you sent us to camp, they made us sing → noomes

Tandis que la moitié de la planète s’apprête à entrer dans le froid de l’hiver, c’était enfin le retour des beaux jours en Nouvelle Zélande ! Enfin, pas tant que ça ; le printemps et l’automne sont tout deux très souvent synonymes de beaucoup de pluie par là-bas. Cependant, Noomi avait envie de sauter sur l’occasion pour partir en week-end. Puisqu’elle n’avait pas eu l’occasion de fêter Halloween en tête à tête avec sa fille – façon de parler – comme elles en avaient l’habitude étant donné que Frank s’était invité à la soirée, elle ne pouvait décemment pas rester sur cette déception. Et donc quoi de mieux que d’aller faire du camping dans un cas pareil ? Une à deux fois par an, la grecque essayait d’initier Sarah aux joies du camping, quelque chose qui se transmettait de génération en génération chez les Savalas et qui semblait intéresser la mini-blonde mais moins que les princesses Disney et les petits poneys. Néanmoins, elle ne perdait pas espoir. De toute manière, à force de la trimbaler un peu partout avec elle, elle lui ferait prendre goût aux voyages de toutes sortes, à n’en pas douter. Les voici donc entassés tous les quatre – Sarah, Jimmy, Noomi et Hades, hors de question de laisser le labrador au père de Noomi alors qu’il aurait l’occasion de prendre l’air et de se balader autant qu’il le voudrait – dans la voiture de Jimmy. C’est qu’une Mustang de collection c’est vraiment très cool pour rouler des mécaniques mais ce n’est pas des plus pratiques pour les longs trajets s’il y a plus de deux personnes à bord. Ce n’était pas tout à fait à l’autre bout du pays mais ce n’était pas tout près non plus, sinon, à quoi bon ? Ce qui était pratique, c’est qu’elle avait habitué Sarah depuis toute petite, donc sa fille ne passait pas son temps à demander si on arrive bientôt. D’ailleurs, en tournant la tête pour vérifier comment ça se passait entre Hades et elle, elle remarqua qu’elle avait fini par s’endormir. C’est alors qu’elle lança un regard malicieux à Jimmy avant de lui demander :

« Alors, on arrive bientôt ? »

Pour la blague car pour une fois qu’elle était la copilote, ça serait plutôt à elle de regarder sur son téléphone où ils en étaient du trajet. Ce qu’elle n’eut même pas besoin de faire étant donné que les panneaux commencèrent alors à afficher leur destination. La blonde aimait le camping sauvage mais elle évitait tout de même d’en faire avec sa fille, du moins tant que celle-ci ne serait pas capable de se défendre toute seule – c’est-à-dire tant qu’elle ne lui aurait pas appris comment on se sert d’un fusil – car si la faune locale n’était pas composée d’ours, de couguars et autres joyeusetés de ce genre, on n’est jamais à l’abri de tomber sur un maniaque en pleine nature. Du coup, Noomi leur avait réservé un emplacement dans une espèce de village-vacances tout ce qu’il y a de plus sécurisé. Et elle y avait également réservé un chalet, des fois que la pluie ait décidé de ne pas les lâcher.

Ils arrivèrent enfin et elle n’eut même pas besoin de tendre le bras pour réveiller Sarah puisque Hades commença à s’agiter en voyant que la voiture ne suivait plus le même trajet régulier, se doutant qu’il allait bientôt pouvoir sortir de là. Tandis qu’ils avançaient le long d’une allée bordée de d’arbres, un grand chalet se profilait à l’horizon. Sans doute ce qui faisait office d’accueil. Noomi déboucla alors sa ceinture.

« Restez-là, j’me charge de l’administratif, j’en ai pas pour longtemps. »

Ce qui fut un mensonge mais elle n’aurait pu prédire que la cruche qui se tenait à l’accueil mettrait deux L et au moins une dizaine de S à Savalas alors pendant qu’elle cherchait son nom, massacré ainsi dans son agenda, la grecque en profitait pour vider les distributeurs. C’est donc avec des paquets de chips et de marshmallows et des canettes de soda pleins les bras qu’elle sortit de là et remonta en voiture.

« Emplacement 54, c’est apparemment tout au fond. »

Bien, c’est qu’il y avait l’air d’y avoir pas mal de monde, à croire que tous les parents de Nouvelle Zélande avaient eu la même idée. Et si Noomi ne détestait pas les enfants des autres, elle n’était tout de même pas sûre de pouvoir les supporter pendant quarante-huit heures non-stop alors se retrouver un peu à l'écart de gremlins hurlants, c'est tout aussi bien.

