Yoooouuuu'rrrrrrrre here !

Noyer quelqu’un, c’est rarement un bon moyen pour se faire des amis et c’est bien pour cette raison qu’Iggy prit aussitôt ses distances. Connaissant Jimmy, il ne laisserait probablement pas passer ça et voudrait se venger. Ce qui deviendrait alors la vengeance d’une vengeance qui pourrait continuer comme ça encore longtemps. Mais ce ne fut pas pour cette raison qu’elle se laissa rattraper. En fait, elle ne se laissa pas rattraper du tout, c’est juste que nager dans l’océan ou faire autant de longueurs qu’on veut dans une piscine, ça n’avait vraiment rien à voir. Partant de là, peut-être qu’elle ferait placer des installations lui permettant de faire piscine à vague dans son propre bassin. Ou peut-être pas ; ce n’était pas parce qu’elle était riche qu’elle s’amusait à dépenser son argent dans de pareilles futilités, non, elle préférait le garder bien planqué en cas de pépin digne de ce nom. Bref, après l’avoir menacée de remonter sur le bateau en la laissant mariner là – en serait-il capable ? Aussi douée soit-elle pour cerner les gens, elle n’en jurerait quand même pas et préférait ne pas tenter le diable -, il la rattrapa donc en l’éclaboussant au passage et surtout en lui faisant remarquer qu’elle était mauvaise perdante. Un peu ? Disons que ça ne lui faisait pas perdre sa bonne humeur pour autant, et ça, tout le monde ne pouvait certainement pas en dire autant. Mais malgré ça, elle ne résista quand même pas à l’envie de lui envoyer une salve d’eau à son tour.
« Parce que tu connais des gens qui aiment perdre, toi ? »
Peut-être lui, sous certaines conditions puisqu’elle croyait bien se souvenir qu’il n’avait pas vraiment essayé de gagner la fois précédente mais sinon, elle était pratiquement sûre que ça n’existait pas : tout le monde aime cette petite ivresse que l’on ressent systématiquement lorsqu’on gagne.
« Bon, eh bien j’imagine qu’il ne me reste plus qu’à m’avouer vaincue. Ce qui te laisse le droit de me donner un gage. »
D’accord, ils n’avaient rien décidé à l’avance, mais puisque Jimmy s’était au moins donné la peine de tricher pour gagner, il avait bien le droit à cette petite récompense. Et quelque chose lui disait qu’il ne manquait pas d’imagination. C’était donc le moment pour lui d’en profiter.

Ainsi, lui aussi avait horreur de perdre. Et il ne connaissait pas d’autres personnes qui aimaient ça mais imaginait qu’il y en avait qui devaient s’en foutre… Moui, elle se demandait quand même surtout si ces gens-là ne faisaient pas que jouer la comédie pour avoir l’air un peu cool. C’est qu’on enviait toujours les gens qui se fichaient de tout. Surtout quand on était du genre à ne se foutre de rien. Qu’est-ce que ça pouvait être usant de tout prendre à cœur tout le temps. Bref, elle plissa un peu les yeux avec l’air de dire qu’elle l’avait bien dit et ne s’étonna qu’une seconde d’apprendre que lui faisait également partie des gens qui n’aimaient pas perdre. Comme quoi, elle le connaissait si peu. Tout ça pour dire qu’elle avait perdu et qu’elle n’était pas très jouasse à cette idée mais que c’était le jeu. Même s’il y avait eu triche, elle ne l’oubliait pas. Jimmy avait donc le droit de lui trouver un gage. Ce qu’il préféra ne pas faire tout de suite. Sans doute préférait-il bien se creuser les méninges pour trouver le gage. A moins qu’il n’ait tout simplement pas d’imagination, c’était possible aussi. Dans tous les cas, ça ne les empêcha pas de jouer et de barboter encore un peu avant qu’ils ne décident de remonter sur le pont. Iggy passant devant et sentant son regard glisser sur elle. Pas comme si ça la dérangeait non plus. Puis elle enfila un des peignoirs parce que décidément, il ne faisait quand même pas si chaud que ça et Jimmy s’occupa du service. Ah oui, elle en aurait presque oublié son cocktail, dites donc. Elle étudia la question quelques secondes avant de se décider :
« Pourquoi pas un irish coffee, tiens ? C’est un truc de chez toi, non ? O’Reilly, c’est pas irlandais ? »
Iggy était pratiquement sûre que si. Et pourquoi pas, après tout ? Il n’y avait pas que des anglais qui avaient décidé d’envahir l’Océanie. D’ailleurs, peut-être qu’elle lui avait déjà posé la question. Ou peut-être qu’elle s’était déjà fait la réflexion mais qu’elle ne s’en souvenait plus. Dans tous les cas, un irish coffee, c’est pas mal pour réchauffer.
« Je dirai pas non au goûter qui va avec, alors. »
Tant que ce n’était pas des desserts de mamie comme des vieux gâteaux avec des raisins secs, ça ferait parfaitement l’affaire.

