you sent us to camp, they made us sing → noomes

Rien de plus frustrant que d’avoir à faire semblant de perdre. Si ça n’avait pas été pour Sarah, Noomi ne l’aurait probablement jamais fait pour personne – d’un autre côté, les domaines où elle peut vaincre d’autres personnes à plate couture sont plutôt restreints. Sans aller jusqu’à être égoïste, elle pensait que faire plaisir aux autres est une chose, s’écraser continuellement revanche, c’en était une autre. Mais en ce qui concernait Sarah, évidemment que c’était différent. Noomi aurait donné n’importe quoi pour voir un sourire illuminer sa petite bouille toute mignonne. Et ainsi fut donc décidé qu’elle recevrait des cours de chant ne serait-ce que pour être un peu meilleure en apnée. Dit comme ça, ça n’a pas l’air si important que ça mais on ne sait jamais ce qui peut arriver, ça pourrait lui être très utile à l’avenir. Ainsi fut également décidé de quitter le bassin. La raillerie de Jimmy eut l’effet escompté même si Sarah n’était pas plus embêtée que ça, elle lui adressa plutôt un secouement de tête blasé. A l’évidence, elle savait très bien qu’il n’était pas question d’aller se coucher avant d’avoir dîné et quand elle la questionna du regard, au cas où, celle-ci se contenta de répondre par un haussement d’épaules. Ils sortirent de l’eau et Noomi arracha presque la laisse d’Hades des mains de jeunes demoiselles qui continuaient de lui faire faire inlassablement des tours de piscine en les remerciant mais à peine.

Il n’y eut alors plus qu’à passer à la douche avant de reprendre le chemin de leur emplacement. Comme si ce n’était pas suffisamment clair ainsi, Sarah ne cessa de répéter qu’elle mourait de faim tout au long du trajet. Pas de chance pour elle, il lui faudrait encore attendre un peu, le temps que le feu prenne. Car non, la grecque ne s’était pas contentée de dévaliser les distributeurs qui avaient eu le malheur de se trouver sur son chemin, elle avait bien fait les choses. Que dirait Frank s’il apprenait que son ex-femme donnait un paquet de chips en guise de repas à leur fille ? Oh, aucun doute là-dessus, il trouverait un moyen de s’en servir contre elle et elle ne pouvait malheureusement pas toujours demander à Sarah de garder le secret. Alors elle avait tâché de préparer deux ou trois petites choses et surtout d’emporter de quoi faire des burgers. Les chips ne seraient jamais qu’un accompagnement.

De retour au camp, pour ce qui était du feu, c’est Noomi qui s’y colla. Sans prendre la peine d’essayer d’apprendre quoi que ce soit à sa fille : elle était crevée, sa concentration avait quitté le navire donc tant pis. De toute façon, elle aurait sûrement bien d’autres occasions de lui montrer comment on fait. Ce qui serait très probablement au moins aussi utile que l’apnée. Ils en feraient une vraie survivaliste, capable de s’en sortir quelle que soit l’épreuve à laquelle elle devrait faire face. Comme sa mère. Bref, si la blonde n’obtint pas vraiment d’aide de la part de Sarah, Hades décida de mettre la main à la patte quant à lui. Tout ça pour dire qu’il traînait plus dans ses pieds qu’autre chose mais qu’elle n’avait pas le cœur de lui demander d’aller voir plus loin si elle y était.

« Tiens Jimmy, tu nous chanterais pas un p’tit truc en attendant ? »

Plutôt que de chercher une chanson random sur son téléphone.

« Oh oui, chante la chanson de... »

Laissez-la deviner : la Reine des Neiges ?

« Coco, s'il te plaît. »

Alléluia. Dans son coin, elle poussa un soupir de soulagement. Bon, elle aurait préféré que Jimmy chante une de ses propres chansons à choisir mais Coco, ça la changeait de la reine congelée. Et puis l'espagnol c'est sexy alors elle ne dirait pas non.

