the first time we meet - Nahele

Même s’il était passé à autre chose, Nahele se souvenait de son union avec Sofia comme si c’était hier. Ensemble, ils avaient longuement préparé ce jour-là, jurant qu’il serait le plus beau de leur vie. La jeune femme avait choisi tout ce qui relevait de sa tenue : coiffure, maquillage, robe ; elle avait choisi chaque détail pour se sentir en possession de tous ses moyens. Nahe, lui, avait choisi son costume avec son frère et son meilleur ami. Il n’avait pas longtemps hésité en ce qui concernait sa coiffure et sa barbe : tout avait été rasé au millimètre près. En revanche, tout ce qui relevait de l’organisation avait fait l’objet de nombreuses discussions et concertations. Ils avaient opté pour des fleurs blanches avec quelques nuances de rose et de mauve et pour une décoration sobre, mais élégante. Leur mariage avait été une réussite : il avait fait beau, le repas avait été plébiscité par les invités et la fête avait duré pendant une bonne partie de la nuit. Mais comme l’amorçait le dicton, Nahe aurait peut-être préféré de la pluie pour la suite soit tout aussi réussie.

La remarque de la jeune femme sur ses amies le fit sourire. Au moins, elle n’était pas de ceux qui cachaient ce qu’ils faisaient sur internet et tout particulièrement sur les réseaux sociaux. Nahe savait que ce type d’histoires existait et se voyait de plus en plus. En réalité, il n’y avait jamais pensé. Avec Thea, il ne s’était pas posé la question. Pour lui, les choses avaient été claires depuis le début et il avait ressenti le besoin d’en parler autour de lui. Les sensations qu’il avait étaient nouvelles – ou du moins, il ne les avait pas reconnues – et il avait eu la nécessité de partager son bonheur avec ceux qui l’avaient vu au fond du trou quand la séparation avec Sofia avait été actée. Thea avait visiblement elle aussi partagé la nouvelle avec ses amies. Nahe n’aimait pas faire de généralités et il détestait exploiter les lieux communs comme celui qui disait que les filles partageaient tout avec leurs copines. Pourtant, là, cela semblait s’avérer vrai. Il lui épargna la remarque, mais ne cacha pas sa satisfaction à l’idée qu’elle ait parlé de leur rencontre à ses proches. Au moins, il avait la confirmation que tout ça signifiait vraiment quelque chose pour elle. Une petite victoire pour celui dont les rêves d’amour serein et de conte de fées avaient été brisés.

Il écouta avec attention la réponse de la jeune femme. Des études ? Il s’en doutait. Thea était quelqu’un de très cultivé et bien qu’il n’y ait pas de corrélation entre le fait de suivre de longues études et la culture générale, il avait cerné depuis un bon moment qu’elle avait plein de ressources. Les projets que la jolie blonde lui exposait étaient tout aussi agréables à entendre. La vision qu’elle avait de la famille, bien que ce soit encore trop tôt pour la mutualiser, était la même qu’avait Nahe. Le sourire aux lèvres, Thea termina son monologue et releva les yeux vers son interlocuteur. Pour répondre à sa question, il allait devoir évoquer Sofia. Outch. « Le Nahele d’il y a dix ans était amoureux pour la première fois et il avait une envie folle d’avoir son propre foyer. Il pensait que l’amour pouvait se nourrir de toutes petites choses et qu’il pouvait bâtir toute sa vie personnelle autour. Il a laissé tomber l’idée de faire de longues et brillantes études parce que c’était incompatible avec le fait de rester avec la personne qu’il aimait. Il a fait des choix, des bons, des mauvais, et il a fait un bon bout de chemin jusqu’ici » dit-il dans un soupir. Effectivement, il en avait fait, des choses. « Dans dix ans, je l’imagine avec l’amour de sa vie. Du moins, je l’espère, et des petits têtes blondes, façon de parler, en couche-culotte qui courent dans le jardin. De préférence dans une jolie maison de banlieue avec un grand jardin et des chiens. Pas de chat. Juste des chiens. Avec toujours un restaurant qui fonctionne et une personne qu’il aime et qui l’aime dans les bons comme dans les mauvais moments » conclut-il, légèrement perdu dans ses pensées.

L’espace de quelques instants, Nahe s’était cru en pleine consultation. Il s’était livré comme il ne l’avait plus fait depuis un moment, mais ce moment avait une saveur d’inévitable. Avec Thea, il était naturel et même si tout venait seulement de commencer, il avait l’impression qu’il devait tout faire pour rattraper le temps qu’ils avaient perdu. Cela dit, au moins, il avait été clair sur sa vie d’avant, sur les mauvais choix qu’il avait faits, mais aussi sur ce à quoi il aspirait. Il ne lui restait plus qu’à tout faire pour y arriver et il semblait convaincu que la jeune femme pouvait faire partie de ce futur. Elle était à l’écoute et drôle. Deux qualités qui, en plus d’être de plus en plus rares combinées, étaient non négociables pour Nahele. Certes, elle avait un seul défaut connu : celui de posséder un chat dont les intentions étaient fortement discutables, mais le jeune homme s’y ferait avec le temps. Le peu de fois où il avait rencontré des chats, Nahe s’était senti comme oppressé voire même surveillé par les animaux. Souvent, il avait même l’impression que c’était chez les félins qu’ils venaient et non pas chez ses amis, comme si ces derniers leur louaient leur appartement de façon secrète pour ne pas se faire cibler par les humains. De son côté, Nahe espérait que le chat de Thea n’était pas de ceux qui dominaient leur maître avec malice.

