{Noomes} - Roméo+Juliette+Sarah

Une des innombrables choses que Noomi adorait chez James, c’est qu’il ne lâchait rien. Il était souvent capable de faire montre d’une détermination à toute épreuve. Ainsi, ça n’avait pas l’air de le déranger outre mesure de devoir affrontement le jugement de deux des autres Savalas. Et sans doute pas les plus tendres, qui plus est. Quoique. On parle toute de même des Savalas, la famille grecque la plus influente d’Hollywood. Hé oui, on a tendance à l’oublier mais on parle quand même de ces Savalas-là. Tout ça pour dire que c’était le genre de lignée qui pouvait impressionner et que peut-être que son père n’égalait pas ses cousins. A moins que ça ne soit juste parce qu’elle le connaissait mieux que personne et qu’elle savait qu’au fond, sous ses airs de brute parrain de la pègre grecque, c’était une crème. Au final, celle qu’ils devaient sans doute le plus redouter, serait sûrement Sarah. Peut-être bien qu’elle n’aimerait pas voir sa petite vie à nouveau chamboulée. Mais d’un autre côté, la blonde restait confiante. Non seulement sa fille aimait beaucoup James depuis toujours mais en plus de ça, si elle était parvenue à se faire à Frank alors il n’y avait pas de raison que ça ne marche pas avec Jimmy aussi. Toujours est-il que son enthousiasme faisait plaisir à voir et qu’elle s’efforçait de repousser le plus loin possible cette sensation de ne pas mériter autant d’attention de quelqu’un comme lui. Ça finirait bien par s’effacer complètement avec le temps.

« Bon, dans ce cas, tout devrait bien se passer. »

Sans compter qu’elle l’adorait et que ça devait être communicatif. Bien plus que ça ne l’avait été pour Frank en tout cas. Même sa mère aimait Jimmy. Principalement parce qu’il était musicien. De la même façon qu’elle avait poussé sa fille à le devenir aussi. Ça devait vraisemblablement faire partie des métiers parfaits pour prétendre fréquenter sa fille. Ainsi que les médecins et autres avocats. Hé oui, la mère de Noomi était un rien superficielle. Ce dont la grecque n’avait pas le moins du monde hérité d’elle, soit dit en passant. Soit, ça serait peut-être donc un travail de longue haleine, ce qui lui convenait parfaitement puisque la blonde avait décidé de ne pas se presser. En espérant bien faire les choses, cette fois. Ce qui ne voulait pas non plus dire qu’elle avait l’intention d’étouffer sa spontanéité toute naturelle, loin de là, mais prendre son temps, ça a du bon aussi, ça permet de savourer les bons moments. Puis, sans pour autant bouger de sa très confortable place, elle changea un peu de sujet.

« Quelques semaines déjà… ça t’a laissé le temps de t’acclimater un peu ? »

Elle n’en revenait pas qu’il ne lui ait rien dit et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il avait été très fort pour garder le secret. Une bonne chose, sans quoi la surprise serait tombée à l’eau et n’aurait clairement pas eu la même saveur mais si elle aurait probablement connu à peu de choses près le même dénouement. Quoi qu’il en soit, par expérience, Noomi savait pertinemment qu’il y avait un monde de différence entre la Nouvelle-Orléans et Island Bay. Pour elle, ça n’avait pas été des plus simples de prendre le pli à l’époque, en tout cas. Et pendant plusieurs mois, elle avait réellement détesté cet endroit. Puis ç’avait fini par passer grâce à Frank. Certes, dans le cas de James, les choses devaient être un peu différentes car si elle était partie en n’ayant que de bons souvenirs là-bas, il en était tout autre pour le jeune homme qui devait vouer une haine toute particulière à cet endroit et on le comprenait.

