l'histoire de ma vie
… C’est regarder ensemble dans la même direction.
Chapitre un
L’amour est l’évidence de la vie. (Lanza Del Vasto)
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Je m’ennuie. Je soupire à papa, une moue boudeuse, avachie sur le siège de la voiturette du club de golf. _
Quand est-ce qu’on va rentrer à la maison ? _
Déjà, on ne dit pas quand est-ce qu’on va mais quand allons-nous rentrer, Kylie. Me reprend-t-il immédiatement, avec autorité. _
Ensuite, je vous prie de vous tenir droite, et d’afficher un visage un peu plus souriant, jeune fille. J’obéis immédiatement, sans réellement en ressentir l’envie.
En faite, j’ai même juste pas l’envie d’être ici avec lui, sur ce terrain golf.
J’aimerais plutôt être à la maison à jouer à la poupée ou… je ne sais pas quoi d’autre…. Regarder un Disney ?
Oui, ça serait génial puisque j’adore ça les Disney mais…
Non. Papa tient absolument à ce que je sois là pour tenir compagnie au fils de son ami, qui doit le rejoindre sur le terrain de golf.
Comment je vais pouvoir m’amuser avec un garçon, et surtout sur un terrain où on a même pas le droit de courir ou ne serait-ce que marcher ?
C’est l’excellente question qui me taraude l’esprit tandis que celle-ci franchit le seuil de ma bouche :
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Et votre ami, quand sera-t-il là ? Oui, je vouvoie mon papa.
Une règle fondamentale que je ne peux enfreindre sous peine d’être sévèrement punie dans les heures à venir.
D’ailleurs, vous n’imaginez pas comme c’est chiant, du haut de mes dix ans, de vouvoyer mes propres parents, comme de faire attention aux paroles que je prononce en permanence.
C’est trop demander à une petite fille, je trouve.
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Très bientôt. C’est vague.
Je pousse un profond soupir en me retenant de m’avachir à nouveau sur la banquette où je suis assise.
Alors que je dissimule un bâillement de lassitude derrière ma main, une voiturette nous rejoins sur le parcours.
A son bord, il y a un homme et un petit garçon.
Je présume qu’il s’agisse de l’ami de papa et son fils.
C’est ce que j’espère du moins, en échangeant un sourire au jeune garçon qui doit également se demander ce qu’il fait sur un parcours de golf d’un club sélect.
Comment je sais que c’est un club sélect ?
Mon papa m’en a averti sur la route, dans notre limousine.
Voiture qui n’a pas le mérite d’être discrète dans les rues de Montréal.
L’homme salue papa immédiatement, un sourire aux lèvres.
Mes espoirs se trouvent alors réalisés, surtout lorsqu’il me fait signe de le rejoindre pour être présenté.
Je salue d’une petite révérence l’homme et son fils, en prenant soin de replacer convenablement ma robe blanche d’été légèrement chiffonnée.
Une fois cela fait, papa m’invite à aller vaquer avec mon nouvel « ami », sans toutefois me sentir obligée de faire des bêtises qui nuiraient son nom.
J’acquiesce en entraînant le garçon, répondant au doux prénom de Maxime, dans mon sillage.
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J’espère que tu n’es pas timide ? Je m’hasarde à lui demander, pour être certaine qu’il fera lui aussi l’effort de rendre cette après-midi agréable.
Il m’assure que non, avant de commencer à me faire rire en racontant des inepties.
Il se prétend être un enfant rebelle, n’ayant pas peur de l’autorité, et j’avoue trouvée cela formidable. A tel point que je rêve qu’il me contamine également, pour me sortir de ce carcan d’autorité sans réel amour où j’évolue.
C’est la méthode d’éducation de mes parents.
Ils confit leurs enfants aux grandes écoles, aux employés de maison, de sorte que l’on devienne des adultes respectables plus tard.
Mais à mon âge, c’était surtout l’enfer.
J’aimerais bien avoir un câlin, de temps à autre, en lieu et place d’un cadeau pour une bonne note.
J’aimerais bien avoir une soeur également, par moment, en lieu et place d’avoir une rivale sur les notes.
Surtout que nous ne sommes pas dans la même classe, Clara et moi.
C’est son prénom.
Enfin bref, je continue de rire aux paroles de Maxime au point d’en oublier le monde qui nous entoure.
Je me surprends même à le trouver mignon, à sentir mon petit coeur s’affoler dans mon torse.
