maybe i need some advice (iggy)

Au fond, cette conversation la poussait à revenir sur ce qu’elle avait vécu, peut-être même à voir les choses différemment. Peut-être. Le temps d’un instant, elle réfléchit à la question que sa fille venait de lui poser. Combien de temps avant que la colère ne retombe et ne laisse enfin place au manque ? Iggy fronça légèrement les sourcils sous l’effet de la réflexion ; difficile d’être précise. Elle avait l’impression que sa colère ne l’avait pas quittée durant une éternité mais elle était pratiquement certaine de se tromper. Il ne lui avait pas fallu tant de temps que ça avant d’accepter de le revoir, ne serait-ce qu’à l’occasion.
« Hm… Je dirais que ça se compte en mois. »
Il faut dire qu’après avoir signé les papiers du divorce, on lui avait annoncé que la tutrice de sa fille était décédée et qu’il lui fallait quelqu’un pour la récupérer quelques temps alors tout s’était enchaîné très vite sans qu’elle ait vraiment la possibilité de s’en rendre compte. Sa fille qu’il lui avait fallu cacher à son ex-mari puisqu’elle ne l’avait jamais mis au courant qu’elle en avait une quelque part. On a le don de se fourrer dans des situations complexes ou on ne l’a pas. Bref. Elle eut moins de mal à répondre à la question d’après.
« Non. Le hasard a voulu qu’on n’arrête pas de se croiser ensuite. »
Le hasard, vraiment ? Possible ; le fait est qu’Iggy ne connaissait Island Bay et Wellington que grâce à Ash alors il était sans doute normal qu’ils continuent de fréquenter les mêmes endroits.
« Et Ash n’est pas vraiment quelqu’un de rancunier. »
Contrairement à elle ? Encore une fois : possible. S’il ne l’avait pas un jour saluée, l’aurait-elle fait ? Difficile à dire puisque la situation ne s’était pas présentée. Peut-être, c’était tout de même d’Ash qu’on parlait, elle ne pouvait pas vraiment le détester. Mais étant donné que c’était elle qui avait claqué la porte pour une raison valide, il n’aurait pas été question qu’elle joue les girouettes et fasse marche arrière. Il n’aurait pas été question qu’elle admette être dépendante de qui que ce soit, surtout… Mais ça, c’était un sujet qu’elle n’était pas prête à aborder tout de suite. Peut-être jamais.
« Pourquoi ? L’idée te traverse l’esprit de faire le premier pas vers Sofia ? »
Ça serait légitime, après tout.

Pour s’être déjà trouvée dans la même position, Iggy comprenait un peu Charli. La même position, oui, mais pas la même personne avec les mêmes réactions. Dès lors, la compréhension était tout de même relativement réduite. Cela étant, elle était assez douée pour analyser le comportement humain ; ainsi savait-elle que si sa fille lui posait tant de questions, ce n’était pas uniquement par curiosité mais parce qu’elle était paumée et que, puisqu’il s’avérait que sa mère avait connu la même situation à peu de choses près, son expérience était toujours bonne à prendre. Malheureusement, Iggy n’était pas un exemple ; elle ne l’avait jamais été et sans doute ne le serait-elle jamais. Faire le premier pas ne lui paraissait rien de moins qu’impossible. Pas quand elle avait de bonnes raisons d’être en colère, en tout cas. Puisqu’au détour d’une conversation banale, elle avait tout de même avoué à Ash qu’il lui manquait. Mais elle était pratiquement certaine qu’elle ne l’aurait jamais fait si elle n’avait pas su que la réciproque était vraie. Inutile de le dire, en l’occurrence, ça se sentait. Elle arqua un sourcil, un sourire étirant ses lèvres lorsque Charli lui demanda ce que la fierté ne leur ferait pas faire. Une question rhétorique, bien sûr, il n’y avait pas de bonne ou de mauvaise réponse à fournir.
« C’est pas toujours une mauvaise chose, j’ai envie de dire. »
Mieux valait que ça soit plus souvent la fierté qui parle qu’autre chose, selon elle. N’oublions pas qu’Iggy était quand même une solitaire dans l’âme et que ça lui avait appris que la première personne dont elle devait se soucier, c’était elle. Et clairement, s’écraser, quelle qu’en soit la raison, ne lui convenait pas. Bref. Puis elle pouffa à la conclusion qu’en tira Charli. Oui, c’est une façon de voir les choses, mais encore fallait-il qu’on puisse s’y fier. Elle en avait connu des gens qui lui auraient couru après – si seulement ils avaient su où la trouver – pour lui faire savoir qu’ils ne pouvaient plus se passer d’elle, la suppliant de revenir. Sauf que très rares étaient les gens connaissant la vraie Iggy. Alors qu’on lui permette d’en douter. Elle finit par hausser les épaules.
« Ce qui pourrait aussi aider, ça serait de pouvoir lire dans leurs esprits. Mais comme c’est pas possible, le mieux à faire, c’est encore de le leur demander directement. »
L’ébauche d’un conseil ? Peut-être.

Iggy était assez d’accord : ça serait plus simple. Même si, à force d’observer, même d’étudier les autres, c’était un peu comme si elle était télépathe, il y avait tout de même encore l’une ou l’autre chose sur lesquelles elle pouvait se tromper. Donc elle ne serait pas contre le fait d’être véritablement télépathe. Mais bon, les superpouvoirs, c’est bon pour les X-Men. Ce qui ne la surprit pas, fut d’apprendre que sa fille n’était pas très douée pour la communication. Elle n’irait pas jusqu’à dire que c’était de famille car elle n’avait jamais eu ce souci avec ses propres parents, mais elle ne se voilait pas la face, elle était tout à fait consciente qu’il ne lui était pas facile à elle non plus de partager son ressenti. Par habitude, sans doute ; son activité faisait qu’il valait mieux pour elle de ne se fier et, par extension, de ne se confier à personne alors elle avait l’habitude de tout garder pour elle. La seule exception ayant été son mariage. Là, elle avait fait des efforts pour communiquer, pour arrondir les angles également. On peut dire que ça l’avait changée. Du moins un temps. Bref, elle acquiesça, ses boucles brunes suivant le mouvement de sa tête.
« La balle est dans ton camp. »
Ce qui ne voulait pas dire que c’était à elle de plier, évidemment. Mais peut-être d’engager la conversation. Et si elle avait l’impression de s’adresser à un mur, alors libre à elle de faire marche arrière. Puis Iggy haussa les épaules ; elle ne savait pas si le lit était effectivement le meilleur endroit pour cogiter un peu. On dit toujours que la nuit porte conseil mais elle ne l’avait jamais vécu de cette manière. Au contraire, il valait mieux qu’elle évite de réfléchir avant que le soleil soit déjà bien haut dans le ciel, mais ça, c’était propre à chacun. Peut-être que ça aiderait Charli. Dans tous les cas, elle avait compris que la discussion s’arrêtait là et qu’elle allait pouvoir retourner à son documentaire sur les tortues des îles Galapagos. Elles se séparèrent et elle emporta sa tasse, reprenant la direction du salon lorsque sa fille l’interpella, la faisant se retourner. Un sourire illumina soudain son visage.
« Je t’en prie. Tâche quand même de passer une bonne nuit. »
Puis elle regagna le living, son canapé et son documentaire n’attendant plus qu’elle.