eye of the storm → sunny

En début d’après-midi, le vent avait commencé à souffler. Iggy n’y avait pas particulièrement prêté attention, notamment parce qu’elle avait d’autres chats à fouetter sur le moment. Ce n’est qu’en rentrant à la villa qu’elle constata que ça ne s’était pas arrêté. Que ça n’allait pas en s’améliorant non plus. Plutôt en empirant. A peine entrée, elle appela le prénom de sa fille, juste pour savoir si celle-ci était à la maison mais, n’obtenant aucune réponse de sa part, elle conclut que non. Sans vraiment prendre la peine de se renseigner plus que ça – Iggy préférait laisser les autres venir à elle plutôt que de leur tirer les vers du nez, et c’était encore plus vrai en ce qui concernait son entourage direct -, elle avait cru comprendre que Sofia ne faisait à présent plus partie du décor. Sans trop s’avancer non plus, elle supposait qu’il s’agissait là de la toute première vraie peine de cœur de Charli. Au fond, elle n’était pas si pressée qu’elle veuille lui en parler plus en détails parce qu’elle ne saurait pas quoi dire, quand on voyait comment elle gérait la sienne, il valait sans doute mieux se dispenser de donner des conseils aux autres. Bref, tout ça pour dire qu’il n’y aurait qu’elle ce soir. Iggy secoua la tête pour ne pas penser à son stress qui commençait à gagner en intensité à mesure que le vent soufflait de plus en plus au dehors et fit un crochet par la cuisine pour se prendre un verre de thé glacé avant de monter dans la salle de bains.

Plongée dans son bain moussant, de la musique à fond dans les oreilles, elle s’efforçait d’oublier tout ce qui pouvait bien l’entourer. Jusqu’à ce que les lumières s’éteignent d’un coup. Voilà qui faisait très film d’horreur, si vous vouliez son avis. Si elle sortit de son bain et s’enroula dans une serviette, elle ne poussa cependant pas le vice jusqu’à demander qui était là. Personne, elle le savait ; la tempête dehors avait simplement dû déraciner un arbre qui était tombé sur les lignes à haute tension privant le quartier d’électricité, voilà tout. Ça arrivait tout le temps. Vous noterez l’effort pour tenter de se rassurer alors qu’Iggy était à deux doigts de se ruer sur son téléphone pour demander de l’aide. Ridicule, elle avait quarante ans maintenant. Et avant d’être mariée, elle avait connu d’autres tempêtes qu’elle avait affrontée toute seule, pas besoin d’aller se réfugier dans les jupes de son ex-mari… Et pourtant, c’est bien à son numéro qu’elle envoya un message. Parce que oui, c’est bien sûr à lui qu’elle pensait dans un moment pareil – pour ne pas dire tout le temps. Pour lui demander s’il était chez lui et si lui avait toujours de l’électricité, dans un premier temps. La réponse mit du temps à venir mais un coup d’œil à sa montre lui apprit que, vu l’heure tardive, c’était un peu normal. Un bruit de verre cassé au rez-de-chaussée lui arracha un cri de stupeur et il ne lui en fallut pas plus pour sauter dans ses vêtements, entasser deux ou trois choses dans un sac de voyage et tout plaquer là pour grimper à bord de sa Cadillac direction le ranch. Comme la dernière fois, c’est devant sa porte qu’elle se gara et, le temps de descendre de voiture et courir jusqu’au perron, elle était déjà trempée quand elle frappa vraiment tout doucement contre la porte, espérant ne pas réveiller Sunny qui avait peut-être eu l’occasion de se rendormir entre-temps. Une chance pour elle, la porte ne resta pas close et la tête de Sunny apparut dans l’encadrement.
« Salut. Je te dérange pas, j’espère ? J’ai plus d’électricité et y a un truc qui s’est cassé chez moi, puis Charli n’est pas là. Ça t’ennuie beaucoup si je squatte ton canapé, cette nuit ? »

Sunny avait passé tout un mois à aménager son petit cottage pour l’arrivée de Sandro. Il avait pensé à tout, en termes de sécurité, de confort, mobilier, vêtements, jouets, accessoires, vaisselle… Tout, enfin, c’est ce qu’il croyait. On est jamais vraiment prêt à être parent, et on ne peut pas penser à tout. Comme, par exemple, le fait que, les soirs de tempête comme celui-là, le vent s’engouffrant dans le cadre des fenêtres faisait sinistrement hululer ces dernières telle une chorale d’outre-tombe. De quoi, évidemment, terrifier le petit bout de dix-neuf mois qu’était Sandro, et si Sunny ne s’en était pas douté avant, c’est tout simplement parce que lui-même avait toujours apprécié ce phénomène qui sonnait à ses oreilles comme une mélopée de Mère Nature et qu’il n’avait tout bêtement jamais pensé à cela comme un problème. Hé bien, ce soir-là devait être le dernier où Sunny entendrait cette mélodie. Ne se laissant pas le temps d’être désemparé par les sanglots désespérés de Sandro, le nouveau papa s’était aussitôt rué sur les premiers tissus venus (des chiffons, des serviettes, et même ses propres vêtements) et sur un rouleau de Chatterton pour colmater les fenêtres et faire taire les fantômes mélomanes qui terrorisaient son fils. Une fois cela accompli, le plus dur restait encore à venir : rassurer Sandro qui, manifestement, avait été bien trop perturbé pour se rendormir de sitôt.

