‘Cause I got high

Tu trouves autre chose… Comme quoi ? C’est la question qu’elle se pose en ne parvenant à s’imaginer que quelqu’un, le cul vissé sur sa chaise, en train de lire un livre ou les yeux rivés sur l’écran de son portable. Pas très fun comme pause, donc. M’enfin bon, selon Jimmy, pas plus de deux par jour et seulement d’une dizaine de minutes pour éviter les tirs au flanc. Marina grimace de nouveau.
« Je voudrais pas bosser pour toi. »
C’est son esprit de contradiction qui parle puisqu’elle sait très bien qu’elle ne prend jamais le temps de souffler. Mais ça, c’est aussi parce qu’elle est son propre patron, que c’est elle-même qui se donne des ordres et pas une tierce personne, chose qu’elle aurait beaucoup de mal à supporter, soit dit en passant. Bref, à choisir entre la piscine et le casino, la rouquine préfère le casino et de très loin. Pour ce qui est de savoir jouer au poker, la réponse est toute trouvée :
« Je me débrouille, mais je trouve qu’il faut être dans le mood pour ça. Les parties qui durent des heures dans des pièces sombres emplies de fumée de cigare… Faut être prêt à se taper un bon mal de crâne et une voix très enrouée le lendemain, quoi. Et toi, t’es un bon bluffeur ? »
A nouveau, s’il faut vraiment faire un choix, elle préfère la roulette, le blackjack, le craps, même les bandits manchots, il suffit de connaître la technique pour passer au bon moment. Ce qui demande à la fois du temps et de l’observation mais pourquoi pas ? Qu’on gagne ou qu’on perde, ça fait partie de l’expérience.
Puisque le sens de l’orientation de Marina est très fiable, les voilà qui arrivent à l’hôtel sans s’être vraiment perdus en cours de route. Elle hoche la tête et regagne sa chambre pour y déposer ses affaires ainsi que se changer car elle porte toujours les mêmes vêtements depuis qu’elle est descendue de l’avion et franchement, ce n’est pas raisonnable, puis elle rejoint son cousin dans le hall avant de prendre la direction du casino. Un sourire se dessine sur ses lèvres en entendant qu’il se sent en veine.
« On va vite voir ça ! »
Petit passage par la caisse pour changer une certaine somme en jetons et c’est parti.
« Alors, qu’est-ce qui t’attire le plus, là, tout de suite ? »
Histoire de tester sa chance.

Elle serait privilégiée ? Et pourquoi donc ? Parce qu’elle est de la famille ? Elle sait que ça se fait, mais elle n’aimerait pas. D’accord, étant donné qu’elle n’a jamais travaillé pour qui que ce soit, elle ne peut pas dire si elle aimerait ou non avoir les mêmes conditions de travail que les gens qui viennent tout juste de se faire embaucher et qui sont par extension encore plus ou moins à l’essai, mais ce qu’elle sait en revanche, c’est qu’elle n’est pas archi-fan des inégalités. La moindre des choses lorsqu’on est un parvenu, c’est de faire ses preuves. Toutefois, Marina a bien compris que Jimmy n’en attendrait pas moins d’elle et que, même s’il serait visiblement prêt à lui accorder de plus longues pauses qu’aux autres, il s’attendrait à ce que le travail soit quand même fait. C’est pourquoi c’est avec taquinerie qu’elle ajoute :
« Alors je rectifie : j’aimerais pas bosser pour toi sans être ta cousine. »
Et lorsqu’il lui fait savoir que ce qu’elle est en train de décrire n’est pas vraiment représentatif de la plupart des parties de poker, la rouquine hausse les épaules :
« C’est que je n’ai jamais joué qu’avec des mafieux, alors. »
Ce qui ne l’étonne qu’à moitié, à vrai dire. Pas qu’elle soit du genre à tremper intentionnellement dans ce genre de choses, pourtant. Ce qui ne l’étonne d’ailleurs pas plus, c’est d’apprendre que Jimmy n’est pas très doué pour bluffer : ses émotions finissent immanquablement par le trahir, selon ses dires. Eh bien l’affaire est réglée en ce cas ; pas de poker pour eux aujourd’hui.

