la course au jouet → dorian

Si elle s’était attendue à ce que Dorian prenne son parti dans cette querelle ? Non, parce que Noomi n’en avait pas besoin. Elle n’en avait peut-être pas l’air comme ça, du haut de son mètre septante, mais elle pouvait vous coller une raclée que vous n’auriez pas vu venir. En se prenant quelques coups dans la bagarre, sûrement, mais c’était vraiment pas le genre de choses qui la ferait reculer, bien au contraire. C’était même d’ailleurs sûrement ce côté risque-tout qui la rendait aussi un peu dangereuse. Parce que non seulement il n’était jamais question de lâcher l’affaire, mais en plus de ça, ça ne la dérangeait pas de donner le premier coup. Fallait bien que ça se fasse et autant que ça soit elle plutôt que quelqu’un d’autre. Bref, pourtant, son ami se joignit bien à elle et renchérit en jouant des muscles. L’homme laissa échapper un soupir agacé et fit mine de faire signe à la soi-disant personne qu’il connaissait plus loin dans la file. Si Dorian regarda de ce côté-là, la blonde ne changea même pas de posture, elle, et continua de le fixer en secouant la tête de droite à gauche. Si elle en faisait un peu trop ? Franchement, pour une poupée, oui, clairement. Mais c’était pas qu’une poupée. C’était le sourire de Sarah quand elle déballerait ses cadeaux la nuit de Noël et qu’elle verrait que le père-Noël – même si elle commençait à être un peu grande pour continuer d’y croire – lui avait apporté ce qu’elle attendait tant. Oui, je sais, on vous a probablement déjà rabâché ça dans tous les films tournant ne serait-ce qu’un peu autour de la famille la veille de Noël mais ça n’en est pas moins vrai. Tandis qu’elle le gardait à l’œil, le type tenta une manœuvre complètement débile pour les dépasser. Ce qui lui valut une clé de bras de la part de Noomi. Elle l’avait pourtant prévenu. Tout ce bordel eut le don de rameuter la sécurité, par contre et plus ou moins brutalement, tout ce joli petit monde se vit escorter jusqu’à la sortie, perdant ainsi leur place dans la file, tous autant qu’ils étaient. La grecque aurait pu se contenter du fait que, si elle venait de perdre sa chance d’avoir cette poupée, l’autre gars aussi, mais… Ça serait mal la connaître.
« J’vais lui dégommer la face à c’connard ! »
Noomi, un peu en rage comme vous l’aurez sans doute constaté, s’élançait déjà sur ce pauvre type.

C’était ça, le problème avec Noomi : trop entière pour son propre bien. Démarrer au quart de tour était un euphémisme quand on la connaissait un tant soit peu. Parce que non, elle ne prêtait jamais attention à qui se trouvait dans les parages quand sa colère prenait le pas sur tout le reste ; la reine d’Angleterre – paix à son âme – aurait tout à fait pu se trouver tout à côté qu’elle n’en aurait rien eu à faire non plus. Et bien sûr, c’était précisément cette facette d’elle qui lui avait valu le plus de problèmes au cours de sa vie. Partant de là, pas étonnant de voir tout le monde mis gentiment hors du centre-commercial. Enfin, pas tout le monde, juste les gêneurs. Le pire dans tout ça, c’est que ça ne l’avait même pas refroidie. Au contraire, elle avait très envie de coller son poing directement dans la face de ce pauvre abruti. Et comme il voyait bien qu’elle ne déconnait pas, l’abruti en question préféra détaler. Ah, c’est sûr que ça faisait moins le malin ! Quant à Dorian dans tout ça, il ne devait plus savoir où se mettre mais ça, c’était un risque à courir à trop traîner avec la Savalas qui, à l’instar du reste de sa famille, n’était pas souvent tout sucre, tout miel. Gentiment mais pas hésitant, il lui demanda de se calmer, ce qui lui valut un regard foudroyant de la part de la grecque qui, bien sûr, comme tous les gens pourvus d’un caractère pareil, avait en horreur qu’on lui fasse remarquer qu’elle s’était peut-être un peu enflammée. Pour rien, qui plus est. Ce qui la calma, fut de le voir faire de son mieux pour lui être agréable. Bon, il était peut-être pas tout à fait de son côté mais il était pas tout à fait contre elle non plus et, de ça, elle fut bien consciente.
« C’est pas toi qu’j’ai envie de frapper, c’est lui. »
Ce disant, elle désigna le type du menton qui, après avoir couru assez pour se mettre à l’abri, estimait-il sûrement, s’était retourné pour les dévisager. Noomi écarta les bras dans une invitation à venir s’y frotter s’il osait – et de toute évidence, il n’en ferait rien, pas après s’être assuré qu’il était bien hors de portée. Puis, comme sa colère était venue, elle repartit et la blonde acquiesça. Sortant ses clefs de voiture de son sac, elle tendit le bras dans une direction, activant le déverrouillage automatique.
« La voiture est juste là. Entre par le côté conducteur, ça m’a pas l’air praticable par l’autre portière. »

