Pas de chlore pour les sirènes... (Nina & Noa)

Kenzo et moi le contraire l’un de l’autre ? Oui sur certains points, mais nous arrivons à nous rejoindre sur d’autres et surtout, j’en suis sûre, nous serons toujours là l’un pour l’autre. Je ne peux que sourire à la question de Nina. — Différents... Disons plutôt que l’un compense les manques de l’autre. Complémentaires, pas contraires. J’aime bien cette image de complémentarité. Je pense aussi aux pièces de puzzle qui s’emboitent pour former un tout : nous. Nous, une entité à part entière. Notre but est enfin atteint, plonger dans le spa pour nous offrir un bon moment de détente. Nina a bien raison. Nous avions pris le temps d’arriver jusqu’à ce moment. Nous avons réussi à cheminer jusque-là. — Je confirme, le jacuzzi, c’est pas mal du tout. L’eau bouillonne sous l’effet des jets. Je ferme les yeux un instant. — Mon père... S’il n’est pas là c’est qu’on l’indiffère. Je me dis que le chercher, ce serait lui imposer une présence qu’il ne souhaite pas. A l’inverse comment devenir proche d’une telle personne ? Le rejet de la mère malade, le rejet des gamins qui risquaient d’être tarés de la même manière. Nina m’a dit de ne pas m’inquiéter, certes. Mon père ne conditionne pas ce que je peux être ou plutôt ce que je suis devenue au fil des années. Il y a une autre possibilité... — S’il ne sait pas... Le tien est-ce qu’il savait que tu existais ? Je tend le bras pour attraper un premier verre que nous avions laissé à portée. Je le donne à Nina pour me saisir ensuite du mien. — J’espère que je ne t’ennuie pas avec mes questions. Je pousse un soupir. — Je ne pense pas avoir aborder le sujet avec beaucoup de monde. Encore moins avec quelqu’un dans une situation similaire. C’est là un point commun entre Nina et moi que je trouve très surprenant. La vie nous a fait rencontrer autour d'une passion commune, nous a lié avec à la clé un événements funeste, surtout pour moi, et nous découvrons maintenant qu'il y a encore plus de choses qui peut nous réunir.

Le calcul est facile. Bosser... Au Centre nautique à faire du tri, les mains dans la poussière et les cheuveux pleins de toiles d’araignées comme tout à l’heure... Rattraper tous les cours que j’ai raté pour éviter de louper mon diplôme en fin d’année... Nina au bar entre verres, bouteilles et clients désagréables... Se détendre, c’est tout le contraire. Profiter de l’instant. Ne penser à rien d’oppressant. Le bonheur, exactement l’instant de bonheur parfait. A côté pourtant, nous avons entamer un sujet de conversation sérieux, lourd d’interrogations, mais je sais que je reste libre de me lancer dans une recherche ou de laisser les choses en l’état actuel, dans l’ignorance. Je fais tourner le verre dans mes mains en écoutant les réponses de Nina. Je réfléchis au pour et au contre d’une telle quête. Je m’imagine me planter devant un homme totalement inconnu et lui dire «Je suis le résultat d’une nuit entre ma mère et toi. Et en plus tu as gagné le jackpot, deux pour le prix d’un, autrement dit moi et mon jumeau.» Je me mets à sourire, comme ça dans le vide, pour cette idée que j’imagine... Drôle. Mais peut-être qu’elle n’aurait rien d’amusant cette rencontre. Bien au contraire. Comme l’explique Nina. L’homme en face pourrait être en colère, violent et jeter à la rue le rejeton sans ménagement. — C’est bien qu’il soit revenu vers toi. Il ne doit pas avoir un mauvais fond. Je lui souris. — Je crois que ça laisse présager du bon. Nina m’avait demandé de lui donner mon avis sur ce qu’elle nous avait concocté. Je le goûte maintenant. — Humm ! Wouah ! Tu maîtrises. Excellent. Le cocktail de Nina, je le place dans le top dix de la liste des boissons que j’ai pu dégusté. — Si Kenzo ne va pas récupérer son verre très vite, inutile de chercher loin qui s’en chargera. Je regarde mon verre dont le niveau est descendu en peu vite parce que trop bon. — Hé ! Tu as déjà pensé à monter ton propre bar. Servir des cocktails de ton inventions. Ça pourrait être sympa. Oui, j’t’imagine bien.

