christmas in hell

Étrangement, depuis mon arrivée à Island Bay, c'est la première fois que je veux voir Noël se passer bien. Les précédentes années, ça n'avait pas vraiment le goût de fête, c'était juste un dîner comme un autre, à la différence que c'était un jour férié. Mais aujourd'hui, j'ai décidé de mettre les petits plats dans les grands. Je me suis portée volontaire pour préparer le repas et pour réussir à avoir quelque chose de potable, je me suis levée aux aurores. Nous aurions pu commander, c'est vrai, mais je me suis dit que tous les restaurants et les agences de traiteurs allaient avoir fort à faire. Et puis, un repas pour trois, ça ne doit pas être si compliqué que ça. Quoiqu'il en soit, de huit à onze heures, je m'attelle derrière les fourneaux. Puis je décide de prendre une pause pour m'occuper du reste. Bien que très légère, il est important d'avoir une décoration. Est-ce que je ferais tout cela si Sofia ne venait pas ? Certainement pas. Mais grâce à elle, j'ai envie de retrouver la féerie de Noël que j'avais en Suède. Je dresse la table et dépose quelques objets festifs entre les assiettes. Je me dirige ensuite à l'étage pour enfiler une tenue qui se prête plus à l'occasion. Jusqu'ici, je n'ai pas fait de catastrophe en cuisine, alors espérons que ça dure, sinon je serais bonne pour me changer. De tous mes trajets dans la villa, je n'ai pas croisé Iggy : j'espère qu'elle n'a pas oublié. Au pire, tant pis. Ce ne sera que Sofia et moi. Cette pause terminée, je reprends ma place en cuisine. En plus du repas – entrée, plat et dessert -, je me suis lancée le défi de faire du vin chaud. Comme son nom l'indice, ça ne doit sûrement pas être compliqué à faire. Néanmoins, pour y parvenir, je récupère une recette sur internet : ce serait quand même dommage de passer à côté d'un ingrédient secret. Je suis chacune des étapes à la lettre et une fois le feu coupé, je décide de me servir un verre pour y goûter. Grossière erreur. J'ai dû rater quelque chose. À peine le vin chaud touche mes lèvres, que j'ai un haut-le-cœur. Je ne peux vraiment pas leur proposer ça. Je récupère la casserole et la vide illico-presto dans l'évier. Au même moment, le sonnerie de la porte d'entrée retentie. « J'y vais. » Je quitte la cuisine et récupère un bonnet de Noël sur le chemin qui me mène à l'entrée. Je le pose sur ma tête : je suis prête à accueillir la jeune femme. J'ouvre la porte et un sourire se dessine naturellement sur mes lèvres en la voyant. Je me penche un peu vers elle et l'embrasse tendrement, avant de l'inviter à entrer chez nous. « Entre, je t'en prie. »

Tous les ans, c’était la même rengaine. Ou en tout cas depuis que Charli avait atterri en Nouvelle-Zélande car du temps où elle était mariée, ils faisaient quand même un petit effort pour les fêtes de fin d’année. Rien d’extravagant, un petit repas en tête à tête sans prétention et puis le traditionnel film d’horreur sur le thème de Noël. Ils s’amusaient à décorer, en revanche. Mais ça, c’était avant. Depuis quatre ans, Iggy et Charli ne faisaient que se croiser les soirs de réveillon. L’une occupant le salon, l’autre sa chambre. Ce qui n’était pas si triste qu’on pourrait le croire, c’était une nouvelle tradition, en quelque sorte. Mais cette année, ça serait différent. Principalement parce que Charli avait invité quelqu’un. Une grande première et Iggy n’était pas bête, elle se doutait que cette personne-là devait être spéciale. Une dénommée Sofia, c’était tout ce à quoi elle avait eu droit comme information. Sa fille avait tenu à tout faire toute seule et monopolisait la cuisine tout entière depuis ce matin. Afin de ne pas traîner dans ses pattes, Iggy avait tôt fait de remonter dans sa chambre après avoir récupéré un verre de lait de poule. Puis elle s’était apprêtée et avait passé de longues minutes à converser avec son père, sa mère et son frère aîné, Donnie via Discord. Une réunion de famille sans en être vraiment une.