C’était si rare que Noomi soit la passagère d’un autre conducteur qu’elle se rendait enfin pleinement compte de combien ça pouvait être ennuyeux. Son attention n’avait besoin de se focaliser sur rien du tout autre que le paysage. Et le paysage sur les nationales c’est… extrêmement bof. Heureusement, le fait de voyager avec une fillette et un chien les avait forcés à faire quelques arrêts. Encore une heure de route, donc. Grands Dieux, ce qu’on avait l’impression de se traîner à 70km/h. Bien sûr, la grecque savait que c’était la loi et qu’il valait de toute façon ne pas trop appuyer sur le champignon avec sa fille à bord mais ça ne l’empêchait quand même pas de trouver ça lent. D’ailleurs, pour éviter de jouer des pédales invisibles étant donné qu’il n’y en avait pas côté passager, elle remonta les genoux sous son menton et entreprit de trouver quelque chose de bien à la radio. On ne va pas se mentir : que des trucs nuls. Après tout, en bossant pour l’une d’entre elles, elle savait bien comment ça se passait ; les maisons de disques qui en avaient les moyens payaient des fortunes pour qu’on passe en boucle leurs soi-disant « tubes » commerciaux. C’est donc ainsi qu’elle finit par renoncer. De toute manière ils seraient bientôt arrivés.

Et comme de juste, il n’y avait plus qu’à suivre les plaques. Noomi garda plutôt bien son calme face à la fille de l’accueil qui s’amusait à écorcher son nom de la sorte et elle n’en était pas peu fière ; quelques années auparavant, elle ne se serait pas privée pour lui en faire la remarque et sans doute pas de la manière la plus posée qui soit mais au fil du temps, la colère laissait place à la place. Enfin, toujours dans la limite du raisonnable, bien sûr. La blonde haussa les sourcils face à la remarque de Jimmy après être remontée dans la voiture, les bras chargés d’un peu tout ce que l’on pouvait trouver dans leurs distributeurs.

« J’allais quand même pas la laisser massacrer notre nom impunément. »

Puis elle se tourna vers Sarah et lui demanda :

« - Qu’est-ce qu’il dit toujours, papy ?
- Qu’on doit être fières d’être grecques ! »

Elle hocha la tête avec un petit sourire satisfait. Son père faisait toujours tout une histoire du fait d’être grecs alors que, dans le fond, à force de se mélanger au reste du monde, les origines grecques de Sarah étaient peut-être moins importantes que ses origines latines, grâce à Frank. Mais peu importait, l’essentiel c’était que leur nom perdure. Bref, il n’y avait donc plus qu’à aller voir ce fameux emplacement 54. En passant d’abord devant les autres campeurs. Des tas de familles qui avaient eu la même idée. Bon, si elle n’était pas sûre d’être vraiment fan de cette idée, au moins Sarah n’aurait-elle aucun mal à se faire des amis. Même si ce n’était évidemment pas le but, Noomi n’avait pas décidé de cette sortie pour partager sa fille avec tout le reste de la Nouvelle Zélande. Bref, les voici donc arriver. Sarah déboucla à son tour sa ceinture et bondit hors de la voiture mais fut rapidement devancée par Hades qui n’en pouvait apparemment plus d’attendre puisqu’il ne perdit pas une seconde pour aller se soulager. A moins que ça ne soit pour marquer son territoire, déjà. La parcelle se trouvait en bordure de forêt, ce qui était parfait. Elle descendit et contourna la voiture pour aller récupérer le matériel de camping dans le coffre de la Jeep. Encore une fois, y a plus qu’à. Alors que sa mère s’asseyait dans l’herbe pour déplier la toile de tente, Sarah vint s’asseoir à côté d’elle et fit mine de s’intéresser à comment on faisait. Une question semblait la tarauder, ça se voyait à ses sourcils froncés et son air perplexe. Il ne fallut pas bien longtemps avant qu’elle ne la pose.

« Je vais dormir avec vous ? »

Ah, c’est vrai que ça n’était encore arrivé jusque-là et Noomi pouvait très bien comprendre que ça la perturbe un peu. D’autant qu’elle avait pensé à lui prendre sa propre tente mais elle connaissait sa fille, elle aurait tout de même fini dans la leur à cause des bruits de la forêt tout autour.