Noomi n’allait quand même pas se mettre à frapper les gens qu’elle appréciait sinon c’est sûr que ça ne lui apporterait que des ennuis. Et puis surtout, elle n’en avait aucune envie. D’accord, tout au long de sa vie elle aurait eu bien besoin d’un manuel de gestion de la colère, mais elle était quand même souvent arrivée à la canaliser et puis au fil du temps, ça venait plus naturellement. Au point que ses épisodes colériques n’étaient plus si fréquents qu’à une époque. Poussant gentiment l’épaule de son ami avec la sienne, elle répondit, prenant un air théâtral :
« Cesse donc d’me tourmenter, vil tentateur, on y va ! »
Attendre qu’elle s’avance au lieu de se contorsionner pour passer d’un siège à l’autre ? C’était une possibilité en effet. A laquelle elle n’avait pas songé une seule seconde. Comme quoi, le dicton « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué » prenait tout son sens avec la blonde. Haussant les épaules, elle prit donc place derrière le volant après avoir acquiescé, sortit de sa place et attendit que Dorian monte à bord avant de quitter le parking.
« Bon, j’vais avoir b’soin d’toi pour jouer les copilotes. Et c’est promis, j’ferai tout mon possible pour pas nous foutre dans l’décor. »
Un sourire taquin étira ses lèvres. Blaguer au sujet de l’accident de voiture qui avait failli détruire sa vie – et même y mettre carrément fin -, c’était bien le genre de Noomi. Surtout cinq ans plus tard, elle estimait qu’il y avait prescription et qu’on pouvait en parler maintenant. Ce qui n’avait pas été le cas pendant longtemps, mais de l’eau avait fini par couler sous les ponts. Parce que oui, il s’agissait bien d’une blague, elle était toujours très prudente quand elle véhiculait quelqu’un, poupée ou pas poupée.
« Direction le centre-ville, j’imagine ? »
De Wellington s’entend, autant ratisser aussi large que possible. Sans attendre la réponse, c’est cette direction qu’elle prit, se mettant presqu’aussitôt à râler à cause du trafic. C’est pour cette raison qu’elle détestait la capitale, pas moyen d’y bouger en voiture à certaines heures. Pas le choix pourtant puisqu’il n’y avait pas de métro et que le bus n’allait certainement pas plus vite. Tant pis, elle se garerait où y aurait de la place et tant pis si elle se récoltait plusieurs prunes au cours de la journée.

Un casque, oui, c’était une bonne idée. Pourtant, la grecque n’avait pas prévu de faire un remake de Demolition Derby, mais, et c’était bien le souci quand on voulait aller vite, les choses pouvaient rapidement déraper. Mais elle ferait tout ce qui était en son pouvoir pour que ça ne soit pas le cas. Un accident presque mortel mais pas deux. Ce qui ferait d’autant plus honte aux Savalas que le fait qu’elle ne soit pas du tout bonne actrice, ça serait bien ça. Parce que oui, si vous ne le saviez pas, le père de Noomi est garagiste alors on peut dire que les voitures, c’est sa passion. Même que c’est carrément grâce à lui qu’elle possède aujourd’hui une Mustang de collection. Alors non seulement elle avait Dorian comme passager en plus d’une réputation à garder mais elle avait également un petit bijou de voiture à ne pas abîmer. Bien que son père soit capable de la remettre en état si égratignure il y avait mais bon, autant ne pas tenter le diable. Un petit sourire étira les lèvres de la blonde à cette mention tandis qu’elle hochait la tête. Bien sûr qu’elle savait reconnaître sa droite de sa gauche, pour qui la prenait-il ? Et bien sûr qu’elle savait que beaucoup de gens avaient du mal avec ça mais elle n’en faisait pas partie. Même qu’elle pensait que ça ne devait quand même pas être très pratique quand on conduisait. Pour mieux s’entendre, elle baissa un peu le son de la radio et s’aperçut qu’elle n’allait de toute manière pas pouvoir être si rapide que ça étant donné qu’il s’agissait de l’heure de pointe. Déjà ? Possible. En vérité, elle n’avait pas pris la peine de regarder l’heure et ne faisait jamais que s’en douter à cause des bouchons. Dans lesquels ils étaient pour le moment coincés. Et bien sûr, Noomi ne put s’empêcher de pester entre ses dents en tapant un peu du poing contre le volant. Ce qui n’échappa pas à son ami qui ne se priva pas pour lui faire la remarque.
« Ouais, je sais. Mais ça fait du bien d’exprimer sa frustration par moment. C’est mieux que d’la laisser éclater au pire moment. »
Comme si ça ne lui arrivait jamais non plus… La preuve avec ce qu’il s’était passé au centre-commercial un peu plus tôt. Bref, la comparaison avec Jimmy la fit rire.
« Ça, c’est sûr. Mais lui, il est parfait alors que moi, j’le suis pas tant qu’ça. »
Bon, peut-être bien qu’elle exagérait quand elle disait que son Jimmy était parfait parce que déjà, quoi qu’on puisse en dire, personne ne l’est et ensuite, la perfection ça peut rapidement devenir très chiant mais elle en est toujours à ce stade où l’on trouve même les défauts de l’autre parfaits. Peut-être bien que ça finira par lui passer mais elle n’a pas hâte que ce jour arrive.
« Tu crois qu’y a moyen d’trouver un raccourci ? »
Enfin, une fois que la situation se sera un peu débloquée, s’entend.

