les informations en vrac
(001) elle s'en souviendra toute sa vie kate. on était le dix-sept décembre, le bal d'hiver devait avoir lieu le samedi suivant. il y avait de la neige partout quand elle s'est réveillée, pas vraiment une surprise à chicago en plein hiver. elle a regardé sa robe bleue qui était exposée sur son mannequin ne pouvant pas croire que son grand jour allait enfin arrivée. elle est descendu kate, euphorique parce qu'aujourd'hui elle allait choisir le bijou qui allait accompagner le reste avec sa mère. mais elle n'était pas là. elle est entrée dans la cuisine et deux enveloppes étaient présentes sur la table, l'une portait son nom, l'autre celui de son père. elle n'a pas eu l'occasion de l'ouvrir car son père a simplement levé les yeux vers elle, la lettre chiffonnée entre ses mains.
elle est partie. et
elle ne reviendra pas. un autre homme, un besoin de liberté, de se libérer de sa vie de professeur des écoles, de vivre l'aventure, le grand frisson.
(002) elle a été capitaine des cheerleader, présidente du conseil des élèves, du club de débat et membre de l'équipe de tutorat. elle a toujours été parfaite kate, a toujours tout fait pour qu'on le pense du moins. forcément elle était adorée, forcément elle a toujours été élue reine du bal et ça n'a jamais étonné personne. katherine eléonore taylor était parfaite.
(003) elle a toujours aimé chicago kate, son lac, son bean, son froid et son histoire. amoureuse de sa ville kate, tellement que son père disait toujours qu'elle finirait mariée à elle plutôt qu'à un énième prétendant. et quand la chaleur de la nouvelle-zélande se fait encore une fois trop étouffante, elle ouvre l'ordinateur et se plonge dans les meilleurs souvenirs de sa vie. ceux qui la ramène chez elle, à chicago.
(004) l'avantage d'une mère qui disparait et qu'on se retrouve à seize ans avec un seul parent, c'est que ça rapproche. passer deux quatre mots échangés par jour à des dîners à deux avec des blancs à combler, ça force le dialogue. elle a appris à aimer son père, si fort qu'il est devenu le premier homme de sa vie. attendre seize ans pour développer un lien ne compte pas s'il devient aussi fort que celui qu'il a construit avec son paternel. le vétéran qui passait son temps au stand de tir avec ses compères devient le premier à se déplacer aux concours de débat, menace les garçons qui viennent frapper à la porte, apprend la mécanique à sa seule enfant, mais aussi l'auto-défense et à jouer de la guitare. elle lui apprend la douceur, la patience et le goût pour les beaux tissus. voilà comment son père devient son meilleur ami.
(005) la conduite à gauche, elle ne s'y fait pas alors que ça fait bientôt dix ans qu'elle est installée à wellington. quand la fatigue est trop présente, ses réflexes d'américaine reviennent à la surface et il n'est pas rare qu'elle se fasse klaxonner à deux ou trois carrefours.
(006) parfois, le besoin de se défouler est trop fort, quand les garçons se mettent à se disputer pour une voiture électrique ou qu'elle découvre une nouvelle tache de rouge à lèvres sur la chemise de son mari, quand elle doit trouver un moyen rapide de retrouver son calme, il n'y a qu'une seule solution. cela n'a rien à voir avec le jogging journalier qui l'aide à garder la forme et un certain rythme de vie. quand elle se rend à la salle de boxe, enfile parfaitement les gants et que les bandages sur ses mains sont impeccables, ils savent qu'il faut lui proposer une distraction, un entraînement, un combat léger. au début ils se moquaient, elle est arrivée en talon après une mauvaise affaire, les cheveux blonds parfaitement fixés dans un chignon et les yeux verts maquillés à la perfection. et puis ils ont compris, ils ont vu, appris. et kate est toujours la bienvenue. alors elle se défoule, ça lui coupe le souffle même parfois, souvent. et puis elle remercie les gars, passe sous la douche, rentre chez elle. remercie la baby-sitter d'avoir surveillé ces garçons et va les embrasser avant de faire semblant. encore.
