[loterie] girls in their summer clothes → lily

Une femme se doit de connaître ses couleurs parait-il. A les entendre, ça a l’air simple… sauf que ce ne l’est pas tant que ça aux yeux de Cleo. Pour être honnête, la rouquine est plutôt du genre à se moquer de ce genre de dictons ; selon elle, une femme se doit surtout de porter ce qu’elle veut sans jamais se soucier du regard des autres. Et c’est précisément ce qu’elle avait fait durant environ une vingtaine d’années. Généralement, elle se contentait de jeans, de t-shirts et de sweatshirts, que des vêtements pratiques au final. Mais cette fois, elle avait envie de changer un peu, d’autant que maintenant, elle pouvait se le permettre depuis qu’elle avait hérité. Le hic, c’était donc qu’elle avait du mal à déterminer quelle couleur lui convenait. Effectivement, avec sa peau laiteuse et sa chevelure rousse, tout ne lui allait pas comme l’orange. A son grand regret car toutes les pièces qui avaient attiré son attention jusqu’ici étaient de cette couleur. L’écossaise tâcha désespérément de s’en sortir seule avant d’affronter la dure réalité en face : elle faisait une bien piètre fashionista. Il lui fallut ravaler son orgueil avant de se diriger vers une vendeuse qui se trouvait là parce qu’après tout, son métier c’était aussi de conseiller ses acheteuses ?

« Excusez-moi mademoiselle, ça serait pour un avis… »

Cleo n’eut même pas le temps de terminer sa phrase que la vendeuse en question la rabrouait, prétextant qu’elle avait « autre chose à faire »… ah mais si c’était comme ça, elle aussi aurait autre chose à faire, comme aller voir ailleurs par exemple !
La rouquine fulminait de s’être fait rembarrer de la sorte et était à deux doigts de jeter les diverses pièces suspendues à son bras sur le sol avant de sortir à tout allure quand elle songea que cette pauvre fille n’était sûrement pas seule à travailler là ce jour-là et qu’à tous les coups, elle trouverait le moyen de refiler la tâche du rangement à l’une de ses collègues qui n’avait strictement rien fait pour mériter ça. Elle entreprit alors de ranger elle-même les vêtements un à un, là où elle les avait trouvés mais rageusement et ne cessant pas de râler pour autant et à voix haute, même.

« Non mais, pour qui elle se prend celle-là ?? On croit rêver… Et après, elle viendra se plaindre qu’on aille voir ailleurs ou bien qu’on se plaigne du petit personnel, c'est scan-da-leux… »

Cleo ne parvenait toujours pas à croire qu’on l’avait envoyée bouler de la sorte mais qu’elle était quand même en train de ranger les vêtements qu’elle avait pris sur les portants lorsqu’une voix la sortit de ses pensées. La rouquine releva la tête pour apercevoir une jolie blonde qui lui parlait chiffons avec un grand sourire. C’était fou quand même, les gens payés pour ça ne voulait pas lui donner de conseils mais une autre acheteuse croisée au hasard s’en chargeait. Et avec talent de surcroit. Enfin, elle l’espérait mais à voir la façon dont la jeune fille était elle-même vêtue, Cleo pouvait dire qu’elle avait du goût. Elle s’empressa de lui retourner son sourire alors que la demoiselle s’excusait de la déranger, lui expliquant qu’elle avait vu la façon dont la vendeuse venait de la rabrouer et qu’elle était toute prête à l’aider. Comme à chaque fois, l’écossaise ne put s’empêcher d’être agréablement surprise par l’amabilité de certaines personnes.

« Oh, vous ne me dérangez absolument pas. Au contraire, j’allais tout laisser tomber et tourner les talons, donc on peut dire que vos conseils arrivent pile au bon moment. »

La rouquine s’approcha un peu afin de mieux examiner la veste que l’adorable jeune fille lui montrait. Une superbe pièce, il fallait bien l’admettre et si elle disait que le rouge sombre serait canon sur elle alors pourquoi ne pas l’écouter ?

