can i help you ? [Milyn]

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Je dépose un dernier baiser sur le front de mon frère avant de rejoindre Shawn sur le palier de mon appartement. Je n’ai même pas le temps d’ouvrir la bouche qu’il me coupe déjà la parole. « S’il y a quoi que ce soit, je sais, je t’appelle. » Je suis de nature surprotectrice avec Owen et il le sait mieux que personne. Il est entre de bonnes mains avec lui et je peux maintenant partir le cœur plus léger. J’en profite pour me changer en douce dans la cage d’escalier. Une robe noire, bien assez courte, et des talons hauts. Mon meilleur ami n’est pas encore au courant de la vérité sur mon activité d’escort. Ce soir, je dois accompagner un nouveau client pour un diner de collaborateurs. Les verres s’enchainent et le diner s’éternise jusqu'à ce que mon client décide de prendre congé. Il me pousse alors à l'extérieur de l'établissement un peu trop insistant. « On va pouvoir enfin passer aux choses sérieuses. » Il sent l’alcool à plein nez, et ne semble plus réellement lucide. Ce n’est pas rare que je finisse par coucher avec mes clients en quête de quelques billets supplémentaires. Je suis prête à tout, et je ne peux pas cracher dessus. Mais aujourd’hui, c’est différent. Il est complètement bourré, et son attitude à mon égard est violente. Il ne perd pas une seconde, et me plaque contre le mur dès l’instant où nous avons un pied dehors. En pleine rue, là, à la vue de tous. « Pas ici. » Je ne peux pas. Pas dans ces conditions. Je tiens un minimum à ma fierté. « Si, maintenant. » Je ne suis désormais plus qu'un vulgaire morceau de viande pour lui. Plus rien n'a d'importance hormis ce qu'il veut obtenir de moi. « Non. » Son regard vire au noir, et je comprends que je ne pourrais pas faire grand-chose pour y échapper. Ses mains baladeuses s'invitent sous ma robe, et son emprise est telle que je ne peux plus bouger. Un inconnu sorti de nulle part empoigne alors violemment mon client par derrière. « Wow, c’est quoi le problème là ? Tu vois bien qu’elle a pas envie ! » Je peux enfin me libérer de son influence, soulagée et reconnaissante envers mon sauveur. Il est accompagné, et mon regard croise celui de la jeune femme, impuissante. « Micah ? » Shay. Une femme rencontrée récemment à une soirée où j’ai accompagné un de ses amis. Le feeling entre nous a été comme une évidence et nous avons rapidement sympathisé. « C’est une putain d’escort ! Depuis quand les escorts ne couchent plus avec les clients ? Espèce de salope ! » Je baisse le regard, honteuse qu’elle sache ce que je suis et ce que je dois faire pour gagner ma vie. L’humiliation est à son comble, et la détresse peut aisément se lire dans mon regard. Ce client a pourtant raison. C’est tout ce que je suis. Une salope d’escort. « Ça va ? Il t’a pas fait mal ? » Je me contente de lui répondre par un simple hochement de tête, incapable d’ouvrir la bouche pour le moment. « Je te ramène chez toi. » Nous prenons le chemin de sa voiture dans le silence. Au fil des minutes, j’arrive finalement à reprendre mes esprits. Je suis consciente que s’ils n’avaient pas été là ce soir, la situation aurait mal tourné. « Merci, vraiment. » Les premiers mots que j’arrive à articuler convenablement pour remercier son compagnon de ce qu’il a fait pour moi. Ce n’est pas donné à tout le monde d’agir de la sorte pour les beaux yeux d’une étrangère. Il prend la direction du métro, et nous nous retrouvons rien que toutes les deux dans sa voiture. Shay finit par briser le silence soucieuse de ma situation. « Tu fais ça depuis longtemps ? J’ai du mal à penser que tu le fasses pour le plaisir, surtout vu ce à quoi j’ai assisté ce soir. Mais il y a des manières bien moins dégradantes de gagner de l’argent Micah. » Elle ne semble pas vouloir me juger, et c’est une bonne chose. « C’est compliqué. » Je ne veux pas spécialement avoir à en parler. « Disons que j’ai mes raisons. » Même si de toute évidence Shay ne semble me vouloir que du bien, je ne peux m’empêcher de rester sur la défensive. « Mais je te rassure, ça ne se passe pas toujours aussi mal que ce que tu as pu voir. » Je retrouve instinctivement le grand sourire qui me caractérise. Un sourire de façade, de couverture. Pour sauver les apparences. Faire comme si tout allait bien. C’est devenu mon habitude, mon quotidien. Et avec le temps, j’ai fini, moi-même, par m’en persuader. « C’est même plutôt plaisant, parfois. » Plaisant est un bien grand mot mais au moins c’est supportable. Il m’arrive même de passer de bonnes soirées. Comme celle où je l'ai rencontré.

