Yoooouuuu'rrrrrrrre here !

Ah, les petits justiciers. Ça faisait bien longtemps qu’Iggy n’en avait pas croisé. Enfin, il y avait bien cet agent d’Auckland, un peu plus malin que la moyenne qui avait bien failli lui passer les menottes, une fois. Mais elle avait alors tôt fait de s’éclipser pour atterrir ici. C’était il y a plus de dix ans, maintenant, donc oui, on pouvait dire que ça faisait un bail. D’ailleurs, elle avait fini par le recroiser dans le coin mais sans trembler des genoux pour autant puisqu’aujourd’hui, il n’était même plus dans la police. S’il s’était renseigné sur elle, elle avait fait pareil.
« Oui bien sûr mais les petits justiciers ont toujours une faille ; bien souvent, ils sont jeunes et débutent, encore emplis de belles illusions et… Doivent passer par un supérieur qui, lui, sait comment ça marche. »
C’est que depuis le temps, elle sait comment ça fonctionne. Et en parlant d’agent des forces de l’ordre, l’un d’eux constituera la base de son gage. Si elle l’accepte, bien entendu. Tout d’un coup, Iggy eut l’impression d’être dans un Mission Impossible. Mais avant d’accepter ou de refuser, encore fallait-il qu’elle sache à peu près quoi faire. Lui piquer ses menottes avant de s’en servir contre lui au lit, ah, elle n’irait sûrement pas jusque-là ce soir.
« Un chouïa, ouais. »
N’empêche que ça la faisait rire. Rire qui redoubla en l’entendant lui demander si c’était quelque chose qu’elle avait déjà fait. Parce que ça avait l’air d’être son genre ? Elle se demanda l’espace d’une seconde si c’était flatteur ou tout le contraire. Puis elle réfléchit.
« Avant de me lancer en solo, ça a bien dû arriver une fois, oui. »
Mais après, c’était tout sauf l’image qu’elle voulait renvoyer auprès de ses ex-maris ; elle préférait qu’ils continuent de la croire aussi innocente que possible encore longtemps après son départ. Désormais, elle pouvait se pencher un peu plus sérieusement sur la question et, entrevoyant déjà comment ça pourrait se passer, finit par acquiescer.
« Allez, ça me va. J’ai tout ce qu’il faut pour que ça me retombe pas trop dessus alors je suis partante. »
Tout au fond de son sac de plage attendait une perruque. Qu’elle avait embarquée parce que… Il faut toujours être préparée à toute éventualité, la preuve, elle lui serait utile aujourd’hui ; elle n’aurait donc plus qu’à changer un peu sa voix et le tour serait joué.

Toute la beauté de la chose, oui. Enfin, tout dépendait surtout de quel côté on se plaçait mais Iggy ne nierait pas qu’en ce qui la concernait, elle était plutôt placée du bon côté. Ou en tout cas, du bon côté pour que ça l’arrange. Elle esquissa un sourire en réponse à cette affirmation puis en revint au gage que Jimmy lui proposait. C’est qu’il n’y allait pas de main morte, en dépit du fait qu’il assurait ne pas vouloir aller trop loin, histoire que ça ne lui cause pas de tort non plus. Bien sûr, Iggy étant une experte dans l’art de la manipulation, elle devrait techniquement pouvoir s’en sortir mais elle n’avait tout de même pas envie d’aller jusque-là, aussi le gage serait-il revu un tout petit peu à la baisse.
« Ouais, un peu comme un « T’es pas cap de sauter du pont ». »
Ça aussi, c’était un vrai défi. Mais bien sûr, elle exagérait. Et admit avoir déjà tenté l’expérience au moins une fois. Oui, oui, elle avait déjà attaché – pas de menottes sous la main - un homme à son lit en lui promettant monts et merveilles avant de se volatiliser. Il faut bien que jeunesse se passe, comme on dit. Et pour le coup, ça remontait à il y a fort longtemps. La réaction de Jimmy la fit glousser.