« Du jaune, du vert foncé et du bordeaux, vous dites ? »

En répétant chaque couleur, Cleo essayait de les mémoriser. Ce n’était pas faux, il lui était déjà arrivé de porter du jaune et elle trouvait que ça ne lui allait pas mal. Après, il y avait toujours les couleurs qui vont à toutes les rousses, comme le violet et le vert, elle ne prendrait pas trop de risques avec ces couleurs. Elle s’empara de la fameuse veste, se disant que le mieux serait encore de la passer. Mais elle n’était clairement l’une de ces fans de shopping que l’on voit dans les films et qui adorent faire des dizaines d’aller-retour dans un magasin pour essayer environ la moitié de ce qui s’y trouve alors elle fit gentiment signe à la blondinette de la suivre. Elle se saisit d’une robe bain de soleil rose un peu fané. Une couleur non-flashy selon elle mais le rose restait une couleur risquée.

« Que pensez-vous de cette robe ? »

Puis elle se souvint que la jeune fille n’était pas payée pour ça et qu’elle avait peut-être d’autres choses à faire, comme son propre shopping par exemple.

« Au fait, n’hésitez surtout pas à me le dire si vous n’avez pas l’après-midi devant vous parce que j’ai tendance à me montrer assez indécise lorsqu’il est question de vêtements et je finis toujours par retourner à mes vieux jeans. »

Ça la fit rire mais ça ne fit probablement rire qu’elle.

La première fois ? Si Cleo devait compter le nombre de fois où elle s’était fait refouler de la sorte par une vendeuse - pas spécialement de vêtements et pas que des vendeuses non plus, tout bien réfléchi -, elle n’aurait jamais assez de ses dix doigts. Mais elle ne comprenait pas qu’on puisse se comporter ainsi. Les vendeurs sont censés être aimables, le but étant que les clients aient envie de revenir et pas d’aller voir ailleurs et leur devise était « le client est roi » normalement mais il faut croire que tout ça n’était plus à l’ordre du jour malheureusement… quoi qu’il en soit, c’était d’autant plus gentil de la part de la blondinette de se dévouer à cause. En parlant de ça, la jeune femme entendait rien qu’à son accent que la blondinette n’était pas originaire du pays des Hobbits mais bien d’Angleterre. Cleo avait passé dix ans en Écosse mais elle n’aurait su dire si les vendeuses là-bas étaient plus aimables qu’ici. Encore que ça l’étonnerait beaucoup puisque les écossais sont réputés dans le monde entier pour ne pas avoir bon caractère, mais peut-être était-ce différent en ce qui concernait l’Angleterre.

La jeune fille parlait et elle se concentrait pour que tout rentre bien dans sa petite caboche. Que ça ne détonne pas avec la couleur de ses cheveux, oui, ça prenait tout son sens. Être rousse n’était pas une malédiction, selon Cleo. Pourtant, elle en avait entendu de belle, surtout lorsqu’elle était plus jeune. On dit qu’ils n’ont pas d’âme, qu’ils ne sentent pas bon et toutes ces balivernes dont elle s’était toujours moquée puisque personne n’avait jamais trouvé à redire à son odeur et quant à son âme… hé bien il y avait toujours eu débat là-dessus de toute façon. Non, la vérité c’est qu’elle aimait bien sa rousseur et que les taches qui vont avec et elle s’en serait parfaitement accommodée si elle n’avait pas été aussi blanche qu’un cachet d’aspirine. C’était surtout ça le problème si vous vouliez son avis ; pour peu qu’on s’approche un peu et l’on pouvait voir toutes les veines sous sa peau translucide, si par malheur elle restait un peu trop au soleil, elle brûlait et puis si elle portait des couleurs un peu trop criardes, c’était comme si elle revenait tout droit du carnaval de Rio. De quoi faire un complexe. Mais ça faisait maintenant trente ans qu’elle vivait avec cette même peau et ne pouvait malheureusement pas en changer donc il fallait s’adapter.