Ce fut le coup de sonnette à la porte d’entrée qui lui fit « raccrocher ». Il était temps d’entrer en scène. Charli avait déjà ouvert la porte, lui masquant la vue sur ladite Sofia, tandis qu’elle descendait les escaliers. Iggy se fit l’effet d’une Gloria Swanson au rabais en déboulant ainsi, au beau milieu de leur conversation. Mettant les pieds dans le plat, elle vint se placer à côté de sa fille et sonda brièvement son invitée. Elle avait l’air… sage. Peut-être se trompait-elle, mais c’était l’aura qu’elle dégageait en tout cas. Ce qui n’avait rien de surprenant en réalité. Charli avait beau être une rebelle, ça restait relativement soft alors les deux s’étaient certainement bien trouvées. Sourire Colgate aux lèvres, Iggy pointa son index sur l’autre brune.
« Sofia, c’est ça ? Je suis Iggy. Sois la bienvenue. »
Comme ça, inutile de se poser plus longtemps la question de comment l’appeler. Puis elle lui tendit la main.
« Puis-je te débarrasser ? »
Il fallait admettre que la première question qui lui était venue en tête n’était pas celle-là mais plutôt « qu’est-ce qu’on boit ? » mais Iggy savait parfois se tenir.

Je crois que l’idée de cuisiner pour Noël n’est pas une si mauvaise idée : en plus de m’exercer, cela me permet de ne penser à rien. Pas de questions à tout va dans mon esprit et le temps qui file à toute vitesse. Au point que je ne réalise qu’à la sonnerie de la porte d’entrée qu’il est temps de passer aux choses sérieuses. Malgré ce que je lui avais dit, Sofia n’est pas venue les mains vides. Face à ça, je ne peux m’empêcher de froncer légèrement les sourcils. À la rigueur, les fruits pour un dessert, ça passait, mais le cadeau pour Iggy, ce n’était vraiment pas nécessaire. « Tu n’aurais pas dû. » Il faudrait être aveugle pour ne pas voir que la brune n’est pas très à l’aise et qu’elle essaye de faire de son mieux pour faire bonne impression. Jusqu’au point de savoir comment appeler ma mère. Mais avant même que j’ai le temps de lui répondre, Iggy arrive. J’aurais peut-être dû la briefer avant l’arrivée de ma petite amie, lui dire ce qu’elle est vraiment pour moi et ce que la brune sait de ma vie. « J’emmène ça en cuisine. » Dis-je, tout en agitant doucement le plat de fruits que j’ai récupéré. Si je dois m’absenter, autant le faire tôt dans le repas et vite. Si leur discussion n’est pas trop lancée, ça réduira la probabilité que ma mère dise une bêtise ou quelque chose qu’il est préférable qu’elle garde pour elle. Par là, j'entends notre passé familial, mais aussi mes troubles alimentaires. J'espère qu'Iggy a conscience de tout cela et que je n'aurais pas à lui faire un signe peu discret pour qu'elle se taise. De retour dans l'entrée avec les deux femmes et Sofia débarrassée de ses affaires, je suggère de passer à l'étape suivante. « On pourrait aller s'installer dans le salon. » Je suppose que c'est la suite logique des choses. Tout ceci est nouveau pour moi, alors j'ai l'impression de marcher sur des œufs. Je guide ma petite amie jusqu'à la pièce en question et laisse ma mère nous suivre de près. « Je vous proposerais bien un verre de vin chaud, mais vous allez penser que je cherche à vous empoisonner. » Si la boisson n'a pas été un franc succès, j'espère qu'il n'en sera pas de même avec le repas. Même si les deux femmes ne peuvent pas me juger sur le plan culinaire, je ne voudrais pas donner raison à ma mère en devant commander au dernier moment pour sauver le repas de Noël. « Qu'est-ce que vous voulez boire ? » Sofia ne connaît pas vraiment la maison, mais à en voir la taille de chacune des pièces, elle doit bien se douter que nous avons un large choix possible pour des boissons. Surtout que j'ai eu un peu la main lourde au moment des courses. L'avantage, c'est qu'il n'y aura pas de gaspillage, tout ce qui ne servira pas là pourra être utilisé pour mon anniversaire.