Pas de feu de camp sans guitare – et vous noterez que l’inverse n’est pas forcément vrai, il peut très bien y avoir de la guitare sans feu de camp. C’est donc tout naturellement qu’elle demanda à Jimmy d’autre leur fond sonore. Non, pas uniquement pour couvrir le bruit dans autres enfants leur parvenant des parcelles tout autour. Quelle joie, des hurlements en quadriphonie rien que pour eux. Non mais bien parce que c’est ce qui manquait à ce début de soirée ; la jolie voix de Jimmy sur un air de guitare accompagné des craquements du bois. A l’évidence, Sarah n’allait pas rater l’occasion de réclamer une chanson qui, contre toute attente, ne venait pas de la Reine des Neiges. Noomi tenait absolument à ce qu’elle ne connaisse pas que ça mais il serait difficile de nier que ça ne virait pas à l’obsession chez la petite fille parfois. Ce dont on ne pouvait pas lui en vouloir étant donné qu’elle était pareille au même âge. D’ailleurs, elle ne saurait dire si c’était la nostalgie qui parlait mais elle trouvait que les chansons des Disney étaient bien meilleures de son temps. De tous temps, même. La Reine des Neiges était possiblement le Disney qui avait les pires chansons – avec Raiponce – et malgré ça, si vous aviez le malheur d’avoir eu des enfants du temps de sa sortie ou même quelques années après, vous ne pouviez faire autrement que de toutes les connaître sur le bout des doigts, que ça vous plaise ou non.

Mais, et ce pour le plus grand plaisir de sa mère, ce ne fut pas une chanson de ce dessin animé que Sarah réclama mais bel et bien de Coco. Pas mal, il fallait juste connaître certains classiques en espagnol. Et par là même, connaître l’espagnol bien qu’y aller en yaourt pouvait peut-être passer inaperçu. Ce qui serait son cas. Elle parlait le français et le grec avec beaucoup d’aisance mais pour ce qui était de l’espagnol, en revanche... Noomi n’était même pas foutue de demander où se trouvait l’aéroport ou une connerie de ce genre. Alors que son ex-mari avait tout de même des origines de par là-bas. Et qu’un de ses meilleurs potes était colombien. Oui c’est triste mais c’est ainsi. On se contenterait des quelques mots qu’elle savait également baragouiner en portugais à la rigueur. Soit, tout ça pour dire qu’elle ne s’attendait pas à ce que Jimmy se débrouille si bien avec une chanson dans cette langue mais qu’elle avait tort de le sous-estimer. On ne l’y reprendrait plus.

La blonde ne fut d’ailleurs pas la seule à s’en apercevoir, puisqu’attirés tels les papillons de nuit par la flamme d’une bougie, d’autres campeurs vinrent s’incruster sur leur parcelle pour écouter un peu comme s’ils étaient au cirque. Si Sarah frappait dans ses mains en rythme Noomi quant à elle ne pouvait s’empêcher de se sentir quelque peu envahie. Notamment parce que parmi cette mini-foule se trouvaient les groupies de tout à l’heure. Mais bon, elle n’allait pas encore en faire toute une histoire ; en plus d’être extrêmement séduisant, son copain était également très doué. De ses mains pour commencer – et à plus d’un égard -, sans omettre la jolie voix envoûtante dont il était doté. On ne pouvait que tomber sous le charme. Celui qui était aux anges, en revanche, c’était Hades. Elle se laissa captiver quelques instants avant de s’affairer aux grillades. Rien de moins compliqué que de faire griller un steak. D’autant qu’ils se trouvaient en plein air ; aucun risque de devoir dire adieu à tout leur matériel de camping juste parce qu’elle aurait tout fait cramer. Pendant que ça cuisait, elle jeta un œil aux gens qui se trouvaient là et il lui sembla que la foule s’était encore densifiée. Tant qu’ils ne s’invitaient pas à leur table – façon de parler -, ça lui irait très bien. Parce qu’elle sait bien comment ça se passe : d’abord ils sont une dizaine puis vingt puis tout le camping et quand vient l’heure d’aller se coucher, pas moyen de s’en débarrasser. Enfin si, il y a toujours un moyen mais pas toujours très joli à voir.

