thieves in the night. (marina)

Y a des gens qui aiment bien faire ça, avoir de quoi faire chanter les autres. Elle le sait parce qu’elle en connaît, à commencer par son fiancé. Puis même son cousin en fait ; c’est le monde des affaires qui veut ça. Mais souvent, c’est quand même dans une moindre mesure. Elle pourrait le faire aussi si elle le voulait mais le truc, c’est qu’elle le veut pas. Jamais Marina n’osera clamer que tout ce qu’elle fait est très moral, mais elle tâche d’avoir des principes. Et de ne pas toujours jouer de sa fortune ou de son nom non plus et ça lui viendrait pas à l’idée d’avoir des dossiers sur tout le monde juste au cas où les choses n’iraient pas dans son sens. Bref, son regard se promène sur les diverses notes collées sur certaines bobines mais pas sur toutes et imagine ce qui peut bien se trouver sur ces films. Et tout le réseau qui y est attaché parce que si on parle là que de scandales sexuels, alors ça signifie que ce vieux mec dégueulasse doit être à la tête d’un réseau de prostitution ou de quelque chose qui y ressemble fort. Un coup d’œil au vieux en train de pioncer dans son lit, toujours attaché aux montants lui fait se demander ce qu’elle attendait de quelqu’un comme lui… Puis elle voit Sam s’emparer d’une bobine en particulier qu’il range dans son sac. Peut-être quelqu’un qu’il connaît bien puisqu’il décrète ensuite qu’ils devraient tout détruire. Voilà qui fait sourciller un peu la rouquine. Ah bon ? Enfin oui, éthiquement, c’est sans aucun doute la meilleure chose à faire mais, s’ils font ça, est-ce que ça revient pas à signaler directement le vol ? Non parce qu’une ou deux bobines manquantes, ça se remarque quand même moins vite que l’intégralité.
« T’es sûr ? »
Mais elle veut pas douter de Sam, donc elle commence à chercher un moyen de procéder. Y a bien une cheminée dans la chambre…
« On peut aussi les jeter dans le feu et laisser les boîtes. »
Pour faire croire qu’elles ont pas vraiment été dépouillées de leur contenu. Ça lui paraît moins compliqué que de devoir transporter une vingtaine ou une trentaine de bobines de film hors d’un manoir pour les détruire ensuite. Cela dit, sa technique n’a pas que des avantages non plus parce que quelque chose lui dit que ça risque de leur prendre un peu de temps, tout ça.

Sam n'est pas vraiment quelqu'un qui s'intéresse aux gens, c'est quelqu'un de solidaire et qui s'occupe généralement que de ses affaires, pas celles des autres, moins de problème aussi. Cependant, il a connu quelques personnes comme Aaliyah, qu'il apprécie assez pour s'en soucier. C'est pour cette raison qu'à l'intérieur de lui, il bouillonne tout doucement, qu'il a envie de faire disparaître cette bande sans même vérifier le contenu, après tout, ça ne le regarde pas et il ne voudrait pas non plus s'en prendre physiquement à l'homme qui est allongé sur ce lit. Cette histoire de chantage le dégoûte plus qu'il l'aurait cru, en venant ici, il ne s'attendait qu'à faire son boulot, comme il le fait si bien à chaque fois, pas devoir tomber sur un nom qu'il connaît. Il sait bien que ce monde peut être cruel et sale, il ne traîne pas non plus dans un univers tout blanc, mais il n'a jamais fait de chantage, il a toujours été réglo, en tout cas, à ses yeux, car même si les affaires sont les affaires, il y a moyen d'en faire sans menacer comme ça. En réfléchissant un peu plus, ce n'est pas très intelligent de se dévoiler, sauf que remettre les bobines à leur place, c'est aussi accepter qu'un connard fait pression sur des gens pour le plaisir. « On peut faire ça, oui. » Il est vrai que ce serait plus rapide de le faire maintenant que tout transporter à l'extérieur, avec le risque de se faire prendre, même si au fond, ce n'est pas non plus dans l'intérêt de l'homme, avec ce qu'il cache chez lui, c'est pas très légal son petit business. Il n'y a pas de temps à perdre, Sam commence à s'y mettre et à brûler les bobines. « Je me demande si ton client était au courant pour les autres. » Il s'éloigne un peu pour laisser fondre les pellicules dans le feu de la cheminée. « Tu as entendu ? » Il pense avoir entendu des bruits de talon sur le plancher en bois, il n'a pas fait gaffe si elle est déjà à l'étage ou non, bien qu'il doute que ça soit le cas, elle finira par revenir tôt ou tard.  