Monter une tente, c’était un peu comme monter un meuble Ikea : mieux valait tout déballer avant. Pour s’apercevoir qu’il manquait toujours, toujours une saleté de petite vis dans le cas du meuble Ikea. Alors que ce n’était heureusement pas une constante pour la tente. Un petit sourire se dessina sur les lèvres de Noomi en voyant sa fille venir s’asseoir à ses côtés comme si tout ça l’intéressait. Et bien sûr, la question d’où elle allait bien pouvoir dormir s’imposait à son esprit. Sarah n’était pas particulièrement peureuse mais ça serait tout à fait normal à son âge de ne pas être des plus rassurée par les bruits de la nature environnante. Ce fut Jimmy qui prit la parole pour lui faire savoir qu’elle pouvait dormir à la belle étoile en compagnie d’Hades, si elle le souhaitait. Et l’expression qui se peignit alors sur son petit visage tout mignon était priceless. Bizarrement, cette idée ne semblait pas lui plaire du tout. Pourtant, passer une nuit à la belle étoile n’était pas dépourvu de charme. Surtout quand on s’éloignait suffisamment des lumières de la ville pour admirer la voie lactée. Mais peut-être pas lorsqu’on a sept ans et qu’on cherche surtout à avoir un peu de confort. Noomi rit en captant que Sarah attendait sa décision à elle et lui ébouriffa les cheveux avec tendresse.

« Tu dors où tu veux, tu sais bien, bébé. »

Sarah eut l’air soulagée. A tous les coups, ç’allait se terminer à quatre dans la même tente, cette histoire. Car forcément, Sarah ne serait pas d’accord de laisser Hades tout seul dehors. Et lui non plus, sans doute. Ça ne serait une première pour la grecque mais ça signifiait qu’elle pouvait faire une croix sur les galipettes avec Jimmy ce week-end-là. Tant pis, ça ne serait que partie remise. Ils s’attelèrent donc à monter la tente et le moins que l’on puisse dire, c’est que ça allait nettement plus à vite à trois que tout seul. Encore que, lorsque la blonde partait camper seule, elle emportait généralement une de ces tentes qu’il suffit de lancer pour qu’elle se déploie toute seule dans les airs, bien plus simple et rapide. Mais bon, cette fois pas besoin, donc et puis ça serait rater Sarah et son petit air d’infirmière en salle d’op’ qui passe les scalpels et les serviettes au chirurgien à chaque fois que Jimmy tendait la main pour qu’elle lui passe une sardine et ça serait dommage parce que c’était beaucoup trop adorable. A tel point que Noomi cessa temporairement de les aider et sortit son téléphone pour immortaliser ce moment.

Et c’est ainsi que la tente fut dressée. La première à aller en visiter l’intérieur fut évidemment Sarah, qui en ressortit en les gratifiant d’un petit hochement de tête approbateur. A la bonne heure, si sa fille validait l’endroit où elle allait passer la nuit alors c’était tout ce qui comptait. Mais bien vite, la petite eut une autre question pour elle et c’est là qu’on voyait qu’elle était pour l’instant plus habituée à faire du camping dans un camping-car qu’en pleine nature :

« Et pour aller faire pipi, c’est où ? »

Cela dit, Noomi songea que sa fille avait le sens des priorités car c’était sans doute la seconde question qu’elle se serait posée elle aussi. Elle haussa les épaules en désignant les bois derrière elle.

« La forêt, ça te tente pas ? »

Pauvre Sarah, devoir passer le week-end en compagnie de deux idiots comme eux qui n’arrêteraient pas de faire des blagues, il y avait de quoi la plaindre. Bref, tout ça pour dire que ça non plus, ça ne semblait pas beaucoup la tenter alors Noomi ne tint pas non plus.

« On a qu’à faire le tour du camping pour voir si on trouve quelque chose qui pourrait te satisfaire, alors. »

Les sanitaires : quel que soit le camping où vous séjourniez, c’était pratiquement toujours un endroit qui faisait froid dans le dos et pourtant, tout le monde avait toujours ce petit espoir que, cette fois, les choses seraient différentes. Cela dit, si ça craignait vraiment trop alors la grecque tricherait quelque peu en allant demander les clefs du chalet qu’elle avait aussi réservé pour en utiliser la salle de bains, voilà tout.