Ce soir, Jimmy faisait salle comble. Ou parcelle comble pour être plus juste. Noomi n’avait rien contre, bien au contraire, il fallait qu’il relance sa carrière ici aussi et ça lui donnerait peut-être le petit coup de pouce dont il avait possiblement besoin parce que certains filmaient et c’est de notoriété publique maintenant, mais rien de tel que faire le buzz. Cependant, voir débarquer tous ces gens, c’était un peu comme de voir débouler toute une clique au beau milieu de votre salon. Ce qui lui était déjà arrivé une fois. Et elle avait eu horreur de ça. Surtout à cause de la pagaille qu’ils avaient mis sans bien sûr prendre la peine de l’aider à ranger. Les risques d’avoir une émission pour les jeunes à la radio, ça. Cela dit, ça ne se reproduirait plus, elle leur avait très clairement fait comprendre à tous qu’une fois mais pas deux. Au moins ceux-ci n’étaient pas venus uniquement dans le but de foutre le bordel. Non, on pouvait même dire qu’ils se tenaient plutôt bien. Ce qui n’empêcha pourtant pas la grecque d’aller s’occuper des grillades. Il fallait bien que quelqu’un s’y colle parce qu’après environ trois chansons, Sarah revint lui signaler combien elle mourait de faim.

D’ailleurs elle n’était pas la seule puisque Hades avait délaissé ses groupies pour venir tourner autour du feu de camp. Il n’y avait plus qu’à espérer que personne ne se brûle. Enfin, en ce qui concernait son top 3 en tout cas. Pour ce qui était des autres, premièrement elle s’en fichait, deuxièmement, ils n’étaient pas sous sa responsabilité. Mais tout se passa pour le mieux et environ une vingtaine de minutes plus tard, le concert prit fin. Noomi posa ses ustensiles de cuisine pour applaudir de concert avant de se remettre au travail.

« Bien joué, j’suis fière de toi ! »

Elle répondit à son clin d’œil par un autre avant de leur tendre un burger un chacun, de se servir elle-même allant ensuite s’asseoir en tailleur à côté du feu en attirant sa fille sur ses genoux. Ah, le feu de bois. Parfois ça lui faisait regretter de ne pas avoir de cheminée à l’appartement. Puis elle se consolait en songeant qu’elle crapahutait assez souvent dehors pour ne pas en avoir réellement besoin. D’ailleurs personne n’a besoin d’une cheminée à moins qu’il ne s’agisse de votre seule et unique source de chaleur. C’est con. Bref, tandis qu’elle engloutissait son burger, la petite voix de Sarah s’éleva une fois de plus dans l’air.

« T’es aussi bon pour raconter des histoires qui font peur que pour chanter et faire de la guitare, Jimmy ? »

Si elle l’avait soupçonné un peu plus tôt, Noomi en était à présent convaincue : Sarah le testait. Elle n’avait apparemment rien contre le fait qu’il fasse office de beau-papa dans sa petite vie. A condition qu’il sache chanter et raconter des histoires qui font peur bien sûr. Si ça l’étonnait ? Pas le moins du monde. Si elle avait l’intention d’intervenir ? Non plus. Si c’était ce dont sa fille avait besoin pour accepter leur relation alors qu’il en soit ainsi. De plus elle avait de la chance, la chanson comme les histoires, c’était un peu le fort de Jimmy. Et si la blonde avait fait plus que l’affaire jusqu’ici en ce qui concernait la musique, du côté des histoires en revanche, c’était différent. Pas qu’elle manque d’imagination mais elle ne se sentait pas légitime dans ce rôle. Comme beaucoup, elle préférait écouter. Cependant, comme ce goût du morbide chez Sarah ne pouvait provenir que d’elle, il avait bien fallu qu’elle trouve l’une ou l’autre parade. Mais une fois de plus, elle n’avait rien inventé, se contentant de piocher dans ce qui existait déjà. Et par chance, il s’agissait là d’une ressource quasiment inépuisable puisque des films d’horreur, il en sort tout le temps. Évidemment, à force, ça commence à tourner un peu en rond mais Sarah était encore trop petite pour s’en rendre compte.