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« Je me doute qu’il doit y avoir des soirées pire que d’autres, des clients plus sympathiques que d’autres… mais j’ai du mal à croire que tu fasses ça par envie. Plutôt par nécessité, je me trompe ? » Je me contente de hocher la tête en guise de réponse. En même temps, ce n’est pas une surprise. Je n’ai encore jamais rencontré d’escort qui l’est devenue par plaisir. « Je ne suis pas là pour te juger tu sais, chacun fait ce qu’il peut, c’est pas facile pour tout le monde, et tu as tes raisons effectivement. Mais si tu veux en parler, saches que je suis là. » Sa main vient alors se poser sur mon genou d’une manière apaisante. Je me sens bien avec elle, et je sais que je peux lui faire confiance. « Si je peux t’aider en quoi que ce soit Micah, surtout n’hésite pas. Je sais qu’on ne se connaît pas, ou très peu, mais suffisamment pour que j’ai envie de t’aider. Enfin si tu me laisses la place de le faire. » Elle semble vraiment avoir à cœur de me venir en aide. Je ne sais pas pourquoi ni comment mais je dois avouer que sa proposition est touchante. On ne se connait pas vraiment et pourtant j’ai l’impression de la connaitre depuis toujours. Cette sensation est agréable. « Merci, Shay. » Mon regard se plonge dans le sien, un sourire reconnaissant au coin des lèvres. Je suis vraiment touchée par sa démarche. « Mais il n’y a pas de quoi s’inquiéter. » Je ne veux surtout pas l’alarmer avec mes problèmes. J’ai besoin d’argent, comme tout le monde. Et mon boulot de serveuse à mi-temps ne suffit pas. C’est tout ce qu’il y a à savoir. La jeune femme arrête la voiture devant mon immeuble jetant un œil à la fenêtre. « Tu vis là toute seule ? » Son regard traduit la crainte qu’elle peut ressentir. « Oui. Ce n’est pas le grand luxe, mais je m’y sens bien. » Je tente de positiver en enjolivant la situation. Le studio est ridiculement petit mais je fais de mon mieux pour le rendre plus agréable. Il n’y a qu’une seule pièce à vivre, un seul lit pour Owen. Je dors à ses côtés, un simple matelas sur le sol. Shay ne s’imagine certainement pas une seule seconde la réalité des choses. « Tu me fais visiter ? » Je passe nerveusement une main dans mes cheveux sans pour autant perdre le large sourire affiché sur mes lèvres. Je ne peux pas me permettre de la laisser monter à l’étage. Owen dort à poing fermé à cette heure là. Et Shawn ne s’attend probablement pas à ce que je sois de retour aussi tôt. Encore moins dans une tenue différente que celle de tout à l’heure. « Tu sais, il n’y a rien à visiter dans un studio de vingt mètres carrés. » Non, c’est impossible. Même si j’ai confiance en Shay, je ne suis pas encore prête à m’ouvrir à elle. Quasiment personne n’est au courant de la vérité sur mon compte. De la mort de mes parents, d’Owen et de sa maladie. Et c’est mieux comme ça. Je préfère tout garder pour moi que de montrer une quelconque faiblesse. Rester forte et continuer d’avancer. « Mais on peut aller boire un verre si tu veux. » Je ne veux surtout pas qu’elle pense que je l’évite, bien au contraire. Sa compagnie est plaisante, et sa présence à mes côtés me fait le plus grand bien. Malgré ce que je peux laisser montrer. « Il y a un bar à quelques rues d’ici. » J’aperçois une légère grimace sur le visage de la jeune femme avant de tenter de la rassurer. Elle n’est clairement pas habituée aux lieux, et à la mauvaise fréquentation du quartier. Je ne peux pas lui en vouloir de ne pas être forcément rassurée de trainer en pleine nuit par ici. « Je connais très bien le patron. » Je n’ai jamais eu de problèmes là-bas. Le gérant s’arrange toujours pour que personne ne vienne m’importuner. C’est un des seuls lieux dans les alentours où je peux me sentir pleinement en sécurité. « Et tu n’as pas le droit de dire non, je ne te laisse pas vraiment le choix. » Je lui lance un regard taquin avant de m’empresser de sortir de la voiture. « Je te dois bien ça après ce que tu as fait pour moi. » C’est le moins que je puisse faire. Et c’est surtout tout ce que je peux oser lui donner pour le moment.