Ravie de cette petite visite du camp, Sarah hocha vivement la tête et partit chercher la laisse d’Hades dans la voiture. Le labrador avait beau être un bon gros toutou très gentil, Noomi ne le laissait pas se balader en liberté s’il y avait trop de monde autour. Surtout des enfants. Si elle a bien appris à sa fille à ne pas se montrer trop brusque avec lui – ce qui ne l’empêchait pourtant pas de prendre parfois son chien pour un poney mais quand même toujours avec autant de douceur que possible -, il n’en allait pas forcément de même pour les autres enfants et c’est ainsi que les accidents arrivent. Les enfants c’est un peu comme la conduite : on ne peut se fier qu’aux siens/à la sienne. Soit, elle laissa donc à Sarah le soin d’attacher la laisse et guider Hades. Même si clairement, c’était plutôt Hades qui guidait, évidemment, et les voici donc partis tous les quatre en exploration. Histoire de ne pas se faire entraîner et sans doute aussi parce qu’elle ne se trouvait pas dans un environnement familier, elle vint glisser sa petite main dans la sienne et aurait sans doute aimé pouvoir en faire de même avec Jimmy de l’autre côté mais il fallait bien qu’elle tienne la laisse et elle ne laisserait cette tâche très importante à personne d’autre. Alors se fut Noomi qui glissa son autre main dans celle de Jimmy.

Ils suivirent donc les panneaux d’indication et purent se rendre compte que c’était drôlement de se retrouver à l’autre bout du camp, un peu isolés et plus en communion avec la nature que les autres campeurs mais ç’avait quand même un inconvénient majeur : ça se trouvait aussi super loin des toilettes. A elle, ça ne lui posait pas de problème, bien sûr ; elle avait été habituée à du camping bien plus sauvage que ça mais pour ce qui est de la mini-blonde, en revanche, c’était une autre histoire. Ils eurent l’occasion de passer devant une plaine de jeux – Sarah trépigna quelque peu à l’apercevant mais ne demanda même pas tout de suite la permission d’aller y jouer -, pas mal d’emplacements occupés, d’autres vides, pareil pour les bungalows et surtout, des tas de gamins de hurlants. La grecque ne les détestait peut-être pas mais la réflexion s’imposait d’elle-même : ç’avait un peu des allures de zoo par moment. Dans ces moments-là, Noomi se sentait toujours très fière d’avoir une petite fille si bien élevée en comparaison.

Ils passèrent même devant une supérette ; même pas besoin de dévaliser les distributeurs tout à l’heure alors mais bon, tant pis, ce qui était pris ne serait donc plus à prendre. Et puis enfin, l’endroit qu’ils cherchaient depuis facilement dix à quinze minutes, sans se presser. Vint alors le moment de se séparer : l’homme d’un côté, les femmes de l’autre. Elles attachèrent le labrador devant l’entrée et ce fut avec un peu de réticence que la blonde poussa la fameuse porte pour constater qu’en fait, c’était relativement correct pour un endroit de ce genre. Et pour cause, il y avait des personnes présentes pour assurer l’entretien. Voilà qui changeait la donne, c’était certain.

« - Ça te convient ?
- Oui mais c’est loin !
- J’t’avais bien dit, la forêt est plus proche.
- Oui mais hmpf… »

« Oui mais hmpf » voilà quelque chose que Noomi entendait souvent de la part de sa fille et n’avait pas besoin de la suite pour comprendre ce qu’elle voulait dire : oui mais ça ne lui plaisait pas, voilà tout. Et bien que ça ne soit pas dans sa nature, Sarah pouvait se montrer têtue quand elle le voulait. Quoi qu’il en soit, sa profita du fait d’être là pour utiliser les toilettes tant qu’à faire. Puis elle purent retrouver Jimmy à la sortie.

« Alors, verdict ? Pas trop craignos de l’autre côté ? Du nôtre c’est validé. »

Ce qui était un soulagement pour tout le monde. Sa fille tira alors sur son bras pour lui demander :

« Je peux aller jouer ? »

Et c’était si gentiment demandé qu’elle aurait bien du mal à refuser. Elle arqua alors un sourcil et se tourna alors vers Jimmy, un air espiègle sur le visage.