Selon la jolie blonde, la robe qu’elle lui montrait lui irait mais elle était du même avis : pour s’en assurer, mieux valait la passer. Puis elle enchaîna sur le fait qu’elle avait toute la journée devant elle et qu’elle était visiblement prête à tout pour ne pas avoir à faire les boutiques seule. Étrange, une jeune fille charmante comme elle. Mais ça devait venir du fait qu’elle ne devait pas être à Island Bay depuis longtemps, un autre point commun. Puis la demoiselle se présenta et lui fit remarquer qu’elle avait l’accent écossais. Le visage de Cleo s’illumina, toute fière qu’elle était que l’on devine si facilement ses racines.

« Oui c’est juste ! J’ai eu beau passer la majeure partie de ma vie en Australie, j’ai toujours gardé cet accent. Et toi, oh on peut se tutoyer si ça ne t’ennuie pas ? Tu viens d’Angleterre, c’est ça ? Moi c’est Cleo. »

Elle en avait presque oublié de se présenter tellement ça lui faisait plaisir de parler de l’Angleterre et de l’Écosse. Elle se dirigea ensuite vers les cabines d’essayage et fit signe à Lily de passer la première.

« Ça fait longtemps que tu as quitté le pays ? »

Si en se levant ce matin, on avait dit à Cleo qu’elle se ferait une copine en faisant les boutiques, elle n’y aurait pas cru. Ou bien alors elle aurait tout de suite pensé à la vendeuse. En plus, ça doit être cool de pouvoir compter une vendeuse de fringues parmi ses amis, surtout si elle peut vous faire profiter de ses réductions. Mais cette vendeuse-ci ne méritait clairement pas son amitié, réduction ou pas. C’est qu’en dehors des heures festives – c’est-à-dire les heures où elle peut sortir et non celles qui précèdent les fêtes du calendrier sinon ça serait grave rare -, la rouquine n’est peut-être pas la personne la plus sociable qui soit tout simplement parce qu’il faut être dans de bonnes dispositions pour cela, selon elle. Mais il s’avère que, si dans ces moments-là, elle ne va que très rarement spontanément vers les gens, la réciproque est souvent fausse. Comme c’était présentement le cas avec Lily. Lily qui n’avait quitté leur joli pays pluvieux que depuis le mois d’août. Quelle chance, Cleo aurait aimé pouvoir en dire autant, elle qui avait tant le mal du pays par moment.

« Ça fait quelque chose comme vingt ans de mon côté. J’ai passé la majeure partie de ma vie à Canberra alors je suis bien contente de ne pas avoir attrapé leur accent pendant ce temps-là. »

Ça la fit rire, elle parlait toujours de l’accent australien comme d’une maladie alors que bon, en restant objectif, l’accent écossais n’est pas vraiment mieux. La jeune fille sortit alors de la cabine avec cette robe qui semblait avoir été faite pour elle, s’admira dans le miroir et jugea qu’avec un bord, ça ferait l’affaire. Tiens, si ça se trouve, elle avait des talents de couturière en plus du reste. Ça devait être super pratique et Cleo envisagerait peut-être de lui demander quelques leçons à ce sujet. Etre grande comme elle l’était c’est bien mais parfois, c’est un peu la galère aussi.

« Elle te va comme un gant. » commenta-t-elle alors que la blondinette filait déjà en cabine.