Après plus d’une heure à essayer de bercer son fils en lui chantant des berceuses, sans succès ― forcément, quand on chante comme une bouilloire percée ― Sunny eut soudain l’illumination. Il alla s’installer avec Sandro sur le canapé, et emmitoufla le petit dans son fameux gilet spécial cocooning. Sunny retint alors son souffle, n’y croyant qu’à moitié et pourtant, bingo : après quelques dizaines de secondes, l’agitation de Sandro retomba, et il se mit à babiller mollement une sorte de charabia aux accents hispaniques. Les yeux de Sunny se mirent brusquement à luire de larmes, autant de soulagement que d’une soudaine et intense vague d’amour.

« T’es vraiment mon fils, » murmura-t-il d’une voix serrée par l’émotion.

Il déposa un baiser sur le front de Sandro, alors que les paupières de ce dernier s’affaissaient. Le petit ne tarda alors plus à tomber enfin dans un sommeil profond. Sunny resta un moment assis dans le canapé, son fils serré contre lui, avant de se décider à, avec une grande précaution, se lever pour se diriger vers la chambre. Mais avant qu’il n’atteigne cette dernière, il se figea et planta son regard sur la porte d’entrée à laquelle quelqu’un venait de frapper. Clignant des yeux tel un hibou, il resta planté là, incapable de trouver une explication à ce pourtant très simple phénomène, avant de prendre la décision d’aller voir de quoi il retournait. Sandro calé sur son bras et son épaule gauche, Sunny entrouvrit tout doucement la porte, juste assez pour pouvoir jeter un coup d’œil à l’extérieur, et arrondit les yeux en se trouvant nez à nez avec Iggy. Sous le choc, il eut toutes les peines du monde à calculer ce qu’elle était en train de lui dire, et il lui fallut quelques secondes avant que les pièces du puzzle ne s’assemblent dans sa tête.

Sunny se mit alors doucement l’index sur les lèvres, signifiant le silence à Iggy puis, pour s’expliquer, ouvrit tout à fait la porte pour dévoiler Sandro, affalé sur son épaule, toujours emmitouflé dans le gilet. Avec un grand sourire, et d’un signe de main, Sunny invita Iggy à entrer, s’écartant pour lui laisser le passage. Et au cas où elle eut essayé de s’imaginer qu’elle le dérangeait, il accrocha son regard du sien, lui faisant bien comprendre que ce n’était pas le cas.

A la seconde où Sunny ouvrit la porte, elle sut que quelque chose était bizarre. Ça ne l’empêcha pas de débiter son laïus sans même reprendre son souffle entre chaque phrase. Jusqu’à ce qu’il lui fasse signe de se taire en tout cas. Heureusement qu’elle le connaissait suffisamment pour ne pas le prendre personnellement. A partir de là, Iggy garda donc le silence et le regarda ouvrir la porte en grand dévoilant Sandro endormi sur son épaule. Emmitouflé dans son gilet. Bordel que toute cette scène faisait bizarre. Non, elle n’avait pas oublié que le petit était là, à présent, mais elle s’était figuré qu’à cette heure, il dormait. Genre dans son berceau, elle ne s’était pas attendue à le voir tout de suite. Encore moins à assister à la transformation de son ex-mari en papa modèle. C’est sûrement à ce moment-là qu’elle prit conscience de ce que tout ça impliquait et de tout ce que ça allait très certainement changer. Se demandant soudain ce qu’elle faisait là, elle amorça le geste qui voulait dire « laisse tomber, je vais y aller, ma voiture est juste là » quand elle capta le regard de Sunny qui s’était déplacé pour la laisser entrer. Bon. Elle était là, elle pouvait bien rester une minute.
Un peu raide, elle entra, pas mécontente de pouvoir se mettre à l’abri non plus. Mais elle ne déposa pas son sac dans l’entrée ni où que ce soit d’autre, préférant le garder à l’épaule pour le moment. Ce qui resta dans l’entrée en revanche, c’est elle – et par extension, le sac aussi, en fait -, le temps qu’il lui fasse comprendre qu’il allait coucher Sandro puis qu’il revenait. C’est là qu’elle constata qu’il y avait encore du courant ici. Autant en profiter. Se décidant à se diriger vers la cuisine, elle finit par poser son sac sur une chaise – il n’allait pas s’envoler – et en sortit un paquet de café. C’est qu’Iggy l’aimait comme elle aimait les hommes : très, très corsé. Non, c’est des conneries mais ça l’avait toujours amusée de le prétendre. Bref, elle était en train de le faire couler quand Sunny revint. Désignant le Chatterton sur ses fenêtres du menton, elle demanda :
« Tu te prépares à une apocalypse zombie ? Je croyais qu’on barricadait avec des planches de bois. »
En revanche, elle avait un jour lu un roman où un meurtrier apnéiste colmatait toutes ses portes et fenêtres pour asphyxier ses victimes alors peut-être qu’elle se trompait.