Le plus étrange dans tout ça, c’est que, de se retrouver assise sur les genoux de l’un de ses meilleurs amis au beau milieu de son living à évoquer l’avenir de leur relation ne lui paraissait pas le moins du monde bizarre. Pourtant, s’ils avaient toujours été très proches, ils ne l’avaient sans doute jamais été à ce point. Mais la transition se faisait tout naturellement. Ce qui rendait tout le processus très excitant. Ainsi, ils étaient en train de discuter de l’emménagement de James à Island Bay dans le plus grand secret. Evidemment que Noomi se ferait un plaisir de lui faire découvrir tout ce qu’il y avait de plus cool aux alentours. Un autre avantage dans le fait de démarrer une relation intime avec un de ses amis, c’est qu’elle le connaissait bien. Bon, peut-être pas autant qu’elle le supposait, sans quoi cette surprise n’en aurait pas été vraiment une mais le fait est qu’elle connaissait ses goûts ; ce qu’il aimait ainsi que ce qu’il détestait. Et puis Jimmy avait toujours été un peu comme elle, leur passion pour la musique jouant beaucoup là-dessus. Elle avait déjà hâte de l’emmener dans les endroits où elle s’était produite, les petits bars – mais pas ceux qui ne sont pas des plus reluisants où elle avait parfois l’habitude de traîner tard le soir -, les cafés, les restaurants. Et puis ensuite viendraient les explorations, les balades, bref, les aventures en somme. Car, comme Jimmy venait tout juste de le faire remarquer, ils avaient tous deux – tous trois avec Sarah, même - ce côté aventurier en eux.

Ce fut à ce moment-là que la grecque prit conscience qu’elle faisait de nouveau des projets. Chose sur laquelle elle avait tiré un trait depuis qu’elle n’avait plus la garde exclusive de Sarah, un comme si elle avait mis sa vie en suspens jusque-là. Un sourire étira ses lèvres tandis qu’elle posait sa tête sur son épaule.

« Tu peux compter sur moi. Je te montrerai aussi les endroits où tu pourras te produire. Et je pourrai même te faire de la pub à la radio. »

Avec le recul, Noomi s’était quelquefois demandé si, si elle était restée à la Nouvelle-Orléans, sa carrière n’aurait pas pu décoller mieux que ça n’avait été le cas ici. Parce que cette ville baignait déjà dans une culture musicale bien plus développée que celle qu’on connaissait par ici et qu’il lui semblait parfois qu’il eut été plus facile pour elle d’y trouver un public à la hauteur de ses talents. Puis elle en était arrivée à la conclusion qu’elle n’était peut-être pas faite pour devenir une superstar. Du moins, pas dans ce domaine puisque, depuis qu’elle avait son émission de radio, elle avait bien plus de fans qu’en tant que musicienne. Son émission nocturne cartonnait auprès des jeunes néo-zélandais qui lui vouaient désormais pratiquement un culte. A tel point qu’elle pouvait se permettre de ne pas bosser plus qu’il ne le fallait. D’ailleurs, elle songeait téléphoner pour se faire porter pâle ce soir, histoire de pouvoir passer plus de temps en compagnie de Jimmy. Mais soit, dans le cas de Jimmy, il n’y avait pas de souci à se faire quant à sa carrière puisqu’il excellait aussi bien dans la musique que dans l’écriture alors qu’il soit à la Nouvelle-Orléans ou bien à Wellington ne changeait pas grand-chose à l’affaire, c’était certain. Puis elle releva la tête vers lui.

« T’as des plans pour ce soir ? »

La blonde se doutait bien que s’il était là, c’est qu’il avait du temps à lui consacrer mais on ne sait jamais. Sinon, elle avait des tas de choses à lui proposer : ils pouvaient rester chez elle, commander des burgers, se mater un film ou simplement écouter et jouer de la musique puis qui sait où ça les mènerait. Ou bien ils pouvaient encore sortir en ville, en profiter pour s’amuser un peu.