« J’sais pas… t’as envie d’aller faire un peu de toboggan, Jimmy ? »

Contrairement à l’idée qu’elle s’était faite, Noomi n’avait pas parlé tout de suite à Sarah de l’évolution de leur relation. Bien sûr, elle avait rapidement glissé quelques indices ici et là mais la verbaliser de façon claire avait pris un peu plus de temps que prévu. Chose assez rare pour être soulignée, la grecque avait réellement pris le temps de la réflexion avant de se lancer tête baissée comme à son habitude. Elle avait réfléchi, hésité, reculé et ainsi de suite durant quelques semaines. C’est qu’elle tenait réellement à ce que ça se passe au mieux pour eux trois. A commencer par Sarah, évidemment. Voilà qui constituait un changement majeur dans sa vie alors l’idée avait été de ne surtout pas la brusquer. Ils s’étaient donc montrés plutôt discrets à chaque fois qu’elle était dans les parages pendant quelque temps mais bien sûr, Sarah n’avait pas été dupe bien longtemps ; pas tellement parce que la discrétion n’était pas leur fort mais surtout parce qu’elle n’était pas bête et qu’elle avait rapidement fait le lien avec le fait que Jimmy s’attarde plus que d’habitude de leur côté de l’hémisphère. Et comme prévu en revanche – enfin, ou pas puisque Noomi n’avait été sûre de rien -, elle l’avait plutôt bien pris. C’est qu’à côté de l’annonce du débarquement de son père dans sa vie, ç’avait l’air d’être une nouvelle un peu plus réjouissante. C’est pour cette raison qu’aujourd’hui, ils pouvaient se comporter telle une vraie famille. Et Sarah pouvait se targuer d’avoir enfin quelque chose qui y ressemblait un tant soit peu. Même si dans le fond, sa mère était la preuve vivante qu’on pouvait s’épanouir correctement avec une famille quelque peu dysfonctionnelle. Si on mettait de côté le fait qu’elle ait peut-être reproduit un peu le schéma qu’elle avait observé durant ses propres années d’enfance une fois mariée mais ce n’était qu’un détail. Et puis c’est en faisant des erreurs qu’on apprend.

Ils se rendirent donc aux sanitaires et, d’un côté comme de l’autre, pas de mauvaises surprises, apparemment, ce qui était une bonne nouvelle. Après cette inspection assez rapide, Sarah demanda alors si elle pouvait aller jouer. Rien de plus normal, c’est qu’ils avaient fait un long voyage pour une si petite fille. Et même pour les plus grandes car, en ce qui la concernait, Noomi rêvait de pouvoir s’en griller une. Si elle tâchait de ne pas trop fumer en présence de sa fille, elle se disait qu’exceptionnelle, puisqu’ils étaient au grand air, elle pouvait bien se le permettre. Elle laissa donc Jimmy et Sarah prendre de l’avance tandis qu’elle s’allumait une clope et récupérait Hades qui, une fois de plus, ne la jugea pas. Vraiment un bon toutou. Puis elle rejoignit l’aire de jeu à son tour et resta un peu à distance, le temps de s’intoxiquer sans pour autant prendre le risque les enfumer, tout en les observant avec un air attendri. Ça lui faisait toujours tellement plaisir de les voir s’amuser ensemble. Le labrador, lui, tirait sur sa laisse pour rejoindre sa maîtresse alors qu’il l’entendait rire aux éclats. La blonde calcula alors rapidement la menace qu’il pouvait représenter pour les autres gamins présents, l’estima très peu élevée puisque, comme presque tout le monde ici, il n’en avait que pour Sarah et s’exclama :

« Attention, j’lâche le monstre ! »

Monstre qui ne perdit pas une seconde pour se ruer sur le toboggan et essayer de le remonter pour suivre la petite fille tout en glissant continuellement à cause de la gravité. Ce qui était plutôt drôle à voir, il est vrai. Puis elle écrasa son mégot contre la poubelle avant de l’y jeter et de prendre la direction des balançoires. Certaines étaient occupées par d’autres enfants mais elle se trouva tout de même une place libre. Son intention n’était absolument pas de se la péter et de devenir la star de plaine de jeux mais Sarah ne manqua pas de le remarquer et de lui crier un :

« Saute, maman ! »

Tout excité. Et comme ce que sa fille voulait, elle finissait presque toujours par l’obtenir, Noomi se mit alors à se balancer aussi haut que possible avant de sauter telle la casse-cou qu’elle avait toujours été pour atterrir dans le gravier sans trop de casses, hilare elle aussi. C’était évident qu’elle ne donnait pas le bon exemple mais elle s’en voudrait que Sarah ne connaisse jamais cette sensation de prendre son envol. Même si ça signifiait devoir la badigeonner de mercurochrome ensuite. Et si ce n’était pas encore arrivé alors ça ne saurait tarder car après tout, la pomme ne tombe jamais loin du pommier, à ce qu’il paraît.