Ensuite, elles purent échanger leur place et l’écossaise fut sans doute bien moins rapide que la jolie blonde et pour cause, elle détestait ça, essayer des vêtements alors elle ne le faisait que lorsqu’il le fallait vraiment. S’éleva alors la voix de Lily, passant à travers l’épais rideau de la cabine d’essayage pour lui demander ce qu’elle faisait dans la vie. Sujet toujours un peu délicat. Oh, elle était très fière de bosser dans le cinéma, c’était certain, juste pas dans sa branche actuelle et puis elle marchait toujours un peu sur des œufs avec les jeunes, ce qui était un peu ridicule tout de même étant donné qu’elle-même avait commencé dans le milieu à quinze ans seulement.

« Hum… je suis perchiste. Tu vois, je prends le son pour certains films. »

Elle se sentait toujours obligée de détailler pour ne pas qu’on la prenne pour une athlète – ce qu’elle n’était pas du tout et elle était certaine que ça se voyait – mais une question suivait habituellement ce genre de détails, toujours la même : « oh, et t’as travaillé sur des films connus ? » , la réponse à cette question était aussi invariablement la même : « ça dépend. ». Ça dépendait de son interlocuteur et ça créait parfois – souvent – une sorte de malaise. Bref, Cleo préféra enchaîner directement.

« Et toi ? Toujours à l’école ? C’est pour ça que tu es partie de Londres ? »

Elle avait bien conscience d’être un brin indiscrète mais mieux valait ne pas s’attarder sur ses films.

Dur à comprendre, l’accent australien, c’était un euphémisme, Cleo avait mis un temps fou avant de s’y faire et pourtant, elle n’avait de dix ans lorsqu’elle était arrivée à Canberra, un âge où on s’adapte plus facilement à tout, paraissait-il. Et comme le souligna Lily, ce n’était vraiment mieux en ce qui concernait les néo-zélandais mais elle avait désormais l’habitude de ne pas les entendre articuler et parvenait donc mieux à les décoder. Mais surtout, elle n’arrêtait pas de croiser des anglais depuis qu’elle était arrivée à Wellington. A croire que toute la Grande-Bretagne en avait eu marre de toute cette flotte et avait décidé d’un commun accord de déménager pour mettre le cap sur un endroit ensoleillé.

« Oui c’est pas faux. Mais est-ce que toi aussi tu n’arrêtes pas de croiser des gens du pays ? Moi oui et je trouve ça assez fou comme coïncidence. »

Pendant que la rouquine galérait avec ses vêtements – ce n’était pas tant par manque d’habitude parce qu’après tout et comme tout le monde, elle se changeait plusieurs fois par jour, pas besoin d’être au magasin pour ça, mais surtout par manque de place, toujours aussi rikiki ces cabines d’essayage -, la blondinette faisant le pied de grue devant le rideau commentait que ça devait être sympa comme métier, perchiste. Oh oui, sûrement, en théorie, ça devait l’être mais d’expérience, Cleo pouvait dire que c’était assez ingrat. Et pas que dans le milieu du porno.

« Si on veut. Il faut avoir les bras de The Rock et pas avoir peur de courir dans tous les sens pour finalement très peu de reconnaissance mais en dehors de ça, oui, c’est cool. »

Elle qui disait toujours qu’elle n’avait rien d’une athlète, non c’est sûr, elle ne faisait pas de sport. En dehors du travail, tout du moins. Et elle n’en donnait pas l’air comme ça mais elle aimait bien ce job. Bon, elle l’aimerait sûrement encore davantage le jour où elle ne serait plus dans l’industrie pornographique mais bon, en attendant, il fallait bien s’en contenter.
Bref, ça y est, elle en avait fini de se débattre avec ces bouts de tissu et pouvait enfin sortir au moment où Lily lui racontait qu’elle faisait des études de médecine.