De mémoire – qui n’est plus ce qu’elle était, rappelons-le -, Noomi n’avait pas souvenir que quelqu’un ait un jour voulu l’accompagner au travail. Enfin si, du temps où elle était pianiste, ça vendait du rêve alors la plupart de ses amis essayait de se faire inviter, surtout quand l’entrée était payante évidemment. Ça leur faisait un petit concert gratuit. Puis certains aimaient la voir « à l’œuvre » comme ils disaient. Ils pensaient que c’était beaucoup plus facile de choper lorsqu’on était musicien. Et Noomi ne va pas mentir en prétendant le contraire ; elle aussi avait eu quelques groupies, le hic c’est qu’en ce temps-là, elle n’avait pas la tête à en profiter. Et puis de toute façon, il semblerait que ça lui ait toujours posé un problème moral. Tout ça pour dire qu’en revanche, personne ne souhaitait voir à quoi ressemblait son travail depuis qu’elle bossait à la radio. Bon d’accord, ça venait probablement du fait que son émission était filmée, qu’on parlait là d’un travail de nuit, ce qui faisait que l’équipe était sacrément alors on pouvait rapidement se lasser. Elle n’irait même pas jusqu’à croire qu’on pouvait rester sur le live pour l’admirer, elle, étant donné qu’elle faisait assez peu d’efforts. Jusqu’à Jimmy. Jimmy affirmait que c’était ce qu’il avait prévu de faire. Et pourquoi pas ? Oui, il pouvait même chanter s’il le souhaitait puisqu’il arrivait parfois qu’elle reçoive des invités. Ça plairait forcément à ses auditeurs. Même si leur avis importait peu.

« T’es sûr de vouloir ? Tu sais, les applaudissements qu’on entend, ils sont enregistrés, on est que deux en studio. Trois en ce moment si on prend en compte le stagiaire. »

La blonde fit la grimace comme si elle avouait quelque chose de honteux alors que ce n’était en rien une supercherie puisque l’émission était filmée, c’était juste un moyen de rendre l’émission plus dynamique.

« Mais si ça ne te fait pas peur alors on peut dîner ici puis quand viendra l’heure, j’me ferai un plaisir de te présenter toute l’équipe. »

Ce n’était pas qu’elle avait envie de l’exhiber en mode « regardez, j’ai un nouveau petit copain et c’est le plus beau, le plus cool et le plus gentil de tous ! » bien que selon le point de vue, ça puisse paraître légitime mais elle avait tout de même un peu envie de le présenter à Sam. Au fil des mois, Sam avait su être plus que la simple standardiste avec qui la grecque passait ses nuits de boulot ; elles étaient devenues de vraies amies alors ça lui semblait être une bonne idée. Elle attendit d’avoir l’approbation de James pour se diriger vers le congélateur. Bon, ça risquait de casser pas mal le romantisme de cette journée parce que Noomi n’avait jamais été très bonne cuisinière. Disons qu’elle s’en sortait un derrière les fourneaux, elle était tout à fait capable de faire des choses basiques dont Sarah raffolait parce qu’elle avait rarement eu l’occasion que sa maman était un peu nulle mais ça s’arrêtait là. Alors pour ce qui était d’un dîner aux chandelles, ça ne serait sans doute pas idéal. Quoique, elle devait bien avoir l’une ou l’autre bougie quelque part dans l’appartement, non ? Soit, ça ne serait pas une surprise et donc pas une déception non plus pour Jimmy qui avait eu tout le loisir de se rendre compte par lui-même qu’elle était bien plus douée pour réparer une fuite d’eau, un moteur que le reste. En tout cas, c’était ce qu’elle pensait jusqu’à ce que le vide de son frigo lui fasse face. Il est vrai que ces derniers temps, elle n’était pas souvent chez elle. Quand elle ne passait pas la nuit dehors, il était courant que son père l’invite - c'est d'ailleurs pour cette raison que ses animaux se trouvaient là-bas en ce moment -, alors à quoi bon avoir un frigo plein si elle n’était jamais chez elle ?

« Mince, c’est un peu le désert là-dedans. Ça te dit qu’on aille se chercher un truc à emporter ? »

Ah, on pouvait de nouveau espérer un dîner aux chandelles. Bien que passer au drive-in du McDo lui conviendrait tout autant.

