Pauvre con, bien fait pour sa gueule

Qu’elle lui montre quoi au juste ? Comment charmer quelqu’un au point de se faire passer la bague au doigt avant de se volatiliser dans la nature avec une bonne partie de ses millions ? Inutile, ça resterait sans effet sur quelqu’un comme Jimmy. Iggy savait reconnaître quand un adversaire était plus fort qu’elle. C’était le cas de Jimmy. Enfin, uniquement sur ce plan : il n’avait aucune envie de convoler et ça, elle l’avait très vite enregistré. Perdu d’avance. D’autant plus depuis qu’il était dans la confidence. Et comme elle n’était vraiment pas du genre à se tuer à la tâche si elle estimait que ça n’en valait pas la peine… Non, de toute manière, la partie ultra organisée de la journée était passée et Iggy avait actuellement plus envie de se laisser porter par le courant qu’autre chose. Ce qu’elle fit en laissant les rênes à Jimmy. Enfin, disons qu’il ne lui avait pas vraiment laissé le choix mais qu’après quelques minutes à foncer raisonnablement – tout un concept – sur les flots, elle consentait à ce qu’il s’amuse un peu lui aussi. Comme quoi, elle pouvait être urbaine parfois. Dans tous les cas, elle n’aurait pas voulu échanger sa place ; certes, elle se prenait un peu de vent dans la face – pas de quoi en faire toute une histoire non plus, cependant -, mais elle restait aux premières loges.

Mine de rien, c’était un joli spectacle à voir ; la lune se reflétant sur les vagues, donnant à l’écume une impression de fluorescence par moment. Un cadre enchanteur, presque idyllique, et comme elle avait l’occasion de l’admirer, autant en profiter. En tout cas jusqu’à ce que son tour de prendre les commandes revint. Ce ne fut pas formulé mais elle était chanceuse, elle n’avait pas été élevée par une meute de loups donc elle comprit tout de suite. Ses mains se posèrent alors sur sa taille, ce qui devait effectivement être plus pratique que de tenir une poignée bien qu’elle soit sans doute prévue à cet effet. Nouveau sourire tandis qu’il lui demandait pratiquement la permission ; l’idée qu’il puisse avoir des ennuis avec d’autres s’il ne le faisait pas, même pour un geste aussi anodin que celui-ci lui revint en tête.
« Non, t’en fais pas, j’ai pas l’intention de porter plainte pour si peu. »
Et lui adressa un clin d’œil avant de repartir raisonnablement à l’assaut des vagues.

Après plusieurs minutes à naviguer au hasard, les voilà qui arrivent à une plage et Jimmy lui fit savoir qu’ils pouvaient attacher le jet-ski à un ponton. Elle suivit donc ses instructives et, tandis qu’elle le regardait vérifier que le nœud était bien serré afin d’éviter que l’engin ne parte à la dérive, voilà qu’il lui rappelle qu’il leur faut le ramener. Ou plutôt qu’il leur faut retourner au yacht pour récupérer leurs affaires mais c’était presque pareil. En réponse à son rappel, Iggy pouffa.
« Parce que t’as laissé des choses de valeur, là-bas ? »
Il avait laissé ses fringues, oui, mais rien qu’il ne puisse remplacer sans même voir la différence sur son compte en banque. Pour ce qui était des papiers, en revanche… Elle connaissait évidemment des gens capables d’en falsifier en un temps record, le temps de. Mais le fait est que Jimmy en savait déjà bien trop sur son compte, aussi ne partagerait-elle pas ce tuyau avec lui. En ce qui la concernait, Iggy ne se déplaçait presque jamais avec ses véritables papiers sur elle ; question d’habitude. Les vrais étaient à la villa, planqués sous son matelas avec bien d’autres choses encore. Et elle se fichait de sa robe. Mais elle comprenait que ça ne soit pas pour tout le monde pareil.
« T’en fais pas, on y retournera. Et en bon gentleman que tu es, je compte sur toi pour me raccompagner jusque sur le pas de ma porte. »
Puisqu’il tenait à faire les choses dans les règles de l’art, autant aller jusqu’au bout. Soit, elle prit sa main et descendit à son tour. D’abord du jet-ski, ensuite du ponton pour faire quelques pas sur la plage. Quatre ans qu’elle habitait le quartier et elle prenait pourtant jamais la peine de s’y balader.
« C’est gentil de jouer les guides touristiques, en tout cas. »
Puis elle s’approcha pour le pousser un peu du coude avant d’ajouter :
« Alors, c’est ici que tu emmènes la plupart de tes conquêtes ? »
Iggy plaisantait mais ça ne l’empêchait pas d’être un peu curieuse étant donné qu’il n’avait pas caché que c’était bien son genre de filer à l’anglaise, la plus jolie nana de la soirée pendue à son bras. En tout cas, si elle avait vu juste alors elle estimait que cette technique devait marcher du tonnerre.