Non, bien sûr que les histoires qui font peur n’étaient pas de l’âge de Sarah mais c’était quelque chose qui la fascinait depuis des années déjà. Certains parents auraient pu s’en inquiéter, car c’était tout de même un peu morbide, mais pas Noomi. Notamment parce qu’elle était pareille à son âge et ça ne lui avait pas si mal réussi. Enfin, elle espérait que sa fille ne lui ressemblerait pas trop en grandissant, c’était un fait mais si elle était devenue une véritable terreur à l’adolescence, ce n’était en rien la faute des histoires terrifiantes. Et puis, pour être passée par-là, elle savait que le meilleur moyen de la pousser à lui désobéir était d’essayer de la tenir aussi éloignée que possible de ce qui l’attirait. Donc non, Noomi n’était clairement pas le genre de mères qui interdisait formellement quelque chose à sa fille. Surtout dans ce domaine. Par contre, si Sarah avait droit aux histoires d’horreur, il faudrait qu’elle attende encore un peu avant de passer aux films. Cela dit, Noomi n’était même pas sûre que les films soient pires mais les films ne passeraient jamais devant le juge, c’était toute la différence. Ce qui est idiot en fin de compte, les contes de fées c’est pas franchement joyeux non plus, quand on y pense.

Tout ça pour dire que non seulement elle n’avait pas l’intention d’intervenir mais en plus de ça, elle était également très attentive. Ça ne lui était jamais passé, elle adorait toujours ça. Aussi écoutait-elle en mordant de temps à autre dans son burger. Sarah quant à elle, pouffa, en entendant qu’il faudrait qu’elle fasse savoir si jamais ça faisait trop peur. Clairement pas impressionnée, la petite. Et ainsi fut donc contée l’histoire musicale de la princesse Sarah – rien à voir avec celle toute mollassonne du dessin animé du même nom, ça non –, et du beau chevalier Hades. La réaction du labrador en entendant son nom eut le don de faire rire tout le monde. Une chance pour la princesse Sarah que le Hades de l’histoire de Jimmy soit plus courageux que le vrai, sans quoi elle pourrait encore attendre longtemps avant d’être secourue de sa tour de verre. Réflexion que la grecque garda pour elle. La musique se fit alors plus aventureuse en s’emballant un peu comme celle des jeux vidéo lorsque vous aviez le malheur de faire une fausse manipulation et de sortir votre arme en pleine zone ennemie.

Des loups-garous et des zombies – et non pas des vampires, merci, ça serait tellement cliché ! -, c’était le bestiaire que Jimmy s’était choisi.

« Bouh ! »

Moment parfait pour un screamer. Qui fit sursauter Sarah, surtout parce qu’elle était concentrée, avant de lui faire lever les yeux au ciel, hilare.

« T’es bête, maman ! »

Peut-être bien que sa fille avait raison mais que voulez-vous ? Ça l’amusait, Noomi. D’autant qu’elle savait de source sûre qu’elle ne prenait pas le risque de lui faire faire des cauchemars étant donné que Sarah n’avait peur ni des loups-garous, ni des zombies ; elle semblait avoir intégré le fait qu’ils n’existaient pas. Pas tout à fait comme les fantômes, en revanche. Surtout qu’elle savait que sa mère passait dans une émissions où on les chassait parfois, en compagnie de son parrain qui lui y croyait dur comme fer. Donc tout ça devait lui paraître abstrait, flou. Mais comme pour un peu tout le monde, en fin de compte. Plus tard viendraient les questions concernant les démons et les sorcières et la blonde devrait se retenir de lui expliquer que sa grand-mère en était une. Non pas parce qu’elle était méchante – quel stéréotype -, mais bien parce qu’elle vivait dans une espèce de cabane de pêche au fin fond de son bayou avec ses serpents et ses alligators et que, par conséquent, l’ambiance s’y prêtait. Bref.

« Continue, Jimmy ! Qu’est-ce qui se passe ensuite ? Hades va se faire mordre ? »

Le labrador pencha alors la tête sur le côté comme s’il était soudain inquiet de son propre sort. A se tordre de rire. Mais Sarah ne riait pas ; le fait que son chien porte le même nom avait d’emblée créé un attachement au chevalier, ce qui explique qu’elle ne voulait pas qu’il lui arrive de mal.