Non, ce n’était en aucun cas son but d’attirer l’attention et pourtant, c’était encore une fois le cas. Sans doute était-elle de ces gens qui ne savent pas se montrer discrets. La vérité c’est que Noomi n’en avait pas la moindre idée étant donné que ça n’avait jamais été ce qu’on lui avait demandé. Peut-être bien qu’elle serait une espionne vraiment nulle, du coup… tout ça pour dire que les enfants de l’air de jeux avaient tous tournés la tête dans sa direction, des étoiles pleins les yeux. Et les parents aussi mais les étoiles avaient été remplacées par du jugement. Comme d’habitude, ça glissait sur elle comme sur les plumes d’un canard et c’était à peine si elle, elle leur prêtait la moindre attention. C’est que les gens ont toujours la critique facile, quoi que vous fassiez mais ce n’était pas eux qu’elle essayait d’impression ou encore moins à qui elle essayait de plaire, c’était Sarah. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que ç’avait fonctionné puisque sa mini-blonde était déjà en train de prendre sa place sur la balançoire. Voilà qui lui tirait un petit sourire qui s’emplit de malice à la remarque de Jimmy.

« Et ça encore, c’est rien mais tu le sais très bien. »

Puis si on partait du principe que les parents parfaits n’existaient – ce qui est un fait, ils n’existent pas, il n’y a que des gens qui font de leur mieux en croisant très fort les doigts pour que ça passe – alors qui pouvait juger de ce qui était un bon exemple et ce qui ne l’était pas, hein ? Soit, histoire de lui prouver qu’il était de son côté, Jimmy alla rejoindre Sarah pour l’aider à se balancer plus haut et la grecque n’était pas sûre que sa fille aurait le courage sauter de cette hauteur, elle se positionna tout de même de sorte à mieux la réceptionner : pieds bien ancrés au sol et légèrement penchée vers l’avant. Et c’est là que Sarah la surprit, elle n’eut même pas l’ombre d’une hésitation et s’élança. La preuve que la blonde avait toujours été nulle en math – ainsi qu’en physique, de toute évidence -, c’est qu’elle n’était bien évidemment pas assez solide pour ne pas tomber à la renverse en amortissant leur chute, tout simplement. Ce qui se produisit, bien sûr, mais elle ne regrettait pas une seule seconde puisque sa fille rayonnait littéralement. Il lui fallut seulement quelques secondes pour reprendre son souffle et se mettre à rire elle aussi. Là-dessus, la blondinette s’exclama :

« Encore, encore ! »

Et Noomi dut lui attraper doucement le poignet pour la retenir quelques secondes de plus.

« Pas tout de suite, on va en garder un peu pour plus tard. »

Ah, elle avait beau faire comme si, elle n’avait plus vingt ans et ça se faisait parfois douloureusement ressentir. Elle attendit que Sarah hoche la tête, lui prouvant ainsi qu’elle avait compris et que ce n’était pas un problème, elle pouvait se défouler autrement et qu’elle se relève pour se redresser à son tour. Juste avant qu’Hades ne déboule pour faire un câlin groupé. Il ne lui restait plus qu’à s’épousseter et à évaluer l’ampleur des dégâts. Rien de cassé cette fois non plus. Décidément, elle allait vraiment finir par croire que les dieux veillaient sur elle, à ce rythme-là. C’est le lendemain que ça risquait d’être douloureux. Mais bon, ça en valait la peine. Et puis au pire, ça serait un excellent prétexte pour réclamer un massage une fois rentrés. La blonde voulut le faire savoir à Jimmy, le tout agrémenté d’un splendide sourire enjôleur mais Sarah, qui était donc effectivement déjà passée à autre jour, l’appelait déjà pour qu’il vienne les faire tourner, elle ainsi qu’une poignée d’autres mômes sur le tourniquet. Je vous jure, les enfants à cet âge sont increvables. Noomi se consolait en se disant que, par chance, sa fille n’aurait aucun mal à trouver le sommeil cette nuit, ça serait déjà pas mal.