« Surpris en fin de compte ? Pourtant tu viens juste de dire que c’est le genre de choses dont tu me crois capable. »
C’est qu’il pensait apparemment bien la connaître. Et il n’avait pas particulièrement tort en plus de ça. Jimmy connaissait Iggy aussi bien qu’on puisse la connaître. Mieux que son ex-mari – le bon, celui qui avait vécu avec la vraie Iggy et non avec l’un de ses nombreux personnages – et mieux que sa propre fille, c’est dire. Enfin oui et non, si elle n’avait jamais cru bon de s’ouvrir à eux, c’est surtout parce qu’elle estimait que ça ne leur causerait que des ennuis. Contrairement à Jimmy, donc. S’il était assez malin pour la boucler. Mais elle lui faisait confiance à ce propos, il avait l’air d’avoir assez de jugeotte pour parvenir à tirer son épingle du jeu. Bref, évidemment qu’il pouvait compter sur elle pour ce genre de plan. Il était quand même bien placé pour savoir qu’elle n’avait pas froid aux yeux. Par contre, il n’avait pas l’air plus pressé que ça, et même si elle aurait carrément pu se lancer dans ce défi tout de suite, elle aussi songea que ça serait sans doute mieux avec un peu de préparation.
« Je sais pas trop. Y a d’autres trucs à faire sur un yacht ou bien on a fait le tour ? »

Du tac au tac, Iggy eut envie de répondre que non, elle ne le ferait pas. Elle ne sauterait pas du haut d’un pont même si on la mettait au défi de le faire. Mais… Elle se connaissait suffisamment pour savoir que si les conditions étaient réunies pour que tout se passe bien, elle le ferait. Et sans la moindre hésitation. Ce dont Jimmy semblait se douter puisque c’est exactement ce qu’il ajouta en parlant de base jump et de saut à l’élastique.
« Je crois bien que je pourrais le faire, ouais. A condition de savoir qu’il y a une sécurité quelque part, bien sûr. J’ai pas trop envie de mettre fin à mes jours de manière inconsidérée non plus. »
Non, c’est vrai qu’elle n’avait rien à perdre mais elle aimait plutôt bien sa vie telle qu’elle était. En revanche, suite à son explication, elle comprenait que Jimmy puisse être surpris qu’elle ait accepté un tel gage. C’est vrai que ça revenait à se pavaner sous le nez des flics. Mais elle ne le voyait pas vraiment de cette façon. Enfin, c’est surtout qu’elle ne le voyait pas comme une telle prise de risques non plus.
« Ça va, je suis pas si recherchée par ici, c’est ce qui me permet de rester dans le coin. Et je suis pas sûre que ça pourrait suffire à me nuire. »
Iggy était douée, oui, mais parce qu’elle avait des années d’expérience derrière elle, aussi, ce n’était pas que du talent. Bref, c’est ainsi qu’ils en vinrent à discuter de ce qu’on pouvait bien faire sur un yacht de cette taille. Des douches, des bains, un jacuzzi. Que d’activités où il fallait se mouiller alors qu’on se trouvait pourtant en pleine mer. Puis il y avait aussi la chambre. Pour faire la sieste, selon Jimmy. Ouais, ouais, bien sûr. Dommage, il restait encore à Iggy quelques belles années devant elle avant d’atteindre le troisième âge et de se sentir exténuée par une petite baignade. Puis il parla de poker. Et même de strip-poker. Cela étant dit, c’est vrai que la partie se terminerait vite compte tenu de ce qu’ils portaient tous les deux.
« Crois-le ou non mais j’ai jamais joué. Alors c’est sûr que je finirais vite à poil et ça serait pas marrant. Mais je suis pas contre l’idée d’apprendre. Avec de vraies mises, même, que ça m'aide à me rentrer les règles dans le crâne. Si tu te sens l’étoffe d’un grand bluffeur, bien sûr. »

Ah oui ? Était-ce si évident que ça ? Oui, Iggy se doutait bien que Jimmy n’allait pas lui demander de s’écraser par terre, et quand même bien le ferait-il qu’elle non. Elle haussa les épaules, l’air de dire qu’on ne savait jamais et fut ensuite questionnée sur ce qui faisait qu’elle était plus tranquille du côté de Wellington que presque partout ailleurs en Nouvelle Zélande. Assagie… Elle prit le temps de la réflexion avant de répondre :
« On peut dire ça, je suppose. J’ai épousé un gars du coin. Pour de bon, je veux dire. »
C’était toujours utile de le préciser avec Iggy étant donné qu’elle s’était mariée bon nombre de fois rien que pour l’argent. Mais cette fois-là avait été différente.
