la course au jouet → dorian

La positivité de Dorian avait quelque chose de contagieux. C’était donc une bonne chose qu’elle lui ait proposé cette aventure à lui plutôt qu’à n’importe qui d’autre – en dehors de son Jimmy, bien sûr -, parce que sans ça, peut-être qu’elle aurait fini par baisser les bras. Mentalement parlant en tout cas parce que sinon, c’était clairement pas dans ses habitudes mais ç’aurait pu suffire à lui porter la poisse. Alors non, Noomi n’était pas quelqu’un de superstitieux – ce qui ne l’avait jamais empêchée de s’essayer au spiritisme et même au vaudou puisque sa mère trempait un peu dans tous ces trucs débiles, voilà ce que c’était de vivre recluse dans un bayou -, mais dans le doute… Bref, elle sourit à la répartie de son ami et acquiesça en se mettant au bout de la file d’attente. Comme elle était du genre à pouvoir parfois apprendre de ses erreurs quand même, cette fois, elle ne tenta pas de gruger d’une manière ou d’une autre. Au lieu de quoi, elle se contenta d’attendre en observant les gens qui attendaient, comme eux. Ils avaient tous l’air si déterminés eux aussi qu’on viendrait presque à en oublier que l’objet tant convoité n’était jamais qu’une poupée. Pas même gonflable. Et au bout d’un moment, ça y est, ils purent enfin entrer dans le magasin. Sans plus tarder, la blonde se mit en quête du rayon des poupées et la vit : la toute dernière poupée du présentoir. Petit coup de coude à son ami pour attirer son attention tandis qu’elle lui désignait le jouet du menton.
« La voilà ! »
Pressant le pas, Noomi était en tunnel vision, ne voyant pas que d’autres s’étaient acheminés dans la même direction. Et ce ne fut qu’au moment où elle posa les mains sur la boîte qu’elle remarqua qu’une autre paire y était agrippée aussi. Tant pis, il n’était pas question de lâcher l’affaire si près du but : la blonde tira. Mais l’autre personne aussi.
« Lâche ! »
Sans s’en rendre compte, elle venait d’employer exactement le même ton qu’elle employait avec Hades, son labrador, quand celui-ci récupérait de la bouffe que des passants auraient jeté en se promenant dans le parc du quartier. C’est dans ces moments-là qu’elle regrettait de ne pas être un peu plus sportive parce qu’aussi déterminée soit-elle, elle n’avait tout simplement pas la force de lutter contre ce qui ressemblait quand même assez fort à un bodybuilder. La boîte finit par lui glisser des mains et c’est entre ses dents qu’elle marmonna :
« Enculé. »
Avant de lâcher un soupire de lassitude. Si près… C’est à ce moment-là que son attention fut attirée par un « psst » un peu discret. La grecque tourna la tête dans cette direction et remarqua un autre type. Pas un bodybuilder, celui-ci était plutôt chétif et avait l’air louche. Avec un air de conspirateur, il lui chuchota quelque chose à l’oreille et s’en alla comme si de rien n’était. Noomi revint alors vers Dorian.