Après un changement de tenue en vitesse – parce qu’elle n’est quand même pas une sauvage ! -, les voilà qui se retrouvent donc à échanger un peu d’argent contre des jetons. Ce que son cousin préfère, c’est le craps – elle le savait, qu’il adorait qu’on souffle sur ses dés ! -, mais il préfère garder le meilleur pour la fin et propose de se poser à la roulette. Puisque ça lui convient, elle acquiesce et ils s’asseyent chacun sur un tabouret tandis que Jimmy lui prodigue ses conseils de grand sage des casinos.
« C’est pas une superstition en soi de croire que tous les numéros significatifs portent malheur ? »
Elle le regarde faire et le suit, juste au cas où il serait vraiment en veine. Mais finalement non et c’est à elle que revient ensuite la lourde tâche de choisir les numéros.
« Ben tiens, comme c’est pratique. »
La rouquine décide alors de ne pas suivre la règle énoncée un peu avant et pose un jeton sur le 25 et un autre sur le 12 qui vient pourtant de tomber. A moins que ça ne soit truqué à l’aide d’un aimant ou quelque chose comme ça, ce n’est que du hasard alors pourquoi ça ne tomberait pas deux fois sur le même numéro ? Mais non, pas le 12, c’est seulement le 25 qui est gagnant. Pas si mal !

Un dictateur ? Non… Bien sûr que non. Marina se doute qu’il n’en est rien, pas même besoin qu’elle mette un pied dans la boîte pour le savoir. De nos jours, tout le monde porte plainte contre tout le monde – elle la première étant donné qu’elle n’hésite jamais à régler ses comptes à coups d’avocats -, alors c’est certain que si Jimmy se la jouait petit père des peuples, ça se saurait. Mais le fait est qu’elle aime bien charrier son cousin alors elle l’observe attentivement quelques instants avant de secouer la tête.
« Non, la moustache ne t’irait pas, mieux vaut que tu continues de t’abstenir. »
Pas qu’absolument tous les dictateurs aient ou aient eu la moustache mais c’est le cas de tous ceux qui lui viennent en tête présentement. Et non, ça ne lui irait pas. Pas plus qu’à n’importe qui qui ne sorte pas tout droit d’un film porno des années septante. En revanche, la rouquine ne peut retenir un rire en s’entendant dire qu’elle a toujours été une bad girl. Pas tout à fait vrai mais pas tout à fait faux non plus ; Marina fait partie de ces gens qui pensent que presque tout peut vous être pardonné à condition de réciter assez de Je vous salue Marie et de Notre Père pour ça. Ce qui ne la pousse bien sûr pas à fauter. Mais si ça arrive, ça arrive.

Bref, ils se posent donc à la roulette dont Jimmy lui apprend les ficelles. Puis elle étire un sourire fier en entendant qu’elle est bien une femme. C’est qu’elle a tout à fait compris le sous-entendu qui se cache là-dessous et qu’elle ne le prend pas mal. Déjà parce qu’elle s’entend dire à longueur de journée qu’elle est chiante au travail et qu’en l’occurrence, ce n’est pas qu’elle qui l’est, mais toutes les femmes, visiblement. Au premier tour, ils font donc comme il dit. Ce qui ne leur rapporte rien. Au contraire, ça leur fait plutôt perdre un peu d’argent selon le principe des casinos. Puis c’est à son tour de miser et il lui met alors une petite pression sur les épaules. Mais, si elle parvient à les faire gagner, alors il lui offre un verre. C’est avec un petit sourire qu’elle accueille cette offre. Et gagne. En ayant misé sa date de naissance. Si ce n’est pas beau !
« Un martini pour moi, bien sûr ! »
Marina ne peut concevoir de boire autre chose dans un casino. Toujours est-il qu’elle a le triomphe modeste. Notamment parce qu’elle ne fait pas que gagner par la suite. Seulement une fois de plus, en fait. Lorsqu’ils remarquent que la chance a tourné pour de bon, ils décident de passer à un autre jeu.
« Allez, on a dit qu’on gardait le meilleur pour la fin, allons jouer un peu au Black Jack. »