« Puis quand on s’est séparé, Charli est arrivée. Et n’est pas repartie depuis alors… J’essaye de garder cet endroit aussi safe que possible en attendant. »
Quand elle prenait le temps de mettre des mots sur son histoire, elle se rendait compte de la complexité de celle-ci. Mais mine de rien, ça lui faisait du bien parce qu’elle n’avait pas souvent, pour ne pas dire jamais, l’occasion de le faire avec qui que ce soit. Un peu comme une thérapie pour hors-la-loi. Bref, c’est donc ainsi qu’ils en vinrent à décider de jouer au poker. Avec un Jimmy pas très bon bluffeur selon ses propres dires. Ah… Voilà qui promettait alors. Heureusement qu’elle était naturellement douée pour ça, donc.
« Ah ouais ? Et comment t’as fait pour ne pas perdre tout ton argent, alors ? Tu t’es toujours arrêté à temps ou bien t’as eu beaucoup de chance ? »
Auquel cas, ça deviendrait intéressant parce qu’elle avait toujours entendu dire que bluffer était la clef de ce jeu. Tout ça pour dire qu’elle était partante pour apprendre et qu’elle écouta attentivement toutes les règles et explications qu’il avait à lui fournir. Jusqu’à ce que ça soit bon, qu’elle ait tout enregistré. Ou à peu près.
« Allez, on verra bien ce que ça donne. »
Puisque c’était rien de compliqué et qu’il fallait juste jouer. Et c’est donc ainsi qu’Iggy put constater par elle-même que Jimmy était un très mauvais bluffeur. A moins qu’il ne le fasse exprès mais ça serait un peu étonnant quand même. Une fois qu’elle eut le jeu bien en mains, ils purent passer aux vraies mises. Elle acquiesça et le laissa distribuer les cartes.

Maintenant qu’elle le formulait à voix haute, Iggy s’apercevait qu’elle ne devait pas donner l’impression d’être du genre à se marier pour de bon. Surtout aux yeux de quelqu’un connaissant ses antécédents criminels, c’était juste pas compatible d’avoir une vie tout ce qu’il y a de plus normal à côté. Et pourtant. Elle opina ; avec Sunny ç’avait été un vrai mariage, par amour et non par profit. Comme quoi, tout peut arriver. Puis elle entendit la conclusion qu’en tira Jimmy et ça la fit presque mourir de rire. Non, elle n’était pas en train de se payer sa tête mais s’imaginer tout mettre de côté à dix-sept ans juste pour élever sa fille alors que sa carrière n’avait même pas vraiment démarré à l’époque, ça, c’était hilarant.
« Charli t’a pas dit ? C’est pas moi qui l’ai élevée. J’avais seize ans quand j’ai appris que j’étais enceinte. Plus jeune qu’elle ne l’est aujourd’hui. »
Et maintenant qu’elle y pensait, si elle avait vécu dans le bon pays pour ça, MTV lui aurait sûrement proposé de participer à leur émission phare en ce temps-là, Teenage Mom. Quelle horreur, ça lui fichait la chair de poule rien que de l’imaginer.