Décidément, Jimmy aurait bien besoin d’apprendre deux ou trois petites choses pratiques. Même si elle pouvait le comprendre : en théorie, il était un homme d’affaires respectable qui n’a pas de soucis avec la loi, hormis peut-être l’une ou l’autre magouille dans sa boîte parce que oh bah c’est partout pareil, tout le monde le fait alors pourquoi pas ? Bref hochement de tête tandis qu’il lui assure qu’il la raccompagnera. Notamment pour que ça ne soit pas le balourd de tout à l’heure qui ait cet honneur. Manquerait plus que ça, tiens. Autant rentrer à pied. Ou faire du stop. Mais le hic c’est que ça lui garantirait pas de tomber sur quelqu’un de moins lourd, ça. Ne resterait plus que l’option taxi. En trouvant une combine pour se faire offrir la course, bien entendu. Soit, inutile de trop y penser puisque Jimmy venait de confirmer qu’il la raccompagnerait.
« Ah, j’admets que j’en voudrais pas non plus de celui-là. »
Quant à savoir si ça signifiait qu’elle préférait Jimmy, évidemment que oui, elle lui faisait déjà un peu plus confiance. Pas beaucoup, mais un peu quand même. Puis les voilà à discuter des techniques de drague de Jimmy. Qui ne sont pas d’emmener qui que ce soit sur cette plage, manifestement. Okay, elle comprenait que dans une telle situation, le sable c’était peut-être pas génial mais tout de même, y a des tas de gens qui ne pourraient que succomber au bord de mer et au clair de lune.
« Dommage, ça me paraît pourtant idéal pour emballer. »
Cela dit, Jimmy n’avait sans doute pas besoin de ça ; si elle était à sa place, elle se contenterait d’agiter des liasses de billets sous le nez de ses cibles et fin de l’histoire. Ce qui devait forcément marcher sur certains puisque ça fonctionnerait sur elle. Là n’était pas la question puisque peu de temps après, il la mit au défi de se jeter littéralement à l’eau. Pourquoi pas ? Elle devait être fraîche mais comme elle l’avait déjà prouvé, ça ne serait pas ça qui lui ferait peur.
« Allez, le dernier à l’eau paye un resto à l’autre ? »
Et puisqu’Iggy l’avait déjà prévenu à ce sujet, elle ne se gêna pas pour tricher en prenant de l’avance, s’immergeant dans l’eau sans faire de manières. Le froid lui fit claquer des dents mais ça ne serait que le temps de s’y faire.

Heureusement ? Ce genre d’individu méritait-il vraiment qu’on se réjouisse que certaines femmes tombent dans le panneau et repartent à son bras ? Bon d’accord, peut-être que les femmes en question ne sont pas si innocentes que ce qu’elle aimerait croire et que si elles acceptaient de se laisser avoir, ce n’était que par intérêt. Peu importe la nature de l’intérêt. Car elle avait quand même beaucoup de mal à concevoir qu’on puisse trouver ce genre d’homme séduisant. En dehors de sa fortune, bien sûr. Lorsqu’elle n’en avait pas qu’après leur argent, Iggy les préférait un brin plus subtils pour sa part. Mais bon :
« Tous les goûts sont dans la nature. »
Elle accompagna sa sentence d’un haussement d’épaules. Avant de se féliciter mentalement car wow, Jimmy venait de dire qu’il tâcherait de se souvenir de son conseil et même carrément de le mettre en application. Il n’était sans doute pas sérieux ; le dragueur invétéré qu’il était devait avoir développé quantité de techniques de drague avec le temps sans avoir besoin de conseils mais elle s’en contenterait. Après quoi il eut la mauvaise idée de la mettre au défi. Aller se baigner à cette heure et surtout à cette époque de l’année, c’était un peu du suicide mais Iggy ne se fit pas prier pour poser ses conditions : c’était le bon moment.