(007) elle n'est pas tout de suite tombée amoureuse de lui. ce n'était pas un coup de foudre, ce n'était pas évident. du moins de son côté, parce que connor raconte à qui veut l'entendre qu'un seul regard à suffit pour qu'il se dise qu'elle était la bonne. elle veut bien le croire. parce qu'il lui a couru après longtemps. a fait apporter des fleurs à sa chambre universitaire tous les jours pendant deux mois, lui a dédicacé des touchdowns, et a appris sa commande de café par coeur. il la voulait et il a fini par l'avoir. kate raconte qu'elle était juste fatiguée de lutter, elle dit ça pour rire, enfin elle croit.
(008) le syndrome de l'imposteur est l'un des plus difficiles à vivre au quotidien. elle le sait kate, surtout quand on te fait comprendre que ce n'est pas qu'un syndrome, que si tu as réussi c'est parce que tu as cultivé cette image de miss parfaite, épousé le bon gars, est née avec le bon physique. alors elle bosse kate, d'arrache pied, trois fois plus que n'importe qui. et forcément elle devient associée en un temps record et forcément on va dire que c'est parce qu'elle est belle. mais elle a fini de les écouter, de les croire. elle sait tout le chemin qu'elle a fait pour en arriver là. elle sait les heures passées à la bibliothèque de la fac plutôt qu'en soirée, elle sait les documents lus encore et encore alors qu'elle était enceinte de huit mois, prête à exploser à tout moment. alors elle sait kate, qu'il pense qu'elle est parfaite avec son chignon, ses talons, son maquillage immaculé, son sourire brillante et ses yeux verts. elle sait qu'on lève les yeux au ciel à ses jupes à crayon, ses tailleurs, ses chemisers, ses pantalons parfaitement taillés pour elle. mais elle ne les laissera pas lui voler son mérite, jamais.
(009) elle était forcée de l'épouser, parce que si elle ne l'épousait pas lui alors qu'il était tout aussi parfait qu'elle, qui serait assez bien pour avoir droit à sa main ? alors elle a dit oui, parce qu'elle n'a connu que lui depuis ses dix-huit ans, il était son repère, son pilier et surtout il a eu la bénédiction de son père, plus aucune raison de dire non. alors elle a abandonné son nom de famille pour prendre le sien et elle sait, que ça a un peu brisé le coeur de son père, mais elle a fait semblant de ne rien voir. parce qu'elle est douée pour ça kate, faire semblant.
(010) elle s'est promise une chose kate, qu'une fois mariée se serait pour le restant de ses jours, heureuse ou pas, elle ne pourrait pas faire la même chose que sa mère, briser le coeur de l'homme qui l'aime, décevoir ses enfants. alors parfois quand elle joue avec son alliance et sa bague de fiançailles hors de prix, qui vaut plus que la maison de père et tout ce qu'elle contient, elle se rappelle de son serment. pourrait se gifler d'avoir imaginé ne serait-ce qu'une seconde quitter son mari. et le soir, elle lui offre son corps, comme pour dire pardon.
(011) elle ne pensait pas être une soccer mom, mais il faut croire que c'était plus fort qu'elle. enfin presque. alors pendant qu'archie joue au rugby, elle reste sur le côté kate, un oeil rivé sur son téléphone, mais toujours le second sur son fils qui virevolte entre ses adversaires. la peur au ventre de le voir se blesser alors qu'à son âge, il n'y a pratiquement pas de contact physique. elle attend la fin du match pour aller le féliciter, l'emmener manger une glace et en offrir une à aiden même s'il a passé 90% du jeu à dormir sur son épaule. parce que son second fils veut faire du skate et ça n'aide pas à calmer sa peur bleue de voir un de ces blondinets aux yeux bleus revenir avec des ecchymoses.
(012) elle est tombée enceinte d'archie à vingt-neuf ans et il a fallu trois ans d'essais pour y arriver. elle était désespérée kate, a prié chaque nuit qu'on lui vienne aide, a souffert des injections pour booster ses hormones encore et encore et puis il est arrivé, comme un miracle. et kate le sait, au moment où elle a posé les yeux sur lui un matin de juin, elle n'a jamais quelqu'un aussi fort. c'était il y a sept ans et elle s'en souvient comme si c'était hier.