Ne pas se faire trop de mal dès le départ, c’était toujours l’objectif avec Noomi. Pour elle qui ne savait que foncer, quelle que soit la situation ou le danger, c’était compliqué mais elle était toujours vivante et un seul morceau alors dans le fond, on peut dire qu’elle ne se débrouillait pas si mal que ça. Enfin, tout est relatif, bien sûr, surtout si on compte le nombre de fois où elle avait failli y rester mais ce qui était indéniable en revanche c’est que de ce point de vue-là, la blonde avait toujours eu de la chance. Bien sûr, il s’était toujours trouvé des gens pour s’en soucier mais pour ce qui était de lui faire entendre raison, en revanche, c’était une tout autre histoire. Mais elle comprenait l’inquiétude de Jimmy – inquiétude tout à fait fondée, pour le coup -, et comme toujours, ça lui faisait chaud au cœur. Si bien qu’elle répondit, comme par réflexe :

« J’te promets d’essayer, oui. »

Ce qui était déjà une petite victoire en soi. Le fait est que la douleur n’était pas que physique en l’occurrence. Enfin oui, okay, elle n’avait plus vingt ans et Sarah n’était plus une mignonne petite chose. Ou plutôt si mais plus si petite que ça et c’était bien là le fond du problème. Plus encore que de se casser un membre, la blonde avait peur que le temps ne passe trop vite et qu’elle ne puisse pas en profiter à cause de… oh, vous savez bien quoi. Alors il fallait compenser ; faire de chaque seconde une véritable fête et tant pis s’il lui fallait plusieurs jours pour s’en remettre physiquement ensuite. C’était quelque chose qu’elle n’avait pas envisagée lorsqu’elle avait pris la décision de devenir mère mais que voulez-vous ? Il y avait toujours des imprévus.

Noomi sourit en sentant les lèvres de Jimmy se poser sur son front ; c’était quand même plus simple avec lui dans les parages, c’est certain. D’ailleurs, il lui fit comprendre d’un regard qu’il se chargeait d’amuser la galerie en poussant une bonne moitié des gamins présents sur cette aire de jeux sur le tourniquet. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils en eurent pour leur argent – façon de parler – puisque la couleur du visage de certains passa par à peu près toutes les nuances possibles : du rouge dû à l’excitation générale, au gris pour terminer par le vert. Ou vice-versa, on pourrait même aller jusqu’à parler d’un gris verdâtre. Quel spectacle ! Sarah, quant à elle, semblait s’amuser comme une petite folle et c’était bien là tout ce qui comptait. Et c’était un peu comme à la fête foraine, ça ne serait pas drôle si l’un ou l’autre ne vomissait pas tripes et boyaux par-dessus bord, pas vrai ? La grecque en était là de ses réflexions, bien calée contre Jimmy. Quant à Hades, lui courait tout autour en aboyant pour signaler qu’il voulait monter aussi. Ça oui, les labradors sont adorables mais tout de même pas très malins. Enfin, c’était mieux que d’essayer de monter à tout prix quitte à se blesser… peut-être bien qu’Hades était plus intelligent que Noomi dans le fond. Bref, mieux valait ne pas trop s’attarder là-dessus.

Ils auraient pu rester longtemps ainsi, enlacés tous les deux à se contenter de regarder Sarah jouer en compagnie d’autres gamins mais vous savez comment ça se passe : ce n’est jamais paisible bien longtemps avec les enfants. Et au moins de temps qu’il n’en faut pour le dire et sans savoir comment ni pourquoi voilà que sa fille se retrouvait par terre, de grosses larmes lui montant déjà aux yeux alors que le chien se précitait pour lui lécher le visage juste avant qu’elle se mette à hurler. Ah, voilà qui ressemblait déjà bien plus aux balades au parc qu’elle avait connu jusque-là. A croire qu’il fallait que ça se termine toujours de la même façon. La blonde accourut alors et vérifia avant toute chose qu’elle ne s’était pas fait une commotion mais elle n’avait pas l’air le moins du monde sonnée, c’était déjà ça. Elle la prit ensuite dans ses bras tandis que Sarah sanglotait contre son épaule.

« C’est lui, il m’a poussée ! »

Et bien sûr, il valait mieux pour ce sale mioche qu’elle ne cherche pas à savoir qui était ce fameux « lui » sinon il passerait un mauvais quart d’heure. Et c’est toujours mal vu de molester des enfants, encore plus quand ce ne sont pas les siens.

« Allez, c’est rien. Tu veux qu’on aille te chercher une glace ? »

Un hochement de tête pour toute réponse, Sarah ravalait déjà ses larmes. Bon, plus de peur que de mal, finalement. Comme souvent.