Quoi qu’il entreprenne, Jimmy était toujours très doué. Elle le connaissait depuis longtemps donc Noomi avait eu l’occasion de s’en apercevoir plus d’une fois mais il le démontrait encore aujourd’hui. Tout d’abord en leur faisant un petit concert pas si privé que ça puisque tout le camping avait trouvé le moyen de venir se rassembler sur leur parcelle il y a à peine quelques instants, ensuite avec cette histoire supposée faire peur qu’il inventait au fur et à mesure. La blonde observait son beau visage un peu concentré mais pas trop à la lueur du feu de camp. Elle avait l’impression de pouvoir voir les rouages de son cerveau bien huilés tourner à plein régime à chaque fois qu’une idée fusait avant de reprendre son rythme régulier. Très intéressant à regarder et pas dénué de charme non plus. Sans compter qu’elle pourrait l’écouter des heures durant sans jamais se lasser ; sa voix ne cesserait jamais de l’envoûter. Finalement, elle se prit au jeu et se demanda elle aussi ce qui allait advenir du pauvre chevalier Hades prit au piège dans cette forêt remplie de zombies et de loups-garous. Si l’histoire ressemblait un tant soit peu à la réalité, aucun doute que les zombies n’en feraient qu’une bouchée. Mais il faut bien admettre que ça serait nettement moins vendeur si un chevalier n’était pas sans peur. Et sans reproche. Mais surtout sans peur pour le coup. Puis muni d’une épée. Comme tout bon chevalier qui se respecte. Cela dit, une épée ne doit techniquement pas tellement faire le poids face à une horde de zombies affamés. Ou même une meute de loups-garous – voire même de loups tout court -, probablement tout aussi affamés. La magie des contes de fées.

Petite pause dans le récit pour que Jimmy puisse ménager son effet de surprise. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que ça fonctionne très bien sur sa fille qui poussa alors un petit cri. Noomi, qui en a terminé avec son burger entre-temps, la serra fort contre elle en s’exclamant.

« Il faut sauver la princesse ! »

Oui, complètement à côté de la plaque mais si quelqu’un passait par-là et avait entendu ça, il n’aurait plus aucune raison d’appeler l’aide à l’enfance. Sarah quant à elle n’avait pas l’air le moins du monde traumatisée étant donné qu’elle riait à présent aux éclats. C’est qu’ils lui sortaient le grand jeu pour la divertir, digne d’un véritable spectacle sons et lumières. Il reprit ensuite pour introduire un nouveau personnage dans l’histoire, à savoir la femelle Alpha. Qui porte son prénom, rien que ça. Si bien qu’elle en vint à se demander s’il n’y avait pas un message là-dessous. Dans tous les cas, elle préférait ça. Ça la changeait des comparaisons avec les vampires qu’on lui sortaient à chaque fois. Trois raisons à ça : sa peau diaphane ; on ne pouvait être sûr qu’un centilitre de sang coule dans ses veines et colore cette peau blafarde, l’endroit d’où elle provenait – merci True Blood – et enfin la réputation des Savalas. Alors bon, ça pourrait éventuellement être cool s’il n’y avait pas eu Twilight mais voilà, il y a eut Twilight. Sarah tourna alors la tête vers elle avant de la secouer. Ce qui signifiait qu’elle désapprouvait d’avance ce que son double de l’histoire s’apprêtait à faire. Ça lui donna bien évidemment envie de rire mais au lieu de ça, elle la poussa tout en douceur comme pour lui faire comprendre de lui lâcher la grappe : on ne savait même pas encore ce que cette Noomi-là allait faire. Peut-être avait-elle plus de bon sens que la vraie. Ce dont elle doutait sérieusement mais l’admettre reviendrait à donner raison à sa fille et ce n’était pas toujours le cas.

« Je suis sûre qu’Hades va bien s’entendre avec les loups-garous. »

Probablement parce qu’elle faisait le rapprochement entre le chevalier Hades et son chien. Et que les chiens sont un peu des loups. Quoi qu’il en soit, sa fille donnait clairement l’impression de s’attendre à une bataille épique chevalier-loups-garous versus zombies maintenant. Que les zombies perdraient, comme toujours. Notamment parce que leur seul avantage, c’est celui du nombre mais si on les prend un à un alors ils sont idiots et lents… Oui, Noomi avait déjà réfléchi à ça plus d’une fois en estimant ses chances de survie au cours d’une apocalypse zombie. Au cas où. Ce qu’elle faisait à peu près à chaque fois qu’elle regardait un film, une série ou même lorsqu’elle jouait à un jeu vidéo sur ce sujet. Et ils étaient légion. Cependant, connaissant Jimmy, il fallait s’attendre à tout et surtout à un retournement de situation.