(013) grand latte sans sucre et deux doses de sirop de vanille. une commande de café qui n'a pas changé depuis qu'elle a seize ans. une commande de café qui a aidé son mari à la séduire. une commande de café qui est en train de foutre son mariage en l'air. parce qu'il confond connor, entre sa femme et sa maîtresse et à force de vouloir mener une double vie, il se trompe sur des petits détails, comme sur la commande de café de sa femme. comme quand il lui ramène un espresso noir, bourré de sucre. qu'elle lui fait la remarque et qu'il lui sort qu'il a juste confondu sa commande de café avec lui de leur voisine. cliché. elle a envie de lui jeter la tasse en carton au visage. mais les enfants sont là, son alliance brûle son doigt et sa promesse lui retourne l'estomac. alors elle plaque un sourire sur son visage et lui dit que c'est pas grave, ce n'est rien. c'est faux.
(014) aiden est né en octobre, quand les feuilles changent de couleur et que l'odeur de l'air est un peu plus frais, même à wellington, surtout à chicago. trois ans après archie, son second miracle est né, le même sentiment, l'impression qu'elle n'aimera que lui et son frère aussi fort. et à trente-six ans, elle pense bien qu'elle n'aura qu'eux, mais ils sont suffisants, ils seront toujours bien assez.
(015) elle se souviendra toujours de son départ pour la nouvelle-zélande, les larmes au moment de quitter son père, le froid, sa vie chérie, son pays. le moment de réflexion à se demander si un homme vaut la peine d'abandonner tout ce qu'elle aime que ce soit la pizza, le café, les restaurants où elle a ses habitudes, son fleuriste, ses amies, son épicier. et puis abandonner son père surtout. mais encore la bague qui brûle et elle qui prend le départ. se soutenir dans le bonheur comme dans la maladie, ça passe aussi par le suivre loin de son pays pour un travail qu'il a trouvé. abandonner son début de carrière, devoir tout recommencer, pour qu'il puisse raconter à noël qu'il a pu s'acheter la nouvelle voiture, la nouvelle montre de ses rêves.
(016) elle supporte mal la chaleur kate, supporte mal l'océan pacifique et sa parfaite banlieue. ne supporte pas la conduite à gauche, le rugby à la place du football américain, le soleil qui brûle sans arrêt ses rétines.
(017) elle ne sait pas quand c'est arrivé. si c'était d'un coup ou progressivement. est-ce qu'elle l'a même vraiment aimé un jour ou bien elle ne plaisantait pas tant que ça en disant qu'elle a juste accepté de sortir avec lui pour avoir la paix. est-ce qu'ils se sont un jour vraiment aimé ou bien ont ils choisir de croire en cette illusion. peut-on vraiment cesser d'aimer quelqu'un comme ça. sans rien dire, continuer à faire semblant. est-ce qu'il se doute qu'elle n'est pas heureuse avec lui, qu'elle ne l'a finalement jamais été et que le départ pour wellington a réellement signifié la fin de leur mariage. est-ce qu'il se rend compte que leurs enfants sont le seul ciment de leur mariage. est-ce qu'il pense au fait que malgré qu'elle ne soit pas heureuse elle ne l'a pas trahit alors que lui n'arrête jamais ? est-ce qu'il regrette, culpabilise ? et puis surtout : pourquoi ne pas la quitter ?
(018) le vin pour pêché, après la journée de travail terminée ou bien en cuisinant, juste un verre qui la maintient connecté au reste. parfois le scotch quand la journée a vraiment été mauvaise, toujours à l'abri des regards de ses enfants.
(019) la difficulté à se faire des amis, alors qu'à chicago elle ne pouvait plus les compter. plus de café entre copines, de soirées filles, de virées shopping alors que c'est maintenant qu'elle en a le plus besoin.
(020) parfois ça lui arrive d'y penser. à ses années fac, celles avant connor ou pendant connor quand il tentait tant bien que mal de la séduire. elle repense aux nuits passées avec des femmes extraordinaires, brillantes, douces et drôles. elle pense aux frissons de leurs regards, à la délicatesse de leurs lèvres. encore aujourd'hui elle serre les cuisses un peu plus fort dans sa jupe crayon quand elle y pense. une bisexualité assumée, connue de son mari, qui semble parfois se raviver quand elle est draguée par la barista du café près de son travail ou à cause des regards pas si subtils de la nouvelle stagiaire qui est en première année de fac. ça lui redonne confiance, lui fait prendre conscience qu'elle n'est pas qu'une avocate, partner, pas qu'une mère ou une épouse, elle est aussi une femme qui attire le regard.