Puisqu’il est convenu de faire comme elle a dit, Marina s’empresse de jeter le film de son client au feu. Malgré tout, ça reste sa priorité ; s’ils n’ont pas le temps de tout brûler, ben tant pis. Elle les connaît pas, tous ces gens. Elle ira pas jusqu’à dire qu’ils avaient qu’à faire plus attention parce qu’elle est consciente que ç’aurait sûrement pu lui arriver à elle aussi, mais aucun d’eux ne la payent pour qu’elle prenne des risques fous non plus, donc voilà. Sans prendre le temps de regarder le film se consumer doucement dans l’autre, elle en prend d’autres dans le coffre et les jette un à un parce que le but c’est bien sûr de pas commencer un incendie non plus. Quand Sam se questionne sur ce que sait son client au sujet de toute cette histoire, la rouquine hausse les épaules. Elle sait pertinemment que ses clients ne sont pas toujours des gens bien, même si elle essaye d’en faire un maximum le tri, mais elle irait pas jusqu’à dire pour autant qu’il est au courant de tout ce réseau.
« J’aurais tendance à croire que c’est qu’une victime. »
Mais elle en sait rien, elle va pas se prétendre psychologue, certains de ses clients pourraient la manipuler s’ils le voulaient. Bref, c’est à ce moment-là que son ami lui demande si elle a entendu et tout naturellement, Marina tend alors l’oreille. Les redoutés bruits de pas. Sans mot dire, elle acquiesce, lâche le film qu’elle tient en main dans le feu et file sans bruit pour coller l’oreille contre le panneau de la porte. Non seulement le bruit se rapproche mais il est déjà tout près. Sinon ils ne l’auraient pas entendu.
« Vite, referme le coffre. »
Sur ce temps, elle s’empare du tisonnier pour remuer les cendres et cacher au mieux les restes de film calcinés derrière une bûche. Avec de la chance, tout le monde n’y verra que du feu, c’est le cas de le dire. Puis elle demande :
« On fait quoi ? On retourne dans la salle de bains ou bien ? »
Très mauvais plan parce que la rouquine n’est pas sûre que Nathalie redescende de sitôt. En fait, y a même bien plus de chance qu’elle finisse par les trouver dans la salle de bains avant que ça ne se produise. Mais par où s’enfuir ? Impossible de retourner dans le couloir. La seule issue semble être la fenêtre.

L'important était de brûler un maximum de bobines, pas forcément toutes, car ils n'ont pas le temps pour ça, ils avaient brûlé celle du client de Marina, puis celle de son amie et quelques autres dans le tas, c'était déjà pas mal quand même. Sam n'est pas un justicier, donc, en vrai, il devrait juste faire ce pour quoi il est là, rien de plus, pas jouer avec les limites et se faire prendre. Et dans le pire des cas, s'ils ont vraiment envie de le faire tomber, il suffit de passer un coup de fil anonyme pour le pervers qui se trouve sur le lit, dans tous les cas, ils ne peuvent pas faire grand-chose de plus. Sam hoche la tête face à sa réponse, loin de lui de vouloir le juger, il se pose tout simplement la question, histoire de savoir s'il savait dans quoi Marina allait s'embarquer, bref, décidément, on a la réponse, un gros connard. Finalement, ce n'est plus ce qui compte, car ils entendent bien tous les deux des bruits de pas et ils sont plus proches que Sam le croyait. Il fallait bien que cela arrive, si ce n'était pas ça, c'était le réveil de l'homme attaché, mieux vaut qu'ils aient un coup d'avance que d'être pris sur le fait par l'inconnu. Quoi qu'il en soit, Sam se dépêche de refermer le coffre, à remettre le tableau, c'est important de ne laisser aucune trace, il remet le livre à sa place, bref, c'est aussi le moment de décider ce qu'ils doivent faire pour éviter qu'ils appellent les gardes et les flics. « Je pense qu'il vaut mieux éviter de se retrouver coincé là-dedans, c'est trop risqué. » Sam se retrouve alors à ouvrir la fenêtre et à inspecter les environs pour les possibilités de fuir et elles ne sont pas très grandes. « Tu vas devoir me faire confiance là-dessus. » Il lui fait signe d'approcher, il y a une gouttière, voilà leur porte de sortie. « On n'a pas trop le choix, sauf si tu veux sauter et prendre le risque de te briser les jambes. Tu vas passer la première. » Elle est plus légère et elle risque de moins briser le tuyau.