A la mention du vieil acteur porno, Marina ne peut que rire parce qu’évidemment, c’est l’idée qui lui est venue à elle aussi. C’est l’idée qui vient à n’importe qui d’ailleurs, elle en est convaincue. Pourtant…
« On rit mais je suis quasi sûre qu’un de ces jours, ça reviendra à la mode. »
Comme tout le reste, la mode n’est jamais qu’un éternel recommencement. Et on peut dire la même chose d’absolument tout le reste ; personne n’est jamais vraiment original au fond, on ne fait jamais que piocher des idées déjà vues ailleurs. Bref, après la roulette vient le blackjack. Encore un de ces jeux sur lequel on a aucune emprise. Enfin, sûrement un peu plus que la roulette ou le craps étant donné qu’il existe des compteurs de cartes. Une engeance que les casinos ont en horreur et qui ont tendance à finir avec une balle dans la nuque, ensevelis dans le désert du Nevada. Ou sur liste noire, dans le meilleur des cas. Donc non, il n’est pas trop question pour la rouquine de faire partie de ces gens, elle préfère s’en remettre à la chance. Qui n’est manifestement pas entièrement de son côté aujourd’hui mais ne dit-on pas « malheureux aux jeux, heureux en amour » ? Encore une expression à la con, on est d’accord, mais puisqu’elle lui convient pas mal sur l’instant…

Et puis en ce qui concerne Jimmy, on peut aussi dire que ça colle plutôt bien étant donné qu’il n’a personne. Ce qui ne signifie pas forcément que ça fait de lui quelqu’un de malheureux non plus, c’est sûr, mais certains seraient tout prêts à le croire. Dans tous les cas, il a un peu de chance étant donné qu’il parvient à faire pile vingt-et-un. Bravo à lui. C’est ainsi qu’il émet l’hypothèse d’ouvrir un casino à Wellington. Marina fouille sa mémoire en fronçant les sourcils sous l’effet de la réflexion.
« Y en a pas déjà un ? »
Il lui semble que toutes les villes dignes de ce nom possèdent leur propre casino mais un de plus ne pourrait de toute manière pas faire de mal, un peu comme pour Monte-Carlo. Elle regarde la carte qu’on pose devant elle, voit le croupier rafler sa mise et en conclut :
« Ça m’a l’air assez lucratif en tout cas comme business. »
Pourtant, il doit forcément exister des casinos ayant fait faillite, c’est certain. Mais pour l’instant, Marina ne voit pas comment c’est possible. A moins bien sûr que tout le monde triche.

Plutôt Monte-Carlo que Las Vegas, alors. C’est vrai, Marina connaît plutôt bien son cousin et lui veut toujours que tout ce qui transpire littéralement la classe. Et Las Vegas… Ce n’est pas très classe. Pourtant, ça pue le fric, c’est sûr. Mais les magouilles aussi et on n’est jamais à l’abri de voir une vieille rombière maquillée à outrance et portant un gant de toilette en guise de vêtement franchir les portes du Venetian. Sans doute pas pour se payer une de leurs suites luxueuses pour flambeurs, mais ne serait-ce que pour claquer le fric qu’il lui reste après avoir échangé ses vœux avec un plouc notoire devant un sosie d’Elvis en train de chanter Love Me Tender. Vraiment pas la meilleure chanson du King, mais que voulez-vous ? Ce n’est pas Marina qui fixe les règles.
« Ouais, je vois le genre, un endroit select avec une liste des personnes autorisées à entrer alors que les autres n’auront pas ce privilège. »
Peut-être qu’elle exagère. Un peu. Mais la vérité c’est que ça n’est pas non plus une si mauvaise idée. Enfin, si le but est de garder une réputation d’endroit chic. Mais le fait est que le but d’un casino, c’est surtout d’amasser beaucoup d’argent. Et pas forcément celui des personnes les plus aisées, ni les plus irréprochables.