L’idée de remettre Nina devant le plan de travail pour refaire une tournée de cocktails, même si l’envie d’un deuxième verre quand celui-là sera fini, se fera probablement sentir, ne m’enchante pas du tout. La détente est pour tout le monde, elle comprise. Je ne vais pas la faire bosser une seconde fois. — Non voyons, tu ne vas pas en refaire. Je lui donnerai l’adresse du bar où tu travailles. Humm... ou je lui prendrai la main pour l’entrainer. Dans certains domaines, mon frère à besoin d’être un peu poussé pour avancer. Nina n’a pas tord, monter une entreprise, quelle qu’elle soit, n’est pas une mince affaire. Le budget pour se lancer dans l’ouverture d’un bar est à calculer sérieusement. Gros risque si la clientèle n’est pas au rendez-vous. — Il y a la solution de tenir le bar et faire les cocktails lors de manifestions tels que que des réceptions, des mariages, des trucs de ce genre. A vue de nez je pense que ce qui coûte le plus cher, c’est un batiment et du personnel en permanence. Cette formule permet d’éviter de payer des murs. J’hausse les épaules. — Je ne suis pas dans la partie, alors je ne m’avancerai pas sur la faisabilité de l’idée. Et pourtant étrangement, mon cerveau s’en va fureter dans ce qu’il a engrangé durant mes cours de marketing pour faire une esquisse plus solide. J’en suis surprise. Ces dernières semaines je traine les pieds pour aller en cours, alors me prendre au jeu de la construction d’un projet m’étonne complètement. Peut-être que tout n’est pas perdu. Il me manque une motivation. Je crois que c’est ce que j’ai perdu dans ce mauvais coup du sort. Je suis passée en mode pessimiste enfermée sur moi-même, en tentant de le masquer à mon entourage. Je repousse les premiers éléments qui avaient émergé quand Nina précise qu’elle voudrait faire autre chose de sa vie. Je me tourne vers elle, curieuse. — Oh ! Dis-moi tout. Qu’est ce qui te passionne, te passionnerai à faire ? Nina est jeune, alors tout est possible pour elle. — Comment tu envisages les choses ? Chercher un nouveau job ? Faire des études ? Voyager ? Tu as envie de mettre quoi dans ta vie ? Projet ! Voilà qui est absolument dynamisant. Et c’est ce que je n’ai plus actuellement.

Une soirée au Foxglove, avec Kenzo... Nous avons dans l’idée des vacances dans un hôtel, lui et moi, un sac à dos, des trains... enfin c’est surtout mon idée... lui, il vise l’hôtel, la chambre, l’écran, une connexion et que roule le jeu vidéo. Alors une soirée au Foxglove serait au moins un départ. Voilà ! Le point de départ de notre petit voyage en duo. Je souris quand Nina me demande de prévenir avant notre passage. Effectivement, c’est l’idée pour éviter de se retrouver devant un autre barman, totalement inconnu. Je souris quand j’entends le nom de l’enseigne proposée par Nina. “Chez Nina”, ça sonne étrangement. Mais je comprends rapidement qu’elle voit loin dans ses projets. C’est un autre univers que celui des débits de boissons, qu’il soit le troquet du coin ou l’établissement le plus en vogue avec une file d’attente pour les réservations. Sifflement d’admiration. — L’université, c’est un chouette moment dans la vie. Pour moi en tout cas. Mais ce que vise Nina ! Je la regarde sérieusement. Très sérieusement. Je finis par hocher de la tête. — Ouais, je t’imagine bien. Océanologue ou paléontologue, c’est classe. Je suis impressionnée, très impressionnée.— Je crois que si tu te lances dans cette voie, tu décrocheras ce que tu veux. En effet, je n’imagine pas Nina être une tête de linote s’inscrivant à la fac uniquement pour faire joli sur un CV, ni pour frimer devant des potes. Si elle le fait ce sera pour aboutir. Qu’elle en ait les compétences, ça je l’ignore, mais elle bossera pour. Elle me renvoie la question. Là je suis mal ! Gros soupir. — J’envisage... Je sais pas. Ce que j’avais projeté quand j’ai choisi cette branche, avant les derniers événements horribles a perdu toute saveur. Non pas pour la raison en filigrane mais parce que je suis incapable actuellement d’envisager le moindre avenir. Je ne sais pas quelle force j’aurais demain pour me trainer jusqu’à la fac ou le Centre Nautique, alors aller bosser... — Je voulais intégrer une grosse boite... Soupir encore. Je regarde le bouillonnement d’eau dans lequel on trempe. Putain les idées quand elles vous traversent l’esprit !!! Si j’avais mis le thermostat plus fort, on aurait été les homards dans le corps bouillon. Je secoue la tête pour chasser l’idée et oser répondre ce que je n’ai dit qu'à très peu de personne. — Ma mère. J’voulais emprunter un chemin similaire au sien. J’voulais qu’elle soit fière de moi. Pour qu’elle soit fière de moi comme je l’admire pour son parcours. Elle a réussi à nous emmener jusque là malgré toutes les merdes sur le chemin. Je l'ai détesté pour ça, ces merdes c'était à cause d'elle. Mais maintenant que je comprends mieux dans quoi elle tombait quand elle trébuchait... J’ai tellement de mal à me relever, tenir debout, après cet enlèvement, ce carnage qu’il a fait dans ma vie. Oui, je comprends maintenant. — J’me sens pas capable. J'crois que j'ai même plus envie.