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La jeune femme semble réticente à l’idée d’accepter ma proposition mais après quelques secondes, elle finit tout de même par me suivre en dehors de la voiture. Je suis heureuse qu’elle le fasse pour pouvoir prolonger ce moment en sa compagnie. Après ce qu’il s’est passé tout à l’heure, je n’ai pas vraiment envie de rentrer chez moi pour affronter les interrogations de Shawn. Mon secret ne tiendra plus longtemps si les doutes de mon meilleur ami s’accentuent. Et je ne suis pas certaine, cette fois-ci, d’avoir le cran de lui mentir en le regardant droit dans les yeux. Je jette quelques regards en direction de Shay alors qu’elle ne semble pas très rassurée d’être là. « Tu m’excuses une seconde ? Je vais passer un coup de fil… » Je hoche de la tête en guise de réponse. Elle doit sans doute téléphoner à sa femme pour la tenir au courant qu’elle ne rentrera pas tout de suite. Pour moi, elles représentent le couple parfait, amoureux et heureux. C’est en tout cas l’image qu’elles reflètent de l’extérieur. Personnellement, je n’ai pas encore eu la chance de connaitre ce sentiment. Mais ce n’est pas plus mal. Je ne peux pas vraiment me permettre de faire rentrer quelqu’un dans ma vie en ce moment. Shay raccroche alors que nous arrivons devant le bar. « Lukas est du genre inquiète, si je lui disais où je suis, elle rappliquerait dans la seconde ! » Je me contente de mêler mon rire au sien sans rien ajouter. Elle aurait complètement raison de s’inquiéter, je ne peux pas dire le contraire. Ce n’est pas le genre de vie et de quartier dont les tourterelles sont habituées. Je fais un signe de tête au patron pour le saluer avant de nous installer l’une en face de l’autre sur une table au fond de la salle. « On t’a déjà dit à quel point tu étais mystérieuse ? » Ce n’est pas la première fois qu’on utilise cet adjectif pour me qualifier, c’est vrai. Depuis la mort de mes parents, je me suis forgée une espèce de carapace pour me protéger. Du jour au lendemain, j’ai été contrainte de devenir une toute autre personne. « Il parait que c’est ce qui fait tout mon charme. » Je lui adresse un clin d’œil provocateur, moyen d’ironiser la situation et de rester volontairement détachée de sa question. Je me doute bien que celle-ci est loin d’être anodine. « Je sais pas, il y a un truc intriguant chez toi, on aimerait ouvrir la couverture et lire un peu plus que les quelques lignes que tu laisses entrevoir… j’ai le droit d’en savoir un peu plus sur toi ou c’est interdit ? » Entre nous, c’est plus intéressant d’avoir affaire à quelqu’un qui sait se jouer de quelques mystères, sans trop en dire. Il faut savoir garder l’effet de surprise. « Tu tiens bien l’alcool ? » Elle me regarde d’un air interrogateur, perplexe, sans forcément comprendre ma question. Je laisse échapper un petit rire d’entre mes lèvres, fière de l’idée qui est en train de germer dans ma tête. Je fais un signe de tête au patron qui me ramène plusieurs shooters vodka melon, mon péché mignon. « On va faire un jeu. » Mon côté enfantin et joueur n’est jamais loin. Et il ne m’en faut pas plus pour rendre cette fin de soirée beaucoup plus intéressante qu’elle n’a pu commencer. « A chaque shooter que tu bois, tu as le droit de me poser une question. » Je plonge mon regard dans le sien, plus sérieuse que jamais. « Et bien sur je peux en faire de même aussi. » Je lève mon verre en sa direction avant de le boire cul sec. La sensation de chaleur de l’alcool qui traverse mon corps tout entier me fait pousser des ailes. C’est exactement ce dont j’ai besoin pour oublier. Ne plus penser à la scène de tout à l’heure qui repasse en boucle dans mon esprit sans que je ne laisse rien paraître. Oublier la honte qui me ronge de l’intérieur. A Shay de savoir jusqu’à quel point est-elle prête à aller pour avoir la chance d’en savoir plus sur moi. Je suis presque persuadée que la jeune femme n’est pas très portée sur l’alcool, et qu’en lui proposant ce deal, je ne risque pas grand-chose. Au pire des cas, deux ou trois questions, rien de bien exceptionnel en soit.