Iggy posait la question sans être trop sûre de ce qu’elle avançait. Dans sa tête, les O’Quelque-chose étaient tous irlandais et les McQuelque-chose étaient tous écossais alors qu’elle savait pourtant que ce n’était pas forcément vrai. Puis au fond, les anglais, les écossais, les irlandais, pour elle, ça ne faisait pas tant de différence. Est-ce que ça serait considéré comme raciste, du coup ? Elle se le demandait parfois. Tout ça pour dire qu’elle espérait bien que Jimmy n’était pas d’origines écossaises et le prenne trop mal si jamais. Mais non, il la rassura vite quant au fait qu’elle ne se trompait pas et alla même jusqu’à lui expliquer que son grand-père avait fait un crochet par les Etats-Unis avant que son père ne décide de venir s’établir ici.
« Ah ouais ? Et pourquoi la Nouvelle Zélande alors ? »
Elle qui y avait vu le jour et passé sa vie, elle trouvait que ça ressemblait fort au trou du cul du monde, quand même, et elle avait donc un peu de mal à comprendre qu’on puisse avoir l’idée de venir s’y installer de façon définitive. A moins que ça ne soit pour les affaires, mais elle n’était pas très au fait de ce qui pourrait différencier la Nouvelle Zélande du reste du monde, de ce côté-là.

Suite à quoi elle le laissa à la préparation de l’irish coffee, elle le laissa même la materner un peu en lui rappelant qu’un café, quel qu’il soit, c’était chaud et qu’il ne valait mieux pas qu’elle le boive d’une traite sans avoir soufflé dessus au préalable. Je vous jure, Iggy eut soudain l’impression d’avoir dix ans. Mais ça l’amusait. Au point d’en délaisser sa tasse pour prendre un cookie ne lui paraissant pas trop suspect ; du chocolat, oui, des raisins secs, jamais.
« Tu sais recevoir, en tout cas. »
Ce dont elle n’avait jamais douté mais disons qu’elle s’était attendue à une tout autre façon de recevoir. Cassant le biscuit en deux, elle mordit dans une moitié avant qu’il ne lui demande d’où elle était originaire, elle, ce qui lui laissa le temps d’avaler sa bouché.
« D’ici, d’ailleurs, d’un peu partout, en fait. »
Une fois sa phrase terminée, elle se mit à rire.
« J’essaye pas de la jouer mystérieuse comme d’habitude, c’est que je suis issue d’une famille de forains, en fait. Alors j’aime bien dire que je viens de Queenstown parce que je suis une Rayne et qu’il y a queen dans le nom de cette ville mais la vérité, c’est que mes parents n’y étaient que de passage quand je suis née. »

Effectivement, Iggy ne voyait pas vraiment d’autres raisons valables de venir s’installer dans ce beau pays qu’une opportunité professionnelle. A moins d’être un fan vraiment très hardcore du Seigneur des Anneaux, peut-être. Ou encore de vouloir être pépère puisque la Nouvelle Zélande faisait très probablement partie des pays les plus sûrs du monde pour elle ne savait toujours quelle raison au juste. Il faut dire que les policiers qui avaient été à sa recherche jusqu’ici n’étaient peut-être pas les plus doués parce qu’elle était toujours en liberté. Pourtant, il lui était déjà arrivé de faire de la prison. En famille, avec son frère et ses parents, mais c’était dans ce qui semblait être une autre vie. Et elle n’avait pas encore débuté sa carrière solo, à l’époque. D’un air malicieux, elle hasarda :
« T’as peut-être un petit frère ou une petite sœur dans le coin et t’es pas au courant ? »
Ce qui pourrait être marrant. Enfin, sauf si ça entraînait des histoires de succession, évidemment. Mais Jimmy avait l’air certain que la société familiale lui reviendrait à un moment ou à un autre. Tellement qu’en d’autres circonstances, il aurait fait une cible de choix pour Iggy. Dommage, donc.

