’œil, pas de coussin ou de Briolette, quelque chose de plus sobre, plus épuré. »
Le bijoutier hoche la tête comme s’il avait exactement ce qu’elle demandait en stock et s’éloigne pour revenir avec exactement la paire qu’elle vient de décrire.

L’idée de Jimmy dans le rôle de personal shopper a quelque chose d’assez hilarant. Mais qui sait ? Peut-être se fourvoie-t-elle. Peut-être est-il le genre très attentionné avec ses proches. Enfin, ou pas, étant donné que la suite de sa phrase parle d’elle-même : il ne connaît rien à ses goûts. Et quelque chose lui dit que c’est pour tout le monde pareil. Et ce n’est pas elle qui va lui jeter la pierre à ce propos puisqu’elle n’est pas non plus la plus forte à ce petit jeu. C’est déjà pas mal de connaître ses propres goûts, pas vrai ?
« Tu pourras te contenter de donner ton avis sur ce que j’achète. Ça devrait être dans tes cordes. Quant à savoir si j’en tiendrai compte, en revanche… »
Puisqu’au final, elle n’achèterait rien qui puisse plaire à quelqu’un d’autre si ça ne lui plaît pas d’abord à elle. C’est important de se sentir bien dans ce qu’on porte. Bien plus que de plaire à autrui, si vous lui demandiez son avis. Bref, sa mini-pique qui n’en est pas vraiment une – notamment parce que Cuba et la Nouvelle Zélande, ce n’est pas tout près – fait réagir Jimmy et les lèvres de Marina s’étirent en un sourire à sa réponse.
« Je m’inquiète pas, tu commences déjà fort. »
Avec des diamants, carrément. Bien sûr, pour eux, acheter des diamants revient à acheter des cailloux. Et au fond, on pourrait dire qu’un diamant est un caillou. Un caillou altéré à cause de la roche qui l’entoure, extrait puis taillé pour en faire ressortir toute la brillance. Ou quelque chose comme ça. Marina aime bien faire genre elle s’y connaît mais en fait, pas tant que ça, elle n’a que quelques notions. Soit, une fois dans la boutique du diamantaire, ce sont ces quelques notions qui ressortent tout naturellement. Elle rit à la question qui suit.
« Ah, je suis quasi sûre que non. Mais d’un autre côté, c’est assez rare que je lui demande des diamants. »
Le vendeur lui apporte donc ce qu’elle vient de demander, ou en tout cas, quelque chose qui s’en approche beaucoup et elle les essaye. Même pas besoin de demander que Jimmy lui donne déjà son avis : parfait. Voilà ce que c’est de savoir exactement ce qu’on veut. Elle s’observe une seconde dans le miroir-main posé sur le comptoir. Ouais, elle est plutôt d’accord.
« Bien, alors c’est celles-ci que je prends. »
Puis elle secoue la tête.
« C’est déjà pas mal ! A ton tour. »
C’est qu’elle aussi peut se montrer généreuse par moment, mine de rien.

D’excellents goûts, voyez-vous ça. Pour être tout à fait honnête, voilà bien quelque chose que Marina ne remettrait pas en question. Inutile de jeter un coup d’œil à ce qu’il porte ce jour-là, Jimmy s’habille toujours bien. Toujours bien selon ses propres goûts en tout cas car s’il aime la sobriété, elle aussi, donc elle ne peut qu’être d’accord.
« J’en doute pas, sûrement un truc de famille. »
Peu importe l’endroit où l’on se trouve, il y a toujours moyen de terminer en beauté. Bien qu’en l’occurrence, Marina a un peu de mal à voir de quoi il pourrait s’agir exactement. Rien qui ne soit pas accompagné par un feu d’artifices en tout cas. C’est toujours la meilleure façon de terminer quelque chose, pas vrai ?
« Je nous fais confiance pour ça. »
Vient ensuite le moment de s’acheter des boucles d’oreilles. Comme pour tout le reste, la rouquine sait exactement ce qu’elle veut. Comme quoi, quand son cousin s’inquiétait que ça ne dure trop longtemps, il n’y avait vraiment pas de quoi. Sur ce temps-là, la question du personnal shopper refait surface. Non, évidemment qu’il n’aurait pas été capable de dire ça mot pour mot mais il est vrai que c’est assez rare qu’elle s’achète elle-même des diamants. Ce qui ne signifie pas non plus qu’elle attend que Lindsey se décide à lui en faire cadeau, disons simplement qu’elle ne raffole pas des bijoux, à moins que ceux-ci aient une histoire bien particulière. Ce qui explique qu’elle n’en possède pas tellement.
« Oh, c’est pas trop notre truc à Lindsey et moi alors ça ne risque pas. »
Car non, son fiancé ne ressemble pas non plus à un rappeur avec d’énormes bagouses à chaque doigt. Cela dit, s’ils le voulaient vraiment, ça ne poserait pas tellement problème, les deux gagnant très bien leur vie. C’est alors au tour de Jimmy de se faire plaisir. Sans surprise, c’est vers les montres qu’il se tourne. Et, encore une fois sans surprise, il n’y a pas vraiment place pour l’indécision et la première qu’il essaye est la bonne. Marina l’observe un instant, songe qu’elle n’aurait pas sa place dans un clip de rap et lève le pouce en signe d’approbation. C’est contents de leurs achats qu’ils ressortent de la bijouterie. La suite du programme ? Visite du port. A moins qu’elle ne veuille faire d’autres achats un peu plus particuliers comme le lui propose son cousin.
« Particuliers ? Tu veux dire fun ? Parce que si oui, alors c’est un peu pour ça que je suis là. »
Pour se détendre, s’amuser, mettre les problèmes du boulot de côté le temps d’un instant.