Ce qu’il était mignon quand il disait ne pas vouloir bousculer son programme de la soirée. Ça lui donnait instantanément envie de retourner l’embrasser. Et d’autres choses encore. Mais elle ne voulait pas paraître trop collante non plus. Bon okay, Noomi avait toujours été très tactile avec tout le monde mais elle parvenait à concevoir que ça pouvait ne pas plaire alors elle faisait attention en fonction de la personne qui se trouvait en face d’elle. Avec Jimmy, elle se doutait bien qu’elle n’avait pas besoin de faire tant d’histoires mais ça faisait longtemps… si elle n’avait pas peur de ne pas se rappeler de comment on faisait lorsqu’on était en couple, elle avait peur d’en vouloir trop d’un coup après en avoir été privée pendant si longtemps. Raison de plus pour se tempérer, donc. Bref, tout ça pour dire que de son côté, ça ne la dérangeait pas le moins du monde de prendre un jour de congé pour pouvoir passer plus de temps en sa compagnie. Ce n’était comme si elle risquait quoi que ce soit vu que son patron l’avait vraiment à la bonne. Normal en même temps, elle était la caution jeune de cette radio en comparaison des autres émissions de la journée qui étaient bien plus sérieuses que la sienne. Puis elle n’en abusait pas non plus, même dans ses heures les plus sombres, elle était allée bosser aussi souvent que possible. Justement dans le but de se maintenir la tête hors de l’eau. Cela dit, si Jimmy tenait à découvrir son univers alors il était le bienvenu, elle était partante.

« Ne t’en fais pas pour ça, si tu ne fais pas exprès de me distraire, ça se passera bien et ça ne posera aucun problème. »

Là-dessus, elle lui adressa un clin d’œil malicieux pour lui faire comprendre qu’il pouvait toujours essayer. Avant que ne survienne la problématique du frigo vide. La blonde eut tôt fait de vérifier : il y avait tout ce dont elle avait eu besoin un peu plus tôt pour faire ses cocktails ainsi que de la Ben&Jerry’s au congélo.

« Je crains que non. Comme Sarah doit rentrer ce week-end, j’ai pas encore fait les courses. Mais c’est pas grave, ça sera l’occasion de te faire découvrir certains endroits à connaître. »

Car si James n’était pas difficile sur la question, Noomi pouvait l’être un peu plus. Enfin, disons qu’elle pouvait mettre un certain temps avant de savoir de quoi elle avait envie. Ce qui n’était heureusement le cas qu’en ce qui concernait la nourriture. Sans doute parce que ça n’avait pas la moindre importance pour elle. Mais bon, en roulant au hasard elle finirait bien par passer devant la vitrine d’un restaurant qui lui ferait envie.
Bref, la grecque s’empara de ses clefs de voiture et de son porte-monnaie avant de faire signe à Jimmy de la suivre. Puisque son appartement se situait apparemment non loin du sien – elle irait peut-être même jusqu’à faire un détour pour voir où exactement -, il ne devait pas être venu en voiture alors ils prendraient sa Mustang. Avant de démarrer le contact, elle coupa la radio qu’elle mettait toujours à fond lorsqu’elle conduisait seule et ils étaient partis.

Il ne lui fallu pas longtemps avant de finalement s’arrêter devant un restaurant italien qui ne payait pas de mine de prime abord mais où elle était une cliente régulière. Et Noomi eut à peine le temps d’en pousser la porte d’entrée pour entendre une petite voix l’interpeller :

« Maman ! »

Une tornade blonde fondit alors sur elle et elle s’empressa de la prendre dans ses bras. Avant de chercher Frank des yeux par automatisme. Et certainement pas parce qu’elle avait envie de le voir. Puis Sarah se tourna vers Jimmy et ouvrit grand les yeux comme si elle s’apercevait seulement de sa présence. Elle se tortilla pour quitter les bras de Noomi et faire ce que sa mère s’était retenue de faire jusqu’ici, c’est-à-dire lui sauter dessus. Littéralement, évidemment. Elle était apparemment ravie de le voir, ce qui était une bonne chose. D’ailleurs, elle ne perdit pas une seconde pour lui demander ce qu’il faisait là, s’il était en vacances, si elle le reverrait quand elle viendrait ce week-end et ainsi de suite, Sarah pouvait être un véritable moulin à paroles quand elle s’y mettait.