D’après Dorian, si on posait la question à Jimmy, lui, dirait tout le contraire. Cette remarque fit rire la blonde. Evidemment. Il n’aurait jamais fait le voyage jusqu’en Nouvelle Zélande, renonçant ainsi à tout ce qu’il connaissait jusque-là – hormis elle, bien sûr – uniquement pour venir la rejoindre sinon.
« Non, bien sûr. Mais il est amoureux alors il voit toujours certains d’mes défauts comme des qualités et la réciproque est vraie. »
Seulement ça ne durerait pas. Ça, c’était les débuts, quand tout était toujours rose, qu’on portait l’autre aux nues, quand absolument tout ce qu’il pouvait faire suffisait à vous éblouir. Et puis le temps faisait son affaire et vous commenciez à vous lasser. A ce moment-là, deux choix s’offraient à vous : aller voir ailleurs si l’herbe était vraiment plus verte mais dans ce cas, vos relations ne duraient jamais plus de deux ou trois ans – et encore -, exactement comme ces connards de scientifiques aimaient à le dire, soit vous vous accrochiez parce que vous tenez vraiment à l’autre et que, malgré ses défauts, la vie ne vous semble pas concevable sans lui. Et ça, c’était un vrai couple au sens où Noomi l’entendait. Jimmy aussi, sûrement. En fait, elle n’en doutait pas. Bref, pour en revenir à la route, la grecque avait une totale confiance en son ami. Elle pourrait même aller jusqu’à faire la route les yeux fermés en ne suivant que ses indications. Ce qui serait carrément stupide, on est bien d’accord. Mais c’est pour prouver à quel point elle ne mettait pas en doute ses directives et les suivait à la lettre. Ainsi, vingt mètres plus loin, elle quitta donc l’axe principal sans un regard en arrière pour ces pauvres crétins avançant au pas et prit à droite. Ah, c’était quand même un rien plus fluide et ça faisait plaisir.
« Super alors à partir de là, c’est toi qui me guides. Comme t’as pu l’remarquer, j’ai pas d’GPS. A part celui d’mon téléphone mais si j’ai bien retenu un truc, c’est qu’il faut pas avoir les mains occupées quand on conduit. »
On pourrait croire le contraire mais ça n’avait rien à voir avec son accident. Non, Noomi n’avait techniquement rien fait de mal ce jour-là, y avait juste beaucoup d’eau et elle avait perdu le contrôle de la voiture comme ça pourrait arriver à n’importe qui. Bref, tout ça pour dire qu’elle ne voulait pas utiliser de GPS parce qu’elle avait horreur qu’on lui dise quoi faire, mais que ça ne la dérangeait pas d’écouter Dorian à la lettre. Parce que lui au moins, saurait y mettre les formes.