« Non, sérieux ? Wow, tes futurs patients en auront de la chance ! »

Parce que de prime abord, en voyant la jolie blonde, l’écossaise n’aurait jamais cru qu’elle se destinait à une carrière de médecin, elle aurait plutôt penché pour le mannequinat. Comme quoi, on ne peut s’empêcher de mettre les gens dans des cases. Soit, la rouquine s’inspecta dans la glace et n’aurait su dire si ça lui allait ou pas. Comme toujours, aussi se tourna-t-elle vers Lily pour avoir son avis. Si quelqu’un pouvait comprendre qu’il est impossible de planifier sa vie de A à Z et que parfois les choses changent, c’était bien Cleo. Après tout, elle non plus n’avait clairement pas prévu de quitter l’Ecosse mais personne ne lui avait demandé son avis à la mort de ses parents et elle avait très docilement suivi celle qui était à présent sa mère adoptive. Les choses étaient sans doute différentes pour la jeune fille, mais Cleo pouvait tout à fait se mettre à sa place. Du moins le pensait-elle.

« Ah ouais, je comprends. L’essentiel c’est que tu t’amuses quand même ici et que tu ne regrettes pas trop d’être partie. »

Oui, elles pouvaient dire en effet qu’elles étaient compatriotes. D’ailleurs, c’est ce que Cleo sous-entendait quand elle parlait du pays. Parce que sinon, on ne pouvait pas vraiment dire qu’elle avait croisé beaucoup d’écossais. Aucun, même, si sa mémoire ne lui jouait pas des tours, mais des anglais, à foison. Elle était également tout à fait d’accord sur le fait que des métiers où il n’y a pas de reconnaissance, il y en a plein. C’est en partie pour ça que les gens bossent parce qu’il le faut bien et pas parce qu’ils aiment ça, elle en était certaine. Mais ça la déprimait rien que d’y penser alors autant ne pas en parler. De plus, Lily venait de lui donner confirmation pour la robe et la veste qu’elle était finalement parvenue à passer. Apparemment, elle était canon dedans. Ça faisait toujours bizarre à entendre parce que les gens qu’elle fréquentait en général n’était pas vraiment du genre à faire des compliments. Les filles la toisaient toujours de haut en bas comme si elles étaient mieux qu’elle – ce dont elle ne doutait pas, soit dit en passant – et les mecs la reluquaient avant de lui demander inévitablement si elle ne voulait pas plutôt manier leur perche à eux. Bref, tout ça pour dire que ça faisait bizarre et plaisir et qu’elle gratifia la blondinette d’un sourire radieux en hochant la tête. Bien sûr qu’elle allait les prendre.

Et puis la conversation s’orienta vers un sujet improbable. Enfin, improbable seulement pour Cleo ; ça n’avait rien d’étrange de demander à quelqu’un dont l’on faisait la connaissance s’il avait une personne dans sa vie, bien sûr. Il n’empêche que l’écossaise fut un peu prise au dépourvu et qu’il lui fallut quelques secondes avant de répondre :

« Oh oui, il y a Seth. »

Comme si Lily était censée savoir que c’était son mari mais ce qu’elle pouvait être stupide, des fois ! Il était évident que la jeune femme n’était pas là pour mener l’enquête et s’assurer que Seth et elle étaient un véritable couple et qu’ils n’avaient pas fait tout ça uniquement dans le but de toucher son héritage. La rouquine se ressaisit aussitôt et expliqua tout à fait normalement, préférant voir cette conversation comme un entraînement, finalement :

« C’est mon mari, on est ensemble depuis quatre mois. »

Première bourde et Cleo le savait : elle n’aurait pas dû dire ensemble mais mariés depuis quatre mois. Être ensemble depuis quatre mois et déjà mariés, ça donnait forcément une impression d’empressement. Alors oui, il y aurait toujours des romantiques pour croire qu’entre Seth et elle, ç’avait été directement le coup de foudre et qu’ils s’aimaient si passionnément qu’ils avaient eu envie d’officialiser ça tout de suite puis il y en avait d’autres pour comprendre qu’il y avait anguille sous roche. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle n’était pas encore tout à fait au moins mais elle était convaincue que Lily n’y verrait que du feu, de plus, elle la soupçonnait d’être bien trop polie pour lui poser la question dans le cas contraire et c’était bien là l’essentiel.

