christmas in hell

C’est plus fort que moi : instinctivement, j’ai envie de me mettre entre Sofia et Iggy pour limiter les coups, ou plutôt pour contrôler ce qui pourrait être dit. Néanmoins, si je voulais pouvoir maîtriser tout de ce repas, j’aurais dû le faire soit avec ma mère, soit avec ma petite amie. À la dernière question posée, la brune avoue que son boulot occupe une bonne partie de son temps – c’est le moins que l’on puisse dire –, mais elle ne s’arrête pas là, elle ajoute s’occuper avec des moments calmes quand elle en a le temps. Elle énumère la méditation et la lecture, mais c’est bien ce dernier point qui attire l’attention de ma mère. Visiblement, ça leur fait un point commun et Iggy saute sur l’occasion pour lui demander qui est son auteur préféré. Si elles partent là-dessus, je peux facilement aller finir mon repas. Néanmoins, avant d’en arriver là, je préfère leur demander si elles souhaitent faire quelque chose avant ou si elles préfèrent manger incessamment sous peu. Pour le coup, elles se mettent d’accord et propose toutes les deux de faire quelque chose avant. Au moins, je n’aurais pas à choisir entre l’une ou l’autre – mon choix n’aurait pas été une vraie surprise de toute façon. Par contre, pour me dire ce qu’elles souhaitent faire, elles ne s’expriment pas. C’est donc à moi de me bouger un peu pour trouver des idées et leur proposer. « Il me semble que la piscine est à bonne température. » Dis-je, ne laissant que très peu de place au doute quant à la signification de ce que j’ai derrière la tête. Bien sûr, il ne s’agit là que d’une proposition. Pour leur laisser l’occasion de faire un choix, je continue d’énumérer ce qui me passe par la tête. « Iggy doit avoir un sac de tricot dans sa chambre. » Rapidement, je sens le regard de ma mère se poser  sur moi, alors très vite, j’enchaîne. « Je rigole. Très peu pour elle. » J’offre un large sourire à Iggy pour appuyer mes propos. Ça serait quand même dommage qu’elle parte au quart de tour et qu’elle commence à parler de choses qui sont bien mieux lorsqu’elles sont gardées secrètes. « En revanche, elle a des jeux vidéos. Si elle accepte de les partager avec nous. » Là, elle est la seule à pouvoir répondre. Sinon, si je fouille un peu dans ma chambre, je dois pouvoir trouver un Just Dance d’une année passée. Pour un jour de fête, c’est un bon jeu, non ? « On doit sûrement avoir des jeux de société aussi. » Et si la jeune femme veut s’essayer à la musique, il y a aussi la batterie dans ma chambre.

Cette manière qu’avait sa fille de vouloir tout diriger était un brin agaçante. Il aurait mieux valu qu’elle la mette au parfum sur ce qu’elle avait raconté à Sofia, qu’elle puisse s’adapter au lieu de subir ce moment plus qu’elle n’y participait. Iggy fut donc heureuse de savoir qu’elle ne posait pas trop de questions – ce dont elle ne doutait pas, c’était pas non plus sa première interaction sociale – et répondit par un sourire. Avant de passer au sujet lecture étant donné que c’est ce que les deux brunes semblaient avoir en commun. Enfin, c’était vite dit ; Sofia lisait surtout des revues médicales. Autant dire qu’elles ne pourraient pas débattre de si c’était passionnant ou non. Tant pis, il valait mieux qu’elle arrête d’essayer de ce côté-là aussi. Ce qui ne l’empêcha toutefois pas de répondre :
« On peut dire ça. Un peu de tout aussi. Enfin, sauf des revues médicales, en revanche. »
Elle ponctua sa phrase d’un petit rire puis il fut décidé à l’unanimité de faire une activité avant de se mettre à table. Regard noir de la part d’Iggy pour Charli lorsque celle-ci mentionna le tricot au moment de choisir ladite activité. Sa fille était peut-être en âge d’enfanter – on croise les doigts pour qu’elle n’en fasse rien, pas si jeune -, mais Iggy était très loin d’être une mamie. Le choix de Sofia se porta sur la piscine. Si ça ne la dérangeait pas.