A la naissance de Sarah, la possessivité de Noomi s’était accrue et pas qu’un peu. Oh bien sûr, elle avait toujours été un peu possessive : durant quelques années, elle n’avait pas toléré qu’une autre femme tourne d’un peu trop près autour de Frank allant parfois jusqu’à lui faire des scènes pour le simple plaisir de pouvoir se réconcilier sur l’oreiller mais ce n’était rien en comparaison de ce qu’elle avait pu éprouver après la venue au monde de Sarah. Sa fille. Personne n’avait le droit d’y toucher. Ce qui lui avait pourtant paru un peu étrange puisqu’avant d’apprendre qu’elle était enceinte, la blonde n’avait jamais vraiment rêvé d’avoir des enfants un jour ou l’autre ; elle avait un mal fou à les voir, Frank et elle, dans le rôle de parents. Et la suite de l’histoire avait prouvé qu’elle avait à moitié raison. Peut-être que ç’aurait dû lui mettre la puce à l’oreille quant à la longévité de cette relation mais que voulez-vous, on est idiots quand on est jeunes. Quoi qu’il en soit, le père de Noomi avait dû intervenir, lui faire comprendre qu’elle devait apprendre à devenir un bon parent avant de pouvoir prétendre au rôle de mère louve. C’est ce qu’elle avait fait ; c’est grâce à Sarah qu’elle était devenue meilleure qu’elle ne l’aurait jamais été sinon. Le revers de la médaille, c’est qu’elle les avait toutes les deux enfermées dans une bulle. Que Frank ne s’était pas empressé de venir éclater mais il avait tout de même fini par le faire. La chute n’en avait été que plus brutale. Toujours est-il qu’avec Jimmy c’était pareil que pour son appartement : il ne faisait pas tache dans le décor. Loin de là, il semblait même s’y intégrer à la perfection.

En apprenant qu’en plus de pouvoir gratter les cordes de la guitare de James, elle aurait un cadeau ce week-end, sa blondinette d’amour ne put s’empêcher de trépigner d’impatience. La grecque s’attendrit quelques secondes face à tant de mignonnerie avant de se reprendre.

« - Qu’est-ce qu’on dit, jeune fille ?
- Merci, Jimmy ! »

Sur quoi elle se pendit à son cou et lui colla un baiser sonore sur la joue. C’est normal pour les parents de penser ça de leurs enfants mais sa fille était vraiment la plus adorable d’entre tous. Pour ce qui était de la technique de James, la blonde était d’avis que c’était la meilleure des choses à faire ; plus tard, elle rédigerait quelques mots sur un de ses célèbres post-it pour lui expliquer la situation. Histoire que ça veuille dire quelque chose et aussi – même surtout – de ne pas l’oublier. Puis peut-être bien qu’elle attendrait encore un peu avant de le faire. Elle pouvait toujours prendre la température le week-end qui venait mais sans en dire trop tout de suite. Au cas où Jimmy vienne à changer d’avis entre-temps. Ça aussi elle en doutait mais elle était bien placée pour savoir que la vie vous fait parfois de sales surprises.

Noomi était plongée dans ses réflexions lorsque son ex-mari se décida à montrer le bout de son nez. Elle l’aurait presque oublié, tiens. Mais ça serait sans compter sur cette manie qu’il avait de réapparaître au moment où elle s’y attendait le moins. Lui non plus n’avait pas l’air surpris de croiser James à Island Bay. Parce qu’effectivement, si ce n’était pas régulier, ce n’était pas non plus impossible. Pas plus que d’y croiser Frank en personne depuis sept ans, en tout cas. Il les salua d’un hochement de tête à peine courtois avant de poser les mains sur les épaules de Sarah avant de lui annoncer que leur commande était prête et qu’ils ne devraient pas tarder s’ils ne voulaient pas manger froid. C’était marrant de se dire que sans jamais en parler, ils s’étaient mis tous deux d’accord pour ne jamais passer plus de temps ensemble qu’il ne le fallait absolument. Pour le bien de tout le monde, surtout le leur. Tant mieux pour le coup, elle n’avait pas spécialement envie de passer plus de temps en sa compagnie. Bien que ça lui fende le cœur de devoir déjà se séparer de sa fille à qui elle fit un énorme câlin. Toujours ce petit arrière-goût amer en la regardant s’éloigner qui s’estompa pourtant bien vite lorsque son regard se posa sur Jimmy. Il arrivait toujours à lui rendre le sourire en une fraction de seconde.