Une fois qu’Iggy fut rentrée ― non sans avoir, comme Sunny l’avait anticipé, tenté une retraite ― Sunny, s’excusant d’un hochement de tête, la laissa s’occuper de refermer la porte puis, levant deux doigts pour lui signifier « deux minutes », s’éclipsa vers la chambre afin de mettre Sandro au lit. Il ne songea même pas à essayer de lui retirer le gilet ; il en replia délicatement les pans pour s’assurer que le petit était bien couvert, puis s’attarda un instant, effleurant du bout des doigts ceux de son fils comme pour lui souhaiter bonne nuit sans risquer de le réveiller. Non sans se faire un minimum violence, il détacha finalement son regard de Sandro et s’éclipsa à pas de loup, refermant tout doucement la porte derrière lui.

Il retrouva alors dans la cuisine Iggy qui s’était mise à faire du café et accueilli son ex-mari d’un commentaire tels qu’elle seule savait les faire sur l’état des fenêtres du cottage. Se pressant un poing sur les lèvres pour ne pas rire trop fort, Sunny hocha la tête.

« T’étais pas loin : je me prépare pour l’apocalypse des mouches zombies, précisément. D’où le Chatterton. »

Certes, Sunny avait déjà fait mieux comme réplique, mais vu les circonstances, on pouvait peut-être l’excuser et, avec un peu de chance, il avait encore le temps de faire mieux. Pendant ce temps, il prit l’initiative de sortir des placards deux tasses ainsi qu’une boîte de biscuits pour accompagner le café, comme il était de coutume pour Iggy et lui dans ces circonstances. Cependant, il comptait cette fois faire lui-même l’impasse sur le café, c’est pourquoi il mit de l’eau à chauffer dans la bouilloire et sortit un sachet de tisane qu’il déposa dans l’une des tasses. Certes, il était disposé à rester éveillé plus longtemps que prévu, mais il ne pouvait pas prendre le risque de gâcher la qualité de son futur sommeil, peu importe l’heure à laquelle ce dernier viendrait, car en tant que nouveau père, Sunny avait besoin de toute l’énergie qu’il pouvait grappiller.

« En fait, expliqua-t-il plus sérieusement, mes fenêtres chantent quand il y a du vent, tu sais, et Sandro a eu peur, alors j’ai dû improviser. Mais du coup tu tombes bien : je suis sur ma lancée de réconfort face à la tempête, alors… »

Sur ce, Sunny écarta grand les bras, invitant Iggy à une étreinte. Gardant le visage volontairement figé pour donner une allure comique à la situation, il articula alors du coin de la bouche :

« Me fous pas un vent s’il-te-plaît, même si ça fait un super jeu de mot pour le coup. »

Ah, les mouches zombies. C’est vrai que, dans ce cas, le Chatterton devrait suffire. Faisant comme si tout ça avait du sens, Iggy hocha la tête d’un air entendu tout en attendant la vraie explication. Qui finit par arriver, quelques secondes plus tard, le temps pour Sunny de sortir les biscuits et de mettre de l’eau à bouillir tout en évitant soigneusement de lui marcher sur les pieds parce que, quand même, elle était pas grande, cette cuisine, quand il était question de s’y mouvoir à deux. Oui, elle se rappelait que ses fenêtres chantaient par temps venteux et apparemment, ça effrayait Sandro. Ah, ça ne serait pas elle qui allait lui jeter la pierre. En toute sincérité cette fois, Iggy opina à nouveau tout en s’essorant en vitesse les cheveux dans l’évier pour enfin arrêter de goutter partout tandis que son ex-mari enchaînait sur le fait qu’elle tombait bien puisqu’il était sur sa lancée de remontage de moral face à la tempête. Là-dessus, elle le vit se poster non loin d’elle, bras tendus dans sa direction et arqua un sourcil en l’entendant lui demander de ne pas lui mettre un vent. C’est vrai que c’était tentant rien que pour la blague, mais… Pour être tout à fait honnête, ça ne serait pas demain la veille qu’Iggy serait techniquement capable de mettre un vent à son ex-mari alors sa seule protestation après avoir pouffé fut :
« Tu vas être trempé… »
Comme si ç’allait le déranger… Enfin, disons qu’autrefois, ça ne l’aurait pas dérangé, mais puisque les choses changeaient, elle n’était plus sûre de rien. Ou presque. Tendant les siens à son tour, elle alla se réfugier dans le creux de ses bras. Leur étreinte dura quelques secondes – jamais plus que nécessaire pour un couple de divorcés – et Iggy se servit de l’excuse que son café était prêt pour se détacher et s’en servir une tasse. La voir prendre son café noir à cette heure pouvait surprendre mais quand on la connaissait ne serait-ce qu’un peu, on savait que ça ne changerait strictement rien à son sommeil ; Iggy dormait toujours d’un sommeil de plomb proche du coma. Comme quoi, même les criminels pouvaient dormir sur leurs deux oreilles. Puis elle attrapa un biscuit au passage, s’installa sur une chaise et le trempa dans son café.
« T’avais l’air surpris de me voir. J’en conclus que tu regardes plus tes messages. »
Elle le charriait bien sûr, de toute façon, on ne pouvait pas vraiment dire que Sunny ait jamais été du genre accro à son téléphone.

Quand Iggy avertit Sunny qu’il risquait d’être trempé par le câlin, il haussa les épaules, tout en gardant la pause.