D’ailleurs, elle ne laissa même pas le temps à Jimmy d’accepter la proposition pour s’élancer vers les flots. L’eau n’était pas non plus gelée mais quand même très fraîche. Alors ça ne l’étonna pas de voir le jeune homme faire sa chochotte. Enfin, un peu, disons qu’il ne se pressait pas comme elle avait pu le faire. A croire que ça lui allait parfaitement de l’inviter à dîner. En quelques brasses, il réduisit l’écart qui les séparait, feignant le désappointement. Elle l’écouta ensuite lui raconter que, d’ordinaire, il était mauvais perdant, mais pas cette fois. Quel compliment ! Iggy pouffa avant de crâner un peu :
« Ouais, j’ai cet effet sur bien des gens. »
Ce qui n’était pas tout à fait faux puisqu’elle était très douée pour se faire apprécier. Puis se faire oublier, les deux ne sont pas incompatibles.
« Mais je suis quand même sympa, je te laisse choisir la date et le resto. Enfin, dès qu’on se sera rétablis de notre crève, tous les deux. »
Parce qu’elle voyait mal comment ils pourraient y échapper après ça. Tant pis, ça en valait la peine. Iggy lui envoya d’ailleurs une grande salve d’eau en pleine face. Meilleur moyen de s’acclimater.
« Rassure-moi, par contre, y a pas de méduses dans ces eaux ? »
Un peu tard pour s’en inquiéter sans doute mais ça serait fâcheux qu’ils en viennent à croiser leur route.

Ah bon, alors comme ça, parfois on se demande… C’est un brin amusée qu’elle le dévisagea. Néanmoins, elle ne lui jetterait pas la pierre, Iggy était bien de cet avis elle aussi. Et pas seulement parce que certaines choses craignent mais bien parce qu’elle croit que ça craint. En matière de goût, tout n’était-il pas une question de perspective ? Ainsi, il n’y avait jamais un goût plus sûr qu’un autre, hormis le sien. Cela dit, c’était sa vision des choses et elle était certaine que tout le monde ne la partageait pas, donc, inutile de tergiverser à ce propos. Pas plus utile d’en faire des tonnes face à la réplique qui suivit non plus. Si elle s’était doutée que Jimmy lui ferait du rentre-dedans ? Pas vraiment. D’accord, en prenant un peu de recul, c’était tout naturel. Iggy n’avait peut-être pas une allure de mannequin – et tant mieux car tout ce qu’on demande aux mannequins c’est d’être grand, d’une maigreur maladive et d’avoir un physique atypique, pas d’être beaux -, mais elle était plutôt pas mal selon les critères actuels. Partant de là, pas étonnant qu’elle lui plaise mais, croyez-le ou non, cette possibilité ne lui avait pas encore véritablement traversé l’esprit jusqu’ici. Sans doute parce qu’elle ne s’était pas attendue à ce que cette soirée prenne cette tournure. Et pourquoi pas, après tout ?
« Très flattée. »
Pas de quoi rougir, cependant. Puis il lui assura qu’il ferait une réservation pour dans deux ou trois semaines. Et Iggy passerait sur son « comme ça, c’est calé » sans trop s’y attarder. Elle n’était pas du genre à se vexer pour si peu mais elle aurait pu, ces mots-là pouvaient suggérer qu’il s’agissait plus d’une corvée dont on se débarrassait qu’autre chose. Ce dont Iggy se fichait de toute manière puisqu’à ses yeux, c’était surtout une récompense. Imméritée peut-être, étant donné qu’elle avait triché et que Jimmy ne s’était pas donné beaucoup de mal pour gagner, mais une récompense est une récompense, fin de l’histoire. Il la rassura quant au fait qu’il n’y avait ni méduses, ni requins, ni piranhas dans le coin. Oh, les requins et les piranhas c’était tout de même moins terrifiant que les méduses. Cette fois, elle haussa les épaules.
« Toi, je suis sûr que non. Moi, je ne sais pas. »
Mais un sourire en coin étira bien vite ses lèvres. Le fait est qu’ils avaient tous deux leur réponse puisqu’ils étaient dans le même bateau. Mais sans bateau, justement. S’ensuivit une très courte bataille d’éclaboussements censée les réchauffer et qui faillit à sa tâche, puis Iggy hocha vivement la tête bien qu’elle ait cessé de claquer des dents.
« Je sais pas si ça nous évitera la crève mais autant faire en sorte que ça vire pas à la pneumonie, ça serait pas sexy du tout, ça. »