« Y a un mec vraiment zarb qui vient d’me filer une adresse en m’disant qu’il avait une poupée à m’vendre. C’est l’genre de gars qu’on n’a pas envie d’voir tourner autour d’une école primaire, mais j’me dis qu’à nous deux, on peut p’t’être tenter l’coup ? Si jamais c’est un piège, on lui marave la face. »

Bizarrement, Dorian était un peu moins enthousiaste qu’elle à l’idée d’aller se perdre dans un ruelle coupe-gorge pour retrouver un type qu’elle ne connaissait pas le moins du monde et qui, de surcroit, avait vraiment un air chelou. En fait, il était fort possible que personne d’autre qu’elle ne morde à l’hameçon parce que quand même, ça puait pas mal. Cela dit, Noomi n’était pas carrément inconsciente non plus ; elle pensait qu’à eux deux, ils avaient des chances de s’en sortir s’il s’agissait réellement d’un piège. Mais Dorian tempéra tout ça ; il lui proposa dans un premier temps de vérifier auprès d’un vendeur s’il s’agissait bien de la dernière poupée en stock avant de foncer tête la première dans un plan tordu. Marquant son accord d’un hochement de tête, la blonde suivit son ami qui sortit le grand jeu à la première vendeuse qui passait par-là. Et il faut croire qu’elle tomba sous le charme puisqu’elle leur fit savoir que le rayon des poupées n’était pas le sien mais qu’elle pouvait aller se renseigner pour eux. Très aimable. Sur les quelques secondes qu’elle mit à aller chercher cette information, elle envisagea bien de le taquiner en lui faisant remarquer qu’il avait une touche – ce qui ne serait vraiment que pour le taquiner puisqu’elle savait très bien qu’il n’était pas du genre à pousser le vice plus loin, surtout que ça devait bien faire une petite éternité qu’il était avec Abigail quand même et que ça serait vraiment stupide de tout faire foirer sur un quiproquo -, mais la vendeuse fut encore plus rapide. Eh ben dites donc, sa théorie semblait se confirmer… Et le verdict tomba : nouvelle livraison d’ici un jour ou deux. Et le plus important : on pouvait la leur mettre de côté. Franchement, ç’avait l’air parfait. A tel point que Noomi accepta et qu’elle s’achemina vers la caisse pour remplir un bon qui lui permettrait de venir chercher la poupée le jour où elle serait disponible. Et ce n’est qu’en sortant du magasin qu’elle annonça :
« J’irais quand même bien voir à l’adresse que c’gars m’a donnée. S’il en a une et qu’il la vend pas à un prix exorbitant, j’me désisterai et la poupée du magasin r’viendra à quelqu’un d’autre. Et sinon, alors valait mieux que j’assure le truc en la réservant. »
C’est que la grecque était comme ça : une aventurière dans l’âme que l’insécurité avait tendance à appeler.

A force de la côtoyer, le moins qu’on puisse dire, c’est que Dorian la connaissait bien. Ainsi, il n’eut pas l’air surpris le moins du monde quand elle lui fit savoir que, même si elle avait fait mettre une poupée de côté, elle avait quand même envie de se rendre à l’adresse que ce type chelou lui avait donnée. Pourquoi exactement ? Ben elle n’en savait rien ; elle avait beau se convaincre que c’était parce que, même en ayant rempli un bon lui certifiant qu’on lui en mettrait une de côté dès que le prochain arrivage serait là, elle ne serait pas sûre d’avoir une de ces poupées avant de la tenir entre les mains. Et encore, puisqu’elle en avait touché une y a de ça à peine quelques minutes et pourtant, bredouille. Mais y avait pas que ça, y avait surtout le fait qu’elle avait envie de se jeter tête baissée dans cette nouvelle aventure. Sans compter que, quand elle rentrerait plus tard et qu’elle raconterait sa journée à Jimmy, elle aurait plein de trucs à dire. Encore plus que le fait qu’elle se soit fait jeter hors du centre-commercial parce que toute cette histoire avait failli finir en baston générale, s’entend. Avec un sourire espiègle, la grecque acquiesça donc tout en reprenant la route jusqu’à la Mustang. Une fois de nouveau derrière le volant, elle trouva le petit papier sur lequel se trouvait l’adresse qu’on lui avait donnée pour l’encoder dans le GPS de son téléphone. Noomi connaissait le quartier mais pas cette rue alors pour s’y rendre, elle avait pas trop le choix. Le point positif de tout ça, c’est qu’ils n’avaient plus besoin de se presser. A moins que ce mec se balade avec des petits papiers comme celui qu’elle remit dans sa poche dans les siennes et qu’il les distribue à tout le monde.
« Tu crois qu’ce gars m’a reconnue et qu’c’est pour ça qu’il est v’nu m’parler à moi ? »
Entre toutes, ça semblait être la solution la plus logique. Et dans ce cas, ça faisait d’elle une privilégiée. Après quelques minutes à rouler dans un trafic des plus fluides, avec personne pour bloquer la route pendant un déchargement et pratiquement aucun bouchon – comme par hasard -, les voilà qui arrivent dans le quartier. Tout à suivant le GPS, elle vérifia le nom des rues défilant devant ses yeux jusqu’à ce qu’ils furent dans la bonne. Elle s’arrêta devant les numéros donnés. Le type attendait dans une posture décontractée, appuyé contre un mur.