« Fallait pas lui prendre un cadeau. T’es trop gentil et puis elle va prendre l’habitude d’être trop gâtée. »

Puis son regard se fit plus malicieux tandis qu’elle ajoutait :

« Mais si tu veux mon avis, alors ça devrait pencher dans la balance au moment de savoir si elle est okay pour nous deux alors t’as peut-être pas tort. »

Bien sûr qu’elle plaisantait, elle voulait que Sarah soit d’accord pour d’autres raisons que parce qu’on lui offrait des jeux et des jouets mais elle avait conscience que Jimmy était parvenu à gagner son petit cœur depuis longtemps déjà. Décidément, mère et fille se ressemblait beaucoup, encore une fois.

De prime abord, on pourrait croire qu’il ne s’agissait pas d’une coïncidence qu’ils se retrouvent tous au même endroit le même soir, que Noomi savait que Sarah se trouverait là à cette heure et qu’elle essayait de déborder désespérément sur son temps de visite mais ce n’était pas le cas. Si l’information avait été reçue, elle n’avait en tout cas pas été retenue. Mais le fait est qu’Island Bay est une petite ville et que, si elle s’était attendue à croiser Frank plus souvent qu’elle ne le souhaitait, elle n’avait pas imaginé que ça serait à ce point. Et le pire, c’est qu’elle ne pouvait en vouloir qu’à elle-même puisqu’elle avait insisté pour que son ex-mari revienne en Nouvelle Zélande. Le voyage Wellington-Miami finissant par lui revenir tout de même un peu cher. Cela dit, ce n’était pas comme si elle pouvait y faire quelque chose et puis elle n’avait pas spécialement envie de le fuir non plus, ça ne lui ressemblait pas. Il fallait donc faire avec. Heureusement, Frank eut le bon goût de ne pas s’éterniser auprès d’eux même si ça voulait dire que Sarah non plus, du coup mais la blonde se consolait en se rappelant qu’il n’y avait plus beaucoup de jours avant le week-end. Elle revint alors sur cette histoire de cadeau pour chasser la moitié de cette rencontre de sa tête et puisqu’elle n’était pas vraiment sérieuse lorsqu’elle disait qu’il ne fallait pas gâter sa fille – ça serait tout de même très hypocrite étant donné qu’elle passait son temps à compenser son absence auprès d’elle de la même bien qu’on lui ait également répété que c’était une mauvaise idée -, elle acquiesça, un petit sourire aux lèvres. Comme s’il avait besoin de ça, les chances étaient naturellement de son côté semblait-il.

« Oh t’en fais pas pour ça, je pense que c’est pas près de lui passer encore. »

La seule chose que Sarah et Noomi n’avaient pas en commun au même âge c’était ça : Noomi devait avoir vingt-huit ans la toute première fois où elle a joué à la poupée. Et si ça n’avait pas été pour sa fille, elle n’y aurait probablement jamais joué de sa vie mais bon, puisque Sarah avait elle-même décidé d’avoir un côté girly, ça ne serait certainement pas sa mère qui allait l’en empêcher parce qu’elle n’était pas comme la sienne.

Quoi qu’il en soit, ils passèrent à autre chose en discutant de ce qu’ils allaient commander. Jimmy lui demanda alors son avis puisque c’était sa première fois dans ce restaurant et qu’il pensait apparemment pouvoir se fier à son palais dont la finesse n’est plus à prouver. En d’autres termes : elle pouvait être un peu chiante parfois mais jamais trop non plus. Soit, elle attrapa une carte qu’elle passa rapidement en revue en commentant à coups de « alors ça c’est pas mal », chaque fois qu’il lisait le nom d’un plat qu’elle appréciait histoire de lui donner une idée. Puis elle se décida.