En ce moment je suis perdue dans un présent depuis lequel je ne parviens pas à imaginer un futur professionnel. A imaginer un futur tout court. J’envisage l’avenir à courte échéance. Très courte ! Le lendemain, la semaine. Ce n’est pas ce qu’on peut appeler un avenir. De quoi pousser un long soupir ! — Je ne sais plus trop, c’est exactement ça. Nina n’a pas tort. Ce que j’ai vécu est encore là. — Oui, je suppose que c’est ça, qu’il faut encore du temps. Combien de temps ? Rien que ça c’est perturbant. C’est encore plus déstabilisant de ne pas savoir quand je vais atteindre le bout du tunnel. S’il y a un bout du tunnel... Nouveau soupir. — J’arrive à la fin de ma formation. Il va falloir que je me décide pour une direction ou une autre. Même si je ne suis pas à la rue. Même si j’ai de l’argent de poche avec les cours de surf. Ce n’est que du provisoire. Sur le long terme, j’ai perdu toute motivation. Je hausse les épaules face à cette fatalité, qui ne doit pas en être une totalement. On peut se forcer à faire un choix à la cafeteria ou dans un magasin de chaussures. Pour ce qui est de lancer sa carrière professionnelle, je suis incapable de dire si je vais postuler au snack du coin, à la boutique de sport près du Centre Nautique ou chez Vogue ! Aucun ne me tente plus que l’autre. Le plat total de la ligne du moniteur qui bip pour annoncer la mort du patient sur son lit d’hôpital. Je me laisse glisser sous l’eau quelques secondes, le temps de vider mes poumons, tenir, exercice salutaire en surf, puis je remonte à la surface. Ma vie c’est ça, je coule, je remonte prendre une respiration et de nouveau je dérive je ne sais où. Je passe mes mains sur mon visage et repousse mes cheveux. Je finis par sourire à Nina. — En fait, je quitte la fac quand toi tu y viens. On se sera même pas croisée pour que je te fasse visiter les lieux ! Mais si tu as besoin de quelque chose là-bas et si j’ai moyen de t’aider, n’hésite pas. Un instant de réflexion et j’éclate rire. — Oh mais si tu es à l’université, il va se libérer une place là où tu bosses. Mais je crois que ce serait la pire idée qui soit. Je suis plus douée pour boire les cocktails que les faire. Coup d’oeil à mon verre vide que j’ai abandonné sur le bord du spa. — Je risquerais soit de vider les verres avant de les servir, soit de rendre malade le client. L'idée m'amuse mais je ne me suis jamais imaginée dans la peau d'une barmaid ou d'une serveuse, je suis trop consommatrice !