Il abonde dans son sens, confirmant qu’un tel établissement serait vite rentabilisé, puis ils migrent vers la table de craps. On ne peut pas vraiment dire que la pauvre Marina ait eu beaucoup de chance de son côté mais ce n’est pas bien grave ; qu’elle se refasse ou non n’a que peu d’importance, raison pour laquelle elle hausse les épaules en entendant Jimmy lui dire qu’il est encore temps d’y arriver.
« Nous verrons bien. Mais c’est surtout toi qui rafles toutes les mises. Comme quoi, t’avais raison quand tu disais que tu étais en veine. »
Puis, de la manière que l’argent appelle l’argent, la chance appelle aussi la chance. Ou la positivité en tout cas. Chose qu’elle a quelque peu perdue au fil du temps qu’ils ont passé dans ce casino.
« Je pense pas que je vais avoir beaucoup plus de chance ici mais voyons ça. »
La rouquine se saisit ensuite de la paire de dés qu’elle fait rouler dans le creux de la main avant de les lancer sur la table de jeux. Un un et un deux en résultent. Nouveau haussement d’épaules. Elle l’avait bien dit.

Quoi qu’elle dise, il semblerait que son cousin ait décidé de la contredire ; alors qu’elle sait bien qu’il refuserait l’entrée aux péquenauds pour ne laisser passer que les baleines s’il le pouvait. Mais bon, puisqu’il ne veut pas l’admettre, alors tant pis. De toute manière, un casino ne se construit pas en un jour, pas même sur le Strip, et encore faut-il qu’il survive à la concurrence. Bien que celle-ci ne soit probablement pas des plus rudes sur Wellington étant donné qu’il doit sans doute n’y en avoir que deux ou trois autres à tout casser.
« Okay, alors si tu l’ouvres vraiment, attends-toi à me voir débarquer un jour en mini mini-jupe léopard juste pour voir si on me laisse entrer. »
Enfin, encore fallait-il qu’elle en trouve une car ce n’est bien évidemment pas le genre de vêtements qu’on trouve dans son dressing. Cela dit, un tour dans le sex shop le plus proche devrait faire l’affaire. Bref, Marina constate ensuite qu’elle n’a pas de chance, contrairement à Jimmy. Et elle sait pertinemment qu’elle ne devrait pas le formuler à voix haute parce que ça lui porte possiblement la poisse mais en vérité, elle s’en fiche bien.

Puis surtout, comme le fait si bien remarquer Jimmy, il suffit d’une fois. Mais elle continue de perdre et lui de gagner. Encore heureux qu’il ne s’agit pas d’un jeu requérant beaucoup d’attention car celle de son cousin est présentement accaparée par une autre joueuse. Marina aurait pu se sentir de trop mais le fait est que s’il veut s’éclipser avec elle en la laissant jouer seule, ce n’est pas un problème et il devrait le savoir. D’ailleurs, peut-être même qu’elle récupérerait sa chance en passant. Un sourire taquin s’affiche alors sur son visage tandis qu’elle lance une fois de plus les dés – toujours pas pour gagner.
« Je m’en voudrais de te faire louper une occasion pareille. T’as qu’à y aller, moi je reste là, jusqu’à ce que je me lasse. »
De toute manière, ç’avait été son plan depuis le début, tout perdre pour jouer une toute dernière pièce au bandit-manchot et se refaire sur un coup de maître. Le pire dans tout ça, c’est qu’elle est sûre d’y parvenir.

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