« Le voilà. Ça va, il a m’a l’air inoffensif. »
Surtout à deux contre un.

Travailler de nuit n’offrait pas que des avantages. Même si ça en offrait quand même beaucoup, d’après Noomi. Comme tous les artistes ou presque, elle aimait la vie nocturne et avait toujours eu l’habitude de travailler si moins de nuit depuis la naissance de Sarah, en soirée en tout cas. Les bars et les quelques scènes qui acceptaient qu’elle vienne autrefois jouer chez eux n’étaient soit pas ouverts avant une certaine heure, celle où les fêtards commençaient à affluer, soit beaucoup moins fréquentés en journée. Et maintenant qu’elle y pensait, bosser à la radio était quand même bien moins dangereux que ce qu’elle faisait avant. Même s’il y avait forcément des gens pour intervenir si ça tournait mal, personne n’était à l’abri d’un mauvais coup. Surtout quand, comme la blonde, on avait la fâcheuse manie de vouloir s’interposer pour telle ou telle raison. A la radio, c’était tranquille. Bien sûr qu’elle recevait parfois des appels de pervers ou de détraqués, mais ça n’allait généralement pas plus loin et elle n’avait encore jamais reçu la visite de personne tandis qu’elle quittait le studio ou ce genre de trucs. Cependant, ça l’empêchait pas de se douter vaguement que, parmi ses auditeurs, devait bien y avoir des gens un peu bizarres et même sûrement craignos. Parce que y avait pas que des étudiants en train de bûcher en enchaînant les boissons énergisantes au lieu de se reposer, bien sûr. Y avait un peu de tout. Même des adultes. Dont ce type chelou qui l’avait accostée un peu plus tôt et raison de leur prochaine destination pouvait éventuellement faire partie.
« Ouais, c’est l’genre de trucs auquel on préfère pas penser mais c’est sûrement une possibilité. »
Mais qu’est-ce que ça pouvait bien changer de toute façon ? Pas grand-chose : elle savait déjà qu’il y avait moyen que ça soit un piège. C’est bien pour ça qu’elle n’était pas en train de foncer tête baissée seule. Bon d’accord, si Dorian n’avait pas déjà été là, peut-être bien qu’elle y serait allée toute seule. C’était même certain, mais c’était qu’un détail. Bref, tout ça pour dire que pour le coup, ils arrivèrent en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire et, une fois sur place, la grecque fut presque surprise de constater que personne ne faisait la queue ici. Parce qu’elle n’était pas stupide au point de croire qu’elle était la seule à qui on avait parlé de cette offre alléchante. Que le type soit un de ses auditeurs ou non ; y avait bien une raison pour qu’il traîne dans les magasins de jouets à la base. Une fois de plus elle se gara, sans avoir besoin de beaucoup tourner, cette fois – même pas du tout, en fait – et écouta les conseils de son ami. Il préférait descendre de voiture en premier, sûrement pour impressionner un peu le gars, montrer qu’il était là pour en découdre si y avait besoin. Puis il lui recommanda aussi de pas faire de bêtises. Comme quoi ? Comme se jeter sur la poupée si ce gars la lui proposait à un prix nettement supérieur que celui des magasins, par exemple. Bon, elle devrait pouvoir y arriver. Notamment parce que pendant longtemps, elle avait pas vraiment roulé sur l’or en dépit de famille dont elle provenait. Son père n’était jamais que garagiste, ça paye pas trop mal mais pas de quoi rivaliser avec Crésus non plus. Donc elle connaissait la valeur de l’argent et, si elle pouvait payer moins cher pour le même article, alors elle le ferait. Hochant la tête, elle ajouta :
« Okay, promis. Passe devant, j’te suis. »
Et fit comme il avait dit, attendant sagement qu’il pose d’abord pied à terre. Tout en examinant quand même du coin de l’œil la réaction du mec aux allures de dealer. Un dealer de poupées. Mais fallait de tout pour faire un monde, paraît. Il dévisagea Dorian, ne le reconnaissant visiblement pas, l’air un peu méfiant, d’ailleurs. Ça aussi, c’était bizarre. Tellement qu’elle serait bien restée un peu plus longtemps à observer la scène pour voir comment elle allait tourner. Mais comme répété mille fois, la patience c’était pas son fort, aussi les rejoignit-elle.