Comme si elle était capable de tuer quelqu’un… En tout cas, pas directement. Peut-être en avait-elle poussé l’un ou l’autre au suicide, ça, ce n’était pas exclu en revanche. Car se voir dépouillé de sa fortune par quelqu’un que l’on croyait connaître alors que finalement, pas du tout, ça doit certainement avoir ce genre de conséquences mais Iggy tâchait de ne pas trop y penser, manquerait plus qu’elle regrette.
« Dis pas de bêtises, t’en sais plus à mon sujet que bien des gens. Voilà qui devrait nous rapprocher plutôt que nous éloigner. »
Argument pour le moins bancal car ça serait un motif pour le faire disparaître grâce à l’aide d’un petit requin, ça. Mais non, on a dit qu’Iggy ne tuait personne ! Autant parler d’autre chose. Comme du fait qu’ils allaient probablement ressortir de cette soirée avec un bon gros rhume. Ce que Jimmy ne pouvait toutefois pas trop se permettre, semblait-il. Oui, c’est sûr qu’en tant qu’homme d’affaires, c’est plus délicat pour lui de prendre une semaine de congé que pour Iggy.
« Je rappelle quand même que c’était ton idée. Et je serais tentée de croire que c’était qu’un prétexte pour m’inviter à dîner. »
Ce qu’elle ne pense pas une seule seconde, bien sûr : il ne pouvait pas deviner que c’est ce qu’elle allait proposer. A moins qu’il ne l’ait encore plus percée à jour que ce qu’elle croyait, mais ça, elle en doute vraiment. Bref, il était temps de rentrer au yacht. Et Jimmy ne lui laissait même pas l’occasion de protester : il voulait prendre les commandes. Sérieusement ? Elle pouvait comprendre mais elle n’aimait pas trop cette position de midinette se serrant contre l’homme de la situation dans laquelle ça la placerait, c’était un fait. Cela dit, elle préféra rebondir sur autre chose.
« Faut que je sois mentalement prête parce que tu sais pas conduire un de ces engins, c’est ça que tu veux dire ? »
Grand sourire. Elle avait très bien compris ce qu’il voulait dire – du moins le croyait-elle -, mais c’était drôle de le taquiner un peu. Soit, elle suivit et elle aurait pu pousser un soupir en prenant place à l’arrière du jet-ski si elle n’était pas en train de grelotter. Avait-elle réellement moins froid à l’arrière ? Sûrement puisque Jimmy faisait rempart de son corps mais bon… Bien vite, ses accélérations lui firent abandonner la poignée pour venir se coller davantage à lui. Là oui, elle avait déjà un peu moins froid.

Evidemment que c’était son idée. Sans ça, les dîners aux chandelles, ça n’avait pas l’air d’être tellement son truc. Bien qu’elle n’ait pas songé à un dîner aux chandelles au moment de la proposition, simplement à un dîner des plus banals où elle pourrait commander tout ce qu’il y a de plus cher sur la carte. N’empêche que ça soulevait une question : si la balade sur la plage au clair de lune et le dîner aux chandelles n’étaient jamais au programme, comment s’y prenait-il ? Il accostait quelqu’un en soirée et lui demandait directement si ça le ou la tentait de s’envoyer en l’air ? Iggy tâcha de se mettre à sa place une seconde et songea que si elle s’y prenait de cette manière, elle n’attirerait que des pervers et des gars en manque. Et on n’ira pas croire que les femmes sont moins perverses que les mecs, c’est ce que la bienséance voudrait mais on en est loin. Enfin, tout dépend des personnes, évidemment, et c’est pareil pour les hommes. Soit, ses questions demeureraient. En revanche, il ne résista pas à l’envie de la défier. Tout ça parce qu’elle avait osé mettre en doute ses talents de pilote de jet-ski. C’est bon, elle le charriait, notamment à cause de la tournure de sa phrase, sinon elle avait eu l’occasion de se rendre compte qu’il ne se débrouillait pas si mal. D’ailleurs, elle ne se débrouillait pas si bien non plus, donc.
« Allez, si t’as vraiment besoin de te prouver quelque chose, ça me va. »
Là encore, elle plaisantait. Et, trêve de bavardage, le suivit avant de remonter en selle. Pas besoin de lui demander la permission pour s’accrocher à lui plutôt qu’à la poignée, supposa-t-elle ; s’il l’avait fait à l’aller, alors elle pouvait probablement le faire au retour. D’autant que c’était lui qui tenait tellement à prendre les commandes. Par chance, le yacht ne s’était pas tant éloigné que ça et leur calvaire ne dura pas bien longtemps. Juste le temps de finir de les frigorifier tout à fait. Si Iggy ne fit pas de commentaire, elle partageait l’empressement de Jimmy d’aller se réchauffer et le regard des autres glissa sur elle comme l’eau sur les plumes d’un canard : qu’ils pensent ce qu’ils veulent, elle n’en avait rien à faire. C’était vraiment ça, le début du bonheur.
« Tu crois qu’il y a moyen de se faire servir un café ? »
Ou n’importe quoi qui réchauffe. Okay, ça pourrait tout aussi bien être du whisky, mais à choisir, elle préférait tout de même un café. Ou un chocolat chaud mais là, elle savait qu’elle rêvait. Pas dans ce genre de petites fêtes.