« T’es pas si trempée que ça―AAAKH ! » termina-t-il dans un couinement étouffé alors qu’Iggy venait se blottir dans ses bras et que l’eau qui imprégnait ses vêtements se transférait à ceux de Sunny.

D’accord, elle était bien trempée, mais une fois le choc thermique passé, ce n’était pas si terrible que ça. Alors, riant dans un souffle légèrement frissonnant, Sunny referma ses bras autour des épaules d’Iggy, les lui frottant doucement pour la réchauffer. Tout naturellement, il ferma les yeux en laissant échapper un petit soupir d’aise. Mine de rien, lui aussi avait besoin d’un peu de réconfort : il s’était douté que devenir père d’un bambin du jour au lendemain n’allait pas être de tout repos mais, comme tout futur parent, il n’avait pas pu prédire à quel point. Ainsi, Sunny serait bien resté ainsi encore un moment, mais Iggy ne tarda pas à se glisser hors de ses bras, et se servit son café. La bouilloire électrique quant à elle n’avait pas encore sonné.

« Je vais te chercher une serviette, enfin, si je les ai pas toutes accrochées aux fenêtres, » expliqua Sunny en désignant les colmatages de fortune.

Il s’éclipsa quelques secondes dans la salle de bain, et revint avec une serviette qu’il tendit à Iggy. Cette dernière lui fit alors une remarque sur la surprise qu’il avait affichée à son arrivée, ainsi qu’une déduction qui fit arquer un sourcil perplexe ― et peut-être un brin vexé ― à Sunny. Sans un mot, il partit à la recherche de son téléphone portable, et constata qu’en effet, Iggy lui avait envoyé un message qu’il avait raté. Esquissant une moue, il expliqua :

« Avec le boucan dans lequel j’étais à cette heure-là, entre la tempête, les sifflements, et Sandro qui pleurait à pleins poumons, j’ai pas entendu, c’est tout… »

La bouilloire sonna. Sunny, les sourcils légèrement froncés, se dirigea vers la cuisine, et ne put retenir une once de reproche dans sa voix en continuant :

« Tu sais bien que je te ghosterais pas. »

Il versa l’eau bouillante dans sa tasse et, le regard fixé sur cette dernière, fit machinalement tourner le sachet.

Personne, à moins de s’être un jour retrouvé dans cette même situation, n’avait idée de ce que rester amie avec un ex pour qui, quoi qu’on en dise, quoi qu’on en pense, on éprouvait toujours quelque chose demandait comme organisation. Et comme réflexion. Parce que oui, au fil du temps, Iggy avait fini par comprendre que leurs moments de complicité devaient presque être chronométrés, si elle ne voulait pas qu’à tout moment ça dérape et que ça ruine tout. Mais la question, c’était combien de temps pouvait durer une étreinte amicale avant que ça ne devienne plus qu’amical aux yeux de tous, mêmes aux nôtres ? Le fait est qu’elle n’avait toujours pas de réponse précise mais une simple approximation. A laquelle elle essayait presque toujours de se tenir. Cette fois-là ne faisait pas exception à la règle. Surtout pas après l’autre soir. Alors oui, bien sûr qu’elle serait bien restée à profiter un peu plus de la chaleur réconfortante de ses bras autour de ses épaules. Si elle avait pu. Quoi qu’il en soit, elle préféra se concentrer sur son café tandis qu’il allait lui chercher une serviette. A condition qu’il lui en reste une qui n’aurait pas servi à colmater ses fenêtres. Soucieuse de ne pas le déranger – et pas que pour lui mais un peu pour elle aussi, elle n’avait pas particulièrement envie de se sentir encore plus étrangère à cette situation que ce n’était déjà le cas -, elle voulut faire un geste signifiant que non, vraiment, ce n’était pas nécessaire, elle finirait bien par sécher quoi qu’il advienne mais Sunny avait déjà pris la direction de sa salle de bains.
« Merci. »
Attrapant la serviette qu’il était en train de lui tendre, elle se sécha en vitesse et la garda sur ses épaules. Avant de faire cette remarque dont elle aurait sûrement pu s’abstenir. Et qui, dans sa tête en tout cas, n’avait jamais sonné comme un réel reproche. C’était plus une constatation très exagérée qu’autre chose, en vérité. Et, au vu de la réaction qu’eut Sunny, elle se demanda si elle y avait mis la bonne intonnation. Peut-être pas, c’était ça aussi d’avoir souvent recours au sarcasme. Elle écouta son explication en acquiesçant et le regarda verser l’eau chaude dans sa propre tasse tout en mordant dans son biscuit tandis qu’il lui rappelait d’un air très sérieux qu’il n’était pas du genre à la ghoster.
« Ouais, je sais bien. C’est pas du tout ce que j’ai voulu dire. »
Et pour s’empêcher de dire une nouvelle connerie, elle prit aussi une gorgée de café, tiens. Brûlante la gorgée. Ce qui l’obligea à la recracher aussi sec. Dans sa tasse, tout de même.
« Eh ben, quelle soirée ! »
Si elle en jugeait par ce que Sunny lui avait raconté jusqu’ici, cette affirmation valait d’ailleurs pour les deux.