Il n’en faut pas plus dans ma petite tête de rêveuse pour voir en lui mon prince charmant.
D’ailleurs, je suis certaine qu’il doit exister une histoire où le prince et sa princesse ont dû se connaître en tant qu’enfant ou… adolescent.
Oui. Robin des bois, version Disney bien entendu.
Lui et belle Marianne se sont aimés longtemps avant de pouvoir se marier et…
Oui. Maxime et moi, nous aurons cette histoire là.
J’en suis persuadée.
Chapitre deux
II existe des moments passés avec certaines personnes qui vous laisse, le temps d'un instant, un goût d'éternité. (Naoual Younsi)
Mes doigts glissent sur les cordes de la guitare, comme me l’a montré Max il y a quelques minutes.
Des accords difficiles qui me donnent du fil à retordre, et iraient volontiers à l’encontre de ma patience.
Que dis-je ?
De sa patience, même, si je ne la connaissais pas pour être presque sans limite avec moi.
En faite, en y réfléchissant bien, je me rends compte qu’elle est même sans limite, avec moi.
Jamais il ne lève le ton pour me parler.
Jamais il ne s’agace de mes erreurs à la guitare.
Jamais… il n’est en ma présence comme il est avec les autres personnes de notre entourage.
Une constatation que me fait doucement sourire, tandis qu’il me souligne avec amusement un manque flagrant de concentration.
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Tu as raison. Je dis assez honnêtement, sans peur d’essuyer un reproche de sa part. _
Je pensais à nous. J’ajoute même, sachant qu’il n’y a pas réels tabous face à ces sentiments qui nous lies depuis l’âge de nos dix ans.
On ne les a jamais nommés concrètement, réellement, mais mutuellement nous savons qu’ils existent, et qu’ils sont plus forts que tout les autres sentiments que l’on porte à nos proches.
Ils sont l’évidence même, tout simplement.
Tellement l’évidence qu’il n’y a jamais eu réellement besoin de mot pour qu’on se le partage, juste des regards explicites.
J’aime Max, plus que quiconque en ce monde.
Je l’aime tellement que je sais déjà que je vivrais toutes mes premières fois avec lui, y compris la plus importante dans la vie d’un être humain.
Je ne sais juste pas quand elle arrivera, et quand se sera le « bon » moment.
Est-ce qu’il existe réellement de bons moments pour le faire, pour franchir ce cap décisive ?
Je l’ignore.
Je n’ai pas réellement la relation adéquate avec maman pour lui demander et… quant à Clara, ma soeur aînée, il est préférable de ne pas aborder le sujet, tout simplement.
Elle serait bien capable d’en user contre moi pour - encore une fois, trouver un avantage sur ma personne.
Surtout aux yeux de nos parents, j’ai envie de mentionner.
Enfin, qu’importe…
Max me sourie pour toute réponse, brièvement.
Puis, récupérant sa guitare comme pour en jouer lui-même, il me demande si j’ai déjà envisager de LE faire.
J’acquiesce le coeur battant la chamade, la gorge s’asséchant.
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Plus d’une fois. Je lui souffle diablement excité par lui, sans qu’il ne m’ait encore rien fait. _
Et toi ? Je bloque ma respiration, suspendu à ses lèvres.
Je crois que j’en mourrais s’il me répondait « non » ou... si seulement il en riait ne serait-ce qu’un peu.
La guitare se retrouve déposée non loin de lui, au sol.
Les secondes qui passent me semblent alors être une torture physique, mental.
Je me surprends à vouloir lui hurler de dire quelque chose, ou même de faire quelque chose, mais de ne surtout pas me faire languir.
J’ai envie de lui.
Je le sens à ces nouvelles sensations qu’il provoque en mon être.
Et alors que je suis à la limite de l’inciter à parler, les lèvres de Max viennent museler les miennes dans un baiser ardent.
Nos langues hésitantes se rencontrent, pendant que nos mains glissent naturellement sur nos peaux frémissantes de désir.
Nos vêtements volent dans la pièce, n’ayant plus de raison d’être sur nous.
Nos corps s’épousent ensuite, s’écroulant sur son lit, puis enfin nous ne formons plus qu’un.
Un seul corps ; un seul coeur ; une seule âme.
Pour aujourd’hui, comme à jamais.
Chapitre trois
Je chéris ta personne et je hais ton erreur. (Jean Racine)
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La Nouvelle Zélande, père ? J’interroge mon père, interdite de découvrir que je vais y faire mes prochaines études universitaires de lettres modernes. _
Pourquoi spécialement ce pays ? Pourquoi pas l’Amérique ? La distance est bien moins longue et les universités y sont tout autant prestigieuses, si ce n’est plus.
