i have some news ► noa

Un SMS de Nina. Je sais, notre rendez-vous. Je sais ! Je courre. Je crois que je ne fais que ça. Courir pour emboiter toutes mes activités les unes dans les autres. Je n’ai jamais été une adepte stricte de la ponctualité, mais depuis ces derniers jours, c’est le délire. Je suis en retard de façon chronique. Je ne prends pas le temps de lui répondre parce que ce serait en perdre. Je traverse la rue entre les voitures qui m’insultent à coup de klaxon. Je coure sur le trottoir zigzagant entre les piétons. Mille excuses pour mille bousculades. Le Starbucks en vue. J’entre, précipitation extrême. Je suis en retard. Je sais ! Je suis essoufflée. J’en ai presque la tête qui tourne. Je repère Nina et file droit à sa table. Je me laisse tomber sur la chaise en face d’elle avec un immense sourire. Je pose mon coude gauche sur la table et ma joue vient se loger dans le creux de ma main. Je regarde Nina comme un rayon de soleil qui percerait les nuages de la bourrasque. Je dois avoir l’air d’un épouvantail avec mes cheveux ébouriffés colorés en vert, ma veste que j’ai à moitié perdue dans ma course folle et qui ne tient que sur une épaule. Mais en franchissant la porte c’est au paradis que je suis entrée. Je soupire, énorme soupir et sourire radieux. Je suis assise devant Nina et tout va bien. — Ouais je sais, ils sont verts. Et je t'assure, quand tu voudrais que la teinture parte vite, tu peux être sûr qu'elle est tenace. Ouais, tout prend un air de "tout va bien" quand elle est là, même mes problèmes absurdes de couleur.

Une raison pour le vert ? Diable !!! — Euh... Oui. Un beau “oui” affirmatif et montrant ma volonté ferme de... Le temps d’une syllabe parce qu’après... Petite voix de gamine qui sait qu’elle a fait une grosse connerie. — J’en avais une excellente quand j’ai acheté la couleur et quand je l’ai utilisé. C’était même une raison parfaitement excellente. La raison du siècle... du millénaire. Oh que oui, et quelle raison ! — Etre un caméléon au milieu de la végétation. La putain de raison ! Caméléon, c’est cela oui... avec en même temps un chapeau jaune sur la tête et un pote avec une casquette Mario rouge, vous faisiez de parfaits caméléons ! Je ne m’étale pas sur l’épopée “labyrinthe”, Nina ne m’a jamais vu aligner dix conneries débiles dans la même soirée, relever tous les défis qui font fuir tout le monde. Et puis je suis SA prof, quelle crédibilité j’aurais après ? — Ça m’est venu comme ça cette idée. Les soldats, ils se mettent des coups de feutres sur la gueule pour passer inaperçu, alors la couleur... Je soupire en levant les yeux au ciel. — Euh... Et puis un regard plaintif vers Nina. — Je pensais pas que ce serait du vert persistant. Je pensais qu’à coup de quatre lavages par jour, au bout d’une semaine... J’hausse les épaules. — J’aurais dû mieux lire la notice. Ne me dites pas qu’à la table d’à côté ils se marrent à cause de moi, ni qu’à l’autre plus loin, ils n’arrêtent pas de se retourner pour vérifier qu’ils ont bien vu et pouffent de rire pour la même chose. Non, ça peut pas être ça, c’est parce que derrière moi George Clooney et Jean Dujardin rivalisent de “What else!” — Et toi comment tu vas ? Je souris de toutes mes dents. — T’as l’air d’être en forme. L'art et la manière de changer de sujet !

Je me contente d’un vague “Bah !” et de secouer la tête pour dire non quand Nina suggère que je me suis teint les cheveux alors que j’étais sous l’effet de l’alcool. Il y a huit mois de là, ça n’aurait fait aucun doute. Les fêtes, les paris stupides, l’alcool, le sexe, c’était mon lot quotidien. Aujourd’hui, le rouleau compresseur de mon enlèvement à changer ma manière de vivre. C’est devenu un presque désert... L’auréole de sainte n’est pas loin, presque pas loin, encore une centaine de kilomètres, mais elle n’est plus aux antipodes en tout cas. Ouais, bof, ce n’est pas ce que je recherche. Cent ou mille bornes, je m’en fous. Peut-être que je lui raconterais mon épopée labyrinthe un jour, mais pas maintenant. Passage par la case coiffeur ? Et bien je ne sais pas trop si ça me gonfle que les gens se retournent sur mon passage ou si ça m’amuse. Disons que là, à cet instant, ça me gonfle, parce que le tête à tête avec Nina, je le voudrais uniquement entre nous et pas être le point de mire de toute la salle.