« Oh, c’est une très gentille attention de ta part, merci beaucoup ! »
Iggy posa les chocolats que Sofia venait de lui offrir sur la table d’appoint la plus proche et rangea son sac et son gilet dans le placard de l’entrée, le temps que Charli fasse un saut dans la cuisine et revienne. Puis elle proposa de passer au salon et Iggy se retrouva à fermer la marche – après avoir récupéré ses chocolat qu’elle poserait sur la table basse pour les ouvrir un peu plus tard -, un peu comme si elle n’était pas chez elle et qu’elle ne savait pas où il se trouvait. A elle aussi, ça faisait bizarre. En revanche, elle ne s’assit pas tout de suite et préféra mettre un peu de musique. En sourdine. Histoire de combler les blancs qu’il pourrait y avoir durant la conversation. Pas de chants de Noël, non, sûrement pas. Que Mariah et George aillent se faire voir – mais R.I.P. George quand même. Non, de la bonne vieille house des familles, ce qu’Iggy préférait. Là-dessus, sa fille qui n’était manifestement pas près de sa lasser de faire la navette entre le salon et la cuisine, demanda ce qu’elles voulaient boire.
« Je veux bien un kir royal, s’il-te-plaît. »
En espérant que Charli sache ce que c’est mais sa fille était pleine de ressource : elle trouverait. Et quand bien même, ça serait toujours mieux que du vin chaud. Dire qu’elles avaient échappé à cette horreur. Réussi ou pas, Iggy aurait de toute manière eu l’impression qu’on cherchait à l’empoisonner.

Charli s’éclipsa donc après avoir pris commande, les laissant de nouveau seules, Sofia et elle. Et Iggy ne tarda pas à capter le regard de leur invitée posé sur elle. Intriguée ? Peut-être. Elle ne savait pas trop ce que sa fille avait pu révéler de leur relation pas banale alors elle tâcherait de ne pas commettre d’impair bien que de son côté, ça ne la dérangeait aucunement d’avouer qu’elle ne s’était découvert la fibre maternelle que très tard. Et encore, pas sûr qu’on puisse réellement appeler ça comme ça. Mais impressionnée à coup sûr. Il y avait pourtant pas de quoi.
« Alors dis-moi, comment vous vous êtes connues avec Charli ? »
Au fond, si Sofia était intriguée par elle, la réciproque n’était pas tout à fait fausse étant donné que Charli ne lui avait rien dit d’autre que son prénom.