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Elle ne tient pas l’alcool. Il n’y a rien d’étonnant dans sa réponse. Je ne la connais pas encore beaucoup mais c’est quelque chose qui se voit comme le nez au milieu de la figure. Je suis curieuse de savoir ce qu’elle est prête à faire pour une inconnue dans mon genre dont elle ne connait absolument rien. Impatiente de jouer avec elle, de flirter avec ses limites. De voir jusqu’où elle peut aller. Je ne la lâche pas du regard alors qu’elle attrape un verre de shooter à son tour. Le jeu peut officiellement commencer. « Ok, tu l’auras voulu. Aucun joker ne sera toléré ! » Elle avale le contenu de son verre et une grimace vient déformer son visage. « Si je meurs, ce sera de ta faute ! » Vu sa réaction au premier shooter, il ne risque pas d’y avoir de combat. Je n’ai clairement pas de concurrence et c’est ce qui rend le jeu encore plus drôle. Faut dire que, pour ma part, je n’ai pas mal d’entrainement dans ce domaine. Ces derniers mois m’ont permis de me forger une résistance à l’alcool plutôt élevée. Sans doute le seul point positif qui peut ressortir de cette période difficile. « Bon, une question alors, j’ai intérêt de bien les choisir parce que je n’en boirai pas quinze ! » Elle est encore lucide pour le moment, et déterminée à jouer le jeu à fond pour poser les questions dont elle veut absolument connaitre les réponses. « Pourtant on a toute la nuit devant nous. » Un nouveau clin d’œil en guise de provocation. C’est plus fort que moi, je ne peux pas m’empêcher de la taquiner sur le sujet. Il faut qu’elle soit consciente que je ne suis pas prête d’abandonner. Shay plonge son regard dans le mien avec intensité. « Pourquoi ce besoin de gagner de l’argent, de cette manière… » Je ne suis pas surprise puisque la jeune femme a déjà essayé d’en savoir la raison. Et même si c’est un sujet sensible pour moi, je ne me défile pas. Je suis une femme de parole, et les règles du jeu sont telles que je me dois de lui dire la vérité. Je marque un instant de silence avant de lui répondre droit dans les yeux pour qu’elle ne puisse pas douter de ma sincérité. « Je suis livrée à moi-même depuis un an, et mon boulot de serveuse ne suffit pas pour combler les dépenses. Alors quand une connaissance m’a filé le tuyau pour devenir escort, je n’ai pas vraiment pu cracher dessus. » Je ne lui mens pas, mais je ne lui dis pas tout non plus. Une information à la fois. Et je ne moque clairement pas d’elle en lui avouant être livrée à moi-même depuis un an maintenant. Je touche du doigt la principale raison du début de cet enfer qui est le mien. Maintenant, si elle veut poser d’autres questions à ce sujet, il va falloir qu’elle continue de boire. « Tu as bu un verre, tu as le droit de me poser une question ! » Et j’en avale un autre sans perdre la moindre seconde. « Ok, deux questions. Mais tu vas beaucoup trop vite pour moi, j’ai plus vingt ans ! » La différence d’âge qui nous sépare est évidente, et pourtant, depuis tout à l’heure, je n’en ai pas l’impression. C’est comme si nous étions sur la même longueur d’onde, sur la même longueur de pensée. Certes, nous avons des qualités de vie complètement opposées, mais pour le reste, c’est un feeling presque naturel et évident qui semble nous unir. C’est une sensation étrange mais loin d’être désagréable. « C’est moi ou il fait chaud d’un coup ? » Shay vient de retirer son pull et de nouer ses cheveux en l’air. Je ne peux m’empêcher d’éclater de rire à sa remarque, consciente que l’alcool est déjà en train de lui monter au cerveau. « C’est toi. » Amusée, je passe une main dans mes cheveux tout en plongeant mon regard dans le sien. « Moi, ça va plutôt bien. » A mon tour de lui poser mes questions. « Pourquoi tu ressens ce besoin de m’aider alors qu’on ne se connait pas plus que ça ? » C’est seulement la deuxième soirée que nous passons ensemble. La première étant celle où j’ai accompagné un ami à elle. « Tu le ferais avec tout le monde, ou c’est seulement parce que c’est moi ? » C’est vrai que c’est plutôt bizarre qu’elle se soit autant intéressée à moi au point de vouloir me venir en aide. Soit son second prénom c’est Mère Teresa, et c’est normal qu’elle soit aussi soucieuse des autres. Soit elle a quelque chose de particulier avec moi. En attendant, j’en profite pour lui tendre un autre shooter, un large sourire aux lèvres.