L’annonce du voyage de Nina me fait presque m'étalée sur la table avec un immense «Wouaouh !» — C’est génial. Mais c’est hyper loin. Tu as traversé la moitié du globe. Je ne suis jamais partie moi d’ici. Poufff ! Ça fait rêver. Je dois avoir les yeux qui pétillent d’émerveillement. — Tu as pris l’avion ! Réflexion débile profonde ! Le voyage en bateau doit durer des siècles. — Je n’arrive pas à m’imaginer ce que ça doit faire de prendre l’avion. Ce doit être... J’éclate de rire. — S’envoyer en l’air et pas retomber avant des heures. Combien ? Il faut combien de temps pour faire ce voyage ? Et le décalage horaire ? Raconte-moi, je veux tout savoir, l’avion, l’hôtel, le pays, les paysages, tu as des photos ? Je me rassoies correctement, même si je garde la bouche ouverte prête à dire autre chose. Je fronce légèrement les sourcils en la regardant. — Seule ou accompagnée ?

Premier voyage de Nina ! L’écouter est comme faire moi-même ce premier voyage, mon tout premier. Si elle a eu peur, j’aurais peur. C’est amusant, ce n’est pas la première fois que j’entends parler quelqu’un de voyage, mais la sensation n’est pas la même. Il y a une proximité que je découvre encore. Après les absences de nos pères, le baptême de l’air. Nous avons partagé quelques moments, elle et moi, liés à ma galère. Etrange, oui, j’ai l’impression, attablée en face d’elle, que j'en suis plus proche que je ne le suis de Reagan. Nous n’avons pas encore tout reconstruit de notre amitié, alors qu’avec Nina, c’est neuf et sans ombre. L'info est tombée. Il y avait un compagnon d’épopée ! Sourire espiègle. Je pose un doigt sur mes lèvres, les yeux au plafond, en pleine réflexion... Finn... Nina n’a jamais donné de noms de ses proches et moins proches. — Inconnu au bataillon. Sa remarque sur mon nombre de questions à la seconde pour son voyage a fait un grand flop. J’embraye au même rythme sur l’homme mystérieux du voyage au Pays de Galle. — Grand ? Brun ? Beau ? Charmant ? Attentionné ? Efficace ? Sexy ? Gentil ? Quel âge  ? Entre vous c’est... sérieux ? Je n’ose pas demander s’il s’agissait d’un voyage de fiançailles. De la pure amitié, ce serait dommage s'il est mignon, mais bon... C’est aussi intéressant de savoir si un bel étalon se ballade dans la nature sans licol. Enfin non, pas vraiment, je ne chasse plus depuis... — Tu n’es pas obligée de me dire. Ta vie privée, c’est privée comme son nom l'indique. Je respecte. Je ne chasse plus, assagie par retour de bâton, traumatisme dirait-on dans un langage plus médical. Encore plus étrangement, j’ai fait une rencontre qui semble durer, alors que ni lui ni moi sommes sur cette ligne de vie qui s'imagine devoir accoupler les gens pour un laps de temps plus ou moins long. Sans attache tous les deux, n'attendant rien de l’autre. Les rapports humains sont tellement étranges. — Mais si tu veux me dire, je t’écouterai sagement. Ben oui, je suis quand même curieuse, mais je n'obligerai pas.

Savoir sans savoir, c’est exactement ça. Je ne peux m’empêcher de rire à la perspicacité de Nina. Une description verbale c’est toujours sujet à caution. Je le sais pertinamment, j’ai eu à décrire mes agresseurs et les portraits-robots qui en sont sortis, je les trouve plus que douteux. A peine ressemblant et on était deux, le dessinateur habitué à cet exercice et moi, avec mes souvenirs imbibés par l’angoisse de leur donner un vrai visage, un de ceux qu’on croise dans la rue, à la supérette, à la salle de muscu, dans les couloirs de la fac. Heureusement, Nina joint l’image aux mots. Ça a l’avantage d’être limpide. — Bien ! Vous formez un joli couple. Ouais, pas mal, mais pas mieux que... mieux que... Oh ! Je ne vais quand même pas me mettre à comparer avec... avec... Coup de balai, on revient aux choses sérieuses. — Pas d’étiquette sur une relation, c’est parfait, j’approuve à cent pour cent. Je butte sur le mot mariage ! Suffoquant presque devant ce cadre socialement trop établi et pesant après l’évasive envie qu’elle vient de me révéler. Un retour au système ancestral. Si peu qu’il soit un peu fier d’être le mâle, un poil dominateur et adieu ses rêves d’université et de métier qui l’amènera à bouger. Ouf ! Soupir. Une blague ! — Ah oui parce que passer d’une relation qu’on ne qualifie pas à un mariage, c’est violent. Tu m’as fait peur ! J’éclate de rire. Ils sont mignons tous les deux avec des petits délires. — J’ai l’impression que ça accroche bien entre vous. Tant mieux. Je suis contente pour toi. Si tu gardes ton indépendance pour aller au bout des rêves dont tu m’avais parlé et s’il te soutient, ce sera parfait. Parce qu’un couple ne doit pas se contruire au détriment de l’un des deux. C’est pour ça que ce shéma je le fuis. Pas envie de m’engluer dans une relation. Mais je respecte quand quelqu’un me parle de ce projet. C’est juste que je suis incapable de me projetter dans un tel avenir, après... c’est peut-être que je n’ai pas trouvé la personne. On reproduit aussi, la plupart du temps la manière dont on a grandi. Il n’y avait pas de père dans mon histoire et donc pas de mari. Ouais, toute façon même avec un père, il n'y aurait pas eu "un" mari. — Peut-être que tu me le présenteras un de ces jours.