Puis ils en virent à discuter d’où elle venait autour de leur irish coffee et de leurs pâtisseries et, une fois n’est pas coutume, elle n’inventa rien : elle était bien née à Queenstown mais étant donné que ses parents n’étaient que de passage dans le coin, pouvait-on vraiment de dire qu’elle venait de là ? Sans doute que non. Mais Jimmy émit l’hypothèse que ça ne pouvait plus être qu’une simple coïncidence, à ce stade. C’est ce qu’il disait sans en croire un seul mot, elle en était sûre, mais l’idée lui plut aussi ne dit-elle rien. La question qui suivit en revanche la fit rire. Comme si elle avait eu un bal de promo. Enfin… Elle en avait eu plus d’un, en vérité, mais aucun où elle n’avait pas été invitée par une tierce personne qui elle, avait le droit d’être là.
« Toutes les couronnes de tous les bals de promo que tu peux imaginer. »
En trichant, bien sûr. Mais ça n’avait que peu d’importance étant donné que personne n’avait jamais eu l’audace de lui jouer son couronnement façon Carrie au bal du Diable. Puis elle haussa les épaules et expliqua :
« Pas tellement, ça reste de l’escroquerie dans un cas comme dans l’autre. Disons que j’ai juste rapidement eu envie de viser plus haut. »

Alors évidemment, sous-entendre que le père de Jimmy était comme le fils, ça tenait quand même plus de la boutade. Ce n’est sûrement pas elle qui dira que la pomme ne tombe jamais loin du pommier compte tenu du fait que sa propre fille ne semblait pas avoir hérité de quoi que ce soit d’elle – et c’était peut-être tant mieux -, mais on ne lui ferait pas croire que tous les hommes étaient du genre fidèle. Loin s’en faut, d’ailleurs ; elle avait quand même épousé quantité d’hommes qu’elle avait fait raquer pour tromperie. Après leur avoir agité un joli morceau sous le nez pendant plusieurs jours, certes, mais s’ils l’avaient réellement aimée comme ils l’avaient prétendu, ça ne serait peut-être pas arrivé. Ce à quoi elle ne croyait pas, préférant de loin se convaincre qu’aucun homme ne connaissait en fait le sens du mot fidélité. Peut-être pas même Ash. Peut-être que lui aussi aurait fini par la tromper avec une personne en chair et en os plutôt qu’avec son travail au fil du temps.
« Tant mieux alors, te voilà avec un souci de taille en moins à éventuellement devoir gérer. »
Puis ils enchaînèrent sur ses bals de promo et ça sembla étonner Jimmy qu’elle ne se soit jamais fait supplanter par une blonde, capitaine des cheerleaders. Décidément, il fallait qu’il garde en tête qu’il n’était plus aux Etats-Unis. Ni dans un film ou une série quelconque, d’ailleurs. Iggy rit puis secoua la tête.
« Non, jamais. Et j’ai déjà été blonde, mais pas à tous les bals. »
Des bals auxquels elle avait participé encore longtemps après avoir passé l’âge, soit dit en passant. Puis en parlant de sa couleur de cheveux, Iggy était passée par toutes les couleurs, on est une pro ou on ne l’est pas. Et le blond ne lui allait d’ailleurs pas si mal. Comparé à d’autres. Personnes comme couleurs. Ils en revinrent ensuite aux arnaqueurs ainsi qu’au fait que les forains en faisaient partie. Sauf que bien sûr, pour ne pas changer, il avait son avis sur la question.
« Bien sûr que c’est différent. Tout en restant pourtant le même art. »
La même performance, le même spectacle. Pour l’arnaqueur en tout cas. Pas pour le pigeon. Suite à quoi Iggy pouffa tout en levant les yeux au ciel.
« Ouais, je suis sûre que t’as l’habitude de fréquenter que des femmes bien sous tous rapports. »
Si c’était le cas, il « s’amuserait » nettement moins, c’était un fait.

Pouvait-on voir en Iggy le double féminin de Jimmy concernant les relations sentimentales ? La question pouvait effectivement se poser. Mais en fait, pas tellement. Elle aussi avait longtemps enchaîné les conquêtes, c’est vrai, mais pas de la même manière et surtout sans avoir le même objectif en tête. Non, elle ne faisait pas ça pour le plaisir, seulement pour l’argent. Et puis mine de rien, elle avait un peu l’impression que ça remontait à une autre vie maintenant. Bien sûr, elle n’était jamais très, très loin de la rechute, mais ça faisait quand même quelques années qu’elle n’avait plus passé la corde au cou de personne. Et qu’elle avait donc cessé d’enchaîner les conquêtes. Professionnellement parlant ou pas. En revanche, elle connaissait l’indicible horreur de s’entendre annoncer qu’on avait – ou allait avoir dans son cas – un môme dont on ne voulait pas. Ça l’avait même tellement marquée qu’elle avait juré que ça ne se reproduirait plus jamais. Au point d’en devenir même légèrement maniaque. Tout ça pour dire que d’un côté, la réaction de Jimmy la faisait marrer mais que, de l’autre, elle compatissait. Et pour en revenir à elle, oui, elle était passée par toutes les couleurs et toutes les coupes de cheveux. Tous les styles aussi, quitte à se coller des décalcomanies sur le corps ainsi qu’à s’orner de faux piercings si c’était nécessaire. Vous seriez surpris de voir que les riches ne sont pas tous coincés et n’aiment pas forcément tous les femmes BCBG avec le petit pull noué autour des épaules et des rangées de perles autour du cou.