« Il est ouvrier en bâtiment et des fois, quand il porte son casque, il ressemble à un Village People. Mais en moins gay, évidemment. »

Houlà, Cleo ne savait pas du tout où elle allait avec ça. Certes, ça la faisait rire, elle, mais elle se demandait si Lily savait ce que c’était qu’un Village People, c’est pas vraiment le genre de groupe qui a très bien vieilli et que les jeunes de nos jours s’amusent encore à écouter mais bon, on ne sait jamais. Bref.

« Et toi alors ? Jolie comme tu es, je suis sûre que tu fais tourner toutes les têtes ! »

Des jeunes mariés, oui. Pas au sens où on l’entendait traditionnellement mais des jeunes mariés tout de même. En effet, Seth et elle n’avaient pas eu un mariage classique – pour les riches - avec des cygnes, une pièce montée qui touche presque le plafond, la robe blanche qui vous fait ressembler à une sorte de grosse meringue ou un smoking. Il n’y avait même pas eu un seul invité à leur mariage et encore moins de cérémonie. A quoi bon ? Ils avaient fait connaissance seulement la veille. Ou quelque chose comme deux semaines avant. Oh, elle ne le regrettait pas un seul instant. On ne pouvait pas vraiment dire que Cleo était du genre romantique, loin de là, même et elle n’avait jamais idéalisé son mariage comme bien d’autres femmes. Pour être tout à fait honnête, se marier n’avait fait partie de ses plans d’avenir que très récemment. Mais ça lui convenait et ce qui lui convenait encore mieux, c’était que personne ne semblait de douter de leur union, l’avantage d’avoir déménagé dans une ville, même un pays où l’on ne connait personne. Ceci dit, c’est avec joie ainsi qu’un grand sourire qu’elle accepta les félicitations de la blondinette.

« Merci. »

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils n’en avaient pas eu beaucoup des félicitations alors que, intéressé ou non, ça restait quand même une sacrée étape dans une vie. Un cap à franchir.
Par chance, il s’avéra que Lily connaissait les Village People. Et qu’elle avait plutôt pas mal cerné l’écossaise aussi. Accueillir Seth d’un YMCA avec les bras lorsqu’il leur arrivait de se croiser quand l’un rentrait du travail tandis que l’autre y partait Cleo l’avait fait et plus d’une fois. Aussi se mit-elle à rire à son tour tout en hochant la tête.

« C’est vrai que j’adore le taquiner avec ça. »

Lorsque la question lui fut retournée, la demoiselle répondit avec ce qui lui semblait être un soupçon d’hésitation dans la voix qu’elle était célibataire et qu’elle n’avait pas encore trouvé l’homme idéal ici, en Nouvelle-Zélande. Puis elle enchaîna en disant qu’elle avait le temps. La rouquine ne pouvait être on ne peut plus d’accord là-dessus. Quel âge pouvait-elle avoir ? La vingtaine à tout casser et ça serait quand même carrément dommage qu’elle cherche à se caser à tout prix si jeune. Un peu comme ces filles dans Teen Mom qui pensent être avec le bon, tombe enceinte et puis finalement c’est pas le bon ou bien il meurt et elles passent alors de mec en mec en croisant les doigts pour que ça accroche bien avec les enfants. Pathétique. Mais c’était tout ce qui passait d’un tant soit peu divertissant à la télé l’après-midi.