« Yo, on s’est croisés tout à l’heure dans l’magasin d’jouets. On est là pour la poupée. »
Pas besoin de cette intro, en vérité, il l’avait tout de suite reconnue, évidemment.

Dans un premier temps, et bien que ça ne lui ressemble pas tellement, Noomi fit donc ce que Dorian attendait d’elle. A savoir rester sagement derrière lui. A peu de chose près parce qu’elle se rendait bien compte que, même si ce type vendait possiblement ses poupées à tout qui en voulait, c’était tout particulièrement à elle qu’il avait fait cette offre. Aussi s’avança-t-elle suffisamment pour faire comprendre clairement ce qu’ils voulaient, c’est-à-dire la poupée et rien d’autre – pas d’herbe, pas de coke, pas de speed, bref, rien d’autre qui pourrait comme par miracle sortir des poches du pantalon de ce gars parce qu’on pouvait carrément s’y attendre en voyant sa dégaine. Et Dorian se montra encore plus spécifique en commençant à parler business. Une façon assez claire de montrer qu’ils ne se laisseraient pas rouler dans la farine si facilement. Et à en voir la tronche que l’autre tira en entendant ça, il devait certainement avoir prévu de la leur faire payer un peu plus cher. Logique, fallait bien qu’ils se fassent un bénéfice dessus sinon la revente ne servait strictement à rien. Dans le cas où ces poupées avaient bel et bien été achetées, bien sûr. Pas dans celui où elles avaient été volées. Comment ça, elle avait trop regardé Fast&Furious ? Admettez quand même que ça serait vraiment classe qu’ils aient à faire à un voleur attaquant des camions sur l’autoroute avec le reste de sa bande et leurs voitures chargées de nitro. Tout ça pour dire que le revendeur finit par acquiescer, signalant ainsi que oui, il comprenait l’urgence, visiblement et se tourna vers une porte de garage. Qu’il ouvrit. Des piles et des piles de la fameuse poupée étaient stockées là. Si on apprenait à la grecque qu’une personne avait causé à elle toute seule cette rupture de stock, elle n’aurait aucun mal à le croire. Noomi exprima son admiration par un sifflement avant de s’exclamer :
« Wow, ça en fait des poupées ! C’est à vous qu’on doit cette pénurie ? Si oui, mon ami et moi allons peut-être vous ligoter pour vous empêcher d’en acheter davantage et sauver le Noël de bien des mômes. »
Pour montrer qu’elle plaisantait, elle ponctua sa phrase d’un rire parce que hé, le mec faisait bien ce qu’il voulait et sauver le Noël de tout le monde n’était vraiment pas dans ses projets, le but étant d’abord et avant tout de sauver celui de sa fille. Dans tous les cas, il rit lui aussi mais de manière un peu crispée. Avant de prendre une boîte parmi tant d’autres sur une pile parmi tant d’autres et de la lui tendre.
« Je vous la fais juste un peu plus chère qu’en magasin. Vous comprenez, faut bien que je fasse mon beurre là-dessus et vous serez une des rares personnes à rentrer chez vous avec une de ces poupées ce soir. »
Oui bien sûr qu’elle comprenait. Restait à voir ce qu’il entendait par « un peu plus cher ».