Sunny regretta presque aussitôt sa réaction. Avant même qu’Iggy ne dise quoique ce soit, il avait compris qu’il avait trop facilement pris la mouche. Il faut dire que depuis qu’il avait annoncé à son entourage qu’il allait être père, bien que la plupart des réactions avaient été des plus enthousiastes, pleines d’émotions et de félicitations, certaines n’avaient pas été des plus encourageantes, tournant le plus souvent autour des problèmes et difficultés que présentaient les enfants adoptés (merci pour lui), ou encore, et c’était le détail pertinent dans la situation actuelle, que Sunny allait changer, qu’on ne le verrait plus, qu’il n’y en aurait plus que pour le petit. Le point positif, c’est que cela lui avait permis de faire un tri parmi ses « amis », ce qui était bien sûr plus facile à dire qu’à faire. Ça, plus la fatigue, les émotions, le stress de mal faire les choses avec Sandro… ouais, il s’était trouvé un peu trop sur la défensive pour une simple petite vanne. Venant d’Iggy, en plus, il aurait dû comprendre que ce n’était pas une vraie attaque. Est-ce que cela voulait dire qu’on avait eu raison, qu’il était en train de changer maintenant qu’il était père ? Le problème, en vérité, n’était pas de changer, mais de risquer de se perdre, et ça, il en était hors de question. Mais était-ce réaliste ? Bordel, en fait, il en avait plus gros sur la patate qu’il l’aurait pensé.

Tout ça, il s’apprêtait à le confier à Iggy, non seulement par nécessité de dissiper ce petit malentendu, mais aussi parce qu’il avait besoin de lâcher un peu de lest. Il avait pris une inspiration pour parler, mais fut coupé dans son élan en voyant qu’Iggy s’était brûlée avec sa gorgée de café. Aussitôt, Sunny bondit presque pour la rejoindre, prêt à lui porter assistance.

« Tu t’es fait mal ? T’as besoin de quelque chose ? Attend ! »

Questions rhétoriques, bien sûr. Sunny n’attendit pas qu’elle lui réponde pour aller chercher un verre d’eau tiède et le lui apporter, le lui fourrant presque dans les mains d’un geste qui laissait entendre qu’il n’accepterait pas le refus.

« Bois ça, ça va atténuer la brûlure, dit-il en s’asseyant sur la table basse en face d’Iggy. T’as décidé de nous faire un chaud et froid ce soir, ou quoi ? » termina-t-il dans une taquinerie, ricanant dans un souffle.

Ce n’était jamais qu’une petite brûlure de rien du tout. Enfin, elle délaisserait le reste de son biscuit pendant quelques minutes tout au plus, mais y avait pas non plus mort d’homme. Et pourtant, Sunny s’enquit alors de son état comme si on venait de lui couper un bras, pas moins. Un peu surprise par toute cette précipitation pour rien, elle ne sut de toute façon que répondre sur l’instant. Pas grave, son ex-mari savait apparemment quoi faire dans un tel moment : lui faire avaler un verre d’eau tiède. Qu’il lui donna en ne lui laissant pas d’autre choix que de le prendre. Avant de lui ordonner de le boire.
« Okay, daddy… »
Puis elle grimaça tout en portant le verre à ses lèvres. Pas tant à cause de la douleur, plutôt à cause de ce qu’elle venait de dire évidemment. Elle le vida et s’aperçut que ça lui faisait effectivement du bien avant de reprendre :
« Hm, un peu bizarre, non ? Je le ferai plus, c’est promis. »
Puis elle lui adressa un sourire espiègle et reposa le verre sur la table basse tout en haussant les épaules.
« Tu me connais, je fais pas vraiment dans la demi-mesure. »
Bof, façon de parler, elle en était tout à fait capable si quelque chose qui lui tenait à cœur l’exigeait mais c’est sûr qu’on ne pouvait pas nier qu’elle avait son caractère. Celui-là même qui faisait qu’elle avait horreur d’être maternée, notamment. Sûrement parce que depuis toute jeune, elle avait l’habitude de s’occuper d’elle-même. Et sa carrière de criminelle n’avait pas arrangé les choses puisqu’il s’agissait d’un milieu où la première chose qu’on apprenait, c’est que les personnes en qui vous croyiez pouvoir avoir confiance étaient tout à fait capable de vous poignarder dans le dos pour repartir avec votre part du butin. Heureusement pour elle, ça ne lui était pas arrivé mais il faut dire qu’Iggy n’était pas non plus du genre à se laisser approcher si facilement. Sunny faisant partie des rares exceptions. Et malgré ça… Bref. Tout ça pour dire qu’elle pouvait accepter qu’il la materne. Un peu. Un tout petit peu. Et que c’est bien pour cette raison qu’elle n’avait pas protesté. Mais que comme le moment était passé, elle sauta sur l’occasion pour changer de sujet.
« T’allais dire quelque chose avant ça ? »
Oui, parce qu’à force de le regarder, c’était le genre de petits détails qu’elle ne pouvait ignorer.

À la façon dont Iggy s’adressa à lui, Sunny se fendit d’une grimace choquée, le nez froncé, et les lèvres retroussées, dévoilant ses dents.