Alors que dans sa vie en général, Iggy n’était pas du genre à tant changer de tête que ça ; elle aimait bien ses boucles brunes, le peu de piercings qu’elle s’était fait faire et aucun tatouage.
« Et malgré ça, je suis pas une grande fan du changement. »
Un comble pour quelqu’un comme elle, quand même. Bref, puisqu’ils en étaient en train de parler des forains, elle confia qu’elle ne s’était pas tellement éloignée de ce qu’elle avait toujours vu et même connu. Là-dessus, Jimmy lui fit remarquer que la grosse différence entre ce que le reste de sa famille faisait et que ce qu’elle faisait elle, c’était que ça n’était pas très légale. Sans blague.
« Okay, je plaide coupable même si on a déjà eu quelques plaintes pour escroqueries en ce temps-là aussi. »
Puis sa remarque concernant les femmes qu’il fréquentait le fit rire et il lui confirma qu’elle avait raison. Un petit air triomphal s’afficha alors sur son visage. Et à la réplique suivante, elle répondit :
« Le mythe, la légende, tu veux dire, non ? »
Mais qu’il se tranquillise, elle ne serait pas du genre à vouloir prévenir ses semblables du danger qui les guettait en côtoyant un tel tombeur. Non, qu’elles se démerdent.
« C’est parti, et j’attends toujours ton gage, je te rappelle ! »

Iggy était d’avis que pour ça aussi, tout dépendait. Pour la plupart des gens, une nouvelle coupe de cheveux était un changement radical. En même temps, changer de coupe de cheveux revenait littéralement à changer de tête et c’était bien pour cette raison que certains – beaucoup-, se coupait et se teignait les cheveux à chaque évènement majeur de leur vie. Une rupture ? On coupe. Un décès ? On coupe. Un déménagement ? On coupe. Tout ça pour oublier la personne qu’on était avant cet évènement, pour repartir sur de bonnes bases. Mais surtout pour échapper à soi-même. Oui, Iggy était douée pour la psychologie de bas étage. Question de survie. Haussant les épaules, elle conclut :
« Je pense bien que oui. »
Dans tous les cas, elle pourrait parler durant des heures du métier de forain. Un métier qu’elle avait un peu fui mais pas trop non plus étant donné qu’elle avait gardé la même base : l’arnaque. Et oui, il existait des gens pour venir se plaindre du fait qu’on les ait délestés de paquets de dollars. C’était peut-être stupide, mais ça arrivait. Nouveau haussement d’épaules.
« Souvent, on arrange ça à coups de pots de vin. Et dans le pire des cas, ça peut se terminer par une nuit au poste pour que le client soit satisfait. »
Le pire des cas étant que le forain se soit énervé et ait fini par coller une patate au pigeon qui s’amusait à le chauffer. Mais ça n’allait généralement pas plus loin. Puis elle pouffa en haussant les sourcils.
« Tu m’étonnes. »
C’est sûr que ça n’allait pas le déranger d’entrer dans la légende. Quant à savoir si ça l’aiderait à choper des meufs… Disons que certaines, oui, puis d’autres non. C’était comme pour tout. Puis, juste comme ça, il fut temps de reprendre la mer. Sans oublier le gage que Jimmy devait encore lui donner – et dont elle espérait secrètement qu’il serait en lien avec sa façon de naviguer. Mais non, au lieu de quoi, il préféra lui demander d’aller asticoter un peu le flic de tout à l’heure.
« L’emmerder ? Tu veux dire comme de lui piquer son badge ou ses menottes ? »
C’est sûr que c’est elle qui pourrait avoir des ennuis, après… Si tant est qu’il soit suffisamment malin pour s’apercevoir qu’on lui avait volé quelque chose et qu’il ne l’avait pas tout simplement perdu. En tout cas, Iggy était partante. Surtout pour aller s’amuser ensuite avec ce qu’elle aurait récupéré.