« Oh, t’en fais donc pas pour ça. Et tu sais ce qu’on dit, c’est quand on cherche le moins qu’on finit par trouver. »

Oui enfin ça, c’était l’adage mais de là à dire que Cleo y croyait… elle n’était même pas sûre que « le bon » existait réellement. Elle voulait y croire, bien sûr, mais à force de côtoyer des nuls, ses espoirs s’étaient considérablement amincis. C’était le cas jusqu’à ce qu’elle emménage avec Seth, en tout cas, il parvenait bizarrement à la faire changer d’avis sur les hommes en général petit à petit. Bref, il était sans doute temps qu’elle retourne en cabine pour se changer. Ce qu’elle fit puis elle s’enquit auprès de Lily :

« Il n’y a rien d’autre qui te tente dans la boutique ? Je sais pas comment tu es venue mais je peux te déposer là où tu dois aller ensuite si tu veux. »

C’était la première fois que Cleo s’amusait bien en faisant du shopping alors c’était la moindre des choses, elles pouvaient même échanger leur numéro de téléphone, au cas où.

Le taxi quand on est étudiant, ça coûte une blinde. Enfin, Cleo le supposait car elle n’était pas restée étudiante longtemps mais elle avait été stagiaire – ce qui est sans doute pire – puis elle avait enchaîné les petits contrats pour subvenir à ses besoins et elle pouvait dire qu’à cette époque-là, il aurait fallu qu’elle vende un de ses reins au marché noir avant de pouvoir faire un aller-retour en taxi. Sa proposition semblait donc tomber à point. Les deux jeunes femmes se dirigèrent alors vers la caisse tandis que Lily lui confiait dépenser une fortune en transports en commun. C’est vrai que même le bus n’était plus rentable et puis l’enfer du bus, quoi, qui a envie de passer une heure collé à des inconnus aux heures de pointe dans une atmosphère irrespirable ? Elle qui avait horreur qu’on empiète sur son espace personnel, elle était bien contente de ne plus avoir à en dépendre. D’autant qu’avec ses horaires décalés, c’était vite devenu ingérable alors elle avait laissé tomber et s’était mise à pédaler. Chose qu’elle n’aurait probablement jamais faite si elle vivait toujours à Inverness, à cause du temps. Mais ça n’avait pas duré longtemps de toute façon puisqu’un type rencontré sur un tournage lui avait appris très tôt à conduire. Sur circuit.

« Oh tu verras, c’est bien utile. Je dis pas que le carburant et les assurances sont donnés mais au moins t’as pas de contraintes, tu vas où tu veux, tu rentres à l’heure que tu veux, t’écoutes la station de radio que tu veux. Bref, un petit sentiment de liberté, quoi. »

En tout cas, c’était comme ça qu’elle voyait les choses mais il lui était également arrivé de rencontrer des gens qui ne détestaient rien plus que de conduire. La seule réponse qu’elle trouvait à cela c’est qu’il en faut pour tous les goûts. Lily la remercia alors. Chose incroyable parce que s’il y en avait bien une qui devait remercier l’autre, c’était Cleo. C’était elle qui avait bénéficié des conseils d’une jeune demoiselle visiblement très branchée. Elle alla même jusqu’à lui proposer de recommencer un de ces quatre. Le visage de la rouquine s’illumina aussitôt.

« Avec plaisir ! Comme tu as pu le remarquer, je suis une vraie quiche lorsqu’il est question de savoir ce qui me va et d’associer des couleurs ensemble alors la plupart du temps, je reste en jean. Les conseils d’une amie éclairée sont toujours les bienvenus. »

Tant qu’elles étaient à la caisse, Cleo demanda à la vendeuse désagréable – qui soupira - si elle ne voulait pas lui donner un stylo et un bout de papier sur lequel elle nota son numéro de téléphone avant de le tendre à la blondinette.

« T’appelles quand tu veux. »

Après quoi elle régla ce qu’elle devait – ça faisait toujours aussi bizarre de ne plus avoir à compter au centime près -, laissa le temps à Lily d’en faire de même et puis direction le parking où elle avait laissé son épave. Épave oui, mais elle fonctionnait toujours pas mal. Cleo s’assura que sa passagère avait bien bouclé sa ceinture – ce qu’elle-même ne prit pas la peine de faire – et lui demanda ensuite de jouer les co-pilotes histoire de l’amener à bon port.