Pourquoi impérativement tenir à nous envoyer, Max et moi, dans cette île lointaine ?
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Parce que j’ai un ami sur place dévoué à prendre votre tutelle. _
Ma tutelle ? Mais… la majorité n’est-elle pas dix-huit ans sur cette île, père ? _
Je l’ignore et je m’en contrefiche totalement. J’ai pris la décision que vous irez suivre vos études à la capitale néozélandaise en compagnie de votre ami, sous la tutelle du docteur Lewitt, et il en sera fait selon mes désirs.Je suis… bouche-bée, littéralement.
Hier encore j’envisageais de postuler dans des universités canadiennes pour rester auprès de mes amies et voilà qu’aujourd’hui mon billet pour la Nouvelle Zélande est limite déjà réservé.
Aurais-je commit la bêtise de trop ?
J’en doute.
Je cache bien trop efficacement mon petit jeu pour que mes parents se doutent que mon image de gentille princesse ne colle pas à mon véritable personnage.
Non. Il a dû se produire quelque chose du côté de Max, et je me dois de m’en assurer immédiatement.
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Puis-je mettre un terme à cet entrevue, père ? _
Oui. Vous pouvez disposer. Je ne me fais pas prier pour quitter l’immense salon où il lit le journal, un cigare aux lèvres.
Bien au contraire.
Je quitte déjà ma place, en quête de rejoindre l’immense jardin de la propriété.
Une fois que j’y suis, je prends place sur la balancelle où j’envoi un texto à mon petit ami.
< Je peux t’appeler en visio mon coeur ? >
La réponse par iMessage ne se fait pas attendre.
Elle est affirmative.
Je cherche dès lors son numéro dans mon répertoire, puis lance la communication.
Le visage de Max m’apparaît alors, souriant.
Il devine instantanément aux traits de mon visage qu’un sujet me perturbe, me chagrine même.
J’entre directement dans le vif du sujet, respectant cette promesse tacite que l’on s’est faite le jour de notre rencontre : celle d’être toujours sincère avec l’autre.
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Est-ce que tu aurais une idée du pourquoi nos parents ont décidés de nous envoyer faire nos études en Nouvelle Zélande ? Ses yeux expriment rapidement un certain malaise qui me serre le coeur.
Quelque chose ne va pas de son côté.
Quelque chose nécessite qu’il quitte le Canada même, peut-être.
Je m’interroge sur ce qui pourrait bien avoir eu lieu pendant l’une de mes absences auprès de lui, tandis que Max me prétend qu’il n’en sait pas plus que moi.
Pourquoi me ment-il ?
Non.
Pourquoi ai-je le sentiment qu’il a déjà trahit cette promesse que je me suis évertuée à respecter il y a encore à peine une minute ?
La réponse est tellement évidente, malheureusement.
Parce que je le connais trop bien.
Parce que l’amour aussi fusionnel, aussi immense que n’est le nôtre, ne permet pas de se fier aux seules apparences.
Pourtant, je n’insiste pas.
J’acquiesce d’un joli sourire, acceptant malgré moi d’entrer dans le mensonge que je ne tolère pourtant pas.
Max n’est pas stupide.
Il sent bien également cette rayure dans la confiance mutuelle, et un mauvais pressentiment me laisse entendre qu’elle va finir par devenir une cassure qui nous éloignera.
Cette seule idée me brise considérablement le coeur, au point même d’avoir envie de pleurer mais… je n’en fais rien.
Je garde le sourire pendant que nous parlons de nos projets sur place.
L’appartement qu’il est envisageable qu’on partage, en lieu et place d’avoir des chambres dans deux dortoirs différents.
L’indépendance qu’il est certain que nous posséderons, malgré les tutelles que nous posséderons en parallèle pour nous chaperonner.
Un pacte oral est passé entre nous : celui de ne laisser aucune chance à ces « adultes » de nous dominer.
Je retrouve ma joie de vivre à cette pensée, à cette avenir.
Je retrouve l’espoir que rien ne pourra nous séparer, nous détruire.
Je raccroche avec ce même bonheur invincible qu’il fait régner dans mon existence conflictuelle.
Prochainement, nous pourrons mener la vie telle que nous la voyons, la désirons.
Il me tarde d’y être, déjà.