Le jeune trentenaire but son cocktail et le posa sur la table. Il l’avait quasiment bu d’une traite mais espérait que Thea ne le prenne pour un alcoolique. Il ne voulait pas donner une mauvaise image de lui, sachant qu’il n’était clairement pas porté sur l’alcool. La question de la belle blonde le sortit de ses pensées. A peine avaient-ils bu un verre qu’elle parlait déjà de chambres d’enfants ? Il se mit à rire nerveusement, ce qui laissait transparaître l’ironie de la situation. En tant qu’homme, Nahe avait toujours rêvé de décorer la chambre d’un enfant. Faire les peintures, monter les meubles et disposer la décoration étaient des souhaits qu’il avait et qu’il comptait bien mettre en œuvre. Il se gratta le crâne et fronça légèrement les sourcils.

« Bien sûr, un bon rose bonbon pour une famille et un bleu pétant pour mon fils. De préférence, des petites voitures sur le papier peint et des fleurs ou des papillons pour une fille. Ah et surtout, de Barbie à Noël. Et puis, le kit de nettoyage, il faut bien la préparer pour sa future vie et qu’elle devienne une bonne épouse pour l’homme qui payera une dote assez fournie pour que je lui cède sa virginité » dit-il, menaçant d‘exploser de rire à tout moment, « Non, sérieusement, je serais du genre à déguiser mon fils en princesse s’il veut ! Je me fiche totalement des codes et j’envisage absolument pas de fréquenter des gens qui pensent ça. Enfin, à part s’ils sont gâteux et en fin de vie… Pourquoi, tu m’as caché un petit côté conservateur pour mieux me convertir ? »

Il y a bon nombre de relations dans lesquelles il faut un faible et un fort. Que ce soit en amour ou en amitié, certaines personnes sont obsédées par le fait de prendre le pouvoir sur l’autre et d’avoir le dernier mot. Avec le temps, Nate avait réussi à se faire à cette bizarrerie. Lui n’était pas du genre à chercher à prendre l’ascendant. En revanche, quand la situation l’exigeait, il savait prendre des décisions et s’arranger pour ne pas les regretter. Avec Thea, il avait l’impression qu’ils étaient et seraient – il l’espérait du fond du cœur en tout cas – de ceux qui savent s’équilibrer.

Certes, la discussion sur les enfants étaient un peu prématurée, mais le chirurgien n’était pas du genre à s’offusquer et à prendre ses jambes à son cou pour si peu. S’il y avait bien une chose à souligner chez lui, c’était sa capacité à accepter le dialogue et à prendre les choses une par une. Une qualité qu’il avait acquis avec le temps et qui lui servait bien, notamment lorsqu’il devait gérer des humains. A défaut de vouloir vraiment dire ce qu’il attendait pour sa descendance, Nate prit ce moment comme une vraie chance de rigoler et de tester l’humour de la jolie blonde. Il avait grossi les traits de tout ce qu’il disait pour que ses propos transpirent l’ironie et visiblement, c’était mission accomplie. Ni vu ni connu, il en apprenait plus sur les valeurs de Thea et était heureux d’apprendre qu’il n’avait pas à faire à quelqu’un de trop conservateur, à comprendre ici comme légèrement stupide et borné. « Non je te rassure je serais du genre à apprendre à mon fils à se maquiller s'il me le demandait et à montrer à ma fille comment réparer le grille-pain... Enfin encore faudrait-il que je sache moi même le faire il est vrai ! » La dernière réplique lui arracha un sourire : effectivement, même si elle était parfaitement à jour dans sa tête, Thea manquait légèrement de compétences en bricolage. Alors certes, Nate aurait pu continuer et lui rappeler que réparer était une affaire d’hommes, mais il choisit de ne pas surrenchérir. Dans un coin de sa tête, il nota l’information en essayant de se souvenir qu’il pourrait profiter de cela pour lui apprendre à se débrouiller avec ce qu’il appelait les « sciences de l’électroménager ». Il eut à peine le temps de se reconnecter à la réalité que Thea lui annonça qu’elle devait partir. Le temps avait filé à une vitesse folle et ils avaient passé une bonne partie de l’après-midi ensemble, une rencontre qui avait eu le don de confirmer toutes les bonnes impressions que le métis avait eu jusque-là. Il se leva donc pour saluer la jeune femme en se demandant ce qu’il devait faire : après tout, ils s’étaient rapprochés et… Par sécurité, il opterait pour une bise pour le moment. « C’était chouette pour moi aussi. J’espère qu’on aura l’occasion de se revoir, ce serait dommage de s’arrêter en si bon chemin » dit-il pour conclure un moment qui resterait sans aucun doute gravé dans sa mémoire.