« Bien sûr que non. Elle n’est pas là que pour faire joli. »
Et, tout bien considéré, elle n’avait rien contre l’idée d’aller piquer une tête elle aussi. Même si ça aussi, risquait de faire bizarre. Sans doute aurait-elle mieux fait d’embarquer une assiette et de monter dans sa chambre mater un film qui aurait n’importe quel autre thème que Noël, à moins qu’il ne parle d’un père-Noël psychopathe qui décapite des ados à coups de hache au lieu de les suivre, mais elle n’était pas une lâche. Elle ressortirait de ce repas la tête haute. C’est alors qu’un coup de sonnette se fit entendre. Elle n’attendait personne mais qui sait ? Peut-être s’agissait-il d’autres amies à Charli ayant entendu le mot « piscine » avec leurs oreilles bioniques.
« Je vais ouvrir. »
Qu’elles aillent se changer si elles le souhaitaient. Et quelle ne fut pas sa surprise de trouver Ash derrière la porte. Plusieurs émotions traversèrent Iggy tour à tour. D’abord la joie puis l’embarras, la confusion et retour à l’embarras. Et manifestement, elle eut du mal à le dissimuler.
« Détrompe-toi, je suis contente de te voir ! »
Disons que ça serait vrai si c’était ailleurs. Ou à un autre moment. Là, ça tombait un peu mal, effectivement. Ou bien, tout dépendait du point de vue. Elle qui repoussait cette discussion depuis si longtemps, se retrouver dos au mur était peut-être ce qu’il lui fallait pour passer à l’acte. Pinçant les lèvres, elle acquiesça. Aussi surprenant que ça puisse être, elle recevait à Noël.
« C’est pas tout à fait ça, disons qu’actuellement, je me contente de jouer les plantes vertes. »
Voilà qui l’intriguerait davantage, c’était certain. Elle s’écarta pour le laisser entrer tandis que les filles redescendaient.
« Voici Ash. Ça, c’est Charli et voilà Sofia. »
Présentations des plus brèves dont elle savait pertinemment que personne ne se satisferait. Quoique, peut-être Sofia qui avait l’air assez intelligente pour ne pas poser trop de questions. Mais il faudrait faire avec pour l’instant. Puis elle les laissa vaquer à leurs occupations tout en entraînant Ash dans la cuisine.
« Finalement, je crois que tu tombes très bien. Tu sais qu’il y a quelque chose dont il faut que je te parle depuis un moment, déjà. Tu veux boire quelque chose ? »
Parce qu’elle oui, alors tant qu’à faire. Elle se resservit un kir royal qu’elle vida d’une traite pour se donner le courage nécessaire avant de se rapprocher de la fenêtre avec vue sur la piscine, de désigner Charli du doigt et de poursuivre :
« Tu vois Charli, la rouquine qui ne me ressemble pas du tout ? C’est ma fille. »
Pfiou, voilà, c’était dit.

Si la lecture semble lier les deux femmes, dans deux styles de littérature différents, ce n’est pas ce qui va nous occuper pour patienter jusqu’au repas et heureusement. Sinon, je crois bien que je me serais éclipsée pour faire une petite sieste. Sofia étant notre invité, c’est à elle de choisir notre activité. Comme elle ne connaît pas vraiment les lieux, pas encore, je lui liste certaines possibilités. Parmi elles, le choix de la brune se porte sur la piscine. Mais sans grande surprise, elle n’a pas amené de maillot de bain. C’est un problème qui n’en est finalement pas un, puisque nous devons toutes les deux rentrer dans la même taille. Quelqu’un sonne à la porte et Iggy nous suggère d’aller nous changer pendant qu’elle ouvre. Nous ne nous faisons pas prier et j’emmène Sofia à l’étage, dans ma chambre. « Je suis vraiment désolée pour tout ça. » Je soupire légèrement, tout en cherchant deux maillots de bain dans mon armoire. Je ne parle pas du désordre dans ma chambre, mais bien de celui que semble devenir ce repas. « On est loin d’avoir une relation mère-fille idéale et tout ça, ça me fait vraiment paniquer. » Je n’attends rien d’Iggy, qu’elle approuve ou non Sofia, je m’en fiche. Mais je veux quand même faire bonne impression, sûrement plus auprès de ma petite amie que de ma mère d’ailleurs. « Je t’en supplie, ne prends pas tes jambes à ton cou. C’est la seule partie bizarre chez moi. » Enfin.. presque. Inutile de l’effrayer pour l’instant, surtout