Je suis un peu nerveuse, mais j’espère que cela ne se ressent pas. Sofia est la première personne que je présente à ma mère et si je ne me trompe pas, c’est aussi la première personne que je présente de manière générale. Pour masquer mon état, je décide de prendre les choses en mains. La suite logique à tout cela c’est de s’installer dans le salon. Enfin, je suppose. N’ayant jamais été dans une telle situation, ce que je fais est tiré des films du style que j’ai pu regarder. Installées dans la grande pièce de vie, je prends la commande des deux femmes. Très vite, je me demande si c’est une si bonne idée que ça de se proposer pour cette tâche : une nouvelle fois, je vais devoir les laisser seules. Mais bon.. maintenant, je ne peux plus faire marche-arrière. Je quitte rapidement la pièce pour retourner dans la cuisine. Pour Sofia, c’est simple à faire. Je sors un verre et le remplit d’un soda que j’ai mis au réfrigérateur la veille. Pour Iggy, c’est une autre histoire. Je récupère mon téléphone et fais une recherche rapide pour trouver les ingrédients que composent un kir royal. Quelle idée aussi de demander une boisson de vieux. Par chance, cela ne semble pas compliqué à faire. Je verse un peu de sirop dans une flûte et remplit le reste de champagne. La bouteille maintenant ouverte, je décide de la vider un peu plus pour remplir mon verre. Je passe en revue les différentes boissons, je crois que le compte est bon. « Et voilà ! » Dis-je, tout en revenant dans la pièce. Dans la cuisine, j’ai trouvé un plateau, sur lequel j’ai posé les trois verres, ainsi qu’un plat avec plusieurs amuses-bouches, un bol avec quelques cacahuètes et un autre avec des morceaux de saucisson. À l’approche de la table basse, je m’emmêle un peu les pieds et manque de perdre l’équilibre. Mais par chance, le plateau arrive sur la table plutôt que sur le sol. « Nous avons évité une première catastrophe. » Rien ne dit que le reste de ce repas suivra cette même direction. Tour à tour, je dépose les verres correspondants devant chacune des deux femmes et je finis par le mien. « Tout va bien ? » Dis-je, alors que mon regard se pose sur Sofia. Rien sur son visage ne laisse paraître une gène quelconque, mais je préfère m’en assurer quand même. « Ne me dis pas que tu es en train de lui faire un interrogatoire. » Je commence doucement à me souvenir que mon arrivée a interrompu une discussion entre elles. Peut-être que j’aurais dû en dire plus au sujet de Sofia, pour éviter ce genre d’échange justement. « C’est Noël, fêtons cela. » Je ne sais pas qu’elle idée j’ai eu d’inviter ma petite amie. Si cette conversation a pris fin, j’ai un doute sur le fait que ce sera la dernière gênante pour aujourd’hui. Doucement, je lève mon verre, essayant d’oublier ce qui nous attend. « À Noël. »

A l’hôpital. Si ça devait surprendre Iggy, c’est pas le cas. Il n’est pas rare que Charli fasse des sauts à l’hôpital de temps à autre à cause de sa boulimie. Et de cette manière de faire du sport si intense – non, décidément, elles n’ont vraiment rien en commun toutes les deux. En revanche, elle s’interrogea sur la raison de la présence de Sofia dans un tel lieu. Était-elle aussi sujette à ce genre de comportements ? Mais la réponse vint très vite : non, Sofia était médecin. Chirurgienne, même. Sa fille semblait avoir tiré le bon numéro. D’accord, peut-être que ça ne durerait mais pas en attendant, elle était entre les meilleures mains qui soient. En espérant que le mental suive car médecin doit probablement faire partie des métiers les plus durs. Psychologiquement parlant en tout cas. Elle hocha la tête, sourire aux lèvres, et se permit de commenter :
« Oh, comme quoi, on peut aussi faire de belles rencontres dans ce genre d’endroits. »
Parce qu’il y avait tout de même plus joyeux. Et comme circonstances aussi mais ça, elle le garda pour elle car elle ne savait pas ce que Charli avait dit à Sofia de son état et ce n’était sûrement pas à elle de le lui apprendre si ça n’avait pas encore été fait. D’ailleurs, la jeune femme changea de sujet pile au bon moment. Iggy laissa ses yeux bleus traîner sur la charpente de la villa. Il est vrai qu’elle était jolie. Pas la plus grande du quartier mais suffisamment pour elles deux. Ou même pour elle toute seule une fois que sa fille aura décidé qu’elle n’avait plus envie de cohabiter. Opinant toujours du chef, elle répondit :
« C’est gentil. C’est vrai que c’est un chouette endroit où vivre, on s’y sent bien. Et en dépit du fait que ça ne fait pas longtemps que je l’occupe, elle ne manque quand même pas d’âme. »