Un éclat de rire qui tinte avec la clarté de ceux de l’époque où tout allait si bien. J’en ai pris des fous rire, on va dire que j’ai fait le plein pour les périodes moins amusantes. Avec le recul bien sûr. Avec ce que je sais maintenant. Avec ce que j’ai vécu dernièrement. Pour les périodes moins amusantes, comme actuellement. Alors j’en profite. Je me surprends moi-même. L’effet Nina sans doute qui rend les choses plus cools. Et un besoin de me lâcher qui me fait défaut depuis l’enlèvement. J’ai du mal à reprendre la parole. — Hé ! Pas déçue. T’inquiète pas. C’est pas un boulot pour moi de toute façon. J’crois pas. Non pas du tout déçue et encore moins quand elle me dit pourquoi elle ne lâchera pas son job. D’ailleurs cela ne m’étonne pas. C’est lucide comme vision des choses et ce sera effectivement utile d’avoir un travail, d’avoir une entrée d’argent régulière. — C’est une excellente idée de garder ton job. Faire des études n’est pas oujours évident. C’est bien d’avoir son indépendance financière et pouvoir boucler les fins de mois sans s’arracher les cheveux. J’en ai vu quelqu’uns à l’université... c’était loin d’être le cas. Et les combines que certains trouvaient... Oui les combines ! Rarement légales ces combines. Il n’y a qu’une petite chose qui est délicate quand on jumelle études et travail. — Il va falloir gérer ton temps. J’espère que ton patron ou patronne te permettra d’aménager tes heures par rapport au planning de la fac, avec en plus le temps chez toi pour bosser. Vingt-quatre heures par jour peuvent être juste parfois. Je hoche la tête parce que oui, suivant la filière, tu peux te retrouver avec une masse de travail à faire en dehors des cours. Je souris de nouveau en y repensant. — Madame l’océanologue ! Pas mal. Pas mal du tout. Impressionnant. Je reste impressionnée. Imaginer Nina océanologue... J’espère que la vie ne nous aura pas trop éloignées et que j’aurai l’occasion de voir cela, le moment venu. — Tu n’auras peut-être plus le temps pour le surf. Pour passer au Centre Nautique. Dommage, mais si c’est le cas, je croise les doigts pour que nous trouvions d’autres occasions pour se voir.

Les combines, version honnête ou les autres... Nina ne veut pas connaitre celles illégales. Et pourtant... Je vais donc éviter de lui parler de revente de drogues ou de prostitution, parce qu’il faut bien appeler un chat, un chat. Je les mets de côté et pour dire vrai, je ne pousserai qui que ce soit dans cette direction. — Si tu ne veux connaitre que celles légales, ton job au Foxglove te rapporte surement bien plus. Mais si tu as envies de faire des tournées de livraison en vélo pour des restos... c’est dehors par tout temps... Je secoue la tête. — Toi, tu as l’avantage d’être au chaud et de savoir exactement ton salaire en fin de mois. Même si Nina roule en vélo et a déjà l’entrainement pour ce type d’activité. — Après y’a tous les petits jobs-services. De garder les plantes vertes de machin qui part en vacances à poser nue pour des artistes. Je hausse les épaules. Dans ce domaine la liste peut-être longue et très variée. — Si tu as quelque chose qui se loue, c’est à voir. Sous-louer son appart, un piano, un smoking, une poussette... On peut être parfois surpris par ce que les gens ont besoin et n’ont pas. Tu peux louer ta voiture comme espace publicitaire... Je fronce les sourcils en repensant au vélo de Nina. — Un vélo... je sais pas, mais pourquoi pas. Je ne peux m’empêcher de sourire parce que j’image bien la scène, des cyclistes avec sur le porte-bagages une mascotte, un énorme poulet jaune avec une crête rouge vif, emblème d’une marque lambda... la campagne publicitaire démoniaque ! — Répondre à des sondages, y’en a qui sont rémunérés, faire partie d’un groupe de testeurs de produits. C’est des combines quand on n’a pas d’autres choix ou opportunités, ça ne vaut pas un vrai boulot. Je la regarde, j’hésite. — Après, y’a des trucs plus limites qui tournent autour de paris. Mais c’est risqué et je ne te garantis pas le côté légal de la chose. Non, je ne garantis pas du tout, j’irai même jusqu’à garantir le côté illégal de certains d’entre eux. — J’ai participé à une course de voitures, une fois... ou deux... vaut mieux pas poser de questions sur d’où sortent les véhicules. Je savais qu’elles étaient volées. Je ne l’ai pas fait à l’époque pour gagner le moindre argent, cela tenait du défi et de la montée d’adrénaline, mais l’ami qui m’avait entrainé là le faisait pour tout autre chose. Pas de questions, c’est la meilleure façon de ne pas avoir une réponse qui gène. — Mais bon, on en revient au point de départ, si tu parviens à t’organiser, ça reste ton travail au bar qui sera le plus intéressant.