« Et son père était peut-être un peu plus vieux, mais il avait pas l’air plus chaud que moi pour avoir un enfant. Donc on a tous décidé de la confier à sa mère à lui. Charli a grandi en Suède jusqu’à la mort de sa grand-mère y a quatre ans à peu près. »
Et hop, hop, hop, inutile d’en dire plus sur ses raisons. Déjà qu’elle allait très certainement passer pour la mère indigne qu’elle était probablement, quelque part, pas besoin d’en rajouter une couche. Les gens pouvaient bien se dire ce qu’ils voulaient : sa fille avait peut-être grandi sans ses parents mais elle n’avait pas manqué d’amour et y a vingt-deux ans comme aujourd’hui, c’était bien la seule chose qui comptait pour Iggy. Bref, maintenant qu’elle avait tiré ça au clair, ils pouvaient jouer. Non, c’est sûr qu’il ne fallait pas être trop sensible pour la côtoyer au quotidien, celle-ci. C’est donc ainsi que Jimmy lui apprit qu’il le perdait au poker, son argent. Ce qui provoqua un froncement de sourcils à Iggy, notamment parce qu’elle pensait savoir qu’on pouvait y perdre des sommes colossales.
« Et qu’est-ce qui fait que tu continues à jouer alors ? La possibilité d’un coup de chance ? »
Intéressant, à étudier de plus près. Bref, les parties s’enchaînèrent et sans grande surprise, elle en remporta la majorité. Ce qui la consolait, c’était de voir que Jimmy ne la laissait pas gagner juste parce qu’elle débutait. Non, au lieu de ça, il tentait des stratégies qui ne faisaient pas toujours mouche. Et ses remarques la firent pouffer.
« Oui, c’est sûrement ça. Quelle idée de proposer un poker à quelqu’un dont le bluff est la base même du métier, aussi… »
Une chance pour lui qu’ils soient pas partis sur un strip-poker, donc, sans quoi c’est lui qui aurait rapidement fini à poil. Cela dit, peut-être que ça ne le dérangeait pas plus que ça. Elle respectait.

Peut-être bien qu’Iggy s’était montrée un peu trop cash en balançant cette information comme ça et en s’imaginant que Charli l’avait très certainement déjà mentionnée au cours de leur discussion de l’autre fois. Mais elle connaissait sa fille – en tout cas autant qu’il était possible de la connaître en quelque chose comme quatre ans-, elle savait très bien qu’elle était capable de le dire au premier venu alors autant désamorcer la bombe avant que celle-ci ne lui explose au visage, n’est-ce pas ? Haussant les épaules avec désinvolture, elle répondit :
« C’est bien son genre. »
De toute manière, Iggy n’avait pas honte de ce qu’elle avait fait et elle ne regrettait pas. Toujours aussi convaincue que c’était le meilleur choix. Certaines femmes n’étaient tout simplement pas faites pour être mères, quoi qu’en dise et elle en faisait partie. Et c’est bien pour cette raison qu’elle était capable d’en parler avec autant de facilité, d’ailleurs. Et Jimmy dans tout ça ? Ça ne le fit même pas ciller de l’apprendre. Soit la réaction qu’elle attendait de toute personne à qui elle décidait d’en parler au fond. Personne n’était à sa place au moment des faits, personne ne pouvait donc se permettre de la juger et pourtant, personne ne s’en privait. C’est vrai quelle horrible chose que d’abandonner son enfant. Même quand on sait très bien qu’on ne sera pas capable de l’élever comme il se doit et que, finalement, c’est mieux pour tout le monde, pas vrai ? Bref. Maintenant que le sujet était clos, place au poker. Pour lequel Jimmy n’était donc pas particulièrement doué puisqu’il perdait plus souvent qu’il ne gagnait. A force, ça devait quand même vous dissuader de jouer, non ? Non. Pas lui en tout cas. C’est alors qu’il revint sur le strip-poker. Ah oui. S’esclaffant, elle haussa à nouveau les épaules.
« Ouais, enfin ça dépend de contre qui tu joues, ça. »
En ce qui la concernait, elle n’avait pas toujours envie de voir tout le monde à poil en tout cas. Et si elle choisissait les joueurs de poker en fonction de leur physique, elle n’était pas sortie de l’auberge. Cela étant, elle imaginait assez facilement que c’était le genre de choses dont lui était capable. Quoi qu’il en soit, Iggy se mit à rire suite à son accusation et posant ses cartes, leva les mains en signe de paix.
« Je te promets que j’ai pas menti, c’est bien la première fois que je joue. »
Pour ce que sa parole valait, après… Mais ça serait tout de même dommage qu’on ne la croit pas quand elle disait la vérité.