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Bien que ça soit sous la forme d’un jeu, c’est la première fois que j’arrive à m’ouvrir de cette manière à quelqu’un. D’autant plus à une jeune femme que je ne connaissais pas il y a encore quelques semaines. Et pourtant, ce n’est que le début des confidences. Shay risque d’approfondir ses questions, et je ne pourrais pas indéfiniment rester en surface. Peut être suis-je finalement en train de me faire prendre à mon propre piège ? Qui joue avec le feu finit par se brûler les ailes. « Je vois… » Le sujet reste en suspens jusqu’à ce qu’elle puisse poser une autre question. Mais je peux facilement lire dans son regard son envie de poursuivre l’interrogatoire. « Oh attention jeune fille, tu fais la maligne parce qu’on est sur ton terrain de jeu, mais ne crois pas que je me laisserai avoir sur une défaite… j’ai plus d’un tour dans mon sac ! » Elle me fait mourir de rire avec ses fausses menaces. « C’est ce qu’on va voir. Mais quelque chose me dit que ça risque d’être drôle. » Il y a de fortes chances vu l’état d’euphorie dont Shay semble nager en ce moment même avec seulement un shot à son actif. A mon tour de lui poser les questions qui me brûlent les lèvres depuis le moment où elle s’intéresse à mon cas. « J’en sais rien. Tu sais y’a des choses qui ne se commandent pas, et dont on ne comprend pas non plus vraiment le sens. J’aime aider les gens, mais toi c’est… » Je reste pendue à ses lèvres impatiente de connaitre le fin de mot de sa phrase. « C’est différent. » Sa réponse ne me satisfait qu’à moitié puisqu’elle reste tout de même assez évasive. Je ne sais pas si c’est volontaire de sa part, ou si c’est vraiment quelque chose qu’elle ne peut pas forcément expliquer comme elle le prétend. C’est frustrant de la voir s’arrêter là, sans un mot de plus. J’hoche simplement la tête en essayant d’en déceler davantage dans son regard, avant de lui tendre un nouveau verre. « Si j’ai déjà chaud avec un, tu veux que je finisse à poil c’est ça ? » Je pouffe de rire en voyant déjà ce que l’alcool peut lui faire comme effet. « Je n’ai pas dit qu’on faisait un strip poker, non plus. » Nos rires s’entremêlent entre eux, et cette complicité qui nous unit est agréable. Cette sensation me met du baume au cœur, et je me sens bien, vivante. « Ok, c’est parti. » Une nouvelle grimace s’invite sur le visage de la jeune femme, tout aussi drôle que la première. En tout cas, elle semble vraiment déterminée à se donner corps et âme dans ce petit jeu qui est le nôtre pour la soirée. Shay ne perd pas de temps avant de poursuivre avec une deuxième question. « Un boulot de serveuse suffit pour payer le loyer d’un studio de 20 mètres carrés dans ce quartier. Alors, de quelles dépenses tu parles ? » Elle me coupe la parole avant même que je puisse avoir le temps de répondre ingurgitant un autre shot pour pouvoir enchaîner avec une autre question. « Si je veux me souvenir de tes réponses, faut que je les pose vite avant que l’alcool n’ait pris possession de mon corps, alors la seconde question est : Qu’est-ce que tu caches chez toi pour ne pas vouloir que je monte ? » En plein dans le mille. Ses questions sont précises, et touchent évidemment de très près à mon secret. A Owen. Les frais médicaux liés à sa maladie. Et le fait que mon petit frère soit désormais à ma charge depuis la mort de mes parents. Je