« Daddyyy ? répéta-t-il en prenant un accent british. Oui, non, ajouta-t-il avec sa voix normale et en secouant vivement la tête, le fais plus. »

Il prit quelques secondes pour aller chercher sa tisane qu’il avait, avec tout ça, laissée dans la cuisine, puis revint s’asseoir, jetant cette fois son dévolu sur un fauteuil plutôt que la table basse.

« Au moins maintenant, je suis sûr que c’est pas mon kink, » termina-t-il à moitié en riant.

Bon, le choc passé, il devait avouer que la vanne était méritée. Certes, il avait toujours été du genre à se mettre en quatre pour rendre service et porter assistance, mais de là à infantiliser, il y avait quand même un monde. À croire qu’il s’était trop bien, et peut-être un peu trop vite, glissé dans les bottes du papa.

« Quant à moi, renchérit-il avec un ton qui laissait entendre un brin de repentance, j’en ai peut-être fait un peu trop. »

Une fois n’est pas coutume. Disons que les circonstances étaient un peu spéciales. Et cela n’avait pas échappé à Iggy : elle avait perçu l’intention qu’avait eue Sunny de parler, juste avant qu’il ne soit distrait par ce petit incident, et elle le relançait désormais. Sunny marqua un silence, pas parce qu’il hésitait à répondre ou non, mais parce qu’il se demandait par quoi commencer. Il n’avait pas formulé les choses à voix haute, et ce fond de mal-être en était donc resté majoritairement au stade abstrait ― sans compter les trucs qu’il avait mis au tiroir et qui, ainsi tapis dans les tréfonds de son inconscient, prenaient lentement, mais sûrement, de plus en plus de pouvoir à l’insu de son conscient. Poussant un petit soupir, il se lança finalement, commençant tout simplement par le début : les réflexions qu’il s’était prises de la part de certaines personnes, et comment, manifestement, ça ne lui avait pas tellement glissé dessus comme de l’eau sur les plumes d’un canard, ce qui l’avait amené à réagir de la sorte plus tôt avec Iggy, et qui l’inquiétait, puisque cela pouvait vouloir dire qu’effectivement, il était en train de changer de la mauvaise manière.

« Je veux dire, continuait-il, je suis pas con, je me doutais bien que les choses allaient changer une fois que Sandro serait là. Merde, elles avaient déjà changé dès que je l’a rencontré ! Et c’était le changement que je voulais dans ma vie, de toute façon. Mais… Je sais pas… Je… »

Il marqua une pause, déglutissant, puis releva un regard perdu vers Iggy.

« Je crois que je flippe un peu… Si je gère pas, et que ça me transforme en quelqu’un d’autre, quelqu’un qui serait plus une personne digne de ceux que j’aime, qui ferait pas un bon père pour Sandro, je… Je sais pas, » termina-t-il, la voix serrée.

C’était entendu, elle ne dirait plus jamais daddy. En tout cas plus à Sunny. Bien trop tordu. Avec un sourire, elle acquiesça et approuva d’un nouveau signe de tête quand il reconnut en avoir fait un peu trop. Juste un peu. Mais elle comprenait que ç’avait été sa manière de compenser par rapport à la remarque qu’elle lui avait fait un peu plutôt. Décidément, elle aurait mieux fait de se taire, mais qui ne commet pas d’erreurs n’apprend jamais et si c’est pas quelque chose qui se dit, alors ça devrait. Bref, elle sentait bien qu’il y avait quelque chose de plus là-dessous et c’est bien pour cette raison qu’elle l’encouragea à en parler. C’était peut-être un peu l’hôpital qui se fout de la charité puisqu’elle était clairement du genre à tout enfouir au plus profond d’elle au lieu de tout déballer pour se sentir mieux, mais Iggy était comme ça ; elle pouvait tout entendre et pouvait même parfois être de bon conseil. Mais parfois seulement, parce qu’à mesure que Sunny se livrait à elle, elle se rendait compte que ça, c’était tout sauf son domaine d’expertise. C’était même quelque chose qu’elle s’était efforcée de fuir autant que possible jusqu’à ce que ça ne finisse par la rattraper. Evidemment que la parentalité changeait les gens. En bien, en mal, elle ne voulait pas se faire juge, c’était un changement, point. Ramenant les genoux sous le menton, elle se gardait bien de faire le moindre commentaire pour le moment, se contentant de prêter une oreille attentive à son ex-mari. Qui ne regrettait donc aucune de ses décisions, elle en avait maintenant la confirmation si elle en avait eu besoin. Une fois de plus, ça lui fit un petit pincement au cœur, qu’elle s’empressa de balayer en gardant en mémoire qu’il n’était pas question d’elle dans cette histoire, seulement lui. Enfin, eux maintenant, du coup. Iggy noya cette légère déception dans son café bien moins brûlant maintenant et fronça légèrement les sourcils.
« Toi ? T’as peur d’être un mauvais père ? Mais tu l’as voulu, il ne t’est pas tombé dessus comme ça, du jour au lendemain. C’est certain que tu feras tout ce que tu pourras pour l’élever au mieux et lui donner tout l’amour dont il a besoin. Et pour tes proches, ils doivent bien se douter que oui, les choses changeront, c’est comme ça que ça doit se passer, faut l’accepter. »
Et bien sûr, elle s’incluait dans le tas. Puis elle esquissa un petit sourire.
« Et puis dis-toi qu’il y a pire. »
Là-dessus, elle se désigna du pouce en faisant claquer sa langue.
« Evite de faire tout ce que j’ai fait et ça devrait bien se passer. »
C’est vrai qu’elle était le parfait contre-exemple d’un bon parent. Mais elle l’assumait et s’en amusait même la plupart du temps. Même si elle pouvait revenir en arrière, elle ne ferait rien différemment de ce côté-là.