que nous devons déjà survivre à ce moment. Je lui tends l’un des morceaux de tissus trouvés et je lui vole un baiser avant de me déshabiller pour enfiler cette nouvelle tenue. Ce temps à deux est bien trop court, mais nous devons déjà redescendre : Iggy semble vouloir faire des efforts, ça serait dommage de la faire attendre trop longtemps. Arrivées dans l’escalier, je remarque que ma mère n’a pas encore expédié cette personne qui a sonné quelques minutes plus tôt. « Est-ce que tout va bien ? » Des présentations rapides sont faites, mais rien qui ne répond à ma question. « Je pensais que tu n’attendais personne. » Il ne faut pas avoir fait de longues études pour comprendre qu’avec cette nouvelle arrivée à la villa, l’atmosphère est devenue plus étrange – si cela était possible. Iggy est une grande personne qui ne se laisse pas marcher sur les pieds, alors si elle était dans une situation où elle avait besoin d’aide, elle l’aurait sûrement demandée. Alors que les deux aînés restent de leur côté, nous nous éloignons, avec Sofia, vers l’extérieur. Je l’emmène jusqu’à la piscine et fais le choix de sortir plusieurs matelas gonflables. « Tu penses que c’est qui ? » Dis-je, mon regard braqué sur l’une des fenêtres qui donnent sur l’intérieur. Pour plaisanter, j’aurais pu suggérer que seules les mauvaises réponses étaient acceptées, mais étrangement, le sujet m’intéresse trop pour en plaisanter. « Plus ça va, plus ce Noël est étrange. » Les présentations entre ma mère et Sofia, l’interrogatoire et maintenant, la présence d’un homme que je ne connais pas.

Croyez-le ou non, mais Iggy faisait de son mieux ne serait-ce que pour donner le change. Et il faut croire que c’était un peu bancal puisqu’Ash eut tôt fait de lui faire remarquer qu’elle n’avait pas l’air si contente de le voir que ce qu’elle prétendait. Oups. Bon. Ce n’était qu’une question de temps, ça reviendrait vite. Mieux valait sans doute qu’elle garde le silence pour le moment, d’autant que les filles étaient déjà en train de redescendre. A vrai dire, elle aurait même probablement mieux fait de faire vœu de silence tout au long de la journée, ç’aurait arrangé bien des choses. Elle dévisagea sa fille lorsque celle-ci lui demanda si tout allait bien. Heureusement que oui, qu’aurait-elle fait, sinon ? Jouer les gardes du corps pour Iggy. Qu’on lui permette d’en douter, à moins que ça soit pour impressionner Sofia, évidemment… Bref.
« Tout va pour le mieux. »
Puis elle plissa imperceptiblement les yeux. Jusqu’à preuve du contraire, elle recevait qui elle voulait parce que c’était encore chez elle. Elle dissimula au mieux l’agacement dans sa voix.
« Oui ben il arrive que les amis passent à l’improviste, parfois. »
Okay, c’était vraiment très rare depuis que Charli avait posé ses valises à la villa, mais ça peut quand même arriver. Tout ça pour dire qu’elle n’allait pas non plus laisser son ex-mari sur le pas de la porte. Non, elle allait plutôt l’inviter à entrer et il faudrait impérativement qu’ils aient une discussion avant que les choses ne dégénèrent. Ils se séparèrent donc en deux groupes de deux, l’un prenant la direction de la piscine, l’autre de la cuisine. Cuisine où Iggy crut bon de commencer à s’expliquer, ne s’interrompant que pour demander à Ash s’il voulait boire quelque chose. Et à sa question, elle pinça les lèvres et hocha vivement la tête. Sans doute pas très rassurant mais il n’était sûrement pas prêt à entendre ce qui allait suivre. Elle chercha un verre, ouvrit le bar et versa un peu de gin dedans avant de le faire glisser vers Ash. Puis, et seulement après avoir vidé son propre verre, elle cracha le morceau. Et la réaction de son ex-mari ressembla à peu de choses près à celle qu’elle s’était figurée. Stupeur. Choc. Incompréhension. Elle confirma d’un hochement de tête tout en prenant appui contre le plan de travail, croisant les bras – posture défensive par excellence. Ce à quoi elle ne s’attendait clairement pas, en revanche, c’est qu’il lui demande comment c’était possible… Vraiment ? Puis il se rétracta. Enfin, pas tout à fait.