Confiance. Oui. Enfin, y a confiance et confiance. Marina a toute confiance en Sam pour organiser ce genre de soirées mais quand il est question de passer par la fenêtre pour ensuite glisser le long de la gouttière, elle est quand même un peu moins sûre. Y a tellement de choses qui pourraient mal se passer sans que son ami y soit pour quelque chose. La gouttière pourrait se décrocher du mur sous son poids et l’envoyer au sol. Ou elle pourrait s’égratigner méchamment à cause d’une vis rouillée et de là… Oh mon Dieu, est-ce que son rappel antitétanique est à jour ? Un doute l’habite tout à coup et elle sent alors l’acide lui dissoudre les entrailles. Quel enfer… Le truc, c’est qu’elle a pas trop le choix : les pas se rapprochent dangereusement, le temps presse, c’est plus vraiment le moment de se poser des questions. A nouveau, la rouquine passe la tête par la fenêtre. En vitesse.
« Sauter ? T’en as de bonnes, je vois même pas de tas de feuilles qui pourrait amortir la chute. Y a pas que les jambes qu’on risquerait de se briser. »
Sûrement tout le dos. Un coup à finir paraplégiques… Ou morts et c’est sûrement la meilleure option des deux. D’accord, y a qu’un étage, mais y a aussi de la hauteur sous plafond dans les demeures de ce genre. Par contre, Marina aperçoit un buisson. Cependant, elle pense quand même pas viser aussi bien… Bon, quand faut y aller, faut y aller. Elle enjambe le rebord de la fenêtre, trouve une bonne prise en rejoint la gouttière en marmonnant entre ses dents :
« Regarde pas en bas, regarde pas bas… »
Puis elle entame sa descente. Lentement mais pas trop, prise après prise, comme on descend une échelle. A un moment, elle manque glisser et étouffe un cri dans sa poitrine parce qu’en plus de ça, faut pas faire de bruit. Mais elle arrive à terre en se laissant tomber à moitié et sent certains de ses os s’entrechoquer à l’intérieur. C’est pas agréable mais elle va bien. Là-dessus, elle lève la tête et montre un pouce levé à Sam pour lui signaler que tout est okay avant de lui faire signe de venir. Même qu’elle le voit commencer sa descente à son tour, quand, le même gars que tout à l’heure sûrement, sort pour fumer une autre clope. Hé ben, ça bosse dur… Ni une ni deux, elle fonce dans le buisson et croise les doigts pour que Sam soit bien cramponné. Et aussi pour que l’idée ne vienne pas à l’autre de vouloir admirer les étoiles.