Ne pas jouer la carte fanservice revenait à s’exposer à un énorme risque pour les auteurs, scénaristes et tout ce qui s’ensuit. Ceux de Game of Thrones et de la dernière trilogie Star Wars en avaient fait les frais. A tel point qu’on a même décidé qu’elle ne serait pas canon. La trilogie, pas la saison. Bien qu’elle ne sache pas très bien qui est ce « on ». Sans doute les fans et les responsables de ce carnage. Mais c’est triste quand on y pense parce que les gens ne sont jamais contents alors à ce rythme, on pourrait tout aussi bien tout annuler et ensuite tout refaire à l’infini. Bref, elle attendait de voir dans quelle catégorie Jimmy se situerait : les auteurs qui ont peur de représailles ou au contraire ceux qui s’en fichent royalement ? Pendue à ses lèvres elle écoutait le récit, se faisant elle-même sa propre idée. Non, sa Noomi ne devait pas être quelqu’un de très cool si elle était belle, avenante et qu’en plus de ça on lui donnait le bon Dieu sans confession, c’est qu’au fond, elle essayait de tendre un piège au chevalier ; être belle et gentille ça ne valait que pour les princesses en théorie. Mais pour être tout à fait honnête, ça l’arrangeait que Sarah continue d’y croire un petit peu, ça lui permettrait d’éviter ce regard un peu moins désapprobateur depuis la proposition d’aide.

Sa fille avait l’air de se régaler de cette histoire en tout cas. Tant qu’elle en oubliait parfois d’émettre des suppositions. Ainsi ne savait-elle rien de qui pouvait bien être ce fameux sauveur mais elle restait dans l’expectative. En ce qui la concernait, la blonde espérait que ledit sauveur ne serait personne d’autre que Jimmy sur la moto de Ghostrider – d’où les flammes – et que ça se terminerait en science-fiction. Dans l’espace, pourquoi pas ? Bon d’accord, l’espace faisait tout de suite un peu moins horreur même si Alien. Quoique. Il existait bien un film d’horreur avec des requins dans des tornades, ce qui prouvait qu’on pouvait vraiment faire de l’horreur avec tout et surtout n’importe quoi. Soit. A moins qu’il ne s’agisse d’un lance-flammes. En ce cas, la question serait : peut-on vraiment se fier à quelqu’un armé d’un lance-flammes ? Noomi aurait vraiment très envie de dire que oui et peut-être que si l’action ne se situait pas en pleine forêt, elle pourrait effectivement l’affirmer, mais là…

« - La voilà la solution, faire flamber tout le monde dans un grand feu de joie.
- Mais si Hades brûle, y aura personne pour aller sauver la princesse ! »

Plus tard, ne lui en déplaise, la grecque ferait la même chose que sa mère avant elle : apprendre à sa fille que la princesse n’a pas toujours besoin d’un chevalier en armure étincelante pour venir la sauver. Qu’elle peut se sauver toute seule ou éventuellement faire appel à ses amis de la forêt dans le pire des cas. Mais il s’agissait là d’une tâche ardue, cette vision étant toujours aussi ancrée dans la culture populaire. Et puis il faudrait qu’elle réfléchisse à comment s’y prendre, le but n’étant pas non plus d’apprendre à sa fille tout l’inverse, à savoir qu’elle ne pouvait s’en sortir que seule sans jamais pouvoir se reposer sur personne d’autre car aussi tentante soit-elle, c’est tout de même une vision très utopique des choses. L’être humain ne fonctionne malheureusement pas ainsi et ça ne serait pas non plus lui rendre service. Bref, tout ça pour qu’elle n’avait pas envie de s’épancher là-dessus maintenant, tout de suite alors qu’elle avait surtout envie de connaître la suite.