Evidemment, Noomi était bien consciente que tout ça n’avait rien de légal. Par contre, elle se demandait si on mettait des gens en prison pour cette raison. Sans doute pas, sinon ça serait aussi le cas de tous les petits vendeurs à la sauvette des concerts. Ceux qui vendent des goodies ou ceux qui revendent des places au double ou triple du prix. Ce qu’elle pouvait pas dire en revanche, c’est que c’était pas malin. La blonde n’avait jamais été branchée arnaque – sinon, elle serait une star internationale à n’en pas douter -, mais ça l’empêchait pas de trouver ça malin. Et si elle avait eu désespérément besoin de thune, peut-être bien qu’elle aurait fait pareil. Donc elle jugeait pas. Contrairement à Dorian. Pas besoin qu’il dise quoi que ce soit à ce propos, ça se voyait plutôt bien à son expression. Comme quoi lui non plus n’était pas super doué pour dissimuler quoi que ce soit. Faudrait pas qu’ils essayent de monter une combine au poker ensemble parce qu’ils se feraient griller tout de suite. Bref. Au bout d’un moment, son ami ouvrit la bouche pour mettre les points sur les I : il ne tolérerait pas un bénéfice de plus de dix pourcents. Ah, on sentait le commercial en lui. Puis heureusement qu’il était là parce qu’elle n’aurait pas pris la peine de vérifier ce genre de trucs. En fait, elle savait même pas vraiment combien coûtait la poupée en magasin alors pour savoir s’il ne prenait vraiment que dix pourcents de bénéfice ou non, c’était compliqué. Quand on aime, on compte pas, il paraît. Et en l’occurrence, c’était tout à fait ça. En tout cas jusqu’à une certaine limite parce que si ce type louche en venait à lui demander des milles et des cents, soit le prix probablement d’une poupée de collection, elle ne le mettrait pas non plus. A moins que ce soit vraiment le tout dernier exemplaire de la poupée disponible sur terre. Avec cet air de dire qu’il valait mieux écouter le monsieur pour le coup et ne pas s’attendre à ce qu’elle dise quoi que ce soit, elle haussa les épaules et attendit la suite. En ce qui la concernait, il était pas question d’aller balancer ce gars ; si elle était pas une arnaqueuse, c’était pas non plus une balance, mais ça, il pouvait pas le savoir. Et comme Dorian avait pas l’air de déconner, lui, le vendeur à la sauvette sembla hésiter. Puis poussa un soupir las et s’empara d’une poupée qu’il leur tendit en annonçant un prix qu’elle trouva correct. Prenant la boîte entre ses mains, la grecque jeta un coup d’œil à son ami pour savoir ce qu’il en pensait. Puis, pour tenter de détendre l’atmosphère, elle y alla d’une nouvelle petite vanne :
« Rassurez-moi, y a pas d’la coke là-d’dans, pas vrai ? J’ai décroché y a des années. »
Alors bien sûr, elle savait que si tel était le cas, ça serait pas pour sa consommation personnelle mais plutôt pour un trafic et c’est bien pour ça qu’elle ponctua sa question d’un petit rire. A voir si ça ne ferait rire qu’elle.

En toute franchise, Noomi s’amusait comme une petite folle. C’est vrai qu’elle n’avait toujours pas la certitude de rentrer chez elle avec ladite poupée et qu’elle avait bien failli en venir aux mains un peu plus tôt, mais elle passait quand même un très bon moment. Toute cette série d’évènements pouvait arriver qu’à elle clairement – et à Dorian, bien sûr, puisqu’elle avait si souvent tendance à l’embarquer dans ses aventures -, et c’était tant mieux parce qu’elle aurait des choses à raconter à Jimmy quand elle rentrerait tout à l’heure. Ce qui n’aurait peut-être pas été le cas si elle était comme tout le monde. Bref, tout ça pour dire qu’ils sont donc tous les deux dans le garage d’un parfait inconnu entourés d’une centaine de poupées environ ce qui, dans un autre monde, aurait pu être carrément flippant, voire même digne d’un film d’horreur, mais dans celui-ci, on parle juste de trafic de poupées pratiquement la veille de Noël, tout va bien, à négocier un peu prix pour ce qui semble être leur Saint-Graal aujourd’hui. Et le prix qui fut fixé lui sembla tout à fait correct. Cependant, elle attendit quand même d’avoir l’avis de son ami puisque lui paraissait plus tatillon qu’elle à ce propos en essayant de détendre l’atmosphère avec une petite blague… Qui tomba à plat. Oh pas grave, tout le monde pouvait pas avoir l’humour des Savalas et puis l’important, au fond, c’était que ça la fasse rire, elle. Et c’était le cas alors cette fois encore, tout allait bien. Dorian reprit alors la parole pour tempérer ses propos et surtout bien faire comprendre qu’elle n’était pas en train de l’accuser de quoi que ce soit et bien que l’envie de lever les yeux au ciel en leur demandant où était passé leur sens de l’humour, avait-elle vraiment la tête d’une balance ? fut forte, elle se contenta d’un acquiescement.