L'humour de Nina m'a pris de cours. Non que j'en manque, mais là s'était énorme. Effet dramatique avec son histoire de mariage, pour sûr ! Un coup à faire mourir de peur un cardiaque. La relation Nina et Finn au beau fixe me donne le sourire et me fait vraiment plaisir. Des ondes positives c'est absolument ce qu'il faut à tout le monde pour mieux vivre et les partager entre amis c'est génial. — Journée plage c'est parfait. Il surfe ton ami ? Sinon tu vas lui apprendre et c'est la meilleure façon d'intégrer soi-même la technique, de l'enseigner à quelqu'un d'autre. Bon, après, Nina sur une planche de surf c'est Nina sur une planche de surf, c'est pas Liv ! Sourire. De toute façon une journée plage, c'est l'idéal pour se ressourcer. Le sable, le soleil, l'océan et des amis. On ne peut pas trouver mieux. La précision de Nina "Faudra que tu sois là" me fait rire puis me laisse pensive. — Ah oui ! Pour me le présenter, ce sera effectivement mieux si je suis présente, autrement ça ne marchera pas. Mais... faudra bien caler le jour et l'heure, parce que de mon côté, y'a du changement sur le plan des activités et surtout de mon temps libre... Je m'arrête dans ma phrase. Mon temps libre. Ma pause. Boire, manger. Si ce n'est pas maintenant, je n'aurais comme seule option une barre chocolaté ou un paquet chips au distributeur automatique... ou rien ! Mon p'tit déj remonte aux aurores.  — On se prend un truc ? Je me tourne en même temps pour vérifier la longueur de la file d'attente. — C'est jouable maintenant. Faut prendre des forces pour la super nouvelle que j'ai à t'apprendre. Je me lève sans plus attendre mais sans filer direct au comptoir pour commander. — Tu n'imagineras pas l'emploi du temps de ministre que j'ai, pour caler ce prochain rendez-vous à la plage pour les présentations du charmeur nommé Finn, si... Si je ne te dis pas que j'ai trouvé un boulot. Le truc inimaginable.

C’est vraiment le bon moment pour faire le plein. La file se remplit derrière nous de manière impressionnante. C’est l’instant chance de la journée. Nous revenons à la table rapidement. J’ai de quoi tenir le coup pour mon après-midi. On verra, cela dépendra de l’énergie que je vais dépenser. Nina ne revient pas non plus les mains vides. Elle veux que je lui explique l’événement qui vient d’arriver dans ma vie. Notre rencontre avait pour but de le faire. Autant de prendre de ses nouvelles que lui donner les miennes. Entre une bouchée et une gorgée, je vais lui expliquer comment les choses ont basculées. — J’ai envoyé des CV partout pour trouver un job. Je n’étais pas plus convaincue que cela. Il y a du monde qui cherche, alors pourquoi moi plutôt que quelqu’un d’autre. J’en ai vraiment envoyé une quantité impressionnante. Envoyé et porté directement à certaines entreprises. Une semaine à temps plein pour ce marathon professionnel ! — Et tu ne devineras jamais... J’ai eu une réponse positive. Ben non, elle sait, je lui ai dit juste avant qu’on soit partie nous approvisionner. Mes effet de suspens sont lamentables à côté des siens ! — Je m’étais dit que peut-être à l’accueil quelque part, une expo ou un salon. Au mieux un remplacement... Je fais une légère moue en pleine réflexion. — Ouais c’en est un. Congé maternité. Mais c’est un boulot. C’est l’essentiel. Assistante du directeur de production de la chaîne Prim TV. Je souris. Le titre est joli. La réalité plus contraignante. — Entre ça... qui a des horaires parfois un peu élastique... les week-end où j’ai calé mes cours de surf... Je soupire parce qu’avec tout ça les loisirs en ont pris un coup. — Donc voilà, mon premier vrai boulot !