Quelle chance tout de même que Noomi ne soit pas pyromane. Sans quoi il y avait fort à parier qu’elle serait sans aucun doute une des pyromanes les plus prolifiques de son époque, voire même de tous les temps. Sans que ça la fascine plus que ça, le feu semblait souvent être la solution au problème, quel qu’il soit. Ça ou alors rouler sur tout le monde. Solution ô combien radicale mais diablement efficace. Qu’elle n’avait pas encore eu la chance de mettre en application jusqu’ici. Et pourtant, ce n’était pas l’envie qui manquait. Bref, nous allons donc laisser ses pulsions incendiaires de côté pour nous concentrer sur Jimmy et son histoire. Il avait un choix à faire et, à sa place, elle savait pertinemment lequel elle ferait. Tout pour sa fille, évidemment. Surtout qu’il était bien plus aisé de se faire pardonner par un ou une adulte que par une fillette. Certes, Sarah avait un caractère plus facile que celui de Noomi – Dieux merci -, mais il n’empêche qu’elle mettrait évidemment plus de temps à digérer une quelconque trahison. Et pourtant, le moins qu’on puisse dire c’est que « adulte » et « raisonnable » ne feraient clairement pas des adjectifs qu’elle emploierait elle-même pour se qualifier. Ce dont tout le monde se doute forcément déjà.

Dans tous les cas, la grecque se régalait de ce brasier géant et lorsqu’elle baissa sur les yeux sur Sarah pour s’assurer que celle-ci ne faisait pas seulement mine de ne pas être apeurée, elle vit dans son regard qu’elle s’amusait tout autant qu’elle. A une époque, Noomi avait eu peur d’avoir engendré l’antéchrist. Sans en rejeter toute la faute sur son ex-mari car elle avait toujours su reconnaître ses torts – encore plus à l’époque, elle admettait bien volontiers que vivre avec elle n’avait pas dû être chose aisée, peut-être même que ça vous changeait un homme -, mais un peu de Frank et un peu d’elle, ça ne pouvait rien donner de bon, en théorie. Et pourtant, Sarah était loin d’être un démon. Oui, elle ressemblait un peu aux deux. Plus à sa mère pour le coup mais elle avait surtout hérité de ses bons côtés. Noomi aurait détesté ne pas pouvoir partager sa passion pour tout ce qui touchait à l’horreur avec sa fille parce que ça lui ferait peur. Bien sûr elle pourrait comprendre, elle l’accepterait, même, mais ça lui ferait un tout petit pincement au cœur tout de même. On peut donc dire qu’elle a eu de la chance.

Chose inédite dans l’histoire de Jimmy : les zombies ne faisaient pas que flamber, ils semblaient maintenant absorber les flammes pour les recracher ensuite sur les ennemis. Inutile de préciser que la blonde trouvait ça vraiment très cool et ç’aurait tout à fait sa place dans un jeu vidéo. Quoi qu’il en soit, le Hades du récit était dans de beaux draps ; à l’instar de n’importe quel héros, plus un poids mort qui serait sans doute vraiment mort une bonne dizaine – voire vingtaine, la palme revenant à ce bon à rien de Frodon Sacquet – sans ses fidèles acolytes qu’autre chose. Et ce pauvre Hades n’avait qu’une bande loups-garous comme acolytes, autant dire qu’en matière de fidélité, on repasserait. Mais parfois, on n’a pas d’autres choix que de faire avec ce qu’on a. C’est à ce moment-là que Jimmy fit une pause. De toute évidence, il était très doué pour le suspense. Peut-être pas autant qu’Hitchcock en personne, mais ça fonctionnait à merveille sur les deux blondes.

« - Tu crois que c’est quoi la source de tout ce feu ? Moi j’mise sur Ghost Rider.
- Je sais pas mais en tout cas, il est pas là pour les aider à faire griller des marshmallows ! »

Ce faisant, Sarah s’empara d’un des paquets de guimauves que Noomi a récupéré au distributeur un peu plus tôt, l’ouvrit et en planta un sur une pique pour le faire griller dans le feu. Tout ça sous le regard très amusé de sa mère, ça va sans dire. De toute façon, la fillette ne devait même pas connaître Ghost Rider ; elle était nettement moins branchée super-héros que princesses et zombies. Quel mélange détonnant, d’ailleurs, quand on y pense. Avant qu’il ne poursuive son récit, Noomi tendit un marshmallow un peu cramé mais pas trop à Jimmy. Après tous ses efforts de la journée, c’était amplement mérité.