Là-dessus, Charli revint avec leurs verres, manquant tout renverser sur son tapis. Iggy lui en aurait un peu voulu, mais fort heureusement, ce désastre fut évité de justesse. Elle répondit par un nouveau sourire à la question de sa fille, se doutant pertinemment que celle-ci ne lui était pas vraiment adressée.
« Oh, tu me connais, il est pas question que j’harcèle qui que ce soit. »
C’est vrai ça, d’ailleurs, d’où sortait cette question ? Une tentative de faire croire à la famille unie, peut-être ? En tout cas, Iggy s’empara de sa coupe et trinqua avec les filles.
« A Noël ! »
C’est alors que Sofia leur demanda comment se passait Noël en Suède. Enfin, plus ou moins. Et cette fois, aucun doute, la question lui était adressée à elle aussi. Elle arqua un sourcil en direction de sa fille, laissant supposer qu’elle préférait la laisser répondre. Mais ouvrit tout de même la bouche pour expliquer.
« Tu as raison, c’est vraiment tout le contraire d’ici. De la neige partout et comme la nuit tombe très tôt, toutes les villes et villages s’illuminent et brillent de mille feux. Tous les dimanches de décembre avant Noël, on allume une bougie, c’est la tradition. Et je ne parle même pas de la Sainte-Lucie. Mais pour tout dire, j’aime autant célébrer au bord de la piscine en ce qui me concerne. Peut-être à Charli ? »
Voilà de quoi lui en boucher un coin, à sa fille quand on sait qu’Iggy n’y a jamais mis les pieds, en Suède.

Ce repas, c’est bien plus de pression que ce que je pensais. Pourtant, j’essaye de faire bonne figure et je fais en sorte que tout se passe bien : en plus des boissons demandées un peu plus tôt, je rapporte de quoi grignoter. Rien de trop gros, il ne faudrait pas que je leur coupe l’appétit pour plus tard. De retour dans le salon, je m’empresse de demander à Sofia si tout va bien. La laisser avec ma mère, ce n’était peut-être pas la meilleure des idées. Enfin.. c’est ce que je pensais. Car à l’entendre, tout semble aller pour le mieux. Néanmoins, il n’est pas question que je laisse Iggy la harceler. Ce qui ne semble pas être le cas de son point de vue. J’ai un doute là-dessus, mais peut-être que je me trompe. Nous n’avons jamais été dans une telle situation avant, alors peut-être que ma mère est du genre à assurer, à savoir parler sans pour autant trop en dire. Quoi qu’il en soit, nous ne sommes pas ici pour cela, alors je prends les devants et propose de trinquer à Noël. Les deux femmes me suivent, avant que ma petite amie aborde un nouveau sujet : les fêtes de fin d’année en Suède. Comme elle s’en doute, c’est bien différent de ce qui se fait ici. Je suis prête à répondre à sa question, avant de réaliser qu’elle n’est pas seulement adressée à moi. La brune sait que je n'ai pas été élevée par ma mère, mais elle ignore qu'Iggy a vécu à des milliers de kilomètres durant mon enfance. À l'idée même que ce repas commence comme cela, ma gorge me serre. Si cette question est à l'image de ce moment, ça s'annonce grandiose. À ma grande surprise, ma mère se lance dans un discours élogieux des fêtes en Suède. Pour quelqu'un qui n'y a jamais mis les pieds, c'est assez impressionnant. « De mon côté, j'ai une préférence pour la neige. C'est assez particulier de voir un Père Noël faire du surf. » Toute petite, ma grand-mère me lisait des histoires avec où les fêtes se déroulaient toujours dans le froid, tout comme les nombreux films qui existent sur ce thème, alors forcément, c'est le cliché que j'ai en tête depuis le début. « Chaque année, je préférais me ruer dehors pour faire de la luge plutôt que d'ouvrir les cadeaux. » Bien sûr, ça ne durait pas longtemps. Une fois frigorifiée de la tête aux pieds, je rentrais au chaud, je me glissais sous une couverture et je sautais sur la pile de cadeaux. « Parfois ça me manque. » Dis-je, alors qu'une petite grimace se dessine sur mes lèvres. « Mais je suis contente de retrouver un semblant de quelque chose aujourd'hui, avec ce repas. » Je regarde Iggy, puis Sofia, à qui je viens déposer une main sur sa cuisse. « C'est dommage que tu n'aies invité personne. » Cette fois-ci, je reporte mon attention sur ma mère. Je suis bien entourée, mais ce n'est pas son cas. Même si je sais que c'est quelque chose qui lui convient parfaitement.