n’ai pas seulement mes propres dépenses à couvrir, mais je dois subvenir aux besoins d’un enfant malade. « Je suis à mi-temps, donc je ne touche clairement pas un salaire mirobolant. Mais c’est vrai que je pourrais peut être m’en sortir si j’étais toute seule... » Je me surprends moi-même à balancer un sous entendu qui en dit beaucoup. C’est sorti tout seul, et pourtant, ce n’est pas à cause de la vodka. C’est autre chose. Ce sentiment de confiance qui se fait ressentir au plus profond de mon être. Ce sentiment de sécurité que Shay me procure, et ce depuis cet instant où nos regards se sont croisés. Je suis incapable de l’expliquer, incapable de mettre des mots dessus, mais l’effet est évident. Je suis en train de me confier ouvertement à cette femme. « Il y a mon meilleur ami chez moi ce soir. Et il n’est pas au courant de mes activités d’escort girl. Je me suis changée dans la cage d’escalier de l’immeuble avant de partir pour ne pas qu’il me voit habillée comme ça. » Je désigne d’un signe de tête ma tenue. Cette robe noire bien trop courte que je n’ai pas l’habitude de porter en dehors de mes sorties professionnelles. Là encore, je ne mens pas. Mais je ne mentionne pas encore Owen. Pour repousser encore un peu le moment de vérité. Je porte à mes lèvres un nouveau verre que je vide d’une traite pour mettre les compteurs à égalité. Trois partout. Mais je ne lui laisse pas le temps de réagir, et en vide un quatrième, sans sourciller. « Différent, comment ? » Je ne connais pas les détails de la vie personnelle de Shay, mais il se pourrait qu’elle puisse avoir une fille et que ça soit son instinct maternel qui prenne le dessus dans un cas comme le mien. Je ne sais pas, j’essaye de faire des suppositions pour comprendre son intérêt à mon égard. « Comme un instinct protecteur qu’on pourrait avoir pour sa fille, ou quelque chose d’autre, complètement différent ? » J’aimerais, cette fois-ci, qu’elle rentre dans le détail, tentant de mettre des mots dessus.

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« Je sais pas exactement comment l’expliquer à vrai dire… » J’essaye de l’aider dans sa réflexion, mais elle semble réellement ne pas savoir. « Non pas comme… enfin j’en sais rien. Je n’ai pas d’enfants. Je ne sais pas vraiment ce qu’on peut ressentir quand on en a… » Son visage s’assombrit légèrement, et je comprends rapidement que je viens de mettre le doigt sur un sujet sensible sans même en avoir conscience. « Je ne peux pas avoir d’enfants… Et c’est pas faute d’en avoir toujours voulu… Je sais pas pourquoi je te dis tout ça, c'est ridicule. Donc pour répondre à ta question, complètement différent. Je n’ai jamais eu envie d’aider quelqu’un comme j’ai envie de t’aider toi. Je ne sais pas comment l’expliquer, il y a des choses qui ne s’expliquent pas ! » Sa confidence ne me laisse pas indifférente. Et je me sens un peu conne d’avoir mis les deux pieds dans le plat. Le fait de ne pas pouvoir concevoir d’enfant est un réel bouleversement dans la vie d’une femme qui a toujours rêvé de fonder une famille. Et c’est un obstacle pour le couple aussi, parfois trop difficile à surmonter. « Je suis désolée. » Je ne pouvais pas savoir mais je culpabilise tout de même d’avoir lancé un sujet bien trop personnel sur le tapis. Sur le coup, le jeu est allé un peu trop loin. « Bon, je prends le dernier, mais après c’est fini, je