Imaginer son fiancé sapé en rappeur avait quelque chose d’amusant. Tant qu’elle ne faisait que l’imaginer car Marina préfère de très loin les hommes propres sur eux. A qui on donnerait le bon Dieu sans confession. Exactement comme son Lindsey. Ce n’est pas pour rien qu’elle a accepté sa demande en mariage, il a tout du gendre idéal et la rouquine n’a que très rarement l’esprit de contradiction. Et bien que leurs fiançailles traînent en longueur ça ne signifie pas qu’elle regrette sa décision. Loin s’en faut. C’est qu’elle y avait quand même mûrement réfléchi car accepter sa demande revenait à quitter Cuba ainsi que sa famille et sa petite vie dorée. Pour un autre genre de vie dorée, on est d’accord, mais quand même, quitter Cuba n’avait pas été facile pour elle. Bref.
« C’est peut-être ça que j’aurais dû choisir au lieu des boucles d’oreilles : un dentier tout en diams pour Lindsey ! »
Elle jette un coup d’œil à la boutique dans laquelle ils se trouvent et se demande si c’est dans ce genre d’endroits que les stars du rap viennent également s’approvisionner. Possiblement car au fond, ils ont tout autant les moyens que les gens comme eux. Mais il n’empêche qu’elle a quand même du mal à imaginer une énorme chaîne avec comme pendentif le signe du dollar en diamants exposé en vitrine. Ça ferait très déplacé.

Bref, il est temps de passer à la suite et Jimmy propose de s’amuser un peu. Marina arque un sourcil en l’entendant dire qu’il ne connaît pas de bonnes enseignes pour ça. Par opposition à quoi ? Non parce qu’il ne connaissait plus de bons diamantaires, lui semble-t-il, ils sont juste entrés dans la première boutique qui leur paraissait décente selon leurs critères sans doute un peu exigeants.
« Si on se tape un bad trip par manque de qualité, je dirai que c’est de ta faute, alors. »
Bien qu’elle serait également en cause parce qu’elle non plus ne connaît pas les bonnes adresses. A vrai dire, ça fait des années qu’elle ne touche plus à l’herbe que de manière pour le moins occasionnelle. Peut-être même que ça remonte en effet à ses années lycée. Bien que ça n’a jamais été autour d’un feu de camp. Elle laisse échapper un petit rire et précise.
« Ah, meilleur moyen de se faire trancher la gorge par chez moi. »
Peut-être qu’elle abuse un peu. Mais seulement un peu. Puis elle hausse les épaules tout en le suivant à l’intérieur.
« J’imagine que c’est comme le vélo, ça s’oublie pas. »
Encore que son cousin n’a pas tout à fait tort : ce n’est jamais elle qui roule lorsque l’occasion se présente, c’est juste qu’elle ne paye pas cette personne à ça. Et quand bien même, y aurait quand même pire comme job.

Edenter, carrément ? A choisir, Marina croit qu’elle préfère encore les dents en or couvertes de diamants. Elle en vient même à se dire que ne pas avoir de dents serait probablement un bon motif de rupture. Oh bien sûr, elle n’est pas sans savoir que c’est ce qui les attend tous un jour ou l’autre, mais elle espère que ça sera le plus tard possible.
« Ouais, je suis pas hyper convaincue. »
Et elle se garde bien d’imaginer son fiancé sans dents, en revanche ; manquerait plus qu’elle rentre de ce voyage pour annuler leurs fiançailles à cause de cette vision. Soit, elle a donc l’accord de son cousin pour lui mettre l’entière responsabilité de l’échec sur le dos si échec il y a. Quelle générosité, quelle grandeur d’âme, tout de même. Après quoi il lui donne son avis concernant le traitement qu’on réserve aux touristes qui veulent faire un feu de camp en pleine cambrousse à Cuba. Oui ben justement…
« T’as vu ma tête ? J’ai beau porter un prénom de là-bas, j’ai jamais fait très couleurs locales. »
On la prenait toujours pour une touriste, donc bon, un feu de camp pour elle, ç’aurait été comme de tenter le diable.

Tout ça pour dire qu’ils entrent dans une boutique qui a l’air correct et qu’ils en viennent à discuter de si c’est possible d’oublier comment on fait du vélo. Marina est convaincue que non, en ce qui la concerne.
« Faudrait quand même être carrément à l’ouest pour pas se rappeler qu’il suffit d’appuyer sur les pédales pour avancer. »
Ça doit même être un véritable réflexe car elle est certaine qu’avant d’apprendre, tout le monde sait déjà ce qu’il faut faire. Là-dessus, Jimmy se pose la question du pourquoi on peut pas consommer sur la voie publique. Ce à quoi la rouquine répond par un haussement d’épaules.
« C’est comme pour ce qui est de picoler en pleine rue. Quand t’es pas dans le mood, t’as pas envie de voir ça, là, c’est pareil. »
Ce qui les oblige donc à rester dans cet établissement le temps de. Plus qu’à s’installer, donc, ce qu’ils font. Ça la dérange pas le moins du monde, Marina, c’est comme d’aller dans un bar, au fond. Et Jimmy, après avoir roulé ça comme il se doit, lui propose de tirer une taffe en premier. Un sourire espiègle étire ses lèvres.
« On pourrait croire que t’es pas serein tout à coup. Mais allez, je prends le risque pour nous deux. »
Elle s’empare donc du joint qu’elle allume à l’aide d’une allumette fournie par l’établissement et tire une ou deux taffes avant de partager. Aucun foudroiement.