Pas toujours évident de savoir ce que l’on pouvait dire ou ne pas dire dans une situation telle que celle-ci. Par chance, Iggy était dotée d’une grande capacité d’adaptabilité. Sans compter que mentir faisait partie intégrante de son métier. Ce qu’elle était la seule à savoir ce soir, certes, mais ça n’avait pas grande importance. Ainsi, rebondit-il de manière assez remarquable concernant la question piège sur la Suède, estima-t-elle. Tout en ne sachant pas le moins du monde ce que Charli avait pu raconter à Sofia. Tout ce qu’elle savait, c’était que la jeune femme semblait croire qu’elle aussi avait vécu au pays des esquimaux. Alors autant lui donner raison. En tout cas jusqu’à ce que sa fille juge le moment venu de lui dire toute la vérité et rien que la vérité. Ce n’était pas son problème, après tout. Charli raconta donc qu’elle préférait l’ambiance des fêtes de fin d’année qui régnait en Suède, expliquant également qu’elle préférait faire de la luge plutôt que d’ouvrir ses cadeaux. Là encore, on pouvait se questionner quant à savoir s’il s’agissait réellement de sa fille. Peut-être les avait-on échangées à la maternité ou quelque chose dans ce goût-là ? Voilà qui expliquerait bien des choses.

Prenant une poignée de cacahuètes, Iggy écouta tout en affichant l’expression émerveillée que sont censées avoir toutes les mères dignes de ce nom lorsqu’il est question de leur progéniture, se trouvant l’air parfaitement stupide ainsi. Puis elle répondit par un hochement de tête aux remerciements de Sofia qui lui étaient manifestement adressés à elle aussi. Sans aller jusqu’à dire qu’elle n’y était strictement pour rien car c’était tout de même sa villa, c’était elle qui décidait qui avait le droit d’y entrer et qui ne l’avait pas, disons qu’elle avait juste été un peu prise au dépourvu. Et qu’au demeurant, Sofia avait l’air d’être quelqu’un de très bien. Là-dessus et complètement sorti de nulle part, Charli fit remarquer que c’était dommage qu’elle n’ait invité personne. Pourquoi dommage ? C’était déjà suffisamment délicat comme ça – pour toutes les trois, dirait-on - pour rajouter une personne de plus à l’équation.
« Je trouve que c’est tout aussi bien comme ça, ne t’inquiète pas ! »
De toute manière, il n’y avait personne qui lui venait en tête qu’elle aurait pu inviter. Ne parlons même pas d’Ash toujours pas au courant de l’existence de sa fille.
« Et sinon, en dehors de la chirurgie, tu as d’autres passions ? »