Déjà en temps normal, Noomi avait tendance à céder si pas au moindre caprice de sa fille, à beaucoup d’entre eux. On dira ce qu’on voudra mais parfois, c’est le seul moyen de venir à bout des larmes de crocodile qui vous fendent le cœur, face auxquelles vous vous trouvez désemparé. Bien sûr, ce n’est pas toujours la meilleure solution mais parfois oui. Tout ça pour dire que, depuis qu’elle était contrainte et forcée de partager la garde de sa fille, c’était encore pire mais pour d’encore moins bonnes raisons. Comme le fait de vouloir à tout prix rester la favorite. Elle savait que ce n’était pas une bonne chose, que le jour où tout redeviendrait comme avant – enfin, autant que faire se peut , Sarah pourrait s’y être habituée et ne pas comprendre ce léger changement. Ça, on le lui avait répété plus d’une fois. Et ça venait de personnes bien intentionnées, qui plus est, puisqu’elle s’agissait presque toujours de son père. Mais que voulez-vous ? Il arrivait souvent que la blonde n’en fasse qu’à sa tête. Peut-être bien que dans ce cas précis, il y aurait eu une leçon à donner et peut-être bien que les parents autour la jugeaient une fois de plus de tâcher de consoler sa fille avec une glace mais qu’ils aillent donc se faire foutre, la seule chose qui comptait à cet instant, c’était de calmer ces pleures, de faire oublier cet incident et de raccrocher un joli sourire sur ce petit minois.

Par chance, elle n’était plus seule à s’occuper de cette tâche. Et pour ce qui était de rendre le sourire à Sarah, Jimmy était toujours très doué. En vérité, il pourrait rendre le sourire à n’importe qui et quelle que soit la situation ; c’était son pouvoir de super-héros à lui. En l’occurrence, il fit mine de se faire mal lui aussi afin de réclamer une glace. Ce qui eut le don de dédramatiser tout ça et même de les faire rire toutes les deux.

« T’es un vrai bébé, Jimmy ! »

Cet aplomb ne pouvait que faire rire Noomi de plus belle. C’était tout de même un comble. Et d’un autre côté, ça ressemblait drôlement à quelque chose qu’elle aurait elle-même pu sortir.

« J’crois qu’on en mérite tous une, de glace. »

Ce qui signifiait même Hades qui depuis tout à l’heure ne cessait de leur tourner autour pour s’assurer que tout allait bien. Direction la supérette, donc. La grecque passa le relais à Jimmy pour ce qui était de porter Sarah et se chargea de remettre sa laisse au labrador pour l’attacher devant l’entrée. Pas le choix, sinon il les aurait de toute évidence suivi à l’intérieur. Et, bien que lui aussi soit plutôt bien élevé, il lui arrivait toutefois de faire parfois de gros dégâts de par sa maladresse. Mieux valait donc éviter les frais. Bref, une fois à l’intérieur, Sarah resta sagement dans les bras de Jimmy, sans même demander à descendre pour courir dans tout le magasin ce qui n’était arrivé qu’une seule fois et Noomi avait tôt fait de la recadrer quant au fait qu’on ne s’enferme pas dans les surgélateurs après avoir eu la peur de sa vie et récupéré sa fille toute grelottante. Depuis, Sarah se tenait tranquille.

Sans prendre la peine de sillonner parmi les rayons histoire de ne pas lui donner l’idée de réclamer tout ce qu’elle verrait, ils se dirigèrent vers la caisse près de laquelle se trouvait un petit congélateur rempli de glaces de toutes sortes.

« Qu’est-ce que vous prenez ? »

Il n’était question de presser personne puisqu’ils avaient vraiment tout leur temps mais elle savait très bien que sa fille pouvait se montrer parfois indécise. Ça concernait notamment ce qu’elle voulait porter pour aller à l’école depuis que sa mère n’avait plus son mot à dire là-dessus – ou presque , ce qui les mettait invariablement en retard tous les matins où c’était à elle de la conduire à l’école, c’est-à-dire un mercredi sur deux, désormais, mais pas que ! Ces indécisions pouvaient également survenir au rayon jouets ou encore au rayon glaces, tiens. Voilà ce que c’est d’avoir trop de choix. Raison pour laquelle la blonde choisit déjà ce qui lui faisait envie, comme ça, si jamais ça prenait vraiment trop de temps, elle aurait l’excuse que sa propre glace commençait à fondre. C’est qu’il faut parfois savoir ruser.