« Second cas d’immaculée conception, je ne vois que ça. »
Ce n’était peut-être pas le moment rêvé pour faire des blagues, mais c’était trop tentant. Que répondre d’autre à ça ? Il n’était pas sans savoir comment ça s’attrapait ce genre de trucs. Et il n’était pas non plus sans savoir qu’elle avait eu une vie avant lui. Vraiment bien remplie d’ailleurs, mais elle n’avait jamais cru bon d’entrer davantage dans les détails pour des raisons qui lui sont propres. Ash continua sur sa lancée et Iggy comprit que l’heure n’était pas à la plaisanterie ; il ne voulait rien savoir de plus pour le moment. Bonne nouvelle car ça ne semblait pas non plus être le moment idéal pour de plus amples explications.
« Ouais je comprends, on aura l’occasion d’en reparler, une fois que tu auras digéré un peu tout ça. »
Une fois qu’ils seraient seuls aussi. C’est un rictus quelque peu sardonique qui se dessina sur ses lèvres en entendant sa conclusion. Voilà pourquoi elle n’avait fait que repousser cet instant encore et encore, parce qu’aucun moment ne lui paraissait être le bon pour une confession telle que celle-ci.
« Et je comprendrais aussi que tu ne tiennes pas à rester mais si jamais, je suis sûre que Charli a préparé assez pour une personne de plus. »

Me retrouver seule avec Sofia, à l’étage, me permet de faire une pause et ce n’est pas plus mal. Utiliser ce repas de Noël pour faire les présentations entre ma mère et ma petite amie, ce n’était sûrement pas la meilleure des idées. Tout a été un peu précipité et je crains d’avoir effrayé la brune. Par chance, avec ses gestes et ses mots, je comprends que ce n’est pas le cas. De nous deux, c’est elle qui joue la petite amie rassurante, pourtant, connaissant Iggy, cela aurait dû être moi. Une fois ce petit moment d’intimité passé et nos maillots de bain enfilés, nous redescendons au rez-de-chaussé et nous trouvons ma mère à la porte d’entrée, avec un homme que je ne connais pas, même de vue. Je ne sais pas si c’est un semblant d’envie de protection qui me pousse à faire ça, ou alors ma curiosité naturelle, mais je ne peux m’empêcher de questionner Iggy sur la présence de cet inconnu. Sans grande surprise, je me fais remballer et je fais le choix de ne pas insister, entraînant Sofia avec moi vers l’extérieur. Nous partions pour une petite séance au bord de la piscine, il n’y a pas de raison pour que cela change maintenant que nous avons un nouvel invité. Pendant que je sors tout le matériel que nous avons en réserve pour profiter pleinement de la piscine, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur l’identité de cet homme qui est venu sonner chez nous un jour de fête. Ce n’est pas seulement un voisin qui a besoin d’un quelconque ingrédient pour parfaire son repas, sinon ma mère l’aurait déjà congédier. À la place de ça, je vois à travers la fenêtre qu’ils prennent un verre ensemble. C'est un peu bête de ma part, mais je ne peux m'empêcher de questionner Sofia à ce sujet, peut-être qu'elle aura une réponse plus rationnelle que les miennes. La jeune femme émet des hypothèses. Est-ce qu'Iggy voit quelqu'un ? Peu probable ou alors je ne suis pas au courant. « Peut-être. Je n'en sais rien. Nous ne parlons pas vraiment de ce genre de choses. » Mais ça, Sofia doit déjà s'en douter. Ma mère ignore beaucoup de choses à son sujet, ou même de notre relation, alors la brune a dû faire le rapprochement et comprendre que je ne lui avais pas vraiment parlé d'elle avant de proposer – d'imposer – ce repas de Noël. Plus les minutes passent aujourd'hui et plus tout devient étrange. Néanmoins, il y a un bon côté