« Va pour la lasagne. Puis si ça te dit on peut aussi se partager un peu de tiramisu. »

La grecque avait conscience que ça devait faire un paquet de calories pour quelqu’un qui faisait un tant soit peu attention, ce qui était incontestablement le cas de Jimmy, sans quoi il n’aurait pas ce corps d’athlète qui l’avait bien plus impressionnée que ce qu’elle n’avait avoué à l’époque. Pas que ça se soit fait du jour au lendemain mais comme ils ne se voyaient que quelque fois l’an, ça lui avait fait un léger choc. Mais ça lui allait si bien. Mais ils ne feraient pas ça tous les jours. Bien qu’en ce qui la concernait, ça ne la dérangeait pas outre mesure, le sport pour elle se résumant à jouer à Just Dance une fois de temps en temps et partir en exploration lorsqu’elle en avait la possibilité.

S’il n’était pas carrément craquant lorsqu’il disait que si la poupée n’avait pas convenu, il aurait pu prendre une de ces nouvelles voitures téléguidées. Qui lui auraient plu à elle, à n’en pas douter. Il est vrai que quand elle était gosse, Noomi en avait eu tout une panoplie. Des voitures, des avions, elle aimait tous ces gadgets à l’époque, ainsi que les Hot Wheels ou le simple fait de jouer dans la boue du bayou. Notamment parce que ça rendait sa mère complètement hystérique. Toujours cet esprit de contradiction qui n’avait pas rendu que sa mère dingue, soit dit en passant. Toujours est-il que c’était très exactement le genre de détails qui la faisait fondre chez Jimmy ; qu’il se souvienne de ces petites choses et qu’il l’aime malgré ça. Tout ça pour dire que oui, même maintenant, ça lui aurait plu, à elle. Et elle aurait tenté d’y intéresser un peu Sarah. Sans la forcer, bien évidemment, juste histoire de partager un peu de son enfance avec elle. Ce qu’elle n’avait jamais trop eu l’occasion de faire jusqu’ici étant donné que sa fille était une enfant de la ville. Dès lors, impossible de courser des serpents et des alligators dans le bayou évidemment. Ce qui dans le fond, n’était clairement pas plus mal car elle comprenait maintenant la peur que ses parents avaient pu ressentir pour elle autrefois. Elle lui renvoya son sourire.

« Offre-moi un de ces trucs et tu peux être sûr que j’vais m’amuser avec durant des heures. »

A comprendre comment on le faisait fonctionner tout d’abord et puis c’était sûr et certain qu’elle chercherait des techniques plus badass les unes que les autres pour filmer un clip vidéo en accrochant son téléphone portable en mode caméra dessus. Puis son expression se fit d’autant plus malicieuse avant qu’elle n’ajoute :

« Ce qui serait peut-être un peu dommage, on pourrait le passer à s’amuser ensemble tout ce temps. »

De toute évidence, James devait bien se douter de là où elle voulait en venir ; il faut dire que ce n’était pas des plus subtiles car la subtilité était un art dont elle n’avait jamais appris le fonctionnement. Noomi avait tendance à être un peu trop brusque lorsqu’elle s’exprimait. Là, en l’occurrence, elle estimait avoir fait l’effort d’y mettre les formes, ce qui n’était déjà pas si mal. Mais ils garderaient tout de même ça pour plus tard. Il fallait bien qu’elle s’assagisse quelque peu avec le temps. Ce qui ne l’empêcha évidemment pas de s’amuser de la réflexion qu’elle se fit tandis que Jimmy lui avouait avoir l’eau à la bouche rien qu’à l’énoncé du programme : elle avait un talent certain pour faire saliver les autres. Incorrigible, vraiment. La grecque secoua la tête afin d’en déloger toute pensée un peu impure et se concentrer sur leur commande. Telle l’habituée des lieux qu’elle était, elle salua le serveur par son prénom avant de passer commande. Comme il était arrivé qu’elle glisse leur pub dans une des nombreuses plages de pubs de son émission, elle avait droit à une ristourne. Un privilège qui ne lui était probablement accordé qu’à elle et pas à son ex-mari. On se contente de peu. D’ailleurs, ils firent même passer sa commande en priorité, ce qui explique qu’ils n’eurent pas bien longtemps à attendre. Ce n’est qu’une fois de retour dans la voiture qu’elle demanda :

« On retourne chez moi ou bien tu m’emmènes visiter ton appartement ? »

Evidemment qu’elle était curieuse, sinon, elle ne s’incrusterait pas comme elle venait de le faire.