Trinquer à Noël, ici, c’est finalement un peu ironique. Ça fait maintenant trois ans que je m’enferme dans ma chambre – ou presque – lors des fêtes de fin d’années et voilà que pour une fois, je suis à l’origine de ce repas organisé. Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, non ? Et qui sait, ce sera peut-être quelque chose de grand, quelque chose dont on se souviendra dans plusieurs années. Cette idée rejoint un peu le point de vue de Sofia qui est persuadée que ce sera bon. Je l’espère aussi, sinon nous ne sommes pas prêtes de manger avant des heures. Trouver un repas digne de ce nom, le jour de Noël, c’est sûrement proche de l’impossible. Alors que j’amorce un rapprochement avec ma petite amie, j’en profite pour interroger ma mère au sujet d’une personne qui pourrait nous rejoindre aujourd’hui. En quatre ans, je ne l’ai jamais vu avec quelqu’un, mais Noël aurait pu être l’occasion qu’elle me surprenne. Enfin.. là-dessus, nous ne sommes pas vraiment d’accord, puisque selon elle, c’est tout aussi bien comme ça, à trois. « J’aurais pris un malin plaisir à l’interroger. » Dis-je, tout en haussant légèrement les épaules. Ce n’est que partie remise au jour où un homme passera le seuil de la porte. Si je ne peux pas le faire avec un ami à elle, Iggy ne se prive pas pour reprendre celui qu’elle a commencé avec la brune. Ou alors elle cherche à faire la conversation. Elle interroge Sofia sur ses passions, en dehors de son métier. À croire qu’à la fin de la journée, elle devra remplir une feuille avec toutes les informations concernant la brune et que le tout sera noté. « Ne t’inquiète pas. En fonction de ta réponse, elle ne te proposera pas d’aller faire un jogging ou quoique ce soit dans le genre. Nous sommes plutôt différentes pour ça. » D’ailleurs, j’ai récemment été surprise d’apprendre qu’elle voulait se mettre au surf. « Mais tu n’es pas à l’abri avec moi. » Un sourire malicieux se dessine sur mes lèvres. Ce n’est peut-être pas le meilleur moment pour lui proposer cela, mais la journée n’est pas encore terminée, alors nous ne sommes pas à l’abri que je lui propose une excursion plus tard. « Pour notre repas, il y a encore quelques trucs que je dois faire cuire. Est-ce que vous voulez manger maintenant ou est-ce que vous voulez faire quelque chose d’autre avant ? »  J’espère qu’elles n’ont pas faim dans l’immédiat, car même si je m’y mets maintenant, il faudra attendre plusieurs minutes avant de se mettre les pieds sous la table. Mais je me dis qu’à la place d’un interrogatoire, elles souhaiteraient peut-être faire autre chose. Ensemble ou pas. D’ailleurs, je pourrais faire visiter la villa à Sofia, je n’y ai même pas pensé à son arrivée.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, Iggy n’était pas du tout en train de faire passer un interrogatoire à Sofia. Loin d’elle cette idée. Allons, qui serait-elle pour dire à Charli qui elle avait le droit de fréquenter et qui il valait mieux ghoster, hm ? Personne. De toute manière, elle n’avait pas envie de se mêler de sa vie. A moins qu’elle ait besoin de conseils, mais en dehors de ça, elle ne se sentait pas assez légitime pour faire ce genre de choses. Non, mais Sofia était là alors elle n’allait tout de même pas l’ignorer tout au long de la soirée, sinon elles auraient dû aller fêter Noël ailleurs, rien que toutes les deux. Autant apprendre à la connaître un peu. Tour à tour, elle regarda sa fille puis leur invitée.
« Pour te venger ? Faut le dire si mes questions commencent à aller un peu trop loin mais c’est la première fois que Charli ramène quelqu’un à la maison alors c’est un peu un test pour chacune d’entre nous. »
Soit, à en croire la réplique de Charli, Sofia n’était pas du genre très sportive non plus. Voilà qui leur ferait déjà un point commun et pas des moindres ! Un sourire aux lèvres, elle approuva la réponse de la jeune femme d’un hochement de tête. Bien qu’elle désapprouve le fait de ne vivre que pour le travail, en revanche. Mais inutile d’en révéler autant.
« Excellente chose. Quel est ton auteur préféré ? »
En revanche, elle délaissa tout ce qui pouvait toucher à la relaxation parce que, vous l’aurez deviné, ce n’était pas vraiment son fort. Iggy n’aimait ni le sport, ni la méditation, elle préférait se détendre d’une autre manière, pile poil entre les deux. Mais elle aimait bien lire, sans doute l’un de ses passe-temps les plus tranquilles. Vint ensuite la question de quoi faire en attendant que ça cuise ? Enfin, plutôt d’abord de savoir si elles souhaitaient passer à table tout de suite ou non. Ce à quoi Iggy répondit :
« Je ne suis pas encore au bord de l’inanition, on peut faire quelque chose d’autre en attendant, si vous voulez. »
En résumé : elle suivrait. De toute manière, la villa regorgeait d’activités : la piscine, ses jeux vidéo, Iggy était même certaine d’avoir un vieux Twister qui devait traîner quelque part. Voilà qui les rapprocherait. Sans doute un peu trop.