à cela : ma petite amie n'est plus le centre de l'attention, pour l'instant au moins. À ma phrase, Sofia me fait remarquer que cela ne pourrait pas être pire. Je n'en mettrais pas ma main à couper : un voisin pourrait encore se pointer – Jimmy par exemple –, ou n'importe qui d'autres, un membre de la famille Rayne ou un peu plus tiré par les cheveux, mon père. Si on en arrive là, c'est que la neige sera sur le point de tomber. « Tout de même, c'est étrange. » Je ne peux m'empêcher de rester dubitative face à tout ça. Mais mon attention est détournée par l'interne qui m'invite à la rejoindre alors qu'elle commence à s'avancer dans l'eau. « Est-ce que tu sais que tu mens très mal ? » Dis-je, amusée. À sa posture dans l'eau, il est facile de voir à quel point la jeune femme n'est pas en position très agréable. Mais cela ne m'empêche pas d'aller la rejoindre. Je ne réfléchis pas trop et je plonge dans l'eau pour aller jusqu'à elle. « Merci d'être là aujourd'hui. » Mes bras viennent doucement l'entourer et à ma façon, j'essaye lui procurer un peu de chaleur. « Il ne manque qu'une chose pour que ce repas soit bien : que les plats soient bons. » Mais ça, nous ne le saurons que plus tard.

Sans doute était-elle la seule à voir les choses de la sorte mais, au fond, Iggy était contente que tout se soit passé de cette manière. Ça lui ôtait quand même un sacré poids de la poitrine, elle avait l’impression de pouvoir respirer à nouveau. Probablement que c’était pour cette raison précise qu’elle se permettait de faire des blagues dont tout le monde se passerait bien. Cependant, le lien qui les unissait encore Ash et elle lui permettait également de pouvoir plus ou moins se mettre à sa place et comprendre sa réaction. Alors non, elle ne s’attendait pas vraiment à ce qu’il accepte de rester le temps du repas. Elle aurait aimé, bien sûr, tout plutôt que de se sentir aussi indésirée et mal à l’aise dans sa propre maison à vrai dire, mais elle respecterait sa décision. Aussi baissa-t-elle la tête avant de la secouer de gauche à droite lorsqu’il lui demanda si elle pensait qu’il avait de l’appétit, là, tout de suite. Puis elle songea qu’il n’avait rien d’un trouble-fête. Bien au contraire, maintenant qu’il était au courant et que plus personne ne risquait de trop en dire, Iggy pensait qu’il pourrait même devenir le sauveur de ce moment si bizarre. Mais elle garda cette réflexion pour elle et le regarda contourner le plan de travail pour lui remettre le cadeau avec lequel il était venu. Des films. Ah, dire que cette journée aurait pu se dérouler d’une tout autre façon…
« Merci… »
Malgré tout, elle n’en oubliait pas les bonnes manières. Après quoi elle acquiesça cette fois lorsque son ex-mari fit savoir que lui non plus n’en oubliait pas les bonnes manières et allait dire au revoir aux filles. Ça la plaçait le cul entre deux chaises pour parler vulgairement, car elle n’avait aucune envie qu’il parte, non seulement parce qu’elle n’aurait pas dit non à un peu de soutien dans ce qu’elle considérait à présent comme une épreuve mais aussi parce que c’était Ash et qu’elle n’aimait jamais le voir partir – ce qui ne l’empêchait pourtant jamais d’aimer le regarder s’en aller -, mais d’un autre côté, elle n’allait pas non plus le supplier de rester. Jamais de la vie elle ne s’abaisserait à ce genre de choses. Tiraillée entre sa fierté et ses envies, l’histoire de sa vie. Mais tout d’abord, elle se garda bien de suivre son regard tandis qu’il mentionnait la possibilité qu’elle passe de mère à grand-mère d’un coup et n’essaya même pas de dire que c’est impossible.
