eye of the storm → sunny

Il y avait beaucoup de moments dans la vie de Sunny où il avait été un tel jambon que cela faisait pendant des mois ― et même des années ― les choux gras aux repas de famille, soirées entre potes et compagnie. Ce moment-là allait sûrement rejoindre le catalogue : Sunny complètement à l’Ouest, même pas capable de se rendre compte qu’il est en train de regarder son film préféré dans une langue dont il ne parle pas un mot et qui n’y croit d’abord pas quand on le lui fait la remarque. Car oui, lorsqu’Iggy l’informa finalement du pourquoi du comment il ne comprenait rien aux dialogues du film, Sunny la dévisagea comme s’il venait de voir passer une truite, incrédule.

« Mais non, c’est pas possible, pourquoi le film se serait mis en portugais ? »

Peut-être parce qu’à force de s’acharner sur la télécommande il avait sans s’en rendre compte modifié la langue de lecture mais ça, c’était peut-être une réflexion trop élaborée pour ce dont il était capable après une soirée si riche en émotions et en remises en questions, sans compter l’épuisement, encore et toujours, d’être passé du statut d’homme célibataire à celui de nouveau papa célibataire ― et le choc de voir ce dernier qualificatif soudainement remis en question par ni plus ni moins que son ex-femme avec laquelle il n’avait d’ailleurs jamais vraiment entretenu une relation qui criait « divorce » et wow, valait mieux qu’il arrête là son tricotage au risque de se voir saigner du nez et tomber dans le pommes sous la capitulation de son cerveau.

Quand Iggy lui tendit la main, Sunny resta un instant figé à regarder cette dernière, se demandant ce qu’il devait en faire, avant de comprendre qu’elle lui réclamait la télécommande. Après avoir cligné des yeux d’un air qui respirait la réactivité d’une huître ― et encore, si vous avez déjà joué à les asticoter avec la pointe du couteau avant de les bouffer, vous devez savoir qu’elles sont plutôt réactives, ces pauvres petites huîtres ― Sunny confia donc la télécommande à Iggy en pouffant, amusé, finalement, par sa propre lenteur. Dans un soupir, il se massa les tempes pendant qu’Iggy faisait usage de sa sorcellerie afin de faire coopérer la télécommande et régler les paramètres de lecture.

« Je suppose qu’en l’occurrence, lui répondit-il après qu’elle l’eut charrié sur ce qu’il ferait bien sans elle, j’aurais continué à regarder le film en portugais, ou peut-être que j’aurais fait un attentat à la télécommande en essayant de le remettre en VO. »

Il posa alors son regard sur elle et marqua un temps indéterminé, l’air de n’avoir plus trop conscience du film qui avait repris dans la bonne langue. Finalement, il étira un sourire, et un bras, invitant Iggy à venir s’installer contre lui.

Impossible, oui. A entendre Sunny, on aurait pu croire qu’elle souffrait d’hallucinations auditives. Pourtant, il avait admis lui-même ne rien comprendre de ce qui se disait. Arquant un sourcil, elle s’amusa de la situation mais refusa en revanche d’expliquer le pourquoi du comment. Bien trop de travail pour elle comme pour lui. C’était arrivé à force d’appuyer sur tous les boutons de la télécommande et puis voilà. Et comme Iggy avait souvent réponse à tout – pas toujours, juste souvent -, elle tendit la main pour récupérer ladite télécommande et tout faire rentrer dans l’ordre. Elle n’avait absolument rien fait de particulier mais elle aimait prétendre le contraire et se donner un tant soit peu d’importance. Plus pour rire qu’autre chose puisque bon, Sunny avait bien vécu quatre ans sans elle et il s’en était relativement bien sorti. Et vice versa. Dans tous les cas, sa réponse la fit sourire.
« Ouais, c’est bien ce que je dis : rien de fameux en somme. »
Mais Iggy ne fut pas capable de garder son sérieux beaucoup plus longtemps – un comble pour quelqu’un qui avait fait des mensonges son métier, mais c’était ainsi : avec Sunny, Iggy était vraie. Et quand elle ne pouvait vraiment pas l’être, elle préférait largement changer de sujet au lieu de lui raconter des craques – et se mit à rire tandis qu’elle captait son regard posé sur elle. Elle ne détourna une fois de plus pas le sien et laissa les secondes s’écouler jusqu’à ce qu’il lui sourie et qu’elle fasse de même en retour. Voyant qu’il l’invitait à approcher, Iggy n’y réfléchit pas à deux fois avant de venir se lover tout contre lui avec un soupir d’aise, ayant alors cette très agréable impression de retrouver une place qui était sienne après une très longue absence. Qu’on se le dise, en dépit de leur divorce, tous les deux étaient restés assez tactiles pour se permettre ce genre d’étreintes de temps à autres mais ce n’était pas comparable. En rien. Là, elle se sentait de nouveau bien. Mieux que ce qu’elle avait connu depuis des années. Comme enfin chez elle. Une étrange pensée pour une nomade comme elle et pourtant, elle n’en est pas moins juste.

Si Sunny avait été du genre susceptible, il aurait aisément pu piocher dans bien des exemples pour contrecarrer le « rien de fameux » qu’Iggy lui avait balancé sous le nez. Cependant, non seulement il ne l’était pas ― susceptible ― mais en plus, il ne savait que trop bien qu’il ne s’agissait que d’un nouveau lancé dans leur petite partie de ping-pong de piques. Aussi, bien loin de s'offusquer, Sunny pouffa de concert avec Iggy, avant de l’inviter à s’installer contre lui, sous son bras.  Poussant un nouveau soupir d’aise, Sunny le referma avec douceur sur les épaules d’Iggy et, tout naturellement, laissa sa joue retomber contre le sommet de sa tête. Par ce simple geste, il sentit alors tout le poids de la fatigue s’abattre sur lui, comme si son corps n’avait attendu que ça, le moindre relâchement, pour enclencher les prémices de l’endormissement. Les images et sons du film ne tardèrent pas à se confondre avec ceux décousus et déjà à moitié psychédéliques qui défilaient sur l’écran de son esprit. Sunny piquait régulièrement du nez, ses paupières s’affaissant d’elles-mêmes mais, luttant encore malgré tout, il relevait à chaque fois brusquement la tête, laissant parfois échapper un petit ronflement sec qui avait au moins le mérite de lui redonner un second souffle ― pas pour plus de quelques secondes, cependant. Quand, finalement, il laissa retomber sa tête sans la relever, son corps commença à être parcouru de légers soubresauts d’endormissement. Mais l’un fut plus violent et Sunny se redressa vivement, les yeux grands ouverts, bien que son regard vitreux trahissait le fait que son esprit était déjà à moitié dans les limbes.

« Attention à la marche… ! » marmonna-t-il en articulant à peine.

Sitôt cela dit, sa tête retomba lourdement en arrière, contre le dossier du canapé. Quelques secondes plus tard, Sunny, cette fois bel et bien endormi, émettait de très légers ronflements semblables à des ronronnements. Son bras, lui, n’avait pas quitté les épaules d’Iggy.