Ce n'est peut-être pas l'idéal pour prendre la fuite, mais c'est sûrement le plus rapide, malgré les risques de chute. Malheureusement, difficile de vérifier si la gouttière est bien fixée, rien qu'à y jetant un coup d'œil, il pense que oui, ça semble être le cas. D'ailleurs, ils n'ont pas vraiment le temps de regarder si c'est le cas, d'autant que les pas se rapprochent de la chambre. Sam comprend sa panique, après tout, ça ne doit pas être tous les jours comme ça pour elle, ni jamais, ils n'ont pas le même mode de vie, c'est pour cela qu'il panique moins, il préfère éviter d'y penser, au risque de faire un mauvais pas par manque d'attention. Marina est la première à descendre et à mettre les pieds au sol sans problème. C'est donc à son tour de s'y coller, rendu à moitié de la gouttière, le garde retourne à l'extérieur pour fumer une cigarette, ce qui empêche Sam de descendre complètement pour retourner sur terre, fâcheuse situation, il ne peut pas non plus rester éternellement là-dessus, elle finira bien par céder sous son poids, et il n'a guère envie de finir la tête première contre le terrain. Marina est dans les buissons et il est impossible pour lui de retourner là-haut sans se faire réparer déjà et sans subir des éraflures. Quel mauvais timing, d'autant plus qu'il a l'air de prendre son temps, il regarde son téléphone et tout ça sans se dépêcher. Si Sam avait été le genre acrobate, il aurait pu lui sauter dans le dos d'où il se trouve, mais s'il tentait, il se péterait forcément la gueule. Il oublie donc cette idée et il patiente encore quelques petites minutes avant de glisser de la gouttière et de se faufiler derrière le garde, il a tout juste le temps de se cacher derrière un pilier, lorsque ce dernier retourne à l'intérieur. Sam a eu chaud, car c'était juste, en tout cas, il ne perd pas de temps et il rejoint Marina. Il lui fait signe de le suivre pour pouvoir enfin sortir du terrain privé. « C'était moins une ! Un peu plus et le tuyau cédait. » Il reprend sa respiration.

Depuis son buisson, Marina chercher une solution pour venir en aide à Sam. En sortir par l’arrière, peut-être ? C’est vrai qu’elle n’est pas petite mais elle n’est pas une géante non plus, en se tassant bien, elle pourrait s’extraire du buisson sans qu’on la remarque. D’accord, et puis quoi ? Attirer l’attention du garde en faisant comme si elle passait par-là ? Ou comme si elle était invitée ? Plus plausible, déjà. Mais ça reviendrait à trahir sa présence sur les lieux du crime le jour des faits. Mauvais plan, en résumé. Des yeux, elle cherche alors quelque chose qu’elle pourrait lancer dans une certaine direction pour détourner l’attention du garde ; elle pense que c’est un truc qui marche que dans les jeux vidéo mais qui ne tente rien n’a rien comme on dit. Au bout d’une ou deux minutes, elle finit par mettre la main sur un caillou qu’elle lance aussi loin que possible et elle voit alors Sam glisser le long de la gouttière pour se trouver une meilleure cachette, le temps que le garde retourne à l’intérieur. La rouquine n’est pas mécontente de le voir tourner les talons. Ils ont eu chaud ! Elle ne se fait pas prier pour sortir de son buisson et rejoindre Sam en dehors de la propriété privée. Là, non seulement elle se permet de respirer à nouveau mais en plus d’en rire.
« Wow, quelle soirée ! Ça me rappelle Cuba. »
A la grande époque. Faut dire que depuis qu’elle s’est installée en Nouvelle Zélande, Marina n’a plus vraiment l’habitude des soirées passées à faire les quatre cents coups. Maintenant, c’est travail, travail, travail. En même temps, elle a pas vraiment eu l’occasion de se faire beaucoup d’amis par ici et elle se voit vraiment mal embarquer Lindsey dans ce genre de plans. Jimmy ? C’est déjà un peu plus le genre mais disons que même s’ils sont liés par le sang, elle est quasi sûre qu’il finirait par la balancer à la moindre menace. Peut-être à tort, elle en sait rien.
« On devrait faire ça plus souvent, qu’est-ce que t’en dis ? »
Là-dessus, elle part d’un grand rire parce qu’elle est évidemment pas sérieuse. Enfin, pas vraiment.
« La prochaine fois, je propose qu’on fasse d’abord un petit tour par le cellier, qu’on pique la meilleure bouteille et qu’on aille se la déguster ensuite sur la plage pour célébrer ça. »
Là, en revanche, elle est un rien plus sérieuse ; elle aurait aimé pouvoir jurer qu’il y aurait pas de prochaine fois mais elle est bien consciente qu’elle travaille dans un sale milieu.