ne veux pas que tu boives plus, et il n’est pas question que je boive encore, ma tête tourne déjà bien assez, et je ne sais pas comment je vais rentrer. En plus… mais c’est pas possible ils ont monté le chauffage, rassure moi ?! » Il ne reste plus qu’un seul shooter, et Shay se jette sur l’occasion pour amorcer la fin du jeu. « Arrête d’être en chaleur un peu. Neal n'est pas là. » Je profite de la situation pour me moquer encore un peu plus d’elle en prenant soin de faire comme si de rien n’était, comme si je n’avais rien entendu sur son envie de prendre le dernier verre. « Ttt… il est pour moi j’ai dit ! » Elle me le subtilise in extremis sans que je puisse l’en empêcher. Elle ne grimace plus cette fois, ce qui prouve que l’effet de l’alcool est bien présent. Beaucoup trop présent. « Hum… ok, j’ai plus trop les idées claires. Je sais même plus quoi te demander. Ah si ! Tu as un petit ami ? » Sa question me surprend légèrement, et je secoue la tête à la négative. « Non, et heureusement. » Je ne suis pas certaine que ça soit compatible avec ma vie actuelle. Je me contente de quelques aventures d’un soir, par-ci, par-là. Mais une relation sérieuse, très peu pour moi. De toute façon je n’ai jamais réussi à rester plus de six mois avec quelqu’un. « C’est tout ? Tu me déçois, là. J’aurais pu penser que tu te battrais un peu plus que ça pour apprendre à me connaitre. » Je ne vais pas la laisser s’en tirer comme ça. « Tant pis pour toi. » Je hausse simplement les épaules en lui adressant un petit sourire en coin, un air victorieux sur les lèvres. « Par contre, tu ne peux pas m’obliger à arrêter en si bon chemin. » Je ne lui laisse pas le temps de réagir, et me lève brusquement de notre table en direction du comptoir. Je m’adresse alors au patron tout en gardant un œil sur Shay qui ne me lâche pas du regard. « Si tu peux remplacer la vodka par de l’eau sur la moitié des shooters, je ne veux pas que mon amie finisse à poil sur la table. » Je suis joueuse mais pas inconsciente. Et je n’ai pas envie de la pousser dans ses retranchements au point qu’elle ne soit absolument plus maître d’elle-même. Ce n’est pas le but de notre soirée. Après ma brève conversation avec le patron, je reviens m’installer en face de Shay, les verres à la main. La jeune femme ne semble pas trop savoir comment réagir, n'ayant plus forcément les idées claires. « Je continue. » Je prends un des verres alcoolisés que je vide une nouvelle fois d’une traite. C’est de la provocation, et je suis quasiment certaine que la jeune femme ne va pas vouloir me laisser boire toute seule. C’est un moyen de tester son instinct de protection à mon égard justement, pour voir s'il est aussi fort qu'elle le prétend. Et si elle finit par changer d’avis, il y a des chances qu’elle ne fasse même plus la différence entre l’eau et la vodka. Dans ces moments là, c’est un peu psychologique. Et ça serait drôle de la voir croire qu'elle continue de boire alors que ce n'est plus le cas. Je tiens, moi aussi, à prendre soin d'elle pour ne pas qu'elle finisse dans un pire état. « Qu’est-ce qui te fait dire que je vaux mieux que ça ? » Que le fait d’être escort pour des clients désireux de bonne compagnie. Elle l’a mentionné à plusieurs reprises mais elle ne m’a pas vraiment dit pourquoi. Qu’est-ce qu’elle a bien pu entrevoir de positif en moi pour penser que je puisse mériter mieux ?