« C’est ça, d’la farine et pas du tout celle qu’on met dans les gâteaux bizarres. »
Puis elle ferma la bouche pour ne pas en rajouter une couche et tendit les billets. Une chance qu’elle ait du cash sur elle. C’était généralement pas le cas parce que c’est tellement plus pratique de tout payer par carte de nos jours, sans parler du risque de se faire voler qui s’il n’est toujours pas inexistant, est quand même bien moindre et puis la grecque était pas une criminelle alors elle avait pas besoin qu’on puisse pas retracer sa position à cause de ses achats, mais là, elle avait prévu le coup et était passée au distributeur au coin de sa rue juste avant de prendre la route. L’échange terminé, elle prit congé d’un :
« Au plaisir ! »
Et quitta le garage où l’air était quand même pas mal irrespirable pour regagner la Mustang, brandissant triomphalement la boîte de la poupée au-dessus de sa tête.
« On l’a ! J’y ai pas tout l’temps cru, mais ça y est, on l’a ! »
C’est Sarah qui allait être contente.

C’est vrai qu’on se demande bien ce qui a pu lui passer par la tête à ce type. C’était quand même pas commun de vouloir se lancer dans le trafic de poupées, puis ça donnait clairement lieu à des scènes assez étranges, comme pouvait en témoigner celle-ci. Mais bon, au fond ce type faisait pas vraiment de mal. Puis il en faisait moins que les vrais dealers puisqu’il encourageait pas un business détruisant des vies. Après quelques secondes de réflexion, Noomi finit par hausser les épaules.
« C’est vrai qu’c’était bizarre mais pourquoi pas, en vrai ? P’t’être bien qu’il s’ennuie chez lui et qu’le premier truc qui lui est venu à l’esprit, c’est ce p’tit business. Chelou mais toujours mieux que d’passer son temps à emmerder ses voisins, s’tu veux mon avis. »
Parce qu’en termes de voisins chiants, la grecque en connaissait pas mal. C’était ça de vivre dans un immeuble ; on pouvait pas s’entendre avec tout le monde. Et entre sa voisine de palier qui passait son temps à inspecter ses allées-et-venues et celle qui avait un faible pour Jimmy, elle était servie. Tellement que des fois, elle en venait à regretter son ancien voisin. C’était peut-être un flic, oui, et il était de notoriété publique que Noomi ne les tenait pas vraiment en haute estime, mais puisqu’au départ elle l’avait pris pour un strip-teaser… Bref, tout ça pour dire qu’une fois n’est pas coutume, elle avait fini par triompher de l’adversité. Ce qui était peut-être un peu exagéré parce que depuis que Jimmy s’était refait une place dans sa vie, celle-ci valait de nouveau la peine d’être pleinement vécue et elle se riait plus souvent de l’adversité qu’avant.
« J’pense qu’on a bien mérité une récompense. On s’prend un café sur le ch’min ? »
Et encore, connaissant Noomi, elle aurait pu proposer bien pire mais elle savait aussi se montrer raisonnable et puis son amour de l’alcool ne dépassait clairement pas celui du café – en fait, il était même proche de zéro -, Dorian devrait s’en souvenir. Parce qu’elle lui avait déjà préparé son fameux café glacé, aka sa seule spécialité.