Après avoir lâché tout ça, Sunny resta un peu con. Il avait enfin mis des mots sur ce qui le tracassait et pourtant, il n’avait pas encore l’air de complètement réaliser ce qu’il lui arrivait. Il n’était même plus sûr de ce qu’il venait de dire, en fait. Peut-être qu’il aurait dû prendre une tasse de café finalement, ça lui aurait peut-être remis les idées en place. Et à vrai dire, ce que lui répondit finalement Iggy ne l’éclaira pas vraiment plus. Mais ce n’était pas grave, car en réalité, il n’avait pas besoin de comprendre quoi que ce soit : il avait juste besoin de réconfort. Et ça, Iggy lui en donnait. Cela s’entendait dans sa voix dont le timbre de confidence et toujours un brin taquin, que Sunny connaissait si bien, le plongeait dans un cocon confortable. Cela se sentait dans sa présence qui émanait toujours une aura particulière, à la fois fraîche et chaleureuse, une température parfaite. Et bien sûr, il y avait son humour, mordant, sans pitié, sur lequel elle termina. Sunny marqua un temps puis, se penchant en avant, laissa échapper un pouffement qui fit vibrer ses lèvres. Lorsqu’il se redressa, ses yeux, qui tiraient auparavant sur l’opaque, étaient redevenus brillants.

« Putain, j’suis désolé… Non mais écoute-moi, je pars en couille. Le baby-blues ― le chamboulement hormonal en moins, c’est sûr. »

En prenant ça en compte, Iggy avait aussi raison en disant que ça aurait pu être pire. Sunny se secoua la tête pour se remettre les idées en place et se redonner une contenance.

« Et puis, t’es venue pour avoir du réconfort et finalement c’est toi qui dois me réconforter… Comme quoi… »

Comme quoi, ses craintes quant au changement étaient fondées ? Encore une fois, il secoua la tête pour lui-même, voulant chasser cette pensée de son esprit, et prit la décision de passer à autre chose.

« Je suis juste claqué je pense, j’y penserai plus après une bonne nuit de sommeil. »

Ce qui n’était peut-être pas si prêt d’arriver que ça, mais on ne savait jamais. Changeant radicalement de sujet, il enchaîna, se parant d’un air plus taquin :

« Tu sais quoi ? Quand je t’ai trouvée derrière la porte, j’ai eu un moment de bug. Je me suis demandé si on était pas déjà demain matin. »

Sunny faisait référence au fait qu’Iggy et lui avaient prévus de se voir le jour suivant, afin de faire les présentations avec Sandro.

« Avoue, tu étais juste troooop pressée de jouer Tatie Iggy alors t’as décidé d’arriver en avance, pas vrai ? » la charria-t-il.

Iggy manqua secouer la tête en l’entendant s’excuser mais laissa faire. C’était normal d’avoir des moments de doute dans ces circonstances, supposait-elle. Même si elle le voyait comme une espèce de sauveur qui avait évité à Sandro de passer de foyer d’accueil en foyer d’accueil ou Dieu sait quoi d’autre encore, elle se doutait que Sunny, lui, ne voyait pas les choses du même œil. Et ce qu’elle essaya de lui dire, c’était de ne pas s’en faire et de laisser faire les choses, arriverait ce qui devait arriver, mais… Le formuler de cette façon n’aurait sans doute pas plus aidé. Et puis elle n’était pas douée pour trouver les mots dans cette situation précise, voilà tout. En revanche, elle pouffa quand il lui dit qu’elle était venue chercher du réconfort mais que c’était à elle d’en donner. Ce à quoi elle haussa également les épaules.
« Ça marche quand même, je pense presque plus à la tempête. »
Presque. Mais Iggy n’était pas du tout du genre à montrer ses faiblesses, même quand elle était en confiance. Pinçant les lèvres à l’évocation d’une bonne nuit de sommeil en guise de solution, elle hocha la tête pourtant pas si convaincue que ça que ça serait suffisant ; des moments de doute comme celui qui l’assaillait, il en connaîtrait toute sa vie désormais mais elle n’avait pas la moindre envie de plomber l’ambiance aussi préféra-t-elle garder ça pour elle. C’est alors qu’il changea de sujet pour lui avouer qu’en la découvrant derrière sa porte un peu plus tôt, il s’était demandé si le temps avait pu passer aussi vite. Parce que oui, ils avaient convenu de se voir le lendemain matin – incroyable mais vrai pour Iggy qui n’en voyait pas souvent - pour qu’elle fasse la connaissance de Sandro. Trop hâte, oui. C’était pas comme si elle redoutait cet instant parce qu’elle ne savait tout simplement pas y faire avec les enfants, non. Encore quelque chose qu’il valait mieux passer sous silence pour le moment, ça se remarquerait bien assez tôt. Et de toute manière, ça lui était déjà sorti de la tête en entendant ce surnom. Pointant un index accusateur sur Sunny, elle reprit :
« Qu’est-ce qu’on a dit avec ce surnom ? Faut encore que je te menace, c’est ça ? »
Puis, sans crier gare, elle quitta sa chaise et vint s’agenouiller devant le fauteuil où son ex-mari s’était installé et lui tendit à nouveau les bras. Encore plus que d’une bonne nuit de sommeil, c’était de ça dont il avait besoin, elle non plus n’était pas bête. Et si elle compta les secondes, comme à son habitude dans ces moments-là, elle ne rompit pas le contact au bout de ce qu’elle estimait raisonnable pour qu’il puisse en profiter.