Le volant ? Bah oui, bien sûr ! Et c’est exactement ce qu’elle voulait dire. Même si elle n’était pas obligée d’avoir les deux mains en permanence dessus non plus, comme quelqu’un qui vient tout juste d’obtenir son permis et qui a peur de commettre la moindre bourde. Noomi n’en était plus là, elle avait appris à conduire aux alentours de quatorze ans, après avoir emprunté une ou deux fois la voiture de ses parents à leur insu pour aller faire la fête avec ses amis alors le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle était très à l’aise avec la conduite et ce depuis pas mal de temps déjà. Un sourire taquin aux lèvres, elle acquiesça.
« Ouais bien sûr, c’est c’que j’voulais dire. »
Puis elle écouta ses instructions et les suivit à la lettre. Sans trop se la jouer Fangio au volant parce qu’elle ne voudrait pas que Dorian prenne peur et refuse de monter avec elle à l’avenir et c’est dans ces moments-là qu’on se rend compte que respecter les limitations de vitesse, qu’est-ce que c’est chiant alors. Ce que la blonde ne faisait d’ailleurs pas toujours, juste un peu au-dessus de la vitesse recommandée sans jamais dépasser celle qui lui ferait avoir une amende en revanche. Bref, le rond-point, la première sortie à droite puis en attente de nouvelles instructions. Elle qui n’appréciait déjà qu’assez moyennement cette lenteur, elle allait encore devoir ralentir pour ne pas abîmer sa Mustang. Décidément, elle détestait conduire en ville. Mais bon, quand y a pas le choix, y a pas le choix. Nouveau soupir.
« Et j’parie qu’ça va être la galère pour s’parquer aussi. »
Tant pis, y avait toujours moyen, quitte à se garer en double file. Ça aussi, ça pourrait lui valoir une prune, mais ça en valait la peine. Puis qui sait ? Elle pourrait toujours demander à son ancien voisin s’il ne voulait pas la lui faire sauter, en souvenir de tous les services et paquets de sucre ou briques de lait qu’elle lui avait rendus. Bref, en parlant de se garer en double file, y en avait un qui s’était permis de le faire dans la ruelle où une seule voiture pouvait passer, comme par hasard. Bloqués derrière ce qui semblait être un livreur en pleine livraison, Noomi commença à s’énerver un tout petit peu. Au bout de cinq bonnes minutes, elle était en train de taper du poing sur son klaxon.
« J’te jure, à croire qu’ils s’sont tous passé l’mot. »
Mais non, promis, elle ne sortirait pas de la voiture pour aller lui apprendre la vie. Bien que ça soit tentant.

Des amis dans le centre de Wellington qui avaient le luxe d’avoir un garage ou leur place de parking attitrée ? Dorian avait l’air de fréquenter des gens très utiles. Avec un sourire en coin, elle acquiesça. Encore une fois, elle pourrait dire qu’elle connaissait des gens qui connaissaient des gens et ainsi de suite. Arriva le moment où ils furent coincés derrière un camion de livraison. Noomi jeta bien un coup d’œil dans le rétro pour voir si elle pouvait faire marche-arrière, voyant que ça commençait tout doucement à s’éterniser, mais ça ne servait à rien, d’autres voitures avaient déjà pris place dans la file d’attente. Elle s’efforça donc de conserver son sang-froid du mieux qu’elle put. De toute manière que faire d’autre ? C’était pas une solution de toujours laisser sa colère éclater non plus. Surtout quand les avocats de son ex-mari n’attendaient qu’une erreur de sa part pour attaquer. Donc zen. Relax. On inspire, on expire. Et ça va mieux. Bon, peut-être bien que la présence de Dorian à ses côtés n’y était pas étrangère, mais peu importait les raisons, l’important c’était que ça marchait. Bref, au bout de plusieurs minutes d’attente encore, la rue commença à se désengorger tout doucement et le trafic put reprendre. Et, incroyable coup de chance, alors qu’ils arrivaient à la bonne adresse, une voiture quitta sa place pour la leur laisser. Ce qui, selon son ami, n’était pas le fruit du hasard. Mouais…
« J’vais croiser les doigts pour que t’aies raison. Si on continue sur cette lancée, la poupée qui s’trouve dans c’magasin s’ra pour nous. »
Enfin l’une d’elles, parce qu’elle espérait quand même qu’ils en avaient plus d’une en stock. Enfin un peu, on va pas se mentir, si elle est la seule à repartir avec une poupée sous le bras alors elle ne pleurera pas pour les autres non plus. Bref, une fois à l’arrêt après avoir manœuvré bien comme il faut pour ne craindre aucune égratignure, la grecque bondit pratiquement hors de la Mustang mais laissa quand même Dorian la précéder, toujours pour les mêmes raisons : plus rapide. Ce qui ne l’empêchait bien sûr pas de presser le pas de son côté, mais vous vous en doutez sûrement déjà. Par contre, la devanture du magasin en visuel, Noomi put constater que destin ou pas, là aussi on faisait la queue. Il allait donc encore une fois s’armer de patience.
« Tu crois qu’on va réussir à voir l’intérieur d’un d’ces magasins aujourd’hui ? »