A la mention du cheval ailé, Noomi dut contenir son rire. Pas de doute là-dessus, c’était héroïque mais elle avait toujours trouvé ce cheval un peu cheaté. Pas ridicule comme une licorne, mais cheaté. Et comme elle parvenait très bien à visualiser toute la scène, imaginer Jimmy sur cette monture des plus particulières, ça la faisait beaucoup rire. Cependant, au petit « woah » que sa fille poussa, il faut croire que ç’avait l’effet escompté sur elle, ce qui était bien sûr le but. Oui, c’est sûr que Jimmy avait touché la corde sensible parce que pfiou, qu’est-ce que la blonde avait pu en bouffer des aventures de Mon Petit Poney. Après la Reine des Neiges et les zombies de Thriller, c’était très certainement la troisième obsession de Sarah, the Big 3 de l’enfer. Quoique, s’il y a des zombies que Noomi aime bien, ce sont évidemment ceux de Michael Jackson. D’ailleurs, elle espérait bien que son doppelganger finirait par leur mettre une raclée. Là-dessus, survint un obstacle incontournable : un gouffre. Autant dire un détail insignifiant pour Pégase, mais de l’autre côté les attendait un dragon. Le fameux dragon qui seyait parfaitement à cet univers. Et sans doute la source de ce brasier géant. Ah. C’était l’évidence même et Noomi n’y avait même pas pensé. Parfois, il lui arrivait vraiment de chercher midi à quatorze heures.

Enfin bref, on dit souvent que l’art imite la vie et c’est le cas étant donné que le chevalier Hades se mit à imiter le vrai – ou plus exactement le leur – en aboyant. Hilarant. A cette tournure inattendue de l’histoire s’ajoutait la tête d’Hades qui dressa subitement les oreilles, n’ayant pas l’air de comprendre pourquoi ses maîtres se mettaient soudain à parler comme lui alors que c’était pas dans leurs habitudes. La p’tite tête blonde qui se trouvait sur ses genoux se mit elle aussi à rire aux éclats. Avant d’émettre une objection.

« Mais Pégase il vole. Et il est beaucoup moins lourd qu’un dragon. »

Sarah ne prit pas la peine d’en dire plus en mode « comprenez ce que vous voulez ». Ou plutôt, on pouvait clairement voir que ça bossait dur sous toute cette blondeur, elle était à deux doigts d’expliquer qu’étant plus lourd, le dragon devait forcément être plus lent. Peut-être même se disait-elle qu’ils combattaient donc plus ou moins à armes égales, volant tous deux dans le ciel mais Noomi préférait ne pas en attendre trop.

« Ouais mais il crache du feu. Comprends que ça puisse les refroidir. »

Quel trait d’humour ! Qui ressembla bien vite à un trait plat puisque Sarah ne le comprit pas. Ou si elle le comprit, elle n’y fit pas plus attention que ça. Tant pis, elle aurait essayé.

Au lieu de dire des bêtises, la grecque préféra s’emparer d’un marshmallow qu’elle laissa volontaire prendre feu. Tiens, si la Noomi de l’histoire de Jimmy était maligne – et qu’il y avait des marshmallows dans ce récit, sinon des pommes de pin feraient très bien l’affaire -, elle s’en servirait pour les balancer au visage de ses assaillants. Et après d’habiles pirouettes car personne ne pourrait douter de son agilité, sa souplesse ainsi que du reste de sa condition physique, elle parviendrait à se sortir de ce merdier. Tout en apprenant la vie à cette bande de zombies parce que c’était tout ce qu’ils méritaient. Dans le fond, heureusement que ce n’était pas elle aux commandes de cette histoire, ni d’aucune qu’elle serait contrainte d’inventer, sans quoi elles finiraient toutes par invariablement ressembler à un film de Michael Bay. Et sans doute pas le meilleur.