Voyant la tête que tirait Iggy en entendant le surnom de « Tatie Iggy », Sunny ricana franchement, fier de sa connerie, et ne se démonta pas, même lorsque son ex-femme le pointa d’un index accusateur et menaçant accompagné d’un regard noir ; il aurait à peine été surpris si les pupilles d’Iggy avaient viré au rouge, qu’il lui avait poussé des cornes, et qu’une flamme avait jailli de son doigt dressé. En revanche, il fit moins le malin quand elle se leva brusquement pour venir vers lui, et son ricanement se transforma en rire nerveux. Il redressa les genoux et attrapa sa tasse à deux mains, la maintenant contre lui en clamant :

« T’as pas le droit de me taper, j’ai une tisane ! »

Mais, évidemment, Iggy ne le frappa pas : elle se plaça devant le fauteuil, les bras écartés, comme l’avait fait Sunny plus tôt pour elle. Le geste était donc clair, mais Sunny, étirant un petit sourire en coin, se fendit d’une dernière taquinerie :

« Tu veux te venger par étouffement, c’est ça ? »

Ce disant, il déposa sa tasse sur la table d’appoint, puis se laissa glisser hors du fauteuil pour se laisser tomber à genoux, devant elle, et se vautrer dans ses bras. Il déposa sa joue sur l’épaule d’Iggy dans un petit soupir d’aise. Si elle voulait vraiment l’étrangler, au moins, il mourrait heureux. Dans un nouveau soupir, Sunny ferma les yeux. La fatigue aidant, ses petites voix internes étaient en sourdine. À la place défilaient dans son esprit des flashs des événements récents, trop rapides, heureusement, pour qu’il ait le temps de les contempler et de commencer à réfléchir, sinon il aurait pu entrapercevoir, entre autres, un certain tiroir qui serait venu gâcher ce moment de réconfort dont il avait grandement besoin.

« On en fait un beau duo de bras cassés, hein ? » lâcha-t-il finalement en riant dans un souffle, la voix à moitié étouffée contre l’épaule d’Iggy.

Deux quarantenaires en PLS, l’une à cause d’une tempête, l’autre parce que ses copains avaient pas été sympas avec lui. Certes, c’était bien plus compliqué que ça, mais vu de l’extérieur, l’image qu’ils donnaient au niveau superficiel avait bel et bien quelque chose de comique.

Le taper, non mais ce qu’il ne fallait pas entendre ! Le voyant se planquer derrière sa tasse, Iggy arqua un sourcil. Tout un tas de répliques qu’elle qualifiait de bonnes à moins bonnes lui traversèrent l’esprit et presque toutes ayant pour thème le fameux S.O.S. hommes battus mais elle préféra se rabattre sur ladite tisane.
« Estime-toi heureux que je ne te tape pas à cause de la tisane. T’as décidé de sauter l’étape père pour passer directement à celle de mamie, ou bien ? »
Ceci dit sur le ton de la plaisanterie, bien évidemment, les gens buvaient bien ce qu’ils voulaient, ça ne la regardait pas mais puisqu’il la cherchait… Trêve de plaisanterie, puisqu’elle consentit alors à un petit moment de tendresse qui n’aurait pu que venir à un moment ou à un autre compte tenu des circonstances, aussi se leva-t-elle avant de se laisser tomber à genoux, bras tendus face à Sunny. Qui s’enquit alors de si elle comptait se venger en passant pour l’étouffement. Plissant doucement les yeux, elle finit par hausser les épaules d’un air vague et détaché.
« Okay, ça m’a peut-être bien traversé l’esprit. »
A lui de savoir s’il voulait prendre ce risque ou non, maintenant. Et la réponse fut oui puisqu’il ne tarda pas à la rejoindre au sol pour la prendre dans ses bras et la serrer contre lui. Et si elle le sentit se détendre entre ses bras, il ne fut pas le seul à profiter de cette étreinte. En guise de réconfort, certes, mais pas que ; ça faisait longtemps qu’elle ne s’était plus laissée aller de cette manière avec quelqu’un d’autre et, aussi forte et indépendante qu’elle veuille paraître, elle ne pouvait nier que ça lui faisait du bien à elle aussi de pouvoir se reposer ne serait-ce qu’une seconde. Enfin, un peu plus qu’une seconde, quand même. Puis elle rit à cette dernière affirmation.
« Dis donc, parle pour toi ! Par contre, on a peut-être un peu l’air con à genoux au milieu de ton salon, ça, je dis pas. »
Mais à qui la faute ? Qui avait eu la bonne idée de s’agenouiller en premier ? On se le demande.