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« Mais c’est ton jeu là, tu me fais tourner la tête. Enfin l’alcool me fait tourner la tête. » Ses mots n’ont ni queue ni tête, et c’est vraiment très drôle de la voir se justifier. Je m’éclipse quelques minutes pour revenir aussi tôt devant elle, un nouveau mètre de shooters dans les mains. Elle ouvre grand les yeux, choquée, me demandant si je suis vraiment sérieuse. Et je lui donne très vite sa réponse en avalant un autre verre pour enchaîner sur une autre question. « Premièrement, personne ne mérite de faire un boulot aussi dégradant. Et deuxièmement, j’ai l’intime intuition que tu es une jeune femme intelligente, débrouillarde, et qui n’a rien à faire entre les bras d’hommes différents chaque soir. Même si effectivement avec ton physique et ta belle gueule, c’est une solution de facilité, j’en conviens. » Ce n’est pas son premier compliment à mon égard, et pourtant, cette fois-ci, je me surprends à me sentir gênée. Je détourne son regard, mal à l’aise, ne sachant plus vraiment où me mettre. L’assurance qui me connait depuis tout à l’heure, et d’habitude en règle générale, n’est plus vraiment la même. « Je... merci, même si tu vends un peu trop mon image. » Je suis loin d’être cette fille qu’elle semble à tout prix vouloir défendre. Et décrire. Mais pourtant, ses mots me touchent en plein cœur. Avec moi, les gens ne cherchent pas forcément plus loin que le bout de leur nez. Ils s’arrêtent sur mon apparence sans vouloir creuser en profondeur. Ce n’est pas le cas de Shay. Cette dernière attrape un nouveau verre, et mon premier réflexe est de vérifier s’il s’agit bien d’un verre d’eau. Il ne manquerait plus qu’elle se trompe malencontreusement de shot. « C’est normal qu’après un certain seuil j’en viens à avoir l’impression de boire de l’eau ? » Je m’esclaffe de rire, fière de voir que mon plan fonctionne à merveille. « C’est à chaque fois les premiers verres qui sont les plus durs. Après, ça se boit comme du petit lait. » Je parle en connaissance de cause. Même si, pour le coup, moi, ce n’est pas de l’eau. « Très bien. Nouvelle question. Où sont tes parents ? » Mon cœur rate un battement, et je manque presque de m’étouffer. « Ils m’ont laissé seule. » Je préfère masquer une nouvelle fois la vérité, tant bien que mal. Je ne peux me résoudre à l’admettre à voix haute. Ils ne sont plus là. Ils ne peuvent plus s’occuper de nous. De moi, de mon petit frère. Je ne peux m’empêcher de repenser à cet appel reçu en plein milieu de la nuit. Cet instant où ma vie s’est écroulée à mes pieds. Ces quelques mots qui n’ont cessé de résonner dans mon esprit. Et de hanter mes nuits. Il y a eu un accident, ils n’ont pas survécu. C’est fini. Je sens les larmes me monter au visage et je détourne furtivement le regard. Je ne dois pas craquer. Je prends une longue respiration avant de me jeter sur un énième verre de vodka. Je ne veux plus penser. J’ai besoin d’oublier. Tel est mon quotidien depuis la mort de mes parents. Un, puis deux, et trois. Je ne fais pas les choses à moitié. J’ai besoin de cette chaleur pour me sentir vivante. Mais je finis très vite par accuser le coup. Ma tête commence à tourner violemment et ma vision se floute pendant quelques instants. Je n’aurais pas dû les enchaîner aussi rapidement. Je soupire et tente de rester concentrée sur Shay. « Trois questions. » Je n’ai plus vraiment les idées claires non plus. « Tu me rappelles qui a eu cette idée de jeu à la con ? » Mon rire devient plus aigu à cause de l’alcool alors que mes joues deviennent rouges écarlates. A cet instant, même en ayant l’habitude de boire, je ne fais plus trop la maligne. « C’est ça la face cachée de la somptueuse Shaelyn Lawson, alors ? » Je ne sais même plus ce que je suis en train de dire. En tout cas, Shay est une femme de prestance, bien connue en tant que styliste. Je ne suis pas certaine que l’image qu’elle est en train de refléter soit celle qu’on a l’habitude de voir chez elle. « Tu dois être sacrément inconsciente pour accepter de sortir avec une fille comme moi. » Elle ne doit pas s’autoriser si souvent que ça à lâcher prise. « Est-ce que tu as déjà douté de ton bonheur ? » Ces mots viennent de dépasser ma pensée. Je ne sais pas pourquoi je lui demande ça. Après tout, elle semble tout avoir pour être heureuse. Ou presque. Une situation confortable, une femme aimante. Il ne manque plus qu’un enfant à adopter pour que le tableau soit parfait. Mais je ne veux pas relancer le sujet. Le but n'est pas de lui faire du mal en parlant de ça.

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