Ça sortait de nulle part mais Noomi appréciait le fait que Jimmy se dise prêt à se transformer en voiture si ça lui permettait de jouer plus souvent avec lui. Et bien entendu, elle ne doutait pas une seule seconde d’apprécier sa performance. Une perspective qui la fascinait autant qu’elle l’intimidait, soit dit en passant. Et là, on parle bien de Jimmy en tant que personne et pas en tant que voiture évidemment car elle avait beau aimer les voitures, ce n’était tout de même pas à ce point. Mais elle garderait ça pour elle jusqu’à ce que le moment soit venu. En attendant, la blonde se contenta de le détailler de la tête au pied en se passant inconsciemment la langue sur les lèvres avant de laisser tomber le verdict suivant :

« Hum je crois quand même que je te préfère sous cette forme. »

Quant à son idée de roman, elle la trouvait brillante. Il faut dire que ça lui faisait pas mal penser à Christine de Stephen King mais sans le twist de la voiture jalouse qui s’amuse à tuer quiconque approche d’un peu trop près son conducteur. Enfin, pour ce qu’elle en savait puisqu’il ne lui avait pas encore parlé de son idée dans les détails. Cela dit, elle doutait un peu qu’il aille jusque-là ; pour avoir lu chacun de ses livres avec plaisir, la grecque pouvait affirmer que Jimmy n’avait pas le cerveau malade du King. Et c’était tant mieux car elle s’était fait plusieurs fois la réflexion qu’il ne devait pas faire bon vivre lorsqu’on partageait la vie d’un type qui un jour a un jour eu l’idée de faire en sorte que son personnage principal massacre son chien, le nouveau copain de sa femme puis sa femme sans en avoir le moindre souvenir. Bien qu’ils aient l’air heureux ensemble, les Kings, alors pourquoi pas, finalement ?

« Si ça a marché pour Stephen King, alors il n’y a pas de raison que ça ne marche pas pour toi. »

Elle serait là pour l’encourager, quoi qu’il en soit. Comme elle l’avait toujours fait. Puis il fut temps de récupérer la commande et de décider d’où ils allaient la manger. Les possibilités n’étaient pas non plus infinies puisqu’il fallait au minimum des couverts, c’est pour cette raison que la blonde proposa chez elle ou chez lui. Elle aurait l’occasion de voir à quoi ça ressemblait et surtout où ça se situait. Noomi connaissait bien son quartier, si elle l’avait choisi, c’était avant parce qu’il était plutôt tranquille et qu’il se trouvait pas très loin de l’école, elle ne craignait donc pas que James se soit installé dans un coin mal famé sans le savoir, c’était juste qu’elle avait envie de connaître sa rue, son immeuble, son appartement, ainsi de suite. Le peu d’enthousiasme dont il fit preuve concernant cette option la fit sourire. Ils n’étaient pas dans une quelconque émission de déco ; elle s’en fichait que ça ressemble à une page d’un catalogue Ikea ou non.

« Oh tu sais, tant que tu as deux fourchettes et deux cuillers, c’est pas du tout un problème. »

Ça ne l’effrayait nullement de dîner au milieu des cartons. Et puis Jimmy avait tout de même dû ramener quelques choses essentielles de la Nouvelle-Orléans. Comme un minimum de mobilier. Bien qu’elle pourrait comprendre qu’il ne veuille plus vivre dans les meubles qu’ils avaient partagé avec Amélia. Bien sûr, ce n’était encore une fois pas comparable mais c’est exactement ce qu’elle avait fait de tout ce qu’ils avaient eu de commun avec Frank : elle avait revendu les meubles qui lui revenaient dans leur divorce ainsi que son alliance et c’était empressée de changer d’appartement. Jimmy n’avait peut-être pas envie de se débarrasser complètement de tout ce qui le rattachait à Amélia mais elle comprenait également que c’était parfois nécessaire pour parvenir à tourner la page. Qu’on parle d’un bon ou d’un mauvais souvenir. Là-dessus, elle attendit donc qu’il la guide pour se mettre en route.