« Ça ne m’étonnerait pas plus que ça non plus. »
Et pourtant, elle devait être la personne la moins surprise dans un rayon de deux kilomètres à la ronde, en ce moment même. Bref. Il passa donc la tête par la porte-fenêtre donnant accès à la terrasse, la piscine et le jardin, fit part aux filles de ses bons vœux tout en annonçant qu’il partait tandis qu’Iggy restait plantée dans sa cuisine. D’où elle perçut ensuite son hésitation. Si elle voulait agir, c’était le moment, c’était l’instant. Dans un premier temps, elle le raccompagna jusqu’à la porte avec l’air de ne pas y toucher mais elle ne l’ouvrit pas tout de suite et le retint par la main.
« Déjà, je voulais te remercier d’être passé, ça me fait quand même très plaisir. Et puis, j’aimerais beaucoup que tu restes. Même un peu. Cela dit, je comprendrais aussi que tu ne veuilles pas, donc je ne te force pas la main. »

Cette visite est surprenante et même si je n’ai aucune idée de qui est cet homme, nous n’avons pas à nous arrêter dans ce que nous faisons. C’est bien pour ça que malgré les différentes questions qui germent dans mon esprit, nous nous rendons jusqu’à la piscine avec Sofia. De nous deux, c’est elle qui s’élance en première dans l’eau. Une fois toutes les affaires sorties, je ne tarde pas à la rejoindre. À deux, ce sera forcément plus amusant. Je nage jusqu’à elle et viens l’entourer de mes bras pour l’aider à se réchauffer un peu. À son tour, elle passe les siens autour de mon cou et m’offre un tendre baiser. « Tu as envie de le fêter pour l’instant. » Dis-je, tout en insistant bien sur les derniers mots. Il n’est pas impossible que son avis change dans les minutes ou heures à venir. Pour l’instant, même si c’est un peu tendu – et étrange depuis que cet inconnu est arrivé, personne n’est mort et c’est déjà bien. Dans cette eau qui paraît chaude seulement grâce au soleil qui a pointé le bout de son nez, je profite enfin de la jeune femme. J’ai beau avoir un petit côté rebelle et ne pas avoir froid aux yeux, être intime avec quelqu’un juste devant ma mère, je ne l’ai jamais fait. Après plusieurs minutes seules, le fameux Ash arrive vers nous. Seulement, il n’est pas là pour se baigner. Non, il vient nous saluer et annoncer son départ. Une affirmation qui me surprend un peu. « Déjà ? » Il n’entend sûrement pas ce mot, à cause de la distance, mais aussi de la vitesse à laquelle il retourne à l’intérieur. Je ne sais pas ce qui a pu être dit à l'intérieur, néanmoins, vu son air un peu pale, ce n'était sûrement pas agréable. « Je reviens. Je vais sauver Noël. » Est-ce vraiment nécessaire ? Je ne sais pas, mais tant pis. J'ai Sofia, alors Iggy a bien le droit d'avoir quelqu'un aussi. Qui sait.. à quatre ce sera peut-être moins gênant qu'à trois. Je vole un dernier baiser à ma petite amie avant de sortir de l'eau et d'attraper une serviette que j'ai descendue un peu plus tôt. Je l'enroule autour de moi et me dirige vers la porte que l'homme a franchi il y a quelques minutes. Arrivée dans la maison, je remarque qu'avec ma mère, ils sont déjà au niveau de la porte d'entrée. « Vous partez vraiment ? » Je ne m'occupe pas vraiment de mes affaires. Mais pour être honnête, ce n'est pas la première fois, alors je ne ressens aucune culpabilité. « Vous ne voulez pas rester ? J'ai préparé le repas et je pense sincèrement qu'il y en aura trop pour nous trois. » Je ne suis pas une cheffe étoilée, mais peut-être que l'idée de manger un repas fait maison est tentante. Si j'avais laissé ma mère aux commandes, on se serait sûrement retrouvées avec des plats commandés. « Je vous proposerais bien de venir dans la piscine, mais je doute que vous soyez venu avec votre maillot de bain. » Et là, en terme de gênance, on serait sûrement au paroxysme. Iggy ne s'est pas encore changée, elle peut toujours lui proposer une autre activité pour l'occuper. Libre à elle de faire marcher son imagination. « S'il faut, je peux appeler Sofia et on termine les derniers détails en cuisine. » Je ne promets pas qu'un incendie ne se déclarera